Opération “Caliban” (Esquisse de stratégie qui ne sera pas tentée) (2/3)

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3 – La Guerre Sans Fin… Qui Achève

 

Nous sommes en guerre !

 

Vous aimez pas le mot ?

Vous trouvez que ça fait « pas propre » ?

Too bad, les copains.

Votre consentement n’est pas requis.

Nous SOMMES en guerre !

 

Être un artiste, dans la société que nous habitons, c’est être l’ennemi.

Le pas tenable.

Le pas sortable.

Le pas montrable.

 

Être un artiste, dans cette société,

C’est se faire crier des noms.

 

À moins de rentrer dans le rang.

Et de devenir

Un pas tenable propre et bien élevé.

Un pas montrable de bon goût.

 

Être un artiste, dans cette société,

C’est être bon pour les vidanges

À moins de servir

À Lisée,

À Bouchard,

À Landry.

Pis à leux tabarnak de balounes suicidaires.

 

Être un artiste, dans cette société,

C’est être un tas de marde.

À moins que les touristes

Fassent Oh

Fassent Ah

En contemplant votre travail

Entre deux chars de course qui flyent

Pis enchainent avec trois autres gins – taxes incluses.

 

C’est pas une société,

C’est un élevage de bétail.

 

Qu’est-cé qu’on peut ben avoir à faire de t’ ça,

Un tabarnak de poète, toi,

Veux-tu ben me dire,

Dans un étable grande comme six fois la France ?

 

Han ?!

*

Écoutez-moi bien.

 

Arrêtez de vous conter des histoires :

La Révolution Tranquille n’a JAMAIS eu lieu.

Parce que son cœur a immédiatement été flushé.

Et que son cœur, c’était la culture.

 

Avez-vous lu ça ?!

LA RÉVOLUTION TRANQUILLE

QU’ON VOUS RACONTE

C’EST UN FRAME-UP !

 

LA RÉVOLUTION TRANQUILLE,

CE QU’ELLE AURAIT PU

CE QU’ELLE AURAIT ÊTRE

A ÉTÉ HIJACKÉE !

 

PIS SON CADAVRE A ÉTÉ JETÉ AUX VIDANGES !

 

Ça veut dire quoi, ça, d’après vous ?

Ça veut dire ce que ça dit :

Que pour la culture, au Québec, la Grande Noirceur n’a JAMAIS fini !

 

Tout ce que le Québec a fait pour ses artistes,

Depuis 1960,

Ça a été de distribuer des pinottes à gauche et à droite

ET DE SE PÉTER LES BRETELLES !

 

De se péter les bretelles pour quelque chose

Que non seulement il n’avait aucune ostie de maudite envie d’encourager

Mais qu’il haïssait même de toutes ses forces.

 

Le Québec qui se mêle de culture,

Ce que ça donne quasiment à tout coup c’est

Le démantèlement de Corrid’Art en pleine nuit

Les auteurs du Refus Global obligés de s’exiler

Une ministre qui ordonne en moins de 24 heures qu’on efface le nom d’un cinéaste, sous prétexte que des accusations à propos desquelles Il N’Y A MÊME PAS EU D’ENQUÊTE ont été lancées à pleines pages de journaux

Le Québec qui se mêle de culture

C’est le PQ, dont un des premiers gestes, aussitôt porté au pouvoir en 76,

Est de ressortir la statue de Duplessis et de l’installer

Là où elle aura le plus de chances d’être vue.

Passez sur Grande-Allée et elle est littéralement impossible à manquer !

C’est ça, le Québec qui se mêle de culture !

*

Là, vous voulez savoir comment il se fait

Si ce que je viens de dire là est vrai

Qu’il y en a eu

Tout de même

De la culture, au Québec ?!

 

À CAUSE DU MONDE EXTÉRIEUR AU QUÉBEC !

 

Il y a eu de la culture au Québec

Parce que le fédéral avait son Conseil des Arts !

C’est lui, le CAC,

Qui, des dizaines d’années de temps,

A encouragé les écrivains,

Les peintres, les sculpteurs,

Les musiciens.

 

S’ils avaient dû compter sur Québec,

Ces gens-là,

Dans les années 60, 70, 80,

Ils auraient tous crevé la face éfouarée su l’ trottoir.

 

Pis tout le monde s’en serait contre-câlicé !

 

Les esties de joueux de piano, au Québec

ON HAÏT ÇA !

 

Il y a eu de la culture au Québec

Parce que le fédéral avait Radio-Canada !

Parce qu’il avait l’ONF !

 

Si l’argent que le fédéral investissait

Dans ces organismes-là

Avait plutôt été géré par Québec,

C’est aux fosses à purin, qu’il aurait servi !

 

Pis à se financer des tours sur les bateaux de la pègre

Pis ceux des tchums des régimes en place.

DES régimes en place

QUELS QUE SOIENT LEURS NOMS !

 

Il y a eu de la danse au Québec

Parce que les compagnies partaient en tournées à l’étranger

Financées par les pays-hôtes

Et qu’une fois revenus ici, les danseurs

Se mettaient sur l’assurance-chômage ! fédérale !

Pour pouvoir répéter leur prochain show !

Sinon, ils seraient tous morts tout nus

La face écrasée dans des murs de briques !

 

Pis tout le monde au Québec s’en serait contre-câlicé !

 

Le Québec a rien eu à voir

RIEN !

Dans la qualité des œuvres

Qui se sont créées ici !

 

Fondamentalement,

Le Québec N’A PAS changé

Depuis qu’en 1934

Le clergé a condamné les Demi-civilisés d’Harvey !

Tout  ce qui a changé, c’est la forme :

Aujourd’hui, au lieu d’être en soutanes,

Ceux qui décident de qui peut ou ne peut pas parler

Ce sont des ministres qui savent à peine lire

Et des journalistes aussi intelligents que des pelures de bananes.

 

C’est le fédéral

Et ce sont les pays étrangers qui ont invité les artistes d’ici

Qui ont fait qu’il reste encore des artistes au Québec !

 

Eux !

Et… les immigrants !

 

S’il n’y avait pas eu, tout au long du 20e siècle,

De décennies en décennies

Des hommes et des femmes de talent

De pures têtes de cochons

À venir de partout sur la boule

Pour aider à recharger les batteries

Des artistes d’ici…

Les artistes d’ici auraient tous fini

Avec une balle dans le front,

Saouls-morts dans des fonds de ruelles,

Ou pendus dans leur garde-robe !

 

Janine Sutto.

Jean-Pierre Ronfard.

Mercedes Palomino.

Paul Buissonneau.

Dany Laferrière.

Ludmilla Chiriaeff.

Guy Hoffmann.

Maryvonne Kendergi.

Kim Yaroshevskaya !

Wajdi Mouawad !

 

CHACUNE de ces personnes-là a fait plus

À ELLE SEULE !

Pour la culture québécoise

Que TOUS les ministres québécois de la culture ENSEMBLE !

À l’exception de G-É Lapalme

Le seul ! Le SEUL politicien, dans l’histoire du Québec,

Qui ait réellement tenté de faire finir la Grande Noirceur.

 

Les 22, 23, 24 autres ?

Je ne veux même pas savoir leux crisses de noms !

Esties de gang de snobs payés pour se pogner le cul

Pis se faire du capital politique

Sur le dos d’œuvres qu’ils n’auraient jamais eu le courage

D’aider à mettre au monde !

 

C’est à ces gens-là,

Sutto,

Kandergi,

Palomino,

Buissonneau,

Et à des dizaines,

À des centaines d’autres,

Venus de l’extérieur de l’étable

Que les artistes qu’il reste aujourd’hui

Au Québec

Doivent la vie !

 

PAS à Québec !

*

Pendant que le fédéral encourageait les artistes québécois

Avec le Conseil des Arts,

Avec Téléfilm,

Avec l’ONF,

Avec les Affaires extérieures,

Avec l’assurance-chômage,

Avec Radio-Canada – radio et télé…

 

Le Québec, lui, légiférait

Sur la grosseur des lettres sur les affiches, tabarnak !

 

Dans les années 80, au Conseil des Arts fédéral,

Quand les jurys discutaient des dossiers de demandes de bourses,

Il était INTERDIT de parler autour de la table des sommes en jeu.

UN SEUL CRITÈRE avait cours : la qualité des projets !

 

Au même moment, à Québec

Au MAC – dans le temps : le ministère des Affaires culturelles –

C’était le contraire !

La règle essentielle était de ne justement parler à peu près que des montants demandés :

Les jurés se faisaient expliquer qu’il fallait qu’un max de monde

Reçoive queuk cennes,

Quitte à les obliger à faire avec cinq piasses ce qui allait en coûter vingt.

Pourquoi ?

Pour que le ministère puisse se péter les bretelles à pleines pages de journaux

En annonçant qu’il aidait sept, neuf ou trente artistes,

Mais sans jamais préciser qu’il ne leur donnait qu’une fraction de ce qu’ils avaient demandé :

Ce qu’il fallait par-dessus tout, c’était doper les chiffres jusqu’à la moelle

Pour avoir l’air d’être VRAIMENT en train de faire quelque chose.

Alors qu’en acceptant la fraction qui leur avait été accordée,

Les artistes devaient s’engager formellement

À réaliser le projet TEL QUE SOUMIS, AU COMPLET !

 

Ce qui veut dire… ?

Ce qui veut dire que recevoir un chèque de Québec,

Ça signifiait que t’étais… DANS MARDE !

Obligé de faire un projet qui allait te coûter de l’argent de ta poche…

À moins que le fédéral embarque

Et te sauve les couilles.

 

Le MAC servait à exploiter les artistes

Pour que les crisses de ministres

Puissent pavaner !

 

Plus tard, à Québec, ça allait même devenir encore pire :

Les fonctionnaires allaient se mettre

À expliquer aux organismes qui demandaient des subventions

Qu’ils devaient être RÉALISTES dans leurs demandes,

Faute de quoi ils seraient pénalisés – sous prétexte de mauvaise gestion !

Autrement dit :

« Vous ne devez pas demander ce dont vous avez réellement besoin,

Vos besoins on s’en crisse !

Vous devez demander un montant qui corresponde à nos budgets, À NOUS !

Si vous avez le culot de demander un montant qui reflète vos vrais besoins…

ON VOUS SLUG ! »

Pourquoi ça ?

Pour pouvoir annoncer six mois plus tard, à la publication de résultats :

« Yahouuuuuuu ! Le Québec a accordé aux artistes 92 % des montants demandés ! »

Les artistes avaient appris à se censurer EUX-MÊMES !

C’était ça… ou crever.

 

Tout ça sans qu’un seul sacrement de chat

Ose s’ouvrir la gueule.

Parce que ça, ça aurait impliqué

Qu’il paqu’te ses p’tits et aille vivre en Argentine !

 

De toute manière…

Pas un crisse de journal aurait accepté de publier sa dénonciation.

À moins de la faire accompagner

Par huit lettres de vendus

L’accusant de délirer.

 

Oh, et puis il commande des rapports sur la culture, aussi, le Québec !

Envoye !

Un, pis deux, pis vingt, pis trente ! Ah, pis envoye don’ : quarante !

Et les enterre à mesure qu’il les imprime

À moins qu’il s’en serve pour alimenter les feux de plages

Au-dessus desquels on fait fondre les guimauves

En jouant de la guitare – les touristes trouvent ça tellement cute !

 

Jusqu’en 1992.

Parce que cette année-là,

Il se produit un événement

Encore PIRE que les condamnations du clergé, dans le temps,

Encore pire que toutes les insultes que Ti-Clin Duplessis

A pu dans sa sacrament de vie imaginer et lancer à la face du « monde à lunettes ».

Cet événement, il porte un nom :

« Frulla » !

 

En 1992, le gouvernement du Québec

Décide que même refuser d’encourager les arts

Est très loin d’être suffisant pour exprimer l’immensité de son mépris.

À l’avenir, il va falloir que les artistes, ils rapportent !

 

Depuis 1992, la politique officielle du Québec

En matières culturelles

Une politique

Jamais remise en question !

Jamais !

C’est :

On se contre-câlice de ce racontent les œuvres.

Tout ce qu’on veut savoir, c’est combien de cash on fait avec elles.

 

J’insiste, je souligne, pis je fais des flèches  :

Cette politique n’a jamais été contestée.

Par personne !

 

Pire :

En 1992,

Un organisme immonde,

Qui n’a jamais fait la job pour laquelle il avait soi-disant été créé

Qui a même fait le contraire, tout au long de son existence,

En empêchant les gens de théâtre de réfléchir et d’agir

Un organisme appelé CQT

Allait encourager le milieu du théâtre à crier OUI à cette politique !

OUI ! à la merde infâme imaginée par Frulla !

 

Aujourd’hui, 25 ans plus tard, l’insignifiant soi-disant ministre de service

– Qui occupe le fauteuil créé grâce à Lapalme, l’ostie !

Shame on you !

Déclare qu’il faut mettre à jour la cochonnerie pondue par Frulla !

Pendant ce temps-là, les artistes de théâtre font des sparages

Pis des culbutes

Pour 40 esties de millions

Qui dans le meilleur des cas

Ne changeraient strictement rien à ce qu’il y a d’important dans la situation

Mais permettraient même, zif !, de leur passer dans les dents

Ce qui a toutes les chances du monde

En empirant encore les conditions

De signer l’arrêt de mort final

Du théâtre au Québec.

 

Vous pensez que j’exagère ?!

 

Dans les années 80 et au début des 90,

Des auteurs de théâtre à se faire reconnaître sur la rue,

Ou dans les tavernes,

Nous étions au moins 10 !

En même temps !

 

Aujourd’hui ?

Nommez-moi UN jeune auteur, UN !

Dont le grand public connaît le nom !

 

Depuis vingt-cinq ans,

Des auteurs connus,

Il n’en est pas apparu un seul !

 

Pas depuis Wajdi !

 

Pourquoi donc ?

Pas parce que les auteurs qui ont commencé à écrire

Après lui

Auraient moins de talent

Moins de fougue

Mons de rêves

Pas parce qu’ils seraient mous

Flous

Ou tartes.

Jamais de la vie !

 

Personne ne les connaît

Tout simplement parce que,

Depuis 1992,

Au Québec,

La politique culturelle officielle

Dit que TOUT ce qui se peut se dire

Sur la vie

Sur les rêves

Sur la révolte

Sur la douleur

Sur la joie

N’a aucune ostie de saint sacrament d’importance.

 

N’importe que le cash !

 

C’est pour ça qu’aujourd’hui,

Le Québec a DEUX capitales culturelles

Dont aucune ne s’appelle ni Québec, ni Montréal, ni Sept-Îles :

Elles s’appellent

Las Vegas et Hollywood !

 

Les ceuses qui ont pas le talent qu’il faut

Pour faire des hits dans ces villes-là…

On s’en contre-crisse – qu’ils creuvent !

 

De toute manière,

Y a pas un calvaire de chat qui va s’en inquiéter.

*

L’automne prochain,

Là, là, juste devant votre nez,

Vont commencer des consultations

Organisées par l’insignifiant.

 

Quoi qu’il puisse se dire,

Pendant ces consultations-là,

Vous pouvez être certains d’UNE chose :

L’insignifiant et ses équipes de tueurs à gages

Ne retiendront des documents déposés

QUE ce qui leur permettra d’étayer ce qui a été décidé

Avant même que le projet ait été imprimé.

 

Et pourtant…

Je ne doute pas une seconde que des centaines d’artistes vont jouer le jeu.

Comme des milliers, des milliers et des milliers d’autres avant eux l’ont fait depuis plus de cinquante ans,

Sans même faire l’effort de réfléchir trente secondes.

Ce qui leur permettrait amplement

De comprendre

Qu’en le faisant… ils vont être en train de prêter main forte

À ceux qui ne souhaitent rien d’autre que leur disparation.

*

En 1992, en congrès du CQT,

Les artistes de théâtre se sont collectivement tiré une balle dans le front.

Et s’ils ne se sont pas tous évaporés dans l’air à l’instant,

C’est simplement parce que l’accord de Charlottetown venait de foirer.

Sans quoi, la question des arts dans notre société

Serait réglée pour l’éternité

Depuis 25 ans.

*

Vous voulez savoir ce que ça donne,

Des artistes qui ne se donnent pas la peine de réfléchir

Avant de se mettre à gueuler

Pour des niaiseries ?

 

Deux exemples.

Si vous en voulez d’autres, gênez-vous surtout pas,

J’en ai cinquante dans ma manche.

*

Premier.

Années 2000. Durant une campagne électorale fédérale, Michel Rivard participe à une pub partisane – je ne souviens plus trop au profit de qui – sans doute mon esprit a-t-il choisi d’effacer l’info pour tant bien que mal tenter de conserver un minimum d’espoir en l’espèce humaine.

Le scénario est celui-ci :

Rivard chante Le Phoque en Alaska en s’accompagnant à la guitare. On comprend qu’il est en train de passer une sorte d’audition puisque, face à lui, derrière une table, trois messieurs en complet l’écoutent avec un air de beux. Trois anglos ne parlant pas un traître mot de français et dont on comprend vaguement, je ne me souviens plus par quel moyen, que ce doivent être des Albertains, genre. Et, par conséquent, puisque chacun sait que les Québécois ne sont pas racistes – tous les autres oui, mais pas eux –, étant des Albertains dans une pub québécoise, les trois airs bêtes sont nécessairement imbéciles et ignares.

Ils se mettent à vertement critiquer Rivard sur son emploi du mot « Phoque », que bien entendu, subtilité oblige, ils comprennent comme étant « Fuck » – lequel est inacceptable à leurs blanches oreilles.

La chose est à peu près du niveau intellectuel d’une partie de garrochage de roches dans une cour d’école.

Le message véhiculé est celui-ci : la gang à Harper, avec son ignorance crasse et son arrogance de bas-étage, est une menace pour la culture québécoise.

Tous les gens qui, à cœur de jour, des semaines de temps, me parlent de ce petit bijou de propagande sont absolument aux anges, fiers comme des paons de ce coup magistral : et vlan, les crisses d’Anglais, dans le nez !

 

Sauf que… vous savez quoi ?

Les épouvantables politiques culturelles qu’on soupçonne Harper de vouloir nous imposer… elles sont à peine un copier-coller. Elles vont même moins loin que celles que le Québec a adoptées À L’UNANIMITÉ PLUS DE DIX ANS PLUS TÔT, QUE PAS UN OSTIE DE CHAT N’A CONDAMNÉES, ET QUE LES ARTISTES DE THÉÂTRE, POUSSÉS DANS L’ CUL PAR LE CQT, ONT MÊME APPUYÉES À FOND LA CAISSE !

Joli, non ?

Ce que Rivard et ses camarades font là, à la vue de tous, ça s’appelle « faire un vrai fou de soi ». Mais bof… comme dans cette province de merde à peu près personne parmi les quelques-uns qui savent lire ne se donne la peine de réfléchir, même un éléphant rose de la taille du siège social de l’Hydro passe comme une lettre à la poste.

*

Deuxième.

Vendredi dernier, le 30 juin, juste avant d’aller me coucher, tôt, pour être en forme le lendemain et pouvoir entreprendre dès le lever la rédaction du billet que vous êtes en train de lire, je m’enfarge au passage dans le texte qu’un ancien président du CQT a publié dix heures plus tôt sur Facebook.

Parlant du triste sort réservé aux artistes dans notre beau pays, il sanglote, il se graffigne la face, il s’éplore, il gémit, il s’arrache les cheveux – enfin bref il a des émotions. Ce qui est formidable. Pour lui, en tout cas.

Sauf que…

Le gars, a commencé sa carrière professionnelle théâtrale vers 1982. Il était donc déjà actif depuis 10 ans quand l’ouragan Frulla a fessé dans l’ dash.

Et LE point essentiel de la politique qu’aujourd’hui l’insignifiant de ministre se prépare à faire passer, c’est qu’elle est LA SUITE DIRECTE de cet ouragan – il l’écrit en toutes lettres, le ministre, dans son mot d’ouverture, dès le deuxième ou le troisième paragraphe.

Mais le gars sur Facebook, lui, ne souffle pas la moindre syllabe à son sujet, la politique de Frulla.

Pas un mot… sur l’essentiel, donc.

La politique Frulla, à l’en croire, elle n’existe tout simplement pas.

À le lire, le gars, les politiques culturelles québécoises ont commencé à exister quand lui s’est fait élire président du CQT… alors que ce même CQT avait, quelques années à peine avant qu’il en devienne président, incité ses membres à appuyer massivement la merde qu’il s’agit aujourd’hui de mettre à jour – et dont lui ne parle pas !

Je vous redis ça ?

Un gars a été président d’un organisme qui, à l’époque, a appuyé ouvertement, à fond la caisse, une politique désastreuse – et dont on savait dès avant son adoption qu’elle le serait, désastreuse.

De nos jours, un ministre annonce son intention de pousser la catastrophe encore plus loin, et le gars en question, sur Facebook, s’arrange pour faire commencer l’histoire… APRÈS les événements qui ont décidé de l’avenir !

 

Où étiez-vous, monsieur, le 3 mai 1992, le jour du premier vote du Congrès du CQT ?

Le jour où Jean Besré et bien d’autres ont parlé ?

Étiez-vous là, à l’Uqam ? Ou non ?

Si vous n’y étiez pas, pourquoi ? Le jour où risquait de se décider le massacre de vos consœurs et confrères, et de tous ceux qui dans le futur allaient tenter de devenir artistes au Québec, qu’aviez-vous donc d’autre de si important à faire ?

Et même en admettant que vous ayez eu une excellente raison pour ne pas y être… avez-vous, le lendemain, la semaine suivante, le mois d’après… tenté de comprendre ce qui s’était passé ce dimanche-là ?

Oui ou non ?

Si oui, si réellement vous avez tenté de le comprendre, où donc est rendue aujourd’hui cette compréhension ? Où l’avez-vous cachée ? Dans un coffret de sûreté ?

Et sinon, pourquoi pas ? Ça ne vous intéressait pas, de comprendre à quelle sauce vos camarades risquaient d’être bouffés à compter de ce jour-là ?

Si vous ne saviez pas – et si jamais par la suite vous n’avez cherché à savoir – de quel droit posez-vous aujourd’hui en pleureuse de choc, alors que ce qui depuis 25 ans a causé le malheur de vos camarades vous intéresse tellement peu que ne le mentionnez même pas ?

Et si vous savez… vous ne pouvez rien être d’autre qu’un tabarnak de menteur, en faisant aujourd’hui semblant que ces événements abominables auraient compté pour rien !

Choisissez !

*

4 – Survol de la Situation Stratégique

Au moment où, au terme d’une guerre qui dure depuis cent ans au moins, un ultime assaut va être lancé par le Québec contre ses artistes, ces artistes, eux, se shootent aux balounes.

« Il nous faut 40 millions ! », clament-ils, ce qui dans les circonstances est autant d’à-propos que d’exiger une nouvelle version de Pokémon.

Le spectacle est atterrant.

Mais, atterrant ou pas, c’est là que nous en sommes :

L’immense majorité – si ce n’est la totalité – des artistes ne s’est jamais donnée la peine de lire une seule page, de réfléchir une seule minute à la place réservée par leur société à l’entreprise de leur vie.

Et cette entreprise est sur le point d’achever d’être câlicée aux vidanges.

 

Alors…

« On fait quoi ? »

*

D’abord, le point.

 

En face :

Un bulldozer fou qui fonce vers nous à toute allure.

Une fois qu’il sera passé, les quelques touffes de gazon à avoir résisté aux 25 dernières années de politiques culturelles québécoises auront pris le bord.

 

De « notre » côté :

Des artistes qui battent des bras en l’air sans avoir la moindre câlice d’idée de ce qui les attend – pas parce qu’il serait impossible de le savoir mais parce qu’ILS NE VEULENT PAS le savoir : c’est ben qu’ trop angoissant.

La situation serait pissante si elle n’était pas aussi épouvantablement vertigineuse.

En attendant, chose certaine, il n’y a strictement rien à attendre de leur côté.

Rien à attendre du côté de la politique non plus : les politiciens québécois, ils sont tous en face, assis sur le hood du bulldozer qui s’en vient, à crier « J’aime mon pays » en brassant le drapeau !

Du côté des médias ? C’est encore pire. À trois, quatre max exceptions individuelles près, les journalistes, radio, presse écrite, télé, sont à peu près du niveau intellectuel qui, quand j’étais jeune, était celui réservé à Allo Police.

Autrement dit : aucun allié à attendre dans le milieu, et aucun non plus ni dans les médias ni dans les institutions politiques.

Alors… dans les syndicats, peut-être ?

Ne me faites pas rire, j’ai les lèvres gercées.

En cinquante ans, il n’y en a pas un qui ait jamais remué UN câlice de doigt pour la culture.

À l’idée d’aller rencontrer un leader syndical pour lui parler d’art, j’aimerais mieux passer ma journée à donner un cours d’histoire de la littérature au cactus qui dort sur le bord de ma fenêtre. Lui, au moins, il me baille pas dans la face.

Le système scolaire ?

Ah oui ?! Vous vous imaginez, avec les problèmes de financement qu’il a, demander à un doyen ou à un recteur de vous accorder une heure pour lui conter vos problèmes de pelleteux de nuages ?

*

Alors quoi ?

Il n’y a rien ?

 

C’est pas ça que j’ai dit.

 

Il y a UNE force.

UNE.

 

Extraordinairement belle.

Remarquablement ferme quand elle s’y met.

Et qui peut renverser les montagnes quand elle décide de se grouiller.

 

UNE !

 

Mais comment l’atteindre ?

Et comment la mobiliser en si peu de temps ?

*

Table nette :

Au moment où je tape ces mots,

La situation EST désespérée.

 

Vous voulez savoir « on fait quoi ? »

Eh bien la seule réponse vraiment sérieuse que je puisse vous faire, c’est :

« Crissez votre camp au plus vite ! »

 

Vous avez un ou des enfants ?

Ou vous voulez en avoir ?

Et qu’ils puissent devenir tout ce que leurs rêves

Leur souffleront à l’oreille ?

Allez-vous-en !

 

Cette société et ses institutions, culturellement, c’est un cimetière.

 

Point.

*

Mais imaginons…

 

Imaginons,

Juste une petite seconde…

Que,

Pour une raison ou pour une autre,

Nous nous ressemblions,

Vous et moi,

Oh, juste un poil.

 

Imaginons…

Que vous aussi, l’idée d’abandonner le bateau qui coule…

Vous soyez INCAPABLES de l’admettre…

 

Imaginons…

Que la main de votre amour

Mort

Vous soyez incapable de vous résoudre

À la lâcher…

 

Imaginons…

Que l’idée d’abandonner les ti-pits dans leurs carrosses

Que vous voyez à l’épicerie

Ou sur les trottoirs

Ou dans le métro

De les abandonner à cette société de sauvages enragés

Vous révolte !

 

Imaginons…

Que vous vous disiez

Comme je me dis

Que les carottes sont cuites

Qu’elles sont même cuites À L’OS…

Mais que ça, c’est pas une raison suffisante pour lâcher.

 

Imaginons…

Que nous revenions à la base.

 

Que nous revenions

À l’origine :

L’Art n’a pas été inventé pour changer le monde

Il a été inventé… pour le chanter, le monde !

 

Imaginons…

Que FUCK D’ LA MARDE,

Qu’il coule, l’ostie de bateau,

Anyway, on dirait bien

À les voir aller

Que c’est ce que tout le monde souhaite.

 

Imaginons…

La seule réponse

Que nous pourrions faire à ça…

 

Une réponse sans espoir.

Parce que l’espoir,

C’est la chasse-gardée des politiques

Pis des curés

Pas celle des artistes.

 

Imaginons…

La seule réponse

Que nous pourrions faire à ça…

 

Une réponse sans but.

Parce que les buts et les objectifs

C’est la chasse-gardée des gars pis des filles des HÉC,

Pas celle des artistes.

 

Eh bien cette réponse,

Je l’appellerais…

 

Opération Caliban.

 

 

[1er au 3 juillet 2017]

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