“Rita” — version flottante (2) (8 septembre 2019)

 

Voici le texte de Rita, dans sa version du 8 septembre. Il sera remis à jour au fur et à mesure des avancées, jusqu’à ce qu’il soit déclaré “bon pour l’impression”.

Veuillez noter

  1. que, du fait de sa raison d’être, aucune attention particulière n’est accordée dans cette version à la mise en page et à la lisibilité.
  2. que le numéro de chacune des scènes retirée est conservé afin de faciliter les éventuels allers-retours entre les versions (à des fins de comparaison, par exemple).

 

Diffusion restreinte, je vous prie.

 


 

Longueur – récapitulatif

Compte tenu des importantes différences de durée entre pages de texte rimé et pages de texte en prose, j’opte ici pour un calcul de la durée qui se base sur le décompte des mots.

Version Labo (hiver 2019) : 16 735

Version lue par rdd (19 août 2019) : 26 913

Version 29 août – coupures monsieur H et (un tout petit peu) rdd : 18 416

Version 8 septembre : 18 168

Nous sommes donc encore à 1 500 mots environ de notre objectif de 16 700.

 


RITA COURNOYER JOUAIT PHÈDRE — TEXTE COUPÉ (au 8 septembre)

 

01 – ADRESSE

 Espace-Orchestre 

CHEFFE :

Ce jour-là, où tu t’éteindras

Ce moment-là, ce soir-là

Cette nuit-là

Que je te souhaite plus lointaine que la lune et les étoiles

Mais qui viendra certainement

Cette minute-là où tu seras soufflé comme est soufflé un cierge

 

Tu auras…

……….… vécu pour quoi

……….… attendu quoi

……….… cherché quoi

 

Existe-t-il continent plus envoutant que les yeux de l’autre

Est-il plus belle terre d’adoption que le cœur de l’autre

 

Jusqu’à ce jour-là, où je m’éteindrai

Jusqu’à ce moment-là, cette heure-là

Où je cesserai d’être pour désormais avoir été

J’espère de toutes mes forces

Que j’aurai vécu comme on marche vers l’autre.

 Percussion

 

02 – TESTS

 Espace-Rita

 

CHEFFE :

Rita

 

CHŒUR :

On n’a pas aucun droit à la moindre mémoire

Si on a pas l’ courage…

Percussion

Espace-Rita-Prologue

 

CHEFFE :

Prologue…

 

CORYPHÉE II  :

Mesdames et messieurs, vous allez assister

À un’ pièc’ en un acte et vers de…

Percussion

Espace-Rita-Action

 

CHEFFE :

Action…

 

HIPPOLYTE :

Théramène, j’ te préviens : essaye pas d’ me r’tenir

Ou ben j’ t’en descends une. Pis j’ai pas envie d’…

Percussion

Espace-Rita-Vision

 

CHEFFE :

Vision…

 

THÉSÉE :

T’as tué mon garçon pour te venger d’ la vie ?!

Percussion

Espace-Krantz

 

CHEFFE :

Krantz

 

KRANTZ :

J’en ai assez ! Tu comprends pas ça ?! Depuis que je suis au monde, que mon espèce est en voie d…

Percussion

Espace-Bob

 

CHEFFE :

Bob

 

Mme FRYERS :

Noble et brillant auteur d’une triste famille,

Toi, dont ma mère osait se vanter…

Percussion

Espace-Renard

 

CHEFFE :

Renard…

 

VOIX :

Mon chavirant sourire d’enfant qui n’a pas encore perdu la foi.

Percussion

Espace-Bédouins

 

CHEFFE :

Bédouins

 

NARRATEUR :

Que m’importe ma mort et le sable et le chant des enfants si, par‑delà la mort, si…

Percussion

Espace-Orchestre

 

CHEFFE :

Il était une fois… un théâtre… quelque part.

Quelqu’un entra en scène, scruta le public, le fixa dans le blanc des yeux, et dit…

Percussion

 

03 – RITA : LANCEMENT

Espace-Rita

 

LE CORYPHÉE :

On n’a pas aucun droit à la moindre mémoire

Si on a pas l’ courage de se pencher et d’ voir

Ce qui, sous nos succès, vient des combats passés

Et du courage de ceux qui ont osé affronter.

 

LE CHŒUR :

Nous ne sommes que les mots d’un tout petit poète,

Et nous parlons du temps d’une douleur secrète.

Jadis. Ou bien demain. Ou serait‑ce aujourd’hui.

Règnant sans qu’on la voit, mais règnant sans répit.

Percussion

 

04 – KRANTZ : VIRGILE

 Espace-Krantz.

 

CHEFFE :

À un autre moment, dans un autre théâtre…

 

VOIX I :

… le rideau est toujours baissé. La salle, toujours allumée. Le public jase. Digère son souper. Ne sait pas trop à quoi à s’attendre.

Derrière le rideau, une sonnerie de téléphone se fait entendre… trois fois.

 

VOIX II :

Driiing. Driiing. Driiing. Clic.

 

KRANTZ :

Si vous souhaitiez vous entretenir avec Wimfried Krantz, il s’en est fallu de peu que vous y parveniez. Vous avez fait le bon numéro, c’est toujours ça. Malheureusement, il ne lui est pas possible de venir à l’appareil. Alors, contentez tout le monde : laissez-lui un message.

 

VOIX II :

Biiip.

 

ABÉLARD :

Wim ? Abélard. Rappelle-moi le plus rapidement possible, veux-tu ? C’est au sujet de Himmel. C’est (important.)

 

VOIX II :

Clic.

 

KRANTZ :

Allo, Abélard ? Je suis là. (…) Non ! (…) Quand ?! Comment ? (…) Tu souhaites que je vienne ? (…) Je comprends. N’hésite pas à appeler si je… si je peux faire quelque chose. (…) Bien entendu. Oh, Abélard… ? (…) Je t’embrasse.

 

VOIX II :

Clic.

 

VOIX I :

Le rideau commence à monter, dévoilant lentement Krantz, agenouillé à l’avant-plan, à Jardin, plié en deux de douleur.

 

VOIX III :

Son bureau, où il se trouve, est une immense bibliothèque qui se perd dans les cintres. Toute la connaissance du monde. Au pied de la muraille de livres, debout, un fantôme, une fiction, le poète d’entre les poètes : Virgile, le confident de Krantz – son âme.

 

VIRGILE :

Malum nuntium ?

 

VOIX IV :

Traduisant :

Mauvaises nouvelles ?

 

KRANTZ :

Ah, tu es toujours là ? (…) Habituellement, tu t’évapores aussitôt que nous sommes interrompus.

 

VIRGILE :

Dicite mihi de illo.

 

VOIX IV :

Traduisant :

Qu’est-ce qui se passe ?

 

KRANTZ :

La mort.

Percussion

 

VOIX I :

Plus tard…

 

VOIX III :

… Krantz arpente l’immensité de son bureau en gesticulant, en tentant d’expliquer quelque chose à Virgile, sans le regarder – quelque chose que nous n’entendons pas mais qui à l’évidence le déchire.

 

VOIX IV :

Totalement concentré sur ce que lui raconte Krantz, Virgile opine doucement, en silence.

 

VOIX II :

Et ça dure.

 

VOIX III :

Et ça dure.

 

VOIX I :

Et Krantz, véhément, arpente son bureau en gesticulant et en vitupérant à l’adresse de Virgile – toujours sans le regarder.

 

VOIX IV :

Et, toujours doucement, Virgile fait signe qu’il comprend.

 

VOIX III :

Et Krantz arpente toujours le plateau, s’expliquant toujours.

 

VOIX IV :

Et Virgile ne bronche toujours pas.

 

VOIX I :

Et puis soudain…

 

VIRGILE :

Et… ?

 

KRANTZ :

« Et… » ? Comment ça, « Et » ?! Et j’en ai assez ! Tu ne comprends pas ? Tu ne comprends pas, ça ? La douleur. La folie. Le vertige. Le cynisme. L’appétit de puissance. Depuis que je suis au monde, que mon espèce est en voie d’extinction ! Tu ne comprends pas que ça puisse… je ne sais pas… me porter sur les nerfs ?

 

VOIX III :

Et de se relancer dans ses explications.

VOIX I :

Et d’expliquer.

 

VOIX II :

Et d’expliquer encore.

 

VOIX IV :

Jusqu’à ce que Virgile l’interrompe. Et se lance.

Commençant au fin-fond des temps, il entreprend à toute allure un récit du monde et des idées. Comme s’il détaillait du regard une immense toile tendue à la place du rideau de scène, la déchiffrant au bénéfice de son compagnon qui lui ne la voit pas.

 

VOIX I :

Histoire de la richesse.

 

VOIX II :

Histoire du pouvoir.

 

VOIX III :

Histoire des armes.

 

VOIX IV :

Histoire de la souffrance.

 

VOIX I :

Et il raconte, et il explique.

 

VOIX I :

Les cavernes.

 

VOIX II :

Les premières huttes.

 

VOIX III :

Les premiers villages.

 

VOIX I :

Les premiers rois.

 

VOIX IV :

Les premiers champs cultivés.

 

VOIX III :

Les premières villes.

 

VOIX II :

Les premiers empereurs.

 

VOIX I :

Les fortunes colossales, absurdes, côtoyant la pauvreté la plus invraisemblable.

 

VIRGILE :

Rome !

 

VOIX I :

Les siècles défilent.

 

VOIX II :

Les millénaires.

 

VOIX III :

Jusqu’à ce que…

 

KRANTZ :

Et ensuite ? Virgile ? Ensuite ? Après ?!

 

VIRGILE :

Ah, mon pauvre enfant. Après ?

Après. Il y a à peine un tout petit siècle de cela. Par un beau matin de mai. Une longue procession. Totalement recueillie. Remonte à pas lents la pente abrupte d’une verdoyante colline irlandaise.

Derrière, tout au fond, il y a la mer. Et, partout, tissée à même l’air, la musique.

« Marche funèbre » de Chopin.

 

VIRGILE :

En voyant approcher la procession, on s’aperçoit d’abord qu’il y a là, dans les rangs qui s’avancent, beaucoup de soldats. Beaucoup trop. Et puis. Des cercueils. Beaucoup, de cercueils. Beaucoup trop. Et beaucoup, beaucoup trop de cercueils, surtout, tout petits. Des cercueils d’enfants.

La ville, là-bas, au fond, sur la gauche, d’où monte la procession est pourtant beaucoup trop modeste pour un défilé aussi impressionnant. C’est qu’il y a là quantité de gens venus très rapidement de très loin. Aussi vite qu’ils l’ont pu. Mais trop tard : la mort avait déjà frappé.

 

KRANTZ :

Qu’est-ce qui s’est passé ? Un tremblement de terre ?

 

VIRGILE :

Oh non.

 

KRANTZ :

Une épidémie ? La guerre.

 

VIRGILE :

Oui. Oui, la guerre. Pourtant, il n’y a pour ainsi dire pas de corps de soldats, dans ces cercueils-là. Que des civils. Des étrangers. Des femmes. Des enfants.

 

KRANTZ :

Qu’est-ce qui s’est passé ?

 

VIRGILE :

La fin d’un monde.

Vois-tu. Depuis des siècles. Jusqu’à quelques heures à peine avant cette procession-là. Il existait un code de la guerre – de la guerre sur mer – que la plupart même des plus féroces d’entre les pirates respectaient. Depuis des siècles. Un code qui stipulait : « On ne coule pas délibérément un navire civil désarmé sans avoir d’abord donné la chance de fuir à ses passagers. » Oh, bien entendu, il s’était toujours trouvé des attaquants pour ne pas se sentir liés par cette règle. Mais ils étaient exceptionnels. C’étaient des… des monstres. Je veux dire : des anomalies. Permettre aux passagers d’un navire civil de le quitter avant qu’il soit certainement englouti par les flots, ce n’était… ce n’était même pas un code d’honneur. Cela allait de soi. C’était humain, tout simplement. C’était la toute simple et évidente décence. Seulement.

Seulement il existe désormais une nouvelle arme, vois-tu. Une nouvelle arme. Enfin, nouvelle… jeune. Qui fait tout juste ses premiers pas. Elle s’appelle le sous-marin. Or tu vois, si le capitaine d’un paquebot bondé de civils voit tout à coup émerger des flots un requin d’acier qui lui ordonne de couper les moteurs, de mettre les canots à la mer et d’évacuer son bâtiment, il ne va pas se laisser faire. Son bâtiment, c’est sa vie. Il va. Il va virer, foncer sur le requin, qui n’est pas armé pour l’en empêcher.

Alors ? Alors, en toute logique, les capitaines de sous-marins ne préviennent plus leurs proies civiles. Ils lancent leurs torpilles. Et c’est tout.

C’est comme ça qu’en quelques heures à peine, un grand progrès technique se transforme en un gigantesque bond en arrière de la plus simple décence humaine. C’est comme ça qu’une civilisation entière se couvre de honte. Et qu’on entre dans un monde où le simple fait de ne pas se laisser assassiner est désormais considéré comme un insupportable affront.

Ces milliers de personnes qui défilent, là, sous l’éblouissant soleil de mai, dans l’époustouflante splendeur émeraude des collines, sur fond de scintillement des flots, tous ces gens atterrés, bouleversés, choqués, ne le savent pas encore, mais ce ne sont pas « seulement » des êtres aimés, qu’ils portent en terre. C’est un pan entier de la dignité humaine.

À la même époque, en quelques mois à peine, d’autres jeunes armes font leurs premiers pas. D’immenses ballons volants, qui permettent d’aller bombarder les villes ennemies depuis le haut des airs. Et puis l’avion. Et puis. Les gaz de combat. Et puis. Les tanks.

En quelques mois, le ciel sera devenu le repaire de la mort. Et l’océan. Et l’air même que nous respirons. Même plus besoin de regarder dans les yeux ceux que l’on assassine.

En quelques mois, les êtres humains franchissent la ligne qui depuis le début des temps les séparait de ceux que leurs ancêtres craignaient dans la nuit. Et qu’ils appelaient… démons.

À compter de ce jour-là, la course au diabolique se déchaîne. C’est le début de l’absolu cynisme. Oh, le cynisme existait auparavant, bien entendu. Mais il n’avait jamais régné en maître incontesté ni, surtout, incontestable.

Men of a crazy age, who made your dreams your enemies.

Fous, qui de vos propres rêves avez fait vos bourreaux.

Trente ans plus tard à peine, à la fin de la Deuxième guerre, en Europe, on en est déjà au point où, quand les Soviétiques entrent en Allemagne, après avoir découvert les camps d’extermination, comme certains officiers SS ont tenté de fuir en se déguisant en détenus juifs, les autorités russes donnent l’ordre – logique – d’abattre à vue tous les hommes portant l’étoile jaune. Tous.

 

KRANTZ :

Trop peu de respect.

 

VIRGILE :

Moins de deux siècles plus tôt, un homme écrivait :

 

VOLTAIRE :

………………..Philosophes trompés qui criez « Tout est bien » ;

………………..Accourez, contemplez ces ruines affreuses,

………………..Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses,

………………..Ces femmes, ces enfants l’un sur l’autre entassés,

………………..Sous ces marbres rompus ces membres dispersés ;

………………..Cent mille infortunés que la terre dévore,

………………..Qui, sanglants, déchirés, et palpitant encore,

………………..Enterrés sous leurs toits, terminent sans secours

………………..Dans l’horreur des tourments leurs lamentables jours !

………………..Aux cris demi-formés de leurs voix expirantes,

………………..Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,

………………..Direz-vous : « C’est l’effet des éternelles lois

………………..Qui d’un Dieu libre et bon nécessitent le choix » ?

………………..Direz-vous, en voyant cet amas de victimes :

………………..« Dieu s’est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes » ?

………………..Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants

………………..Sur le sein maternel écrasés et sanglants ? »

(Lisbonne est abîmée, et l’on danse à Paris

Tranquilles spectateurs, intrépides esprits.)

 

VIRGILE :

À ton époque, on lui prescrirait des calmants.

 

KRANTZ :

Voltaire ?

Virgile opine.

 

VIRGILE :

Et le délire est sans bornes.

 

KRANTZ :

Et il n’y a rien à répondre à ça ?

 

VIRGILE :

Si. Il faut chanter.

 

KRANTZ :

Et rien d’autre ?

Percussion

 

05 – RITA : PLAIDOIRIES

 Espace-Rita

 

CHŒUR DE‑CEUX‑QUI‑SAVENT :

Elle, a osé braver et refuser aux dieux

Ce qui, de tous les temps, a été su à eux :

Le respect absolu tout tissé de terreur

La joie mêlée de crainte, et l’amour dans la peur.

 

LE CHŒUR :

Aux humains ses semblables, elle a osé r’donner

La mémoire d’un courage trop souvent oublié.

Elle a osé braver et reprendre à deux mains

Ce qui lui revenait : le droit à un destin.

 

CHŒUR DE‑CEUX‑QUI‑SAVENT :

Les dieux œuvraient au bien : ils venaient condamner

Faire bien voir à tous la voie déjà tracée.

C’était simple : il fallait bien regarder autour

Et hurler sa panique renouv’lée tous les jours.

 

LE CHŒUR :

Elle, a eu le courage de dire que la joie s’ peut.

Et qu’on peut tout au moins espérer rendre heureux.

Percussion

 

HIPPOLYTE :

Il fallait que je meure. Que mon père me condamne

Et même qu’il me maudisse, parc’ qu’a m’ traitait d’infâme.

Tout c’ qu’a l’avait à faire c’était de refuser

De forcer. De se batt’ cont’ un amour sacré.

De dire « Non, je veux pas », mais petit à petit

De pus avoir la force de lutter cont’ sa vie.

Là, de s’ laisser aller. Et pis de m’avouer

Que j’étais l’être aimé. Et d’ me scandaliser.

Là, mon père s’rait r’venu. Elle lui aurait menti.

M’aurait, moi, accusé. Moi je me s’rais enfui.

Mon père, tout démonté, aurait souhaité ma mort.

En route, j’ me s’rais fait’ tuer. C’est ça qui était mon sort.

Tout était décidé. Y avait rien à changer.

Jus’ dire ça dans nos mots. Y a rien pour s’énarver.

Percussion

 

ŒNONE :

Moi, j’ devais la tenter. Y faire faire des erreurs.

La pousser en avant quant’ a l’avait trop peur.

Mon destin ‘tait tracé : j’ devais jus’ faire en sorte

Que ce soye moi qu’on blâme quand elle a serait morte.

A l’avait rien à faire. Jus’ un peu résister.

Pis, petit à petit, finir par me céder.

Mais. A s’est comme choquée. J’ sais pas qu’est‑ce qui y a pris.

A tout’ envoyé chier. Pis là, est comme partie.

A place de jouer ses lignes pis de jus’ laisser faire

À Thésée tout’ l’horreur qui lui r’venait comme père

A l’a comme décidé qu’a ferait tout’ tu‑seule

En laissant rien aux aut’, quoi qu’y pensent, quoi qu’y veulent.

Percussion

 

CORYPHÉE II :

Tout’ c’ qui y était d’mandé, c’était d’ suiv’ son destin.

Mais a l’a préféré ‘sayer de l’ prend’ en main.

Les seules ‘tites différences ‘taient dans l’encadrement

Parc’ si tu changes le cad’, tu changes qu’est‑ce qu’on voit d’dans.

C’était pas d’ ses oignons. Mais qu’est‑cé qui y a pris ?!

Moi, j’tais là au début, en tant que Coryphée.

Pis à tout’ fin d’ la pièce, je r’venais en Thésée.

Percussion

 

THÉRAMÈNE :

Moi, j’étais là surtout pour la mort d’Hippolyte :

Conter qu’y était rentré dans ‘un arb’ ben ben vite

Parce qu’y avait pas mal bu, lui qui buvait jamais.

Qu’Aricie l’avait vu. Y avait dit qu’a l’aimait.

Percussion

 

CORYPHÉE II :

Les seules vraies différences devaient êt’ dans la forme :

Dans les noms pis l’accent. C’est pas ben ben énorme.

Y s’agissait seul’ment de viv’ ça dans nos mots.

Y a jamais ‘té question d’écrire un nouveau show.

Jus’ prend’ la même histoire mais la rend’ exemplaire

Pour démontrer qu’on vit un temps plat’ en calvaire.

Percussion

 

06 – LA REPRÉSENTATION COMMENÇAIT…  

Espace-Orchestre

 

CHEFFE :

Dans ce théâtre-là, la représentation commençait par…

Percussion

 

07 – RITA : POURQUOI FAIRE PHÈDRE ? (1)

Espace-Rita-Prologue

 

CORYPHÉE II :

Mesdames et messieurs, vous allez assister

À un’ pièc’ en un acte et vers de douze pieds.

Le titre, un peu baroque, de RITA COURNOYER

Est tout à fait gratuit et en rien justifié;

Son auteur, cependant, vous le remarquerez,

C’est, d’un de nos grands classiques, largement inspiré.

C’est, en effet, de PHÈDRE que cette histoire‑ci,

Par une nuit d’hiver et de lecture naquit.

Percussion

08 – BOB : PHÈDRE (1)

 Espace-Orchestre

 

CHEFFE :

Mais dans un autre théâtre encore…

Espace-Bob

 

VOIX I :

Une très vielle actrice : Agnès. Et un tout jeune acteur : Antoine, dit… Bob.

 

Mme FRYERS :

Alors ? J’attends ! Qu’est-ce qui la fait agir, la Reine ?

 

BOB :

Je. Je sais pas. Je. Je crois qu’elle regrette. Sa jeunesse. Hippolyte, le fils de son mari, lui rappelle celui qu’elle a aimé quand elle était jeune, elle aussi. Et puis. Elle arrive pas à faire le… le deuil de…

 

Mme FRYERS :

Non ! Jamais !

Jamais. Je ne veux pas entendre prononcer le nom de Freud. Pas ici. Vous m’entendez ? Vous êtes trop jeune, vous ne savez pas de quoi vous parlez. Vous êtes comme ces étudiants, tous ces étudiants imbéciles qui apprennent par cœur toutes les interprétations possibles de tous les phénomènes du monde avant d’avoir seulement posé un pied au-delà du seuil de la maison parentale. Vivez. Souffrez. Connaissez la joie indicible, qui transfigure, qui rend fou. Qui fait perdre le Nord, qui fait tout perdre. Connaissez les brûlures, les coups. Sachez ce que c’est que de lentement lever les yeux tout du long d’un haut mur dans lequel vous venez de buter. Sachez ce que cela implique, ce que cela dit, de prendre la pleine mesure de cette phrase-là : je-ne-peux-pas. Et de quand même tenter l’escalade, en enfonçant vos ongles dans la pierre. De le défoncer à coups d’épaules. De creuser sous lui. Tentez tout. Tout. Tout. Et ne renoncez que le jour où rien, rien ! ne peut plus être tenté. Et même alors. Même alors, doutez de vous-même, soupçonnez-vous de lâcheté. De faiblesse. Méfiez-vous de vos peurs, enfouies, tissées à même votre vie. Soupçonnez-vous de tout ce qu’il faudra pour vous aiguillonner, vous pousser à essayer encore. Et encore. Et encore. Jusqu’à bout de souffle. Jusqu’au bout de la vie. Jusqu’au bord du gouffre. Et au-delà. Vous m’entendez ? Au-delà.

Percussion

09 – RITA : POURQUOI FAIRE PHÈDRE ? (2)

Espace-Rita-Prologue

 

CORYPHÉE II :

C’est, en effet, de PHÈDRE que cette histoire‑ci,

Par une nuit d’hiver et de lecture naquit.

Un hiver pour les corps, mais surtout les esprits,

Qui n’étaient si heureux qu’après avoir bien ri.

C’était cett’ époque folle, durant laquell’ règnait,

Sur villes et villag’, un rir’ gras et épais.

Ce n’était pas, en fait, par pur’ débilité

Qu’on demandait sans trêv’ à pouvoir rigoler,

Mais un dicton d’alors voulait que les malheurs

Puissent être oubliés sous les rires en pleurs.

(Il faut bien dire ici que ce proverbe‑là

Faisait fort bien l’affair’ de quelques fac’‑de‑rats

Qui se trouvaient par lui, sans avoir à penser,

Bien en place, ma foi, pour sans peine régner.)

C’était, souvenez‑vous, cett’ époque lointaine

Où le peuple alangui savourait les fredaines :

On y improvisait à bouche‑que‑veux‑tu.

Tout était pour l’effet : tant de gags pour un but.

C’était le temps encor de mil hilar’ soirées

Qui plus étaient keutaines et plus étaient prisées

Et de mil autr’ encore dites très visuelles

Où tout discours pensé allait droit aux poubelles.

Quiconque, en ces temps‑là, tâtait de l’écriture

Se retrouvait sitôt coincé entre quat’ murs :

À dextre dominait un « réseau officiel »,

Ainsi qu’on l’appelait, pour qui la vie est belle;

Là, à senestre allaient, aspirants virtuels,

Ceux dont les dents poussaient jusqu’à fleur de semelles;

Dans le septentrion, les critiques tout en rangs

Jouaient à la police, le sabre entre les dents

Et au midi s’ tenait, vaguement ennuyée

L’armée du grand public, furieus’ d’avoir payé.

Entre Rita

 

RITA :

Cou‑don, toi, achèv’s‑tu ?! ‘N as‑tu ben d’aut’ à faire ?

 

CORYPHÉE II :

Encore trois pages au moins. Mais là, chus t’arrêté.

 

RITA :

Ça fa un’ heure chus prêt’ — pourrais‑tu abréger ?

 

CORYPHÉE II :

Si ça vous dérang’ pas, laissez‑moi fair’ mon bout’

Pis vous rentrerez quant’ j’aurai fini, c’est tout’.

A’ez‑vous d’jà vu ça ? : ‘a même pas commencé

Et pis est déjà là à vouloir tout’ runner.

Mesdames et messieurs, vous allez assister…

Bon, ça y est : chus mêlé.

 

RITA :

………………..………………………………….Tu vas pas r’commencer ?!

 

CORYPHÉE II :

Voulez‑vous, si‑vous‑plait, me câlicer patience

Pis attend’ en coulisses. J’ai un grand bout’ su’a France.

 

RITA :

M’a vous dire comme on dit : c’est pas que j’ veux kicker

Mais moi, ces grands‑yeules‑là, moi I m’ font bad‑tripper.

 

CORYPHÉE II :

Vous allez m’ fair’ voir bleu.

RITA :

………………..………………………………….Tu veux p’t’êt’ me sortir ?

 

CORYPHÉE II :

Y en a un ent’ nous deux…

 

RITA :

………………..………………………………….I commenc’ à rougir !

Moi là, si l’ coryphée s’en va vers l’émotion

Ça me laiss’ supposer qu’il a pogné l’ moton.

Donc, ayant fait’ ma job, je retourn’ en coulisses

Et vous laiss’ entr’ amis…

 

CORYPHÉE II :

………………..………………………………….Vas‑tu sortir, câlice ?!

Percussion

10 – COUPÉE/ DÉPLACÉE – Reste :

 

VOIX I :

Noble et brillant auteur d’une triste famille,

Toi, dont ma mère osait se vanter d’être fille,

Qui peut-être rougis du trouble où tu me vois

Soleil, je te viens voir pour la dernière fois.

 

11 – RITA : POURQUOI FAIRE PHÈDRE ? (3)

Espace-Rita-Prologue

 

CORYPHÉE II :

Où c’est qu’ j’étais rendu ? Ah oui : les intentions.

Y a deux points principaux pour répond’ aux questions

« Pourquoi fair’ PHÈDRE ici ? », « Pourquoi rien qu’ des garçons ? »

« Pourquoi l’alexandrin ? » et « Qu’est‑ce que la passion ? »

Vous avez p’t’êt’ noté qu’il arriv’ très souvent

Que le sexe dit faible serve de paravent

À l’émotion des gars qui plutôt que d’ crier

« C’est moi là, qui r’sens ça », préfèrent s’en excuser.

Vous allez donc entend’, on va donc vous fair’ voir,

Un tout p’tit bout de rien, un morceau du miroir

Du petit mond’ d’un gars qui plutôt qu’ s’éventrer,

S’ouvrir les vein’ en quat’ ou se défénestrer,

S’approprie des grands bout’ d’une pièc’ digérée,

Pour parler de fureur, d’amour et d’amitié.

Ça, c’était l’ premier point, destiné aux critiques :

Pour leu donner queuk chos’ à mett’ dans leux chroniques.

Voici le second point qui, beaucoup plus coton,

S’approche davantage d’un gouffre plus profond :

PHÈDRE est une tragédie, où un humain nous dit

Êt’ fourré par les dieux, le prend pas, chiale et crie

Jusqu’à temps qu’ se présente c’ qui était à côté d’elle

Qu’a voulait pas r’marquer, mais est son rêv’ réel.

A décid’ de foncer et de dire pour un’ fois,

Jus’ une fois dans sa vie, le fond de son émoi

Mêm’ si a doit risquer, en mettant l’ pied dans l’ vide

De s’ lancer dans un trip que mène dret’ au suicide

On s’est r’trouvés pognés a’ec l’envie d’ conter ça.

Mais dans nos mots à nous pis advienne que pourra.

 

CHŒUR‑DE‑CEUX‑QUI‑SAVENT :

Oui, mais là : attention ! Surtout n’allez pas croire

Qu’on fait du québécois sans penser ni prévoir.

Dans les tous premiers temps on s’était plutôt dit :

« Montons donc une grande pièce, pas d’un auteur d’ici,

Un Shakespeare, un Molière, ou alors un Genet ».

On fa p’t’êt’ du lôcal, m’on l’ fait pas éxiprès.

Fa qu’on a fait’ le tour de tous les directeurs

Qui mènent les gros bateaux et sont tout’ morts de peur

En leur disant : « Voilà. On veux faire un gros show

C’est vous aut’ qui avez le cash. On est‑tu assez beaux ? »

Nous avons été r’çus à bras très grands ouverts

Mais malheureusement y ava pas rien à faire,

Les budgets pour grands thèmes très très universels

Étant tout’ ben à plat’ pour la saison actuelle

Ayant été pillés par… la Guerre d’Algérie.

Fa qu’on s’est r’viré d’bord et pis on leux a dit :

« Essayons donc William ». On propose Roméo

Et on se fait répond’ « Ah ! Est pour Guillermo ! »

On r’vire encore un coup pis on crie : « Un Molière ?

Peut‑être LE TARTUFFE, aussi grande là qu’hier ? »

Mais Tartuffe au pouvoir nous a r’gardé en riant

En disant : « Si a s’ monte, c’est par moi, les enfants ».

 

CHORISTE (CEUX‑QUI‑SAVENT) I :

« C’était p’t’êt’ pas la peine de s’ donner autant d’ troub’

Pour réécrir’ une pièce qui a pas besoin d’un doub’. »

 

CHORISTE (CEUX‑QUI‑SAVENT) II :

« Ç’ara p’t’êt’ été mieux de monter la « vraie » pièce

Que de s’évertuer à r’inventer l’espèce ? »

 

CHORISTE (CEUX‑QUI‑SAVENT) III :

« Au fond, là, tout’ c’ qu’y ont fait’, c’est d’ gaspiller leux heures.

Puisque de tout’ façons, la première est meilleure. »

 

CORYPHÉE II :

Jus’ au cas où, mettons, vous penseriez à ça,

Ce petit prolog’‑ci vous répond. Jus’ : « en cas ».

Ah, bien sûr, y a des gens pour qui fair’ du théât’

C’est vraiment pas d’aut’ chose que d’ fair’ des statues d’plât’.

Peut‑êt’. Mais y en a d’aut’ qui pens’ que les humains

Méritent bien le troub’ d’ leu donner un coup d’main

Pis qu’on perd pas grand’chose en cherchant à fair’ sien

Ce qui, de par l’histoire, déjà nous appartient.

C’est un’ chose de savoir qu’ailleurs une chose existe

Mais, disons, dans ‘vraie vie, pas pour les archivistes,

Mais quand, tout comme nous, on t’obligé d’ se batt’

Jus’ pour surviv’ un peu, cont’ les aristocrates,

Faut ben s’approprier à la face du monde

Ce qui nous appartient. Quoi que l’on nous répond’.

Or donc, résumons‑nous : Quoi que vous en pensiez,

C’te pièc’‑là, s’ on la fait, c’est qu’on s’ sent obligés.

Pis on a choisi PHÈD’ parc’ que vous la savez

Y a toujours ben un bout’ a tout’ réinventer.

Le show qu’ vous allez voir n’est pas une satire,

C’est plutôt un hommage à ceux, celles qu’ le désir

De viv’ enfin leur vie, remplit du bout des ch’feux

À la point’ des orteils. Ne parlons don’ pas d’eux

Comme de quelqu’un d’autre. Parlons plutôt de nous.

Quitte à nous faire traiter une autre fois de fous.

Fausse sortie. Il revient.

Ah. J’allais oublier. Jus’ pour pas vous mêler :

Tu suit’ quant’ m’a sortir, tout un chœur va rentrer.

En gros, I constituent le‑chœur‑de‑ceux‑qui‑savent

Et qui toujours, en gangs, sont sûrs d’êt’ toujours braves.

Mais trompez‑vous‑y pas, chus pas leur coryphée.

C’est jus’ arrivé d’ mêm’ : y a fallu recruter

On a pris les acteurs qui étaient disponib’

Mais moi, c’est différent : chus t’un coryphée lib’.

Percussion

 

12 – RITA : PREMIER ESSAI (1)

Espace-Rita-Action

 

LE CHŒUR‑DE‑CEUX‑QUI‑SAVENT :

Et le rideau se lève, se lève, se lève, se lève

Sur un très beau salon donnant sur une grève,

Pendant qu’au premier plan pass’ une gang de garçons

Tout’ aimables et riants, chantant à l’unisson,

Qui traversent le stage de cour jusqu’à jardin

A’ec des pattes d’hommes grenouilles et en costume de bain.

 

SÉBASTIEN :

Oui, mais j’ vous ai prév’nu : jus’ une petite trempette.

 

CHUM SÉBASTIEN I :

Pour ça, tu peux êt’ sûr.

 

CHUM SÉBASTIEN II :

………………..………………………………….Hier, l’eau ‘tait assez frette.

 

CHŒUR‑DE‑CEUX‑QUI‑SAVENT :

Nous sommes quelque part sur le bord de la mer

Dans une grand’ maison avec des murs en verre.

C’est celle d’un grand chanteur, une basse, une star

Qui vient de disparait’, une nuit, entre deux bars :

Il est sorti de l’un en disant « J’ vas à l’aut’. »

On l’a pus jamais r’vu. Pis c’était ben d’ sa faute.

Enfin, toujours est‑il que c’ t’individu‑là

Avait fondé ici, dans sa propre villa,

Au sommet des falaises de cette île déserte

Une espèce de camp, comme un genre de retrait’

Pour chanteurs populaires rêvant d’ chanter pour vrai.

Ici, I est rééduque, à grand renfort de frais

D’ la mêm’ façon, d’ailleurs, qu’il y accueille des filles,

Leur apprend dans l’ détail comment polir leux trilles,

Leur apprend la vraie voix et pis la vraie diction

Pis à pus avoir l’air de chauffeurs de camions.

Il est intéressant qu’ ces efforts magnanimes

Et qu’il se gêne jamais pour qualifier d’ minimes

N’empêchent pas du tout que, tout au fond d’ son cœur,

Viv’ un profond dégoût pour ces âmes de boxeurs.

 

THÉSÉE :

C’ pas des mauvaises parsonnes. C’est jus’ qu’I ont pas d’ culture.

J’ai rien cont’ les bûch’rons. M’un opéra su’a sciure ?

 

CHŒUR DE‑CEUX‑QUI‑SAVENT :

À côté de ces gens, qu’il méprise secrèt’ment

Viv’nt sa nouvelle épouse et pis son seul enfant.

Elle c’est un’ vraie chanteuse, un’ ancienne grand’ vedette

Qui a profité d’ sa chance pour prendre sa retraite

Et lui c’est un jeune homme qui ne pense qu’à son corps

À sa p’tit’ gang de chums et pis à tous les sports.

Mais enfin, coupons court : ça on vous le r’dira,

Et expliquons plutôt ce que nous voyons là :

Cette gang de garçons, pour ainsi dir’ tout nus

Partant aller s’ baigner.

………………..………………………………….Oups. Un vieillard chenu

Vient d’entrer sur la scène, hagard et haletant.

Les jeun’ z’hommes l’ont pas vus, I est dépass’, se met d’vant,

Il lève un doigt sévère sur le plus grand d’ la gang

Qui se ceint d’ sa serviette et s’en fait comme un pagne,

Se sépare du groupe, et regard’ le vieil homme

D’un regard qui veut dire : « Fais un pas d’ plus’ pis j’ cogne ».

 

SÉBASTIEN :

Irénée, j’ te préviens : si t’essayes d’ me r’tenir

Ou j’ te dévisse la tête ou j’ te fesse dans l’av’nir.

À ses chums :

Allez m’attend’ su’a plage, c’ s’ra pas long m’a vous r’joind’.

Exeunt les chums à Sébastien

Pourquoi c’ tu m’ coures après ? Pas b’soin d’ parson’ me plaind’.

 

IRÉNÉE :

C’ pas ça que j’ veux non plus. J’ veux savoir qu’est‑cé qu’ t’as.

Pis pourquoi qu’ tes valises…

 

SÉBASTIEN :

………………..………………………………….Toi, mêles‑toi pas de t’ ça.

C’ fa ‘ssez longtemps qu’ tu m’ dis qu’y est temps que j’ fasse queuk chose

Ben ça y est : j’ sac’ mon camp. Mais j’ suppose

Qu’ là tout l’monde va crier : « C’est pas ça qu’ t’as à faire » ?

Mais moi j’ m’en va pareil : icitte, c’est un calvaire.

Chus t’écœuré, chus fatiqué, j’ veux m’en aller :

J’ n’ai trop passées de grands‑journées à m’ fair’ bronzer.

Chus t’un chanteur. Chus t’un solist’. Chus t’un ténor.

J’en ai plein l’ cass’ d’ jamais d’ carrière : toujours su l’bord.

D’ me fair’ promet’ par mon cher père des ben belles plogues

Pis d’y en qu’ sécher su’in île désert’ de catalogue.

Moi, mon seul rêve, et pis I l’ sait, c’est d’ fair’ carrière.

Lui I dit oui. I chriss’ son camp. Pis I cuv’ sa bière.

C’est pas moi qui est la star et pis qui sait c’est qui

Qui peut peut‑êt’ m’aider pour l’Opéra d’ Paris.

I est parti d’puis trois s’maines qu’on n’entend pus parler

Et pis c’est encor’ moi qui va perd’ un année.

 

IRÉNÉE :

Arrêt’ don d’ me niaiser. Tu veux pas êt’ chanteur,

Tu veux virer su l’ top une bell’ fille qui t’ fait peur.

Ça fa pas des années qu’ tu fas d’toi un’ statue :

Tout l’ temps y en qu’ les push‑ups, pour êt’ parfa tout nu,

Qu’ tu dis « oui » à ton père qui veut se r’voir en toi,

Qui veut t’ voir à Garnier, ne serait-ce qu’une seul’ fois,

Pour du jour au lend’main t’attend’ à c’ qu’on t’ croye tout’

Parce que d’in coup monsieur veut virer bout’ pour bout’.

J’essaye pas d’ te r’tenir : sac’ ton camp si ça t’ tente.

Vas‑t’en où c’est qu’ tu veux, j’ m’en sac’ comm’ d’ l’an quarant’ !

Mais fa au moins l’effort de pas jouer à l’autruche.

Chus capab’ de comprend’. Dis‑toi qu’ chus pas un’ cruche.

T’arriv’ras pas à rien en t’ contant des balounes.

C’ pas l’Opéra qu’ tu veux, c’est une pousseuse de tounes.

Tu dors pus d’puis trois mois parc’ que t’es t’en amour

Pas avec l’Opéra mais avec Jeanne Arbour.

 

SÉBASTIEN :

C’est ça qu’ tu penses de moi ?

 

IRÉNÉE :

………………..………………………………….Mais y a pas d’ mal à ça.

 

SÉBASTIEN :

Tu m’ connais d’puis vingt ans pour qu’on en arrive là ?

Pour toi, j’ pense rien qu’au cul ? Pour toi, chus comm’ mon père ?

Pis ça s’ pourrait mêm’ pas que j’ veuille êt’ jus’ son frère ?

 

IRÉNÉE :

J’ t’ai pas traité d’ cochon, j’ t’ai dit qu’ t’as envie d’elle.

Y a pas d’ péché là‑d’dans : moi aussi, j’ la trouv’ belle.

 

CHŒUR‑DE‑CEUX‑QUI‑SAVENT :

Mais Sébastien s’élanc’ en cachant son visage

Quésiment au pas d’ course, en direction d’ la plage.

Percussion

13 – RITA : PREMIER ESSAI (2)

Toujours Espace-Rita-Action

 

CHŒUR‑DE‑CEUX‑QUI‑SAVENT :

Entre une vieille dame au visag’ tout frippé

Et dont les yeux rougis donnent à croir’ qu’a pleuré.

Elle reste un long moment debout dans la p’tite porte

A r’garder Irénée, de dos, à moitié morte.

Un long silenc’ s’étend sur le plateau figé.

Puis Pauline s’avanc’ vers le vieux fatiqué.

 

IRÉNÉEPAULINE :

Y a toujours ben un bout’ à pouvoir e’rien faire.

À voir les gens qu’on aime s’enfoncer dans ‘misère

À rien que constater qu’on peut pas les aider,

Pis qu’ tout’ nos tentatives font rien qu’ les empirer.

 

PAULINE :

J’avais mis un cad’nas sur la p’tite pharmacie

Ma’ l’a pogné les bleus. L’a arraché c’te nuit.

Une chance j’ l’avais vidée et pis qu’ j’avais tout’ j’té.

Chus pas pour contunuer à tout l’temps la tchecker.

 

IRÉNÉEPAULINE :

Y a toujours ben un bout’ à pouvoir e’rien faire.

Pis à jus’ contunuer à pleurer leux misères.

On peut pas les laisser tu‑seuls, pas deux menutes.

 

IRÉNÉE :

On dirait qu’y ont pus d’ joie, qu’y z’ont pus rien qu’ la lutte.

 

PAULINE :

A marché tout’ la nuit su les falaises d’en bas

Et pis je l’entendais qui criait pour des bras.

Pis je l’ai entendue : a criait « pus d’av’nir ».

Pis l’écho répondait en criant « en finir ».

Pendant des grands bouts d’ temps, a r’gardait les rochers

Pis moi j’ pouvais rien faire à part de la watcher.

 

IRÉNÉEPAULINE :

Y a toujours ben un bout’ à rien qu’ pouvoir gémir.

 

CHŒUR‑DE‑CEUX‑QUI‑SAVENT :

Entre le rôle‑titre, qui peut à pein’ se t’nir.

Les deux vieux l’ont pas vue : est debout derrièr’ eux.

Et pis a l’a pas l’air des trouver ben joyeux.

 

IRÉNÉE :

J’ai passé vingt‑cinq ans à le r’garder grandir

Et pis à prend’ soin d’ lui plus’ que d’ mon prop’ av’nir.

Presqu’ la moitié d’ ma vie à rêver avec lui,

I donner mon meilleur, toujours êt’ son appui,

Je sais de quoi I est fait’ plus’ que son propre père

Pis j’ connais ses secrets comme si j’étais son frère.

Mon dieu, qu’ j’étais aveug’, j’ me contais des histoires.

J’ pensais : c’est toujours toi, dans mard’, qu’I va v’nir voir.

Pis d’un coup j’ me rends compte que comme on arrivait

Jus’, ben jus’ au moment d’êt’ un adult’ pour vrai,

I choisit d ‘se cacher et pis de refuser

De seulement rien qu’ nommer ce qui pourrait l’aider.

I s’met à avoir peur de c’ que la vie lui off’

Pis se met à s’ blinder et pis à jouer au tough.

 

PAULINE :

J’ai passé proch’ trente ans à êt’ à côté d’elle

Pis à la voir dev’nir chaque jour un peu plus belle.

J’ me souviens de matins où était écœurée

Pis qu’ ça m’prenait des heures ‘a’a convainc’ de se l’ver.

« Non. En’oye, tiens‑toi d’bout’. Faut contunuer pareil

Mêm’ quant’ ça nous prend tout’ pour affronter l’ soleil. »

J’ai passé proche trente ans… Et pis là, tout d’un coup,

Jus’, ben jus’ au moment où on arrive au bout

Là, ça y est : a l’a tout’, ça y est : est arrivée.

Ben, non, madame débarque pis nous envoye tout’ chier,

Pis y a même pas moyen, en plus’ d’y fair’ sortir

Qu’est‑cé qu’y est arrivé pour qu’a veuille tant mourir.

C’ toujours pas Aldéric, a pouvait pus l’ sentir,

C’tait rendu du Tremblay, I y’a faisait proche vomir.

 

MARIE :

Ça vous dérang’rait‑tu d’ vous mêler d’ vos oignons

Pis d’ me laisser dealer avec mes prop’ frissons ?

C’est quoi, là, l’ gros problème ? Vous trouvez j’ fais pitié ?

Pis qu’ c’est vraiment pas fin d’ charcher à s’ suicider ?

Câlicez‑moi patienc’ a’ec vos bonnes intentions

Pis tout’ va‑t‑êt’ plus simp’ dans nos conversations.

 

IRÉNÉE :

J’ voulais pas déranger. J’ pense que chus mieux d’ partir.

On se r’voit tout à l’heure.

Exit Irénée

 

MARIE :

………………..………………………………….T’avais queuk chos’ à m’ dire ?

PAULINE :

Ah. Mais voyons patronne. Mais où c’est qu’ vous étiez ?

Ça, c’est vraiment pas fin, de même, de vous cacher.

 

RITA :

Je l’ sais qu’ c’est pas d’ ta faut’, qu’ t’es obligée d’ les dire

Mais pourrais‑tu au moins fair’ l’effort de pas rire ?

 

MARIE :

Ça fa depuis huit heures que j’ cours après la mort

Dans tous les maudits coins et pis de tous les bords.

14 – RITA : INTERRUPTION

 

RITA :

Ah non, ça sert à rien, moi j’ peux pus contunuer.

J’ me sens comm’ un’ vraie folle, chus t’obligée d’ compter

Les rimes ont pas d’ bon sens et et et et et et.

J’ai beau savoir mon tex’ j’ pense toujours j’ n’ai sauté.

J’ sais pas comment vous fait’, mais moi chus pas capab’

De raconter ma vie en comptant les syllab’.

Percussion

Espace-Rita-Prologue

 

CHŒUR‑DE‑CEUX‑QUI‑SAVENT :

Bon, ça y est ! Je l’ savais ! C’est toujours la mêm’ chose !

I t’amèn’ tout’ quek part en t’ promettant queuk chose

Mais au bout’ d’ deux menutes t’apprend qu’ c’t’un aut’ affaire

Parc’ c’ qu’I t’avaient promis sont pas capab’ de l’ faire !

C’est ben bon pour se plaind’ pis parfa pour brailler

Mais j’ te dis qu’ c’est pas gros quant’ y s’agit d’y aller !

Hen ?! C’est ben beau les promesses pis les bonnes intentions

Mais j’ te dis qu’ c’est pas long qu’ t’es ramasse en caneçons !

Hen ?! C’est là qu’ ça voudrait tout’ sur un plateau d’argent

Mais rien qu’à condition qu’ ça d’mande pas trop d’ talent !

Hen ?! Ça voudrait des théât’ pis des artic’ grands d’ mêm’

Pis c’est ben jus’ capab’ d’ dir’ deux mots sans blasphèm’ !

Hen ?! On l’a changé, nous aut’, c’ qui marchait pas dans vie

On a pas attendu que tout’ nous soye permis !

Arrêtez don d’ chialer pis d’ croir’ qu’ tout’ vous est dû !

Ça été un’ belle guerre même si on a perdu !

Pis au moins on l’a fait’. On a eu du courage !

Vous auriez dû voir ça, quand on ava votre âge !

On est parti de rien, y avait pas un’ seule salle

Pis en d’dans d’ trent’ ans : boum ! On a deux festivals !

Hen ?! Qu’est‑cé qu’ vous dites de t’ça ?! Maudite gang de braillards !

Si c’était pas d’ nous aut’ y n’arait y en qu’ pas : d’art !

Y a toujours ben un bout’ a s’ fair’ crier des noms

À fair’ rir’ de nous aut’. On est pas des torchons.

Vous aut’ vous pensez p’t’êt’ qu’on est icitte par choix ?!

Si Reichenbach voulait, c’est pas icitte que j’ s’rais !

Pis écoutez‑moi ben, moi j’ai d’aut’ chose à faire

Que d’ passer la veillée à deviner quoi faire !

Fa qu’ si vous l’ savez pas, où c’ vous vous en allez

Au moins dites‑le tu‑suite qu’on puisse aller s’ coucher.

On a des auditions, nous aut’, demain matin.

Y a pas rien qu’ le théât’ : y faut gagner son pain !

 

RITA :

Mon dieu, excusez‑moi, j’ voulais pas vous niaiser.

Entre Coryphée II

 

RITA :

Bazwel, c’est ça : le v’là. C’tait trop beau pour durer.

 

CORYPHÉE II :

« I faut jamais r’culer devant c’ qu’on a à faire :

Faut en passer par là », comme disait mon vieux père.

Mesdames et messieurs, vous êt’ tout’ mes témoins :

J’ai au moins essayé de pas aller trop loin.

T’a l’heure j’avais envie d’aller au bout’ d’ la cord’

Mais j’ m’en suis empêché et pis là ça déborde.

Alors avant que l’ feu ne s’étend’ davantag’…

 

RITA :

On devrait peut‑êt’ tout’ s’en aller sur la plage

Parc’ que là, lui, I r’part. Pis y a queuk chose qui m’ dit

Qu’y a encore un’ coup’ d’heures avant qu’on r’voye nos lits.

 

CORYPHÉE II :

Arrêtez‑don’ d’ kicker et pis d’ nous faire accroir’

À vot’ bonne volonté en la défens’ de l’art.

C’est pas la pièce que t’aime, tu pens’ yen qu’à ton bout’

Tout l’ res’ tu t’en câlices…

 

RITA :

………………..………………………………….Ah, ça, moi, ça m’ dégoûte !

On travaille pour e’rien dans’ un théât’ de cent places

C’est ben jus’ si’on arrive par soir à faire trent’ piasses,

On répète comm’ des chiens pour défend’ c’ t’agra‑là

Pis première chose qu’on sait, on s’fa r’procher d’êt’ là ?!

Écoute‑moi ben, toi Chose : on est p’t’êt’ pas ‘sez purs

Pour défend’ ton cher tex’ et pis tes chères enflures

Mais t’apprendras, bonhomme, que quant’ on a pas d’ foin

Pour payer ses vertus, on reste dans son coin.

Pis on fait pas chier l’monde à vouloir tout’ changer

Quant’ c’est jus’ si on arrive à payer son loyer.

 

CORYPHÉE II :

R’descends don d’ tes rideaux pis laisse‑moi don’ finir.

Y a en mass’ assez d’vers pour tout’ c’ qu’on a à dire.

 

RITA :

En tous cas j’ vous préviens : si I m’ traite d’hystérique…

 

CORYPHÉE II :

À place de t’énarver, laisse‑moi faire ma réplique,

Pis tu verras après pour tes raisons d’ gueuler.

 

CHŒUR‑DE‑CEUX‑QUI‑SAVENT :

Y a rien d’ plus énarvant qu’une pièce improvisée.

Tu sais jama c’ qui vient, su quoi tu vas tomber…

 

CORYPHÉE II :

Ça n’a peut‑êt’ pas l’air mais la pièce que vous jouez

Est censée, en principe, parler de la passion.

 

CHŒUR‑DE‑CEUX‑QUI‑SAVENT :

Mettons que pour l’instant, ce s’rait plutôt brouillon.

 

CORYPHÉE II :

Mais laissez‑moi parler !

 

RITA :

………………..………………………………….Ben oui, c’est effrayant…

 

CORYPHÉE II :

J’ai une proposition à faire pour le moment.

Bon. Bon, ça va‑tu, là ? Est‑ce que j’ peux contunuer ?

Pour des raisons diverses, trop long’ à espliquer

Il est très difficile de ne pas s’enfarger

Dans tout’ le processus de madame Cournoyer…

 

RITA :

Han ?! Pardon, escus’‑moi : peux‑tu répéter ça ?

 

CORYPHÉE II :

… lorsque l’on est aux prises…

 

CHORISTE (CEUX‑QUI‑SAVENT) I :

………………..………………………………….C’est-tu fermé déjà ?

I ont changé les horair’ pour les derniers métros ?

 

CORYPHÉE II :

J’avais dit y en qu’ quat’ lignes, mais c’tait déjà trop beau.

Ce que je voulais dire c’est que c’est compliqué…

 

CHORISTE (CEUX‑QUI‑SAVENT) II :

Ah ben, là, là, tu m’as : ça, j’avais pas r’marqué.

 

CORYPHÉE II :

Y a queuk’ chose qui marche pas. Y a queuk chose qui marche pas

On arriv’ra à rien en contunuant comme ça.

Ah ben cou‑don, ciboire, allons‑y carrément :

Mesdames et messieurs vous allez voir maint’nant

Sans plus de préambules ni autres ménag’ments

Ce qui de tout’ la pièc’ est le meilleur moment.

Pour des raisons trop longu’ à expliquer ici,

Il nous est plus possib’ de contunuer sans lui.

Pis pendant qu’on va y’êt’, essayons don comme ça :

Non seulement on reprend à grosse scène de Rita

Mais essayons aussi de voir a’c ce nom‑là.

Vous allez donc entend’ le gros bout’ de Rita

Qui invit’ Sébastien que ça intéresse pas.

 

RITA :

Es‑tu tombé su’a têt’ ? J’ peux pas jouer sous mon nom

On est au théât’, Chose, I faut faire « allusion ».

Et pis à part de t’ça, y manqu’ au moins vingt pages.

On peut pas l’ faire tu‑suite : y faut que j’ soye en rage.

 

CORYPHÉE II :

Nous nous retrouvons donc au moment dit crucial

Où madam’ Cournoyer prétend se trouver mal.

 

HIPPOLYTE :

Entrant :

Quoi ?! J’ai‑tu ben compris ? Mais on saute ma gross’ scène…

 

CORYPHÉE II :

Y a pas ni ci ni ça, vous allez l’ faire de même.

Nous nous retrouvons donc au moment où Rita

Demande à Sébastien de la prend’ dans ses bras.

Le jeune homme la repouss’, feint de ne pas comprend’

Alors qu’ell’ le bouscule puis fait min’ de se r’prend’.

S’engag’ une discussion, à la fois froid’ et digne

Sur toutes les vertus que l’on prêt’ au camping.

Madame Cournoyer voudrait ben qu’I l’invit’

Mais, bien sûr, lui s’ défil’ pis cherch’ un’ excus’ vite.

(Pour ceux qu’ ça intéresse, la scène correspond

Au fameux « Ah, cruel » connu jusqu’au Japon.)

Un’ fois que ça s’ra fait’, on peut rien qu’espérer

Qu’on y verra plus clair su c’ qui peut débloquer.

Percussion

 

15 – RITA : DEUXIÈME ESSAI

Espace-Rita-Action

 

SÉBASTIEN :

Voyons, ma’ame Cournoyer, j’ vous trouv’ pas fatiquant’ !

J’ peux jus’ pas supporter d’ coucher à terre dans ‘une tente.

J’ viens les g’noux tout’ barrés pis j’ march’ comme un pingouin

A caus’ d’ l’humidité… Non, non : ôtez vot’ main.

Ouan. Fa. Qu’est‑cé j’ disais ?

 

MARIE :

………………..………………………………….Tu m’ disais qu’ tu veux pas.

 

SÉBASTIEN :

J’ai dit qu’y fait trop frais. J’ai pas dit j’ voulais pas.

Moi, qu’est‑cé qu’ vous voulez, chus t’un garçon douillet.

Chus ben prêt à essayer mais qu’est‑cé qu’ ça m’ donnerait ?

M’a êt’ raqué comm’ une barre et pis mon entraîneur

Va encor’ m’engueuler pis m’ crier des horreurs.

Attendez l’ mois d’ juillet. Là, c’est sûr : j’ vous l’ promets,

J’ vous emmène en camping un’ grand s’main’ au complet.

 

MARIE :

Ben voyons don, cibole. Me vois‑tu, m’entends‑tu ?

Me prends‑tu pour une foll’ épardue de vertus ?

Moi j’y parl’ de baiser pis I comprend camper.

Faut‑tu t’ faire un dessin ? Faut‑tu tout’ t’espliquer ?

Quant’ j’ te dis « Chus tou’ croche », qu’est‑ce tu penses que j’ te dis ?

Penses‑tu qu’ j’ai pas d’aut’ trip que d’ faire d’ la tragédie ?

La guedoune pis la folle on rien à voir là‑d’dans.

Chus t’en train d’ te d’mandé si tu veux ‘êt’ mon amant.

J’essaye de t’ fair’ comprend’ qu’ tu peux encor’ choisir

Ent’ c’ que t’as l’goût d’entend’ pis c’ que moi j’ai à t’ dire.

Je l’ fais pas éxiprès pour partir la bataille

Mais des fois on dirait, j’ sais pas, qu’y t’ manque des mailles.

C’ ton père, à part de t’ça, qui m’a ch’té dans tes bras.

Qui, tou’es jours m’ disait : « Dépêches‑toi, trouve un gars ».

Ton père, avant d’ partir pour son voyage en Grèce,

Qui d’sait : « M’as te l’dire, même si faut j’ me dépêche

A pogner mon avion : Ça s’ peut qu’ tu me r’voyes pas.

Trouve‑toi un aut’ toton. » En s’ couchant dans mes bras.

Moi, ma vie ‘tait parfaite. J’avais même pus d’envies.

Y a voulu faire le smat et ben tant pis pour lui.

Tu sais comment c’ qu’il est : toujours à courailler,

Dix affaires d’ commencées et pis pas une d’ach’vée.

Moi, j’aime les homm’ vaillants qui ont pas peur de foncer.

Mais ça vient fatiquant, de toujours patienter.

J’ai envie d’un gars là, pas toujours en voyage.

Mais un gars a’ec des bras. Pis un gros héritage.

T’imagine‑tu vraiment qu’tu s’rais à côté d’moi

Si j’avais l’ sentiment qu’ tu s’ras jamais le Roi ?

Oui, j’ t’ai crié des noms pis j’ t’ai dit d’ prend’ la porte.

J’ai tout’ fait’ pour tu partes. Bon yeu, fallait qu’ tu sortes.

Moi j’ voyais pus yen qu’ toi, y était même pas parti.

Pis j’ faisais rien qu’rouler. Rouler. Nuit après nuit.

Tu passes tes grands journées à t’ prom’ner en bobettes,

Pis moi, chus supposée d’ rester ben cool, ben frette ?

Tu passes cinq heures par jour à t’ pratiquer aux poids

Pour qu’quant’ j’ t’ai su mon ch’min, j’ fass’ comme si t’es pas là ?

Quand tout’ c’qu’on veut dans vie c’est s’bâtir un body

Pour êt’ sûr que tout l’ monde qu’on rencont’ vont pâmer,

Y faut pas êt’ surpris si, quand la noirceur vient

Y a des omb’ de tapies toué pieds su ton ch’min.

Quant’ on veut pas qu’tout l’mond’ charche à nous pogner l’cul

On a rien qu’à pas fair’ comm’ si c’tait not’ seul but.

Percussion

 

16 – RITA : TRANSFORMATION (1)

Espace-Rita-Prologue

 

RITA :

Voyons don, simonak. Ça pas d’maudit bon sens.

Ben oui, mais. Qu’est‑ce que j’ai ? Fa ben chaud, ici d’dans.

 

CORYPHÉE II :

Attends. Nonon. Wowo. Nonon. Là, j’ pens’ qu’on l’a.

 

RITA :

Ouvririez‑vous un’ f’nêt’ ?

 

CORYPHÉE II :

………………..………………………………….Ben oui. C’est sûr. C’est ça.

Mon doux, c’est évident. Là  j’ pense que j’ai trouvé :

À ‘fin du premier acte, faut des voix dédoublées.

On parl’ du Rideau‑Vert, et pis cont’ le Trident.

 

RITA :

Pis peut‑êt’ un p’tit bout’ cont’ le gouvernement ?

 

CORYPHÉE II :

T’es fine ! Ben oui, tu l’as !

 

RITA :

………………..………………………………….« Rouler. Nuit après nuit. »

 

CORYPHÉE II :

Thésée a un accent ! I vient de Gaspésie !

C’est le fils d’un notaire et d’une diseuse d’av’nir.

 

RITA :

« Ent’ c’que t’as l’goût d’entend’. Pis c’que moi j’ai à t’dire. »

Fa ben frette, tout d’un coup. « Si tu veux ‘êt’ mon amant. »

« Tout’ un’ vie à rêver de tes bras, en me l’vant. »

 

CORYPHÉE II :

C’est pas un politique, c’est un aventurier.

Au fond, lui, tout c’qu’I veut…

 

RITA :

………………..………………………………….Peux‑tu ‘rrêter d’crier ?

 

CORYPHÉE II :

Ben voyons, qu’est‑cé qu’ t’as ?

 

RITA :

………………..………………………………….Et’ autant enragé.

Sébastien, viens ici.

 

SÉBASTIEN :

………………..………………………………….Oui, madame Cournoyer ?

Percussion

 

17 – RENARD : JANOSH (1)

Espace-Renard

 

LA CHEFFE :

Montréal. Le 19 décembre.

 

VOIX :

Mon amour…

Mon amour. Mon ami. Mon petit frère. Mon enfant adoré. Mon attente de caresses jusqu’à avoir cru en mourir, mais tu vins.

Mon éternelle attente, révolue quand tu vins.

Mon sourire de compréhension au beuglement des brûlures.

Mon incompréhensible, indemandable acceptation du monstre que je suis. Et que tu es.

Ma noyade de surprise au moment de voir que l’avenir se peut.

Mon Saint-Christophe.

Mes… Mes deux grands lacs… mes deux grands lacs bordés de cils, où j’aime me plonger jusqu’à oublier que le ciel se peut. Ma forêt soyeuse, douce tête dans ma paume quand tu dors. Mon inconcevable. Mon aigle, planant sur les vallonnements de mes jours. Ma force.

Mon grand secret, mon doux secret.

Mon âme. Mon ami…, je vais mourir.

 

Non!

Non, je t’en prie !

Percussion

 

18 – RITA : TRANSFORMATION (2)

 Espace-Rita-Prologue

 

RITA :

Sébastien, viens ici.

 

SÉBASTIEN :

………………..………………………………….Oui, madame Cournoyer ?

 

RITA :

Bouge pas, jus’ un’ menute, que j’ te r’gard’ comme y faut.

Ferme les yeux, un’ seconde. J’ai pas rêvé : t’es beau.

M’a t’conter un histoire qu’ t’as jamais entendue.

Un’ histoire ben ben belle. On sait pas d’où c’ qu’est v’nue.

 

CORYPHÉE II :

Ben que j’ te voyes donc, toi, I’ inventer in histoire.

 

SÉBASTIEN :

Voyons, ma’ame Cournoyer.

 

RITA :

………………..………………………………….Non, bouge pas. Tu vas voir.

À Coryphée II :

Pens’‑tu qu’la seule façon d’ dir’ l’amour impossib’

Ce soye en s’en moquant parce que c’est trop pénib’ ?

« Quant’ on veut pas qu’ tout l’mond’ charche à nous pogner l’ cul

On a rien qu’à pas fair’ comm’ si c’tait not’ seul but » ?

Mettons qu’on essaierait d’ dire ça d’un aut’ façon ?

Mettons qu’ la seule manière s’rait pas la dérision ?

Indiquant Sébastien :

T’à l’heure, en l’écoutant, tout d’in coup j’ l’ai comme vu.

Et pis tout’ mes excuses ont comm’ jus’ disparu.

 

CORYPHÉE II :

Attention, cachez-vous ! C’est pas des yeux, qu’a l’a

C’est des vrais rayons X ! À g’noux devant Bouddha !

Espace-Rita-Vision s’ajoute.

 

RITA :

Thésée. I était ‘ssez pâle. I était tell’ment perdu.

I était encore plus beau qu’ je l’avais jamais vu.

Déjà depuis deux s’maines, depuis qu’I t’attendait,

C’en était effrayant, tell’ment I pâlissait.

Mais là, ça s’ pouvait pus : I osait pas me r’garder,

Pis I s’ tordait les mains, pis je l’ voyais trembler.

Espace-Rita-Vision s’éteint.

 

CORYPHÉE II :

Arrêt’‑toi pas, pitoune. T’as l’ crachoir, pour un’ fois.

Contunue. Sors‑nous‑lé. T’as pas entendu d ‘voix ?

 

RITA :

Non.

 

CORYPHÉE II :

………………..………………………………….C’est tout c’ que t’as eu ? Rien qu’une petite vision ?

T’es sûre ? T’es ben certaine ? Y ava pas un dragon ?

 

RITA :

Non.

 

CORYPHÉE II :

………………..………………………………….Ben voyons, partag’ !  Gard’ pas tout’ ça pour toi.

Tu m’as envoyé chier. T’as tout’ le show à toi.

Espace-Rita-Vision revient.

 

RITA :

Ah, les murs, arrêtez. Jus’ une petite menute.

Arrêtez de tourner. Comme je tourne dans ma lutte.

Arrêtez de danser. Et d’ me montrer sa face.

Et ses mains radieuses dont la vision me glace.

Ah, levez‑vous, oh vents. Emporte-moi, oh air.

Soufflez sur ce vieux corps transformé en désert.

Redonnez-moi le souff’, redonnez‑moi les mots

Pour lui, le retenir, m’accrocher à sa peau.

Je veux tous les talents, et les malédictions

Si le souffr’ de l’enfer me donne son affection.

Écoutez‑moi pâmer, et riez d’ mon émoi

Si vos mines amusées peuvent le mener à moi.

Jetez sur nous les foud’ des plus noirs des démons

Si, grâce à eux, nos cris fusent à l’unisson.

Espace-Rita-Vision s’éteint.

 

CHŒUR‑DE‑CEUX‑QUI‑SAVENT :

On attend.

 

CORYPHÉE II :

…………………………………………….Contunue.

 

RITA :

………….……………………………..………………..………………………………….J’ai rien à ajouter.

 

CORYPHÉE II :

Bon ben, dans c’ te cas‑là, on peut‑tu continuer ?

 

RITA :

Sébastien ? Viens ici.

 

SÉBASTIEN :

………………..………………………………….Oui, madam’ Cournoyer.

 

RITA :

Y a‑tu déjà queukun qui t’a parlé d’ tes yeux ?

 

CORYPHÉE II :

Wolà. Wobec. Menute. Icit’, c’ t’un show sérieux.

C’est pas la place pantoute pour v’nir faire tes emplettes.

Les intellectuels sont pas forts su’a stepette.

« Ah mon dieu, quel bonheur, j’ai retrouvé la vie.

Ben gar’‑don. Coucou, toi. Viens‑tu ‘ssayer mon lit » ?

J’ te dis qu’ tu perds pas d’ temps, toi, entre deux passions.

D’ la vengeance à l’hymen, j’ te jure que c’est pas long.

 

RITA :

Vas‑tu farmer ta yeule, pis laisser parler l’ monde ?

 

CORYPHÉE II :

J’ai dû toucher l’ bobo. C’est tout c’ t’as à répond’ ?

 

CHŒUR‑DE‑CEUX‑QUI‑SAVENT :

Et pis pendant c’ temps‑là, le Chœur, lui, perd son temps…

 

ŒNONE :

Oenone se crois’ les bras.

 

THÉRAMÈNE :

………………..………………………………….Pis Théramène attend.

 

RITA :

Il était une fois, il y a très très longtemps,

La Reine d’un p’tit pays a’ec un Roi enrageant :

I était pas jamais là, I couraillait partout.

 

SÉBASTIEN :

J’ la connais, c’ t’histoire‑là.

 

RITA :

………………..………………………………….Laiss’‑moi m’ rend’ jusqu’au bout.

Le Roi avait un fils qui était vraiment très beau.

Comm’ le Roi l’avait ‘té. Encore plus. Presque trop.

La Reine le r’gardait pas, a l’avait son mari.

Mais un jour, tout d’un coup, que le Roi ‘tait parti

Courailler fouille‑moi‑où et pis qu’a discutait

Tu‑seule avec le Prince, sur le temps qu’I faisait,

Ou ben su j’ sais‑pas‑quoi, tout d’un coup, a l’a vu

Comm’ s’I v’nait d’apparait’. Là, a s’est aperçue

Qu’ ça faisait des années qu’a vivait proche de lui

Sans jamais remarquer avant là, aujourd’hui,

À quel point I r’semblait au Roi qu’a avait connu

Dans l’ temps qu’a l’était jeune. Pis est v’nue tout’ émue.

Là, a l’a bafouillé, ‘êtait ben mal à l’aise

A savait pus quoi dire, êtait rouge comme une fraise :

A v’nait d’ s’apercevoir de tout’ c’ qui avait d’changé

Ent’ l’homme qu’a ’vait connu y a une trentaine d’années…

 

CORYPHÉE II :

On est là pour juger et pis pour enseigner

Pas pour conter l’histoire d’un’ pauv’ ‘tit’ Reine pognée.

J’m’en criss’‑tu, moi, des reines.

 

CHŒUR DE‑CEUX‑QUI‑SAVENT :

………………..………………………………….Du moment que c’est beau.

C’ pas grav’ qu’est‑ce ça veut dire. Au fond, c’est jus’ des mots.

 

RITA :

C’est pas seul’ment des mots. A veut y dire queuk chose.

 

CORYPHÉE II :

Ben oui, c’est ben certain. Mais y faut qu’ tu transposes.

 

RITA :

Mais oui mais faut qu’ j’y dise. Toi, tu veux tout’ ram’ner

A des genr’ de concep’. C’est pas rien qu’ des idées.

 

CORYPHÉE II :

Je l’sais mais dans c’ show‑ci, c’ qu’on met en évidence

C’est qu’ monter du Racine nous soumet à la France.

Qu’ la façon qu’ c’est écrit ne parle pas de nous.

 

RITA :

Mais qu’est‑cé qu’tu dis là, voyons don, es‑tu fou ?

Je l’ sais, qu’ c’est pas une Reine, qu’a peut v’nir d’ n’importe où.

Qu’est pas d’ même parce qu’est riche, qu’y a du monde ben dans l’ trou…

 

CORYPHÉE II :

Ça s’appelle « un symbole ». Ben oui, ben oui, je l’ sais.

C’est moi, ici, qui est prof à l’Université.

 

RITA :

C’est une pièce su l’amour et pis su la passion.

A’c un’ femme qui capote parc’ qu’est folle d’un garçon.

J’ vois pas pantoute pourquoi t’as choisi c’te pièce‑là

Si tout c’ que t’as l’ goût d’ dire a rien à voir a’c ça.

 

CORYPHÉE II :

Ah, parc’ tu t’imagines, toi, qu’ su’a rue Sainte‑Catherine

C’est pour parler de t’ ça qui jousent ton héroïne ?

 

CHŒUR DE‑CEUX‑QUI‑SAVENT :

Ben non, c’est pas pour ça. Y a pas d’droits à payer,

C’est dans l’ domaine public, c’est moins cher à monter.

Nus aut’, on est pas cont’, faire des pièces passionnées.

Mais au moins du Racine, on l’ sait qu’ ça va marcher.

Depuis la p’tite école qu’on l’a tout’ étudiée.

Ca fa que le public se sent moins écarté.

 

RITA :

C’est pas parc’ qu’y font ça, qu’ faut l’ faire nous aut’ aussi.

 

CORYPHÉE II :

I-faut-les-é-cra-ser ! Les mett’ au pilori !

C’est une gang d’écœurants qui détourn’ la culture.

C’est des fascis’ finis qu’I faut coller au mur !

 

RITA :

Le darnier qu’ j’ai entendu crier d’ z’affaires de même

Là, y est à TVA. Pis y est riche en baptême.

 

CORYPHÉE II :

J’ m’en sac’ de qu’est‑ce tu penses.

 

CHŒUR DE‑CEUX‑QUI‑SAVENT :

………………..………………………………….Arrêt’ don de l’ niaiser.

 

CORYPHÉE II :

Vas‑tu suiv’ c’ que j’ dis d’ faire ? Ou si tu veux m’ choquer ?

 

RITA :

Non, monter PHÈD’ de même, c’est sûr qu’ chus pas d’accord.

Non, non, ‘tendez menute. J’ dis pas qu’vous avez tort.

Vous avez même raison : c’est vrai qu’ c’est ben tentant

De s’ trouver des excuses pour êt’ en sacrament.

Pus d’ raisons d’écouter ou d’ penser à quoi dire

T’as pus rien qu’à foncer, à hurler, à maudire,

A beugler des bêtises à la planète entière

En la t’nant responsab’ pour toutes tes misères.

C’est pas ben, ben sorcier.

À Coryphée II :

………………..………………………………….Et pis t’es pas l’ premier.

J’espère que tu penses pas c’ t’un truc t’as inventé.

Si y a rien qu’ ça qui t’ tente, t’as ben beau : pars en grande,

Mais si ça t’ dérange pas, fais don gueuler d’aut’ viande.

Parc’ qu’ moi, en c’ qui m’ concerne, le bad‑trip est fini

J’ viens d’prend’ la décision qu’ mon horreur ramolli.

 

CHŒUR DE‑CEUX‑QUI‑SAVENT :

C’est ta dernière réponse ?

 

RITA :

………………..………………………………….Mais qu’est‑ce que j’ peux I dire ?

Chus t’en amour avec, j’ pas pour mourir de rire.

19 – RENARD : JANOSH (2)

Espace-Renard

VOIX :

Percussion

Non ! Non, je t’en prie… ne sois pas mal à l’aise, ne baisse pas les yeux, et ne crains rien. Je suis – en tous cas je me sens – à mille lieues du mélodrame.

Je vais mourir. Cela ne me surprend pas. J’ai si longtemps cru que le bonheur ne se pouvait pas dans ma vie que celui que tu me procures me fait sentir la fin des temps. Je vis depuis toujours avec sa présence – à la mort, je veux dire – à mes côtés. Aussi loin que je remonte le cours de mes souvenirs, elle est là, qui vient à peine de quitter la pièce.

Percussion 

Je me souviens d’une après-midi de juin. Ce devait être en soixante-et-un. Le dernier jour de classes. Nos parents, qui s’étaient séparés plusieurs mois plus tôt, nous avaient placés, mes sœurs et moi, dans cette Académie privée, sur la montagne, très européenne de style et de prétentions.

J’avais commencé ma première année de primaire à l’école publique, quelques jours à peine, me semble-t-il. Et puis, un samedi matin, très tôt, je m’éveillai au son de plusieurs voix, dans la maison, discutant avec véhémence. J’étais terrorisé. Rivé dans mon lit, j’aurais voulu trouver la force de me creuser un tunnel dans le matelas et d’aller me terrer dans une caverne profonde, très très profonde, sous le lit. Pas en Chine, non. Je ne voulais pas fuir, je voulais me cacher, me terrer, oui. Ces voix-là, je les connaissais. Ne me demande pas comment j’avais bien pu déjà les connaître; comment, d’où, je pouvais bien tirer cette reconnaissance immédiate que j’avais d’elles et qui m’écrasait d’effroi. Écoute : je n’avais que cinq ans – à peine une esquisse d’humain; un magma, une bouillie d’impressions vagues, de vives couleurs fondantes, mais je t’assure qu’aussitôt que j’ouvris les yeux, au fond de mon lit, j’étais déjà glacé. Ces voix-là… c’était la Mort. En l’espèce, c’étaient les voix des parents de ma mère, de ceux de mon père, et de deux avocats. Cela faisait comme un grondement de chenilles de chars d’assaut dans la nuit. Les grands-parents avaient décidé que mes parents s’entre déchiraient et avaient débarqué, comme çà, pour les séparer. Manu militari. Comme on dit. Il n’y avait que ce grondement-là. Longtemps. Pas un mot de la part de mes parents. Où étaient-ils ? Et mes sœurs ? Couché dans mon lit, je réalisai que le monde est tellement vaste, pour un enfant de cinq ans qui perd tout ce qu’il aime au monde.

Je suis désolé de devoir t’ennuyer avec ce récit. Mais je vais mourir et je n’ai pas fait de ma vie tout ce que j’ai su si tôt devoir en faire. Je n’ai pas fini mes devoirs d’humain. Et j’ai perdu le fil. Je n’ai que ce récit pour le retrouver. S’il se peut. Et, si je dois mourir, bon eh bien je ne serai pas le premier, ce n’est pas si grave. Mais mourir sans avoir tout tenté pour… pour qu’à chaque instant, si l’on doit mourir, ce soit un peu moins bête que je ce ne l’aurait été dix minutes plus tôt ? Quelle longue route. Quelle effroyablement longue route que celle de la bêtise, et du cœur de pierre, et des yeux qui se détournent d’eux-mêmes devant la souffrance de l’autre, alors qu’un petit geste… Non.

J’étais donc, couché sur le dos, dans mon lit, comme au cœur d’une steppe neigeuse, avec le ciel, infini et la steppe, infinie, et le roulement des chars, de l’autre côté du mur. Et puis. Et puis, il dut y avoir le son d’une autre voix que celle des tanks. Celle de ma mère, peut-être. Ou celle de mon père. Ou de l’une de mes sœurs. Et en un éclair je compris que si l’on ne peut pas fuir, on ne peut pas non plus se terrer.

Percussion

Tu sais, je me suis longtemps demandé pourquoi j’aime tellement les garçons aux yeux tristes. Tu ne peux pas savoir la force du besoin de serrer certains garçons dans mes bras qui surgit de terre ici, sous le diaphragme, aussitôt que je les aperçois. Ce besoin de les retenir de sortir du cadre de la photo pour aller où on les envoie. De les serrer et de faire dans leur oreille, tout bas : « Serre-moi. Serre moi », pour leur faire baisser les mains. Et puis de tout doucement repousser vers l’arrière leur casquette galette. Et découvrir la hauteur de leur front. Et leurs cheveux blonds. Ou bruns. Ou roux. Ou. Je sais. Je sais bien que leur regard continue de se fixer au loin, par-delà mon épaule.

 

Percussion

Il m’est arrivé d’avoir droit à des regards bien surpris, à de bien étranges réactions, après avoir crié, au moment où ils allaient jouir – souviens-toi –, comme saisi par une vision : « Mais t’es don ben beau ». En pleurant.

Percussion

C’était la remise des diplômes. Sur la pelouse. Madame la Directrice faisant des courbettes. De grands panneaux sous le soleil de juin, auxquels étaient épinglés des dessins, des compositions. Deux grandes formations de chaises séparées par une allée, face à l’estrade. D’un côté les parents. De l’autre, les enfants. Les petits devant. Les grands derrière. Les petits, nous étions en culottes courtes et sarraus de peintres. Bleus. Avec une palette rouge, cousue sur le devant. Quand mes parents vinrent me trouver, après l’interminable cérémonie de remise de prix et les discours, et que je compris que nous allions tous partir ensemble, tous les cinq.

– Vas enlever ton sarrau et mettre ta veste, Max. Vas vite. Nous t’attendons ici.

Et que je partis au triple galop vers le vestiaire, je ne me souviens pas avoir été autre chose qu’une boule d’émoi, de feu, dévalant la pelouse, passant comme au boulet de canon à travers les haies. Quand j’arrivai dans le vestiaire sombre et humide, frais, après le chaud soleil éblouissant, je me mis à tourner comme un derviche, en poussant un sifflement aigu – je ne pouvais pas crier, je ne voulais pas attirer l’attention. Je voulais être laissé seul avec mon bonheur entier. De la pièce, je sentis une présence se retirer : il fit plus clair, dans le vestiaire des petits, soudain. Une densité, dans l’air, s’évanouit. Je respirais comme je ne gardais aucun souvenir de l’avoir jamais fait auparavant. La liberté. La joie sans partage. Je vivais ma première victoire sur la mort.

Percussion

2E PARTIE

20 – RITA : MAIS LÀ, LÀ, TOUT D’UN COUP…

Espace-Rita

 

CHŒUR :

« Mais là, là, tout d’un coup, remontant à l’air lib’,

A r’trouvait l’ sentiment que tout’ était possib’. »

« Le Roi avait un fils qui était vraiment très beau.

Comm’ le Roi l’avait ‘té. Encore plus. Presque trop. »

Percussion

 

21 – ELLE DISAIT… (1)

Espace-Orchestre

 

CHEFFE :

Elle disait…

 

Je le regardais, planté là devant moi.

L’amour entre nous était impossible.

Que faire ?

 

J’eus la vision des différents chemins ouverts.

Le tuer ?

Le rendre fou ?

Le haïr ?

Devenir folle ?  Enfermée en cellule ? Enfermée dans le ressentiment ?

Mourir ?

 

Je choisis de chanter.

 Percussion

 

22 – RITA : HIPPOLYTE ET ALCIDE

Espace-Rita-Vision

 

ALCIDE :

Des fois ça fait des heures que tes bras m’ont lâché

Mais j’ les sens comme encore, I sont comme imprimés.

Y a des fois, on dirait que mon corps se souvient

Encore mieux que mon cœur comment c’ tu m’ fais du bien.

Des fois, quand chus tu‑seul, ou même si y a queulqu’un

Des fois, c’en est gênant : d’un coup j’ sens ton parfum.

 

HIPPOLYTE :

Voyons don, j’en mets pas.

 

ALCIDE :

………………..………………………………….J’ parle de celui d’ ta peau.

Et pis là, ben ben fort, ça m’ fait comme un étau

Comme si tu v’nais d’ me prend’ ben ben vite dans tes bras

Pis j’ me sens assez mal. Ça m’ fait comm’. Ah, j’ sais pas.

L’aut’ soir, ch’allé m’ prom’né, I d’vait t’êt’ comme onze heure

Et pis là, tout d’un coup, chus comm’ v’nu tout’ en sueur

Ç’allait comme ben ben vite, tout’ des images de toi

Au soleil ou la nuit.

 

HIPPOLYTE :

………………..………………………………….On va‑tu manger d’ quoi ?

 Percussion

 

23 – RITA : LES DIEUX SE PRONONCENT

Espace-Rita-Prologue

 

CHŒUR DE‑CEUX‑QUI‑SAVENT :

Ça, peut‑êt’ que tu trouves que ça te r’donne espoir ?

Attends encore un peu, la Passion, tu vas voir.

 

CORYPHÉE II :

Au milieu d’une mer aux flots impétueux

S’élève une grande Ile au destin ambitieux.

Pendant que tout au loin, sur des plages dorées

Des vill’s entières s’effond’ sur des peup’ calcinés,

Ici, on se raconte comment bien faire les choses

Et chacun s’initie à l’art des virtuoses.

Nous sommes quelque part très loin de toute terre

Dans une grand’ maison bâtie de murs en verre.

C’est celle d’un grand chanteur, une basse, une star

Toujours parti s’a brosse, toujours entre deux bars.

Au sommet des falaises, une espèce de retrait’

Où se trouve enseigné le secret des vedettes.

 

CHŒUR :

Ici, vit Hippolyte, le fils du grand Thésée.

Partout de par le monde, sa beauté est enviée.

Sa photo est partout et partout y a des gars

Du matin jusqu’au soir qui suent à s’ faire des bras

Convaincus qu’ travaillant autant qu’ lui su leu corps

Eux aussi vont ‘voir l’air d’êt’ des dieux aux ch’feux d’or.

On peut le voir partout, dans tout’ les grandes Premières

Y a pas un’ seule revue où on le voit pas, fier

Descendant d’un d’ ses chars avec les plus belles filles,

Semblant s’ faire un armure du satin qui l’habille.

I respire la richesse. Y est d’une telle élégance

Qu’I fait pas un seul ges’ sans faire penser qu’I danse.

I est toujours tout sourire. I a tout l’ temps l’air heureux.

Mais sur l’Ile on peut l’ voir pourtant ben silencieux.

 

CORYPHÉE II :

Et, dans ce même château, vit madame Cournoyer.

 

RITA :

Pourquoi j’ m’appelle pas Phèdr’ ?

 

CHŒUR DE‑CEUX‑QUI‑SAVENT :

………………..………………………………….Parc’ c’est l’ prix à payer.

CORYPHÉE II :

Tu veux faire à ta tête ? Gên’‑toi pas, envoye fort.

Mais attends‑toi pas trop à c’qu’on braille su ton sort.

 Percussion

24 – RITA : ARICIE, ISMÈNE ET ALCIDE

Espace-Rita-Vision

 

ISMÈNE :

A s’promène dans toué classes, tout l’ temps ben ben pressée

Comm’ s’a charchait quelqu’un. A l’a rien qu’à rentrer

Pour que tout l’ monde se lève comme quand on était p’tits

Qu’on allait au primaire. C’est pas la Reine, hostie.

 

ARICIE :

Ismène, arrête‑toi don.

 

ISMÈNE :

………………..………………………………….Non, mais pour qui c’qu’a s’ prend ?!

A ‘rrête pas d’ nous r’garder comm’ s’on ‘tait des enfants.

R’garde : ton frère p’ Hippolyte. Ah, mon dieu qu’I sont beaux.

Mais toi, comm’ de raison…

 

ARICIE :

………………..………………………………….Est d’même, c’est pas nouveau.

Qu’est‑cé qu’ tu veux j’ te dise ? A l’ sait qu’est la patronne.

Fa qu’ quant’ le boss y est pas…

ISMÈNE :

………………..………………………………….A nous prend pour ses bonnes…

Entre Alcide.

 

ALCIDE :

Youpi. Allo, les filles.

À Aricie :

………………..………………………………….Tu sais‑tu la nouvelle ?

 

ARICIE :

T’as ben l’air énervé ?

 

ALCIDE :

………………..………………………………….Ma sœur, la vie est belle !

Je m’en vas en voyage. Hippolyte a dit oui.

I v’lait m’ faire un’ surprise. Heye, j’ m’en vas à Paris !

 

ARICIE :

Ah ? Ben, mon doux. C’est l’ fun.

 

ISMÈNE :

………………..………………………………….De même, c’est vrai, qu’I part.

Moi, j’tais sûre qu’I fakait.

 

ALCIDE :

………………..………………………………….Heye, à Paris, bâtard.

Le bateau ‘dans deux heures. I m’a dit d’ rien am’ner.

Aussitôt qu’on arrive, I va tout’ m’habiller.

Si t’as l’ contrat d’T.V.

 

ARICIE :

………………..………………………………….Voyons, parl’ pas si fort.

 

ALCIDE :

Tu vas‑tu v’nir nous voir ? Heye, tous les deux d’ laut’ bord.

 

ARICIE :

Attends. Attends, c’ pas fait’. Ouan, c’est sûr qu’ j’aim’rais ça.

À Ismène :

On v’êt’ en r’tard au cours.

 

ALCIDE :

………………..………………………………….J’ te dis qu’ ça t’énerv’ pas.

 

ARICIE :

Alcide, chus ben contente. Mais qu’est‑c’ tu veux j’ te dise ?

 

ALCIDE :

Nonon, c’ correct. J’ comprends. Au moins fais‑moi un’ bise ?

J’peux marcher a’c vous aut’ ? Je r’tourn’ dans l’ bout’ du camp.

 

ARICIE :

Ça m’prend jus’ par surprise. Ben oui, c’est sûr.

 

ISMÈNE :

………………..………………………………….Viens‑t’en.

Percussion

25 – RITA : HIPPOLYTE ET THÉRAMÈNE (1)

Espace-Rita-Vision

Hippolyte. Il reste un moment silencieux et immobile.

Entre Théramène.

 

THÉRAMÈNE :

Oh, allo, Hippolyte. Oup, j’ t’ai‑tu dérangé ?

 

HIPPOLYTE :

Hen ? Non. Nonon, c’correct. J’ faisais jus e’r’garder.

 

CHŒUR DE‑CEUX‑QUI‑SAVENT :

Théramèn’ va ‘a f’nêt’.

 

THÉRAMÈNE :

………………..………………………………….Hé, qu’est belle Aricie.

T’es pas mal crapoussin ! Ben, voyons ?, tu rougis ?

 

HIPPOLYTE :

Pourquoi que j’ rougirais ? Bon, la belle‑mère. Pourquoi ?

Exit Hippolyte, vivement.

Entre Rita.

THÉRAMÈNE :

Bonjour, ma’ame Cournoyer. Hippolyte, attends‑moi !

Percussion

26 – RITA : THÉSÉE (1)

Espace-Rita-Vision-Thésée

 

RITA :

Ah. Thésée. T’es rev’nu. Mais trop tard. Ben trop tard.

Pis rien qu’à temps, Amour, pour mon dernier regard.

 

THÉSÉE :

Rita, qu’est‑c’ tu racontes ? Qu’est‑cé qu’y est arrivé ?

Théramèn’ vient d’ me dire qu’Hippolyte s’est sauvé ?

 

RITA :

Qu’Hippolyte s’est sauvé ? C’est‑tu ça qu’I t’a dit ?

Non. C’est encore plus beau qu’ ça. Ton fidèle t’a menti.

Oh mon dieu que c’est bon. Ah, mon dieu, quel bonheur

De pas mourir avant d’ voir tes yeux dans l’ malheur.

Je lis sur tout’ ta face que tu r’vires à l’envers

Et qu’pour au moins mil ans, sa mort s’ra ton enfer.

Et dans quels mots j’ vous l’ laisse pour vous l’ rapp’ler toujours.

Percussion

 

27 – RITA : HIPPOLYTE ET THÉRAMÈNE (2)

Espace-Rita-Vision

Entrent Hippolyte et Théramène.

 

HIPPOLYTE :

Théramène, j’ te préviens : essaye pas d’ me r’tenir

Ou ben j’ t’en descends une. Pis j’ai pas envie d’ rire.

C’ fa ‘ssez longtemps qu’ tu m’ dis qu’y est temps que j’ fasse queuk chose

Ben ça y est : j’ sac’ mon camp. Mais j’ suppose

Qu’ là tout l’ monde va crier : « C’est pas ça qu’ t’as à faire » ?

Moi je m’en vas pareil : icitte, c’est un calvaire.

Chus t’un chanteur. Chus t’un solist’. Chus t’un ténor.

J’en ai plein l’ cas’ d’ jamais d’ carrière : toujours su l’ bord.

D’ me fair’ promet’ par mon cher père des ben belles plogues.

Pis d’ yenk sécher su’ in île désert’ de catalogue.

 

THÉRAMÈNE :

Arrêt’ don d’ me niaiser. Tu veux pas êt’ chanteur,

Tu veux virer su l’ top une bell’ fille qui t’ fais peur.

Ca fa pas des années qu’ tu fas d’toi un’ statue :

Tout l’ temps y en qu’ les push‑ups, pour êt’ parfa tout nu,

Mais qu’tu t’ sauv’ d’vant les femmes par peur qu’ ton père les veuille

Que tu baises au gymnase avec tes l’veux d’orgueil

Que d’vant lui, t’applatis, mais que tu vomirais

Plutôt que d’ dire « Garnier » même si I t’ l’ordonnait

Pour du jour au lend’main t’attend’ à c’qu’on t’ croyes tout’

Parce que d’in coup monsieur veut virer bout’ pour bout’.

Tu dors pus d’puis trois mois parc’ qu’ l’amour de ta vie

C’est pas tant l’Opéra que la p’tite Aricie.

Pis où c’ tu veux aller c’est pas à la Scala,

C’est tout droit’ dans ta chamb’ avec elle dans tes bras.

A’en veut pas d’ la Scala, elle, a veut l’émotion.

Pis c’est clair qu’est trop prime pour les salles en vestons.

Fa qu’ fends‑toi pas en huit pis, voulant la séduire,

Fas pas y en qu’ tout c’ qui faut pour êt’ sûr qu’a va fuir.

 

HIPPOLYTE :

C’est ça qu’ tu penses de moi ?

 

THÉRAMÈNE :

………………..………………………………….Mais y a pas d’ mal à ça.

 

HIPPOLYTE :

Tu m’ connais d’puis vingt ans pour qu’on en arrive là ?

Pour toi, j’ pense rien qu’au cul ? Pour toi, chus comm’ mon père ?

Pis ça s’ pourrait mêm’ pas que j’ veuille êt’ jus’ son frère ?

 

THÉRAMÈNE :

J’ t’ai pas traité d’cochon, j’ t’ai dit qu’ t’as envie d’elle.

Y a pas d’péché là‑d’dans : moi aussi, j’ la trouv’ belle.

T’as trippé a’c Alcide. Mais ciboire, e’r’gard’‑toi.

Là, c’est pus l’ frère que t’aimes. C’est la sœur, que tu voies.

 

HIPPOLYTE :

Heye toi, écoutes‑moi ben. Tu f’ras ben c’ que tu peux

Toi, dans ta vie à toi, pour tâcher d’êt’ heureux

Mais ôte tes pieds d’ ma vie. Occupe‑toi d’ tes oignons.

Pis moi j’ me mêl’rai pas d’ tes histoires de cochon.

 

THÉRAMÈNE :

Arrête de jouer à ça. Tu vas t’ péter la gueule.

Hippolyte écoute‑moi. J’ me sac’ que tu m’en veules.

Penses‑tu que je l’ sais pas avec qui c’ que tu couches ?

Pis quant’ tu parl’ d’amour quel nom t’as à la bouche ?

Hippolyte, er’gard’‑moi. C’est comm’ si j’ t’avais fait’.

Ch’ pas en train d’ rire de toi ou de d’ traiter d’tapette.

Chus rien qu’en train d’ te dire que t’es plus beau qu’ ton corps.

Que j’te r’proch’rai jamais les bras dans ‘esquels tu dors

Parce que chus convaincu que qui qu’ ce s’ra qu’ t’aim’ras

Tu s’ras l’ plus grand cadeau qu’c’ te personn’‑là r’cevra.

Je l’sais qu’ t’adores Alcide. Et de tout’ ta grandeur.

Mais c’ que je sais aussi c’est qu’t’aimes aussi sa sœur.

Tu penses tout l’ temps qu’ la vie c’est rien qu’une chose à fois.

Tout c’ que j’veux qu’ tu comprennes c’est qu’ c’pas vrai. Pis pourquoi.

Qu’ tu peux aimer un gars sans qu’ ça veuille e’rien qu’ dire

Qu’ t’aim’ras jamais une fille parce que ça f’rait qu’ tu r’vires.

Si t’as peur d’êt’ niaiseux, t’ sais, tu peux m’en parler.

Chus sûr qu’a peut comprend’. C’est pas ben ben sorcier.

Mais j’ voudrais tell’ment pas.

HIPPOLYTE :

………………..………………………………….C’ fa cin’ menutes j’ me r’tiens.

Ou ben j’ t’écrase la face. Ou tu disparais. Loin.

 Percussion

 

28 – RITA : HIPPOLYTE ET ARICIE (1)

 Espace-Rita-Vision

 

ARICIE :

I parait qu’ tu t’en vas ? Pis que c’est pour longtemps.

Qu’est‑cé qui est arrivé ? C’est‑tu les événements ?

 

HIPPOLYTE :

Qui c’est qui t’a dit ça. Encore la vieille, j’ suppose ?

 

ARICIE :

Appelle‑la pas comme ça.

 

HIPPOLYTE :

………………..………………………………….T’a connais pas, toi, Chose.

 

ARICIE :

A l’a pas ‘té ben fine avec moi, moi non plus.

Mais c’est pas une raison.

 

HIPPOLYTE :

………………..………………………………….Bon, a‑t’a convaincue ?

ARICIE :

Hippolyte, arrêt’ don.

 

HIPPOLYTE :

………………..………………………………….OK, qu’est‑cé qu’ tu m’veux ?

Ça y est, là, là, je m’en vas. Vous allez êt’ heureux.

 

CHŒUR‑DE‑CEUX‑QUI‑SAVENT :

Comme Hippolyte s’élance, espérant êt’ ret’nu,

Aricie se détourne, regrettant d’êt’ venue.

Hippolyte, incapab’ d’trouver d’ quoi d’ fin à dire,

Cherchant en vain un mot qui pourrait la r’tenir

Préfère suiv’ son mouv’ment et plutôt qu’ perd’ la face

Il sort au grand galop, la laissant seule dans place.

 Percussion

 

29 – 30 – 31 – COUPÉES

 

32 – RITA : MADAME COURNOYER + JANOSH

MAX :

« J’ai trop cru à la valeur de la mort omniprésente. »

Percussion

Espace-Rita-Vision

RITA :

Dieux du Ciel, aidez‑moi. Écrasez‑moi, les murs :

Refermez‑vous sur moi. Et broyez ma blessure.

Laissez‑moi pas aux prises avec le rêve infâme

Qui murmure en d’dans d’ moi et s’empare de mon âme.

Fantôme d’Hippolyte.

Percussion

 

MAX :

Je la voyais partout. J’avais fini par croire qu’elle seule a le pouvoir de devenir la révélatrice du sens de nos jours. Il me semble possible, à présent, que l’autre soit. Je ne vois qu’une condition à cela. Ne rien demander.

 

RITA :

Ou d’abord, arrêtez. Jus’ une petite menute.

Arrêtez de tourner. Comme je tourne dans ma lutte.

Arrêtez de danser. Et d’ me montrer sa face.

Et ses mains radieuses dont la vision me glace.

 

percussion

 

MAX :

Mon cœur est comme un chien trop bien dressé à une seule tâche. Je ne lui ai enseigné qu’à se tenir prêt à la mort. Nous avons à nous parler, lui et moi. Je dois lui faire comprendre qu’à ton arrivée, le jeu a changé.

Percussion

 

RITA :

Ah, levez‑vous, oh vents. Emporte-moi, oh air.

Soufflez sur ce vieux corps transformé en désert.

Redonnez-moi le souff’ et donnez‑moi les mots

Pour lui, le retenir, m’accrocher à sa peau.

Je veux tous les talents, et les malédictions

Si le souffr’ de l’enfer me donne son affection.

 

percussion

 

MAX :

Le choix est là, devant moi : veux-je mourir dans les flammes, ou vais-je accepter que mon cœur se calme ? Je n’en sais rien encore. Mais je dois choisir.

 

percussion

 

RITA :

Écoutez‑moi pâmer, et riez d’ mon émoi

Si vos mines amusées peuvent le mener à moi.

Jetez sur nous les foud’ des plus noirs des démons

Si, grâce à eux, nos cris fusent à l’unisson.

 

percussion

 

MAX :

Imagine-toi que soudain je parle tout bas. Rien qu’un murmure. Je dis “Je t’aime”, et je le répète. De plus en plus bas. Jusqu’à ce que tout le silence qui approche ne soit plus tissé que de ces deux mots là, répétés à l’infini, et avec toute la tendresse du monde.

Je t’aime.

Je t’aime.

Je t’aime.

Je t’aime.

Je t’aime.

Je t’aime.

Je t’aime.

Je t’aime.

Je t’aime.

Je t’aime.

 

Percussion

 

33 – COUPÉE

 

35 – RITA : HYPPOLITE (1)

Espace-Rita-Vision

 

HIPPOLYTE :

Excusez‑moi, madame. J’ voulais pas déranger.

 

RITA :

Tu m’ dérange pas, mon beau. J’ faisais jus’ te r’garder.

 

HIPPOLYTE :

C’est que. Excusez‑moi. J’ pensais qu’êtait ici.

 

RITA :

Comme tu vois, est pas là.

Hippolyte fait mine de sortir.

………………..………………………………….Tu peux m’parler, moi ‘si.

 

HIPPOLYTE :

Euh. C’est parc’ chus pressé. L’ bateau va arriver.

 

RITA :

Eh ben, I t’attendra. Ou I r’viendra t’chercher.

 

HIPPOLYTE :

Nonnon, faut vraiment qu’ j’aille. L’avez pas vu passer ?

 

RITA :

Voyons, mais t’es ben pâle. T’as si peur d’ la manquer ?

Hippolyte. Bouge pas d’ là. Er’garde‑moi ben comme faut.

T’es sûr tu veux partir ? Qu’ tu veux l’ prend’, ton bateau ?

 

HIPPOLYTE :

Ah, madame Cournoyer, z’allez pas r’commencer.

I faut que j’ trouve papa avant la fin d’ l’été.

 

RITA :

C’est p’t’êt’ pas nécessaire.

 

HIPPOLYTE :

………………..………………………………….Qu’est‑cé qu’ vous voulez dire ?

 

RITA :

Dis‑moi qu’est‑ce t’as compris. T’as l’air d’entend’ pas pire.

 

HIPPOLYTE :

I faut j’ trouve Aricie. J’y avais promis d’ la voir.

 

RITA :

Toi, si tu passes c’te porte‑là, dis bye à tes espoirs.

Est fine, hen, Aricie ? T’as trouves ben à ton goût.

Espace-Rita-Vision-Thésée s’ajoute.

À Thésée :

Ah, si tu l’avais vu. Y t’nait à peine debout.

 

HIPPOLYTE :

Ma’ame Cournoyer, ça fait. D’puis qu’ papa est parti

Que vous arrêtez pas a’c tout’ vos allusions et pis tout’ vos on‑dit.

C’est quoi, là, qu’ vous cherchez ? Où c’ vous voulez en v’nir ?

Ent’ Aricie pis moi (y a rien)…

 

RITA :

………………..………………………………….Heureux d’ te l’entend’ dire.

Parce que queuk chose me dit qu’ ton père s’rait d’ bonne humeur

Si ‘fallait qu’I revienne te trouver dans l’ bonheur,

Plongé jusqu’aux oreilles dans queuk histoires bebettes

Entre son cher fiston pis l’aspirant’‑vedette.

Ce s’rait vraiment dommage parce qu’a l’a une belle voix.

Ce s’rait plate en maudit qu’a paye à cause de toi.

Mais y a rien ent’ vous deux, pas d’ raison d’ s’inquiéter.

Pis, au fond, chus ben folle. Vous êtes pus des beubés.

 

36 – RITA : THÉSÉE (4)

Espace-Rita-Vision-Thésée

 

THÉSÉE :

Qu’est‑ce t’as fait’ à mon fils ?

 

RITA :

C’ que la vie y aurait fait’.

À part que grâce à moi, on l’ verra jamais lait’.

Percussion

 

37 – COUPÉE

38 – RITA : ALCIDE

Espace-Rita-Vision

 

RITA :

Alcide, rest’ une minute. J’ veux te d’mander queuk chose.

 

ALCIDE :

Oui, madame Cournoyer ?

 

RITA :

………………..………………………………….Heureux d’ partir, j’ suppose ?

 

ALCIDE :

C’ ben certain qu’ chus content qu’Hippolyte m’aye d’mandé.

Ça fa un bon bout d’ temps que j’ rêve de voyager.

I dit qu’ si y est chanceux, pis qu’y s’ trouve des contrats,

I va m’ passer des sous pour l’entrainement là‑bas.

 

RITA :

Ah ? C’est la seule raison ? Autrement, tu rest’rais ?

 

ALCIDE :

Qu’est‑cé qu’vous voulez dire ?

 

RITA :

………………..………………………………….Non, c’est drôle, me semblait.

Qu’est‑cé qu’ tu penses d’Ismène ? Est‑ce que tu la trouves belle ?

 

ALCIDE :

Ah oui, c’est ben certain.

 

RITA :

………………..………………………………….Mais tu t’approches pas d’elle ?

 

ALCIDE :

Qu’est‑cé qu’ vous voulez dire ?

 

RITA :

………………..………………………………….En deux mots, que disons,

Chus sûre qu’ tu l’aim’rais mieux si êtait un garçon ?

 

ALCIDE :

Hen ? Qu’est‑cé vous dites là ? Voyons don, chus pas d’ même.

 

RITA :

Ça, chus pas convaincue. Mais c’ qui est sûr c’est qu’ t’es blême.

C’ t’un beau gars, Hippolyte. Y est p’t’êt’ plus’ de ton goût ?

Tu trouv’rais pas qu’ ta sœur est trop souvent dans l’bout ?

Qu’a y tourne trop autour ? Pis qu’a va p’t’êt’ l’avoir ?

Qu’ ce s’rait peut-êt’ mieux d’ partir avant qu’a l’aye un soir ?

 

ALCIDE :

Eye ! Si ma sœur Aricie, c’est moi qui y a parlé

De l’école qui y a ici pis qu’y a dit d’ s’essayer

C’est pas parc’ j’ai peur d’elle, ni parc’ j’aime mieux les gars.

Et pis c’ que j’ pense d’Ismène, ça vous r’garde e’rien qu’ pas.

Hippolyte t’un ami. Y a rien d’aut’ ent’ nous deux.

C’ que vous essayez d’ dire moi j’ trouve ça monstrueux.

 

RITA :

Peut‑êt’, mais pas autant que son père trouv’rait ça

Si jamais y apprenait c’qui s’passe a’c son ti‑gars.

J’va t’ donner un conseil. Ou ben tu prends l’bateau

Et pis tu disparais, tu pars sans dire un mot

Et pis t’amène la gang, allez où c’vous voulez

Prends donc des grands vacances, chus même prêt’ à payer,

Ou ben j’ fais un scandale. Et pis t’auras ruiné

L’av’nir de ton chéri, sans êt’ plus avancé.

Qu’est‑cé qu’ tu penses de t’ ça ? J’ veux une réponse maint’nant.

Ou tu prends l’ tit bateau et tu sacres ton camp

Je te laisse dix menutes. Ou ben tu gagnes du temps

Et pis au bout du compte avec tout’ les journaux

Et pis tout’ les rumeurs qu’ tu vas avoir su l’ dos

Tu gâches la vie d’ ton chum et pis tu gâches la tienne

Parce que tu sais comm’ moi c’ qui arrive quand y z’aprrennent,

Dans les cercles sportifs, qu’ le champion des poids‑mouche

Est autant le champion quant’ y arrive dans les douches.

 

ALCIDE :

J’ peux‑tu y dire au r’voir ?

 

RITA :

………………..………………………………….Tu le revois même pas.

Tu prépares tes valises. Pis après tu t’en vas.

 

ALCIDE :

Qu’est‑cé que j’ dis aux aut’ ? Pourquoi qu’on part si vite ?

 

RITA :

Sers‑toi d’ ta tête un peu. C’est ta vie qui en profite.

Percussion

 

39 – COUPÉE

40 – RITA : ARICIE (2)

Entre Aricie.

 

ARICIE :

Oh. Excusez, madame.

 

RITA :

………………..………………………………….Non, non. Reste, Aricie.

J’allais aller t’ chercher. Comme ça, t’aimes ça, ici ?

 

ARICIE :

Oui, madame Cournoyer. J’ trouve que j’apprends beaucoup.

 

RITA :

Tu trouves pas ça trop dur, d’êt’ aussi loin d’ chez vous ?

 

ARICIE :

Ah non, ça vaut la peine.

 

RITA :

………………..………………………………….Ton chum doit s’ennuyer ?

 

ARICIE :

Chus pas forte su les gars. J’ai choisi d’ travailler

J’aime trop l’ métier que j’ fais pour penser courailler.

 

RITA :

Peut‑êt’ qu’ là t’es tu‑seule, mais qu’ t’espèr’ pas l’ rester ?

 

ARICIE :

C’est sûr que si un jour I s’ présentait quelqu’un.

 

RITA :

C’ ben certain qu’ c’ pas ici qu’ tu vas croiser l’ beau‑brun.

Encore que. Dans la gang. T’es aimes‑tu ben ben fait’ ?

Ça t’ donne pas des idées tous ces beaux corps d’athlètes ?

Hippolyte est pas pire.

 

ARICIE :

………………..………………………………….J’ v’ êt’ en r’tard à chorale.

 

RITA :

Voyons, pars pas si vite. J’ai dit queuk chose de mal ?

Je l’ sais que tu l’ trouves beau, qu’ tu veux mett’ la main d’sus.

J’ voulais jus’ te prév’nir que c’est du temps perdu.

C’est un enfant unique, son père a ben d’l’argent

C’est un ben beau parti : utile et d’agrément.

 

ARICIE :

J’ sais pas d’ quoi vous parler. Où vous voulez en v’nir ?

 

RITA :

Mais si tu comprends pas chère, c’est simp’ : m’a te l’ dire.

J’ dis qu’ t’es t’une intrigante, qu’ t’es t’une p’tite arrivis’

Pis que j’ te laiss’rai pas mett’ la main su mon fils.

 

ARICIE :

C’est du n’importe quoi. Vous vous contez des peurs.

 

RITA :

Ah oui ? Ben écoute ben, voir si chus tant dans l’ beurre.

Son père est disparu, c’est pas la première fois.

Mais d’une menute à l’aut’I peut êt’ là comme moi.

T’ sais, je l’ sais, je l’ connais, chus t’a’c lui d’puis cinq ans.

Et pis je sais aussi comment c’ qui est, en r’venant.

I a été su’a brosse pis y a lâché son fou

Tout d’un coup I rétontit pis rien est à son goût.

I s’ sent un peu coupab’ d’avoir perdu son temps

Ça fa que là I s’ venge pis qu’y est jamais content.

I se met à crier, à trouver qu’ tout’ est croche

I veut runner partout, I fonce à coups d’ taloches.

Je peux te garantir que si y a UNE affaire

Qui aura pas l’ goût d’entend’ c’est que c’est pas lui, l’ père.

Que son fils adoré, dont I s’ sac’ l’ res’ du temps,

Essaye de lui t’nir tête, ou de rien qu’ faire semblant.

Pis m’a t’ dire un’ aut’ chose : pour le mett’ en calvaire

Y aurait rien comme son fils pis une chanteuse populaire.

T’es‑tu déjà d’mandé pourquoi qu’I a c’ t’école‑là ?

Et pis qu’I dépense tant su ses cours d’opéra ?

Parce qu’y a rien qu’I haït plus’ que la culture vulgaire

Pis qu’I a toujours trouvé que cont’ elle c’tait SA guerre.

Écout’ ben c’ que j’ vas t’ dire. Le monde qui viennent ici

Même le top des meilleurs, qui remportent tout’ les prix,

Auront pas pour autant plus’ de grâce à ses yeux.

I ont viré d’ bord une fois. Alors pourquoi pas deux ?

« Faut jamais faire confiance à c’qui est sorti d’ la boue. »

C’est pas moi qui l’invente, c’est ce que lui dit d’ vous.

Fa qu’imagine‑toi pas parce que t’es la meilleure

Qu’là Hippolyte pis toi c’ t’en route pour le bonheur.

Avant qu’I t’ laisse l’avoir ou seulement qu’I toucher

I va t’ sacrer à porte pis le déshériter.

C’est jus’ ça j’ voulais t’ dire : tu f’ras qu’est‑cé qu’ tu veux

Mais oublie pas jamais combien que y a d’envieux.

Suffirait d’une personne à ‘ller s’ouvrir la trappe

Parce qu’est jalouse de toi, mais que revienne le pape

Pour que tu prennes la porte. Pis Hippolyte aussi.

Fa qu’ si vraiment tu l’aimes, moi j’ te dis repenses‑y.

Y a des goûts pas mal chers. Pis toi, t’as pas une cenne.

M’a t’ dire qu’ sans héritage, y s’rait pas mal en peine.

I a jamais travaillé, I est bon à l’ver des poids

Mais ça paye pas l’ loyer quand vient la fin du mois.

Pis surtout, conte‑toi pas qui puisse encore chanter

Quand I s’ra pus le fils de la grand’ basse Thésée.

Penses‑y ben comme y faut. C’est pas rien qu’ ton av’nir.

C’est aussi celui d’ l’homme qui va se faire détruire.

I a grandi dans la ouate, été surprotégé

Fa qu’ laisse faire les balounes dans l’ genre « I peut changer ».

J’ te suggère d’ prend’ un temps où tu y parl’ras pas.

Pour jus’ pas prend’ le risqu’ d’y créer d’ l’embarras.

Penses‑y ben comme y faut. Pense à haine pis à honte.

Et pis dans cinq-six jours tu pourras mieux t’ rend’ compte.

Entre Hippolyte.

 

HIPPOLYTE :

Essoufflé, à Aricie :

Ah, t’es là ? J’ te cherchais.

Exit Aricie.

 

41 – RITA : HYPPOLITE (3)

 

HIPPOLYTE :

………………..………………………………….Aricie… j’ veux t’ parler !

 

RITA :

Les filles aiment jamais ça quand on les voit pleurer.

 

HIPPOLYTE :

Mais voyons, qu’est‑ce qu’a l’a ?

 

RITA :

………………..………………………………….Un coup d’ fil de son chum.

J’ pense qu’est ben en maudit cont’ tout c’qui a l’air d’un homme.

 

HIPPOLYTE :

J’ voulais y proposer de partir avec moi.

J’ savais pas, pour le chum. Ça fa longtemps qu’a l’ voit ?

 

RITA :

Je l’ sais pas, mon pauv’ grand. A voulait jus’ parler.

Des fois ben ben mal pris, on s’ souvient des ainés.

Fais‑toi z’en pas a’c ça. Y a Alcide qui t’ cherchait.

Y avait l’air en maudit. J’ sais pas trop qu’est‑ce qu’I avait.

 

HIPPOLYTE :

Ah bon ? Ben j’ vas y aller. A vous aurait pas dit… ?

 

RITA :

Nonon, laisses‑y don l’ temps de r’trouver ses esprits.

Chus sûre que dans queuk z’heures a va se r’sentir mieux.

A va se r’placer vite, c’est pas ben ben sérieux.

Exit Hippolyte.

Cherche, mon bel amour. Cherche.

Percussion

 

42 – RITA : THÉSÉE (6)

Espace-Rita-Vision-Thésée

 

THÉSÉE :

T’as tué mon garçon pour te venger d’ la vie ?

 

RITA :

Non, j’ai tué un humain pour le sauver d’ l’ennui.

Quand j’ te dis mon bonheur à voir tes yeux souffrir

C’est pas pour une vengeance que j’ pens’rais assouvir

C’est seul’ment parc’ qu’ la vie ne nous appartient pas

Qu’y faut faire son destin, pis qu’ j’ l’ai pensé tout bas

Pendant les longues années où l’ fait’ qu’on ‘taient amis

M’ faisait croire, par respect, que rien devait êt’ dit.

 

CHŒUR‑DE‑CEUX‑QUI‑SAVENT :

Tabarnak de niaiseuse qui s’ prend pour un esprit.

 

CORYPHÉE II :

Le bonheur d’ la réponse à ceux qui nous font mal

Est le plus grand bonheur, y a pas rien qui l’égale.

Oui, j’ veux r’mett’ coup‑pour‑coup pis je veux en faire baver.

Percussion

43 – RITA : PREMIÈRE FIN (THÉSÉE)

Espace-Rita-Vision-Thésée

 

RITA :

                                                                                          À Thésée :

T’as fini par rev’nir. Mais trop tard. Ben qu’ trop tard.

Tout just’ à temps, Thésée, pour ma petite victoire.

Si tu savais l’ bonheur de mourir assouvie

En laissant derrière soi rien qu’UN ges’ accompli.

 

percussion 

 

MAX :

Si c’est être bête que de souhaiter, au terme de sa vie, laisser une petite pierre dans ce mur‑là, celui de la fraternité, qui ne sera jamais trop grand, plutôt qu’un éclat dans celui de nos haines, qui peut bien se passer de mon aide tant il trouve déjà de soutien de toutes parts, eh bien, oui, je suis bête.

 

percussion  

 

RITA :

J’ai passé cinquante ans à parcourir mes jours

En attendant l’action qui m’ lierait pour toujours.

J’ai pas ‘rrêté d’ rêver à mourir dans un lit,

En voyant le mond’ fond’, dans les bras d’un ami,

Je meurs seule, bien trop vite, sans un’ main à tenir

Avec seul’ment dans ‘es yeux une esquisse de l’av’nir

Pour le tout p’tit espoir d’avoir un peu aidé

Un Hippolyte heureux pendant que j’ pourrirai.

 

percussion

 

MAX :

J’aime trop mes mains quand elles caressent; et le corps humain me semble déjà suffisamment vaste pour s’y perdre sans jamais en voir le bout pour que je voie quelque intérêt à y ajouter encore des ailes.

J’aime ces femmes, la gracieuse et la joyeuse; ce garçon me bouleverse et ce vieillard me donne l’espoir.

Qu’ils vivent, bon dieu ! Qu’ils vivent !/percussion

44 – ELLE DISAIT…

Espace-Orchestre

 

CHEFFE :

Elle disait…

 

Faire de l’art… comme on fait la guerre ?

Faire de l’art… comme on fait du cash ?

Ou faire de l’art… comme on fait l’amour ?

 Percussion

 

45 – BOB : PHÈDRE (2)

Espace-Bob

 

Mme FRYERS :

Brandissant un livre.

Ce n’est pas du papier imprimé. C’est la mémoire et des damnés et des saints. Qui ont vu la lumière ou ont été brûlés par elle. Prenez-le. Prenez ! Portez-le à votre oreille. Qu’est-ce que vous entendez ?

BOB :

Rien…

 Percussion

 

46 – RITA : DEUXIÈME FIN (HIPPOLYTE)

Espace-Rita-Vision

 

RITA :

Où c’est qu’ j’étais rendue ? « Un coup d’ fil de son chum. »

J’ pense qu’est ben en maudit cont’ tout c’ qui a l’air d’un homme.

 

HIPPOLYTE :

J’ voulais y proposer de partir avec moi.

J’ savais pas, pour le chum. Ça fa longtemps qu’a l’voit ?

 

RITA :

Je l’ sais pas, mon pauv’ p’tit. A voulait jus’ parler.

Des fois ben ben mal pris, on s’ souvient des aînés.

Fais‑toi z’en pas a’c ça. Y a Alcide qui t’ cherchait.

Y avait l’air en maudit. J’ sais pas trop qu’est‑ce qu’I avait.

 

HIPPOLYTE :

Ah bon ? Ben j’ vas y aller. A vous aurait pas dit… ?

 

RITA :

Nonon, laisses‑y don l’ temps de r’trouver ses esprits.

Chus sûre que dans queuk z’heures a va se r’sentir mieux.

A va se r’placer vite, c’est pas ben ben sérieux.

J’ me suis approchée d’ lui. I était désemparé.

Je l’ai pris dans mes bras. Et j’ l’ai déshabillé.

Là, sur ce même divan, j’ l’ai long’ment caressé

En murmurant douc’ment les pires obscénités.

J’ lui ai douc’ment parlé d’ la solitude maudite

Tout en lui apprenant qu’ son amant t’tait t’en fuite.

Et pis je l’ai am’né jusqu’au bord d’ la jouissance

En parlant d’Aricie amoureus’ d’ ses finances.

J’ai joué de son corps et joué d’ ses peurs

Jusqu’à ce qu’I sache pus se cont’nir de douceur.

J’ai étiré le temps et l’ai t’nu prisonnier

D’ la moind’ de mes caresses, et d’ mes mots susurrés.

Ah, t’aurais dû le voir, se tordre, se déformer

Et quéter en pleurant de ne pas m’arrêter.

Ça a duré cinq heures du plus pur des délices

Et j’ me suis découvertes des fortunes de vices.

Et puis d’un coup, très vite, je l’ai fait basculer

Pis j’ l’ai r’garder rev’nir comme un halluciné.

La bouche lui battait l’air et ses regards fuyaient

Et je l’ voyais chercher à comprendre où y était.

I a fini par se l’ver pis par se rhabiller.

Et j’ l’ai r’gardé partir comme un monde effondré.

J’ me sus assise sag’ment, en attendant qu’on vienne

M’apprendre la nouvelle. Son odeur sur la mienne.

D’abord ŒNONE est v’nue m’dire qu’Alcide était mort

En tombant du bateau, ent’ la quille et le bord.

Qu’Hippolyte l’avait vu, et lui avait parlé

Puis aussitôt l’aut’ mort, s’en était éloigné.

A m’a tout’ conté ça en r’gardant par la f’nêt’

Sûr’ment s’imaginant combien troublée j’ d’vais êt’.

Mais quand a s’est r’tournée, p’-t’êt’ pour me consoler

A m’a jus’ vue sourire et pis a s’est sauvée.

Au bout de queuk menutes, ça été l’ deuxième tour.

 Percussion

46b – BOB 

Espace Bob

 

Mme FRYERS :

Vous êtes sourd. Vous êtes un imbécile sourd. Un imbécile présomptueux qui n’entend rien et s’imagine tout connaître. Écoutez, les murmures. Dantesques. Les murmures de ceux qui vous appellent à eux pour que vous deveniez leur porte-parole. Entendez leurs chuchotements informes. Leurs gémissements dans la nuit éternelle. Ils ont besoin de vous. Entendez-vous, à présent ?

Pour que vous les défendiez dans le monde des vivants. Que vous leur prêtiez forme, sur cet îlot minuscule qu’est la vie au cœur du néant glacial. Et vous ! Vous, infatué cabotin, ne trouvez rien de mieux à faire que de trouver qu’ils ont des problèmes d’ego à régler ? D’ego ? Ouvrez !

Acte Troisième, scène première. Phèdre. Elle va mourir, sans les mains de l’amour dans les siennes. Vous l’avez entendue ? Elle a dit à sa servante…

 

VOIX I :

Je ne me soutiens plus : ma force m’abandonne.

Mes yeux sont éblouis du jour que je revois,

Et mes genoux tremblants se dérobent sous moi.

 

Mme FRYERS :

Et puis…

 

VOIX I :

Moi, régner ! Moi, ranger un État sous ma loi,

Quand ma faible raison ne règne plus sur moi !

Quand je me meurs !

 

47 – RITA : THÉSÉE (7)

MAX :

Qu’ils vivent, bon dieu ! Qu’ils vivent ! Comment pourraient‑ils et elles savoir par avance ce qu’ils et elles trouveront grâce à leurs glandes, leur rire, leur masque et leurs artifices ? Qui suis‑je pour en présumer ? Et puis. La bêtise est amusante. Parfois.

 

 

percussion 

Espace-Rita-Vision-Thésée

 

RITA :

Thésée. T’es r’venu. Mais trop tard. Ben trop tard.

Pis rien qu’à temps, mon pit’, pour la mort d’ ton bâtard.

Si tu savais l’ bonheur de mourir accomplie

En laissant derrière soi la vengeance assouvie.

J’ai passé cinquante ans à parcourir mes jours

En attendant le geste qui m’ lierait pour toujours.

J’ai passé cinquante ans à chercher une horreur

Qui rappellerait au monde que j’ai connu mon heure

Et tu peux pas savoir toute l’extase qu’il y a

À mourir haïe d’ toi et pourtant dans tes bras.

Jamais, jamais la vie n’a sue s’ faire aimer d’ moi

Mais au moins j’aurai su tout’ la haine de soi.

Je l’ai sue et goûtée. Et je l’ai savourée.

Et je meurs contentée d’ la savoir engraissée.

La vie est une putain que l’on doit mettre au pas

Et je meurs transportée d’ l’arracher à tes bras.

J’expire, Thésée, je meurs, je rends l’âme sous tes yeux

Comme je la vomirais, de te savoir heureux.

 

percussion  

 

 

MAX :

Il me semble… « Humain ». Il me semble qu’il n’est guère de mots plus beaux. Mais quel contrat !

 

percussion

48 – RITA : RITA ET LA TRAGÉDIE

Espace-Rita-Vision

 

RITA :

Oui, c’est vrai, t’as raison : c’est tell’ment plus tentant

De s’ trouver des excuses pour êt’ en sacrament.

Pus d’ raisons d’écouter ou d’ penser à quoi dire

T’as pus rien qu’à foncer, à hurler, à maudire,

A beugler des bêtises à la planète entière

En la t’nant responsab’ pour toutes tes misères.

C’est pas ben, ben sorcier. Et pis t’es pas l’premier.

 

CORYPHÉE II :

C’est ça : rêv’ à changer tout’ l’horreur qui a dans l’ monde

En t’ contant des balounes de tit‑culs pis d’ leux blondes.

 

CHŒUR DE‑CEUX‑QUI‑SAVENT :

I faut pas s’en mêler, quant’ on a pas les reins.

I faut rester tranquille et pis toucher à rien.

Qu’est‑cé qu’ça t’a donné, de fair’ la folle de même ?

Qu’est‑ce tu pens’ t’as changé ? Pens’‑tu mourir moins blême ?

 

CORYPHÉE II :

Qu’est‑cé qu’ t’as tant aidé ? Hen ? Qu’est‑ce tu penses que t’as fait’ ?

Thésée ? Y a rien compris. La vois‑tu, ta défaite ?

 

ŒNONE :

Mon doux, ça fa deux heures qu’I a pas ‘rrêté d’ hurler.

Mais app’lez un docteur. Faut queuk’un pour l’aider.

 

CORYPHÉE II :

C’est ça : la prochaine fois, quand tu voudras kicker

Pens’ à qui tu t’adresses un peu, avant d’ sauter.

 

CHŒUR DE‑CEUX‑QUI‑SAVENT :

J’ sais ben qu’ c’est effrayant. M’a l’a couru après.

Ca sert à rien d’ brailler, quand on a fait’ éx’près.

Percussion

49 – RITA : MORT DE RITA

Espace-Rita-Vision

 

RITA :

Ça p’t’êt’ servi à rien. Mais j’ai aucun regret.

J’ veux pas changer la vie. J’ veux jus’ mourir en paix.

J’ai passé cinquante ans à seul’ment avoir peur

De pas avoir tout’ fait’ avant que vienne mon heure.

C’est pas grave. C’est rien qu’ moi. Au moins j’ai essayé.

Et pis peut‑êt’ qu’un jour ç’aura un peu aidé.

Moi qui a toujours rêvé de mourir dans un lit,

En voyant le mond’ fond’, dans les bras d’un ami,

Je meurs seule, bien trop vite, sans un’ main à tenir

Avec seul’ment dans ‘es yeux une esquisse de l’av’nir

Que s’rait le p’tit espoir d’avoir un peu aidé

Un Hippolyte heureux si y avait pu oser.

Percussion

Noir

50 – RITA : ÉPILOGUE (1)

 Percussion

Espace-Public

LE CHŒUR :

Mesdames et messieurs, vous avez assisté…

 

CORYPHÉE II :

« A un’ pièc’ en un acte et vers de douze pieds

Qui, par un’ nuit d’hiver et de lecture, naquit.

Un hiver pour les corps, mais surtout les esprits,

Qui n’étaient si heureux qu’après avoir bien ri. »

 

LE CORYPHÉE :

Il est bien merveilleux qu’on puiss’ s’approprier

Les victoires des anciens, qui sont notre passé.

Mais il serait trop simp’ de n’ s’appropier qu’elles

Sans avoir à revivre ce qui les rendit belles.

Comme on ne peut comprend’ la douleur d’un êt’ cher

Qu’en ayant ressenti ce que ressent sa chair,

La douleur des anciens et c’ qui les fit écrire

Ne nous est abordab’ qu’en nous laissant meurtrir

Par c’ qui les habitait et déchirait leur âme

Au temps où la lumière était tirée des flammes.

LE CHŒUR :

Attardons‑nous parfois à nous représenter.

Même la plus noir’ des âmes vaut d’être dessinée.

Au cœur des époques folles et aux milles apprêts

Aux villes et villag’ au rir’ gras et niais

Ce n’s’ra pas jamais en fait par pur’ débilité

Qu’on demand’ra sans trêv’ à pouvoir rigoler,

Et toujours le dicton voudra que les malheurs

Puissent être oubliés sous les rires en pleurs.

Mais seul’ment souv’nons‑nous que ce proverbe‑là

Fera souvent l’affair’ de quelques fac’‑de‑rats

Se r’trouvant grâce à lui, sans avoir à penser,

Bien en place, toujours, pour sans peine régner.

Répétons que les mots, qui semb’ parfois, mais oui,

Être bien imparfaits, demeurent des outils

Pour reconnaitre l’autre et connaitre le monde

Et parfois sa douleur, qui hélas trop abonde.

Espace-Bédouins se dessine : en douceur

51 – BÉDOUINS : AHMED

 

VOIX I :

Le sable est chaud.

L’air est sec.

Et je vais mourir, Ahmed.

 

Le muezzin prie…

… et les croyants sont tournés vers le minaret.

 

Il est trois heures, le muezzin prie…

… et je regarde vers le ciel.

 

Ahmed, une vieille femme te revient.

Ahmed, tu es mort à vingt ans…

… je ne meurs qu’à soixante.

 

Mais, Ahmed, je n’ai aimé que toi.

 

Je sue et je suis laide, moribonde dans l’après‑midi…

… mais cette sueur, Ahmed, ruisselait sur nos corps enlacés.

 

Pourquoi les poètes parlent‑ils du ciel pour parler d’amour ?

Le ciel est vide.

Je vais mourir.

Mais je t’aime encore.

 

L’étendue de ton dos…

… si douce et lisse.

Et les dunes que je ne reverrai plus.

 

La douceur de tes bras.

Les murs de Marrakech.

Mais tu ne m’entends pas.

 

VOIX II :

Ahmed…

 

VOIX III :

Ahmed.

 

VOIX I :

Laisse‑moi répéter ton nom.

 

Ahmed, laisse‑moi croire en ton nom.

 

Le sable est chaud, l’air est sec et je vais mourir.

Le muezzin prie, et les croyants, et les marchands…

… je n’y suis plus. Oubli.

 

Ahmed, tes seins.

Ton ventre, que j’ai couvert de larmes.

 

J’ai dû croire en aimer d’autres…

… je n’avais que ma vie, Ahmed.

Jamais je ne t’ai trahi.

 

J’ai dû vivre, Ahmed.

Et parfois t’oublier.

Et encore j’ai pu rire…

… et parfois même chanter.

Mais, au fond de mon âme :

-‑ Ton bras est engourdi… Replaçons le coussin.

Et ma main était moite.

 

Ta paume sur mon front.

Ton front.

Que je t’aime.

 

Je vais mourir, les croyants prient et il n’y a que toi.

Je vais mourir, on dit qu’Allah est grand, de lui je ne veux rien. Que m’importe ma mort et le sable et le chant des enfants si, par‑delà la mort, si par‑delà mon râle, si tu es mon amant.

 

Ahmed.

Ton nom.

Espace-Bédouins : au noir

52 – RITA : ÉPILOGUE (2)

Espace-Public – fondant doucement au noir

 

LE CORYPHÉE :

Nous n’avons aucun droit à la moindre mémoire

Si nous n’avons l’ courage de nous pencher et d’ voir

Ce qui, sous nos succès, vient des combats passés

Et du courage de ceux qui ont osé affronter.

La souffrance des peuples, comme celle des poètes

Celle de tout un chacun, quoi qu’ ce soit qu’il ait fait’,

Mérite sûr’ment mieux, si on veut la conter

Que de jus’ la réduire à queuk vers bien rimés

En s’ servant des ancêt’ pour justifier qu’ maint’nant

On n’aye plus le courage de mourir en s’ battant.

 

RITA :

Je meurs seule, bien trop vite, sans un’ main à tenir

Avec seul’ment dans ‘es yeux une esquisse de l’av’nir

Que s’rait le p’tit espoir d’avoir un peu aidé

Un Hippolyte heureux si y avait pu oser.

 

LE CORYPHÉE :

On n’a pas aucun droit à parler d’ tragédie

Tant que l’on n’est pas prêt à y mettre le prix.

 

CHEFFE :

J’aurai vécu… comme on marche vers l’autre.

Percussion

Noir, etc…

 

 

 

 

 

 

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