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Notes brouillonnes, prises à chaud.
Et qui me semblent bien se suffire à elles-mêmes.
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Marcher… vers quoi ?
Bon, viarge… !
Ça y est, ça recommence !
Encore, bout d’ christ !
Encore une idée folle qui vient de me venir.
Encore une bouffée d’espoir qui me saisit, calvaire !
Qui a toutes les chances du monde de se faire passer à son tour sur le corps par l’estie de tracteur à fleurs de lys.
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À propos de la grève étudiante, cette fois.
À propos de cet énorme mouvement de contestation qui dure depuis trois mois.
Ce qui est déjà, en-soi, force est de l’avouer, un exploit notable.
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La mobilisation spontanée à laquelle la contestation donne lieu, à elle seule, est impressionnante en chien.
Tellement que, passé un certain point, je n’ai plus pu m’empêcher de voir en elle (ou de projeter sur elle ?) l’aussi soudaine que surprenante possibilité d’une sortie inespérée de l’état de désarroi et, même, de désemparement des étudiants qui m’a frappé si fort et si souvent au fil des années, lors des conférences dans les cours de Thierry [01], dans les nombreux cégeps où je me suis pointé et même à l’École nationale [02]. Ce même désarroi que j’ai un jour évoqué dans un de mes éditos chez Bazzo [03] et qui, sur le coup, avait tellement désarçonné Marie-France.
Se pourrait-il donc, que, contre toute attente, nom de dieu… ?
En tout cas, la fougue et la bonne humeur des manifestations sont remarquables – et tout aussi remarquable leur nouveauté, surtout celle de la bonne humeur : sa présence ne m’avait pas du tout sauté aux yeux lors de la vague précédente de grèves étudiantes, il y a quelques années – c’est bien le moins que je puisse dire.
Ce n’est peut-être pas essentiel… mais c’est toujours ça de pris.
De plus, les moyens mis en œuvre dénotent une étonnante imagination tactique.
« Étonnante » dans une société apathique, moribonde comme celle-ci, en tout cas.
Sauf que…
Il m’a rapidement frappé aussi que cette fougue, cette bonne humeur dominante et cette brillance tactique masquent en fait au regard une lacune extrêmement grave, une lacune qui, quelle que soit la manière dont on l’explique, risque fort de mener droit à la catastrophe : une lacune d’ordre stratégique.
En fait, tant qu’à parler parlons clairement, à bien y regarder il ne semble même pas y en avoir du tout, de stratégie, dans le camp étudiant. Et cette absence révèle bien entendu immédiatement une possibilité extrêmement grave : la possibilité qu’en fait, les étudiants québécois n’expriment actuellement RIEN D’AUTRE que leur opposition ponctuelle [04] à une simple mesure budgétaire [05].
Pourquoi donc serait-ce un problème ?
Parce que, même s’il est bien évident que la hausse des frais de scolarité constitue un enjeu éminemment concret, il est tout aussi clair, en tout cas à mes yeux et pratiquement depuis le tout début du mouvement de contestation, que ce n’est justement pas d’elle seule qu’il est ici question. Se sont même présentés plusieurs moments, au fil des semaines, où la question des frais de scolarité a semblé être bien davantage un déclencheur, voire un simple prétexte, que le véritable enjeu primordial du mouvement. Il y a « bien autre chose » que les seuls frais de scolarité à être en jeu ici, une « autre chose » qui déborde très largement le débat apparent. Mais qui, hélas, n’a pas été nommée. Ni même vraiment évoquée. En tout cas pas encore. En tout cas pas ouvertement. Et certainement pas sur la place publique.
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Arrêtons-nous déjà. Et faisons déjà le point avant de poursuivre.
Les organisateurs étudiants font montre d’une redoutable habilité tactique. Mais d’une tout aussi étonnante absence de capacité de réflexion stratégique. À cette absence, je ne trouve que deux explications possibles : ou bien ils ne s’en sont pas dotés parce qu’ils ne ressentent d’une telle pensée aucun besoin, ou bien ils ne sont tout simplement pas encore arrivés au point où ils auraient pu s’en développer une.
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Si c’est la première explication qui est la bonne, cela risque fort d’impliquer ceci : que les leaders étudiants ne ressentent aucun besoin d’une réflexion stratégique parce que « tout ça » ne concerne à leurs yeux rien d’autre que la seule hausse des frais de scolarité. Ce n’est donc pas une guerre qu’ils ont à mener mais un simple combat, très précisément ciblé. Dans un tel cas, aucun besoin, en effet, de s’encombrer de stratégie.
Seulement voilà. Si l’impressionnant déploiement de manœuvres auquel nous assistons depuis des mois d’un bout à l’autre du Québec ne vise réellement aucune autre espèce d’objectif que celui d’empêcher la hausse à court terme des frais de scolarité universitaire, fougue, bonne humeur et imagination ou pas… ma réponse est franche, nette et brutale : Bullshit !
Il n’existe strictement aucune espèce de raison politique valable pour qu’un groupe de citoyens se voie accorder le privilège de ne pas participer au financement de l’augmentation des frais encourus pour les services dont il profite. Tout le monde le fait. Et, en proportion de leurs revenus, surtout les plus pauvres ! Alors, hen, please…. faites pas chier, les mecs !
Mais les conséquences déboulent très vite bien plus loin que ça.
Si, encore une fois, « tout ça » ne vise strictement aucune autre espèce de but que celui de retarder l’augmentation des frais de scolarité jusqu’à ce que les manifestants d’aujourd’hui aient enfin fini leurs cours et soient enfin assis à leur tour, grassement payés, dans les fauteuils d’où ils décréteront que les jeunes d’alors doivent désormais payer leur « juste part »… contre-câlicez-moi la sainte tabarnak de paix avec vos critiques de Charest. À tout prendre, j’aime encore bien mieux l’ennui et la vacuité qui caractérisent son règne que l’arrogance époustouflante que révèleraient alors vos manœuvres à vous. Ne serait-ce que parce qu’ennui et vacuité, au moins, ont la très relative vertu de ne pas être indicateurs d’une forte propension à se prendre pour le nombril du monde.
Notons encore au passage, pour référence ultérieure, que si le cas de figure que j’évoque ici est le bon, le Québec est en train de se préparer des élites d’une remarquable vacherie. Elles, plus le pays que Harper va avoir réussi à nous sculpter quand il va en avoir fini avec nous… ça va être du costaud, les amis.
Mais brisons là-dessus pour le moment. Je reviendrai plus tard, et toujours sans y croire davantage, à ce que cette hypothèse implique. Une hypothèse qui, si jamais elle allait se vérifier, pointerait pour cette province en direction d’un avenir dont je ne veux même pas entendre parler.
*
Si, d’un autre côté, la flagrante absence d’une stratégie digne de ce nom, du côté des étudiants, n’est pas le signe d’une éminemment regrettable étroitesse de vue mais le simple et excusable fruit d’un manque de réflexion, d’opportunité de s’en développer une… ou d’un tout bête manque d’expérience, le tableau politique que nous avons sous les yeux se lit instantanément tout autrement.
Il raconte alors que oui, la situation actuelle parle bel et bien de toute autre chose et de beaucoup plus que de la seule défense par un groupe de ses intérêts immédiats — quitte à tout revirer à l’envers pour parvenir à tirer du jeu sa seule épingle.
Il devient celui d’une génération cherchant… ses mots pour dire son malaise et sa révolte. Et s’emparant du premier prétexte qu’on lui passe sous le nez pour sauter à pieds joints dans le débat.
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Dans le premier cas : d’abord sauver mes fesses, pis que tous les autres mangent un estie de sciau de marde.
Dans le second : d’abord changer le monde, qui en a bien besoin… et puis quant à savoir si moi personnellement j’ai ou non une place dedans, on verra bien en temps et lieu.
Les implications de la première hypothèse sont dégoûtantes.
Celles de la seconde sont fragiles. Mais recèlent une formidable fertilité. C’est bien pour ça que c’est sur elle qu’en écrivant ceci je parie de toutes mes forces.
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C’est clair, oui ?!
La révolte étudiante?
Ou bien elle ne parle vraiment de rien d’autre que du privilège qu’un autre groupe encore veut de toutes ses forces se voir accorder – et je vomis. [06]
Ou bien elle parle de… de je ne sais pas trop quoi encore, pas vraiment, mais d’autre chose que de pure merde, en tout cas, pour une fois. Et je vire fou de joie.
C’est pour vous dire…
***
Je vous disais donc…
Que la fougue et l’imagination déployées lors des manifs étudiantes sont fort impressionnantes et éminemment réjouissantes.
Mais que, du train où vont les choses et en l’absence de toute réflexion perceptible quant aux visées du mouvement, elles risquent fort, toutes les deux, de se faire avant longtemps péter la gueule dans les grandes largeurs.
L’effondrement qui s’ensuivrait, si la chose devait advenir, aurait toutes les chances du monde de finir par faire ressembler les dernières années que nous avons vécues à un âge d’or, en comparaison, tellement la dépression risquerait d’être profonde.
Au cœur de tout ce qui m’est apparu presque dès le départ, cette réflexion, donc : quand on lance, dans un contexte comme celui où nous nous trouvons, un mouvement comme celui que nous avons sous les yeux ces jours-ci, on ne PEUT PAS se contenter de le faire uniquement pour dire « non ». [07]
Il FAUT proposer autre chose – une chose complètement en dehors des termes de ce qui s’est retrouvé sur la table au départ et à quoi on a choisi de s’opposer.
Une « autre chose » qui nous fasse, en un mot, complètement quitter le terrain imposé par le camp auquel on fait face.
Il y a de nombreuses et excellentes raisons à cette nécessité – évoquons-en quelques-unes.
Commençons par deux classiques.
Merci, monsieur Clausewitz :
- La guerre (l’affrontement) est la continuation de la politique par d’autres moyens.
- Son but est :
- d’empêcher l’adversaire de nous imposer sa volonté et
- de l’obliger à faire ce que nous désirons qu’il fasse.
Et merci, monsieur Sun Tse :
- Avoir un objectif clair, simple et atteignable est primordial.
- L’une des conditions nécessaires à la victoire est la capacité dont on doit faire montre de NE PAS combattre sur le terrain de l’adversaire, mais de plutôt l’obliger à nous affronter sur celui de notre choix.
Synthèse : il faut se doter d’un objectif clair, précis et réalisable, et sous aucun prétexte ne se laisser entraîner à affronter l’adversaire sur son terrain à lui, ni dans des termes qui lui conviennent.
*
Dans le cas d’un affrontement comme celui dont il est question ici, ces nécessités, en plus de relever de la plus élémentaire des analyses, sont aussi vitales pour trois autres raisons :
D’abord pour permettre le développement d’un discours qui empêche la dislocation de la mobilisation.
Ensuite pour n’être pas totalement à la remorque du discours du vis-à-vis [08]. Autrement dit : un discours clair ET qui ne se contente surtout pas de répondre à l’adversaire sur son propre terrain n’est pas seulement CAPITAL pour mener l’action à bien, il l’est tout autant pour permettre de la CONCEVOIR, cette action.
Enfin, avoir développé un discours qui ne se contente pas de répondre dans les termes imposés est essentiel du fait de l’importance cruciale des médias… et de leur mode de fonctionnement. Les médias ne pensent pas. On pourrait même aller jusqu’à dire qu’ils sont, de manière générale, allergiques à la pensée. Ce qu’ils font, eux, dans la vie, c’est réagir. Au coup par coup. [09] D’où il ressort que, pour vivre, ils ont besoin que les choses bougent – ou qu’à tout le moins elles en aient l’air. Par conséquent, si tout ce qu’on a à répondre au camp adverse c’est « non, non et re-non », à n’en plus finir, les médias vont rapidement se mettre à bailler aux corneilles devant la répétition du discours, quelque brillante que soient sa forme et quelque qu’inventive que soit la capacité de renouvellement de cette forme. Il suffira alors de la moindre broutille que l’adversaire leur jettera en pâture pour que les médias se mettent à chanter sur tous les tons que le parti d’en face vient d’amorcer un renouveau digne de mention « qui relance le débat », ce qui sera censé démontrer que le camp des contestataires, lui, s’enlise inexorablement tandis que son adversaire « fait montre d’ouverture ». Cet état de fait accordera bien entendu un net avantage à l’adversaire, EN PLUS de saper la crédibilité du camp du refus. Autrement dit : s’il s’entête à ne rien dire d’autre que « non », et quelle que soit la brillance de ses manœuvres, non seulement le camp contestataire perdra-t-il l’avantage dynamique mais il deviendra de ce fait l’assiégé lui-même.
C’est comme ça qu’on perd les guerres. La recette est pratiquement infaillible.
Il est, donc, essentiel de NE PAS se contenter de dire « non », mais d’au contraire proposer autre chose, une autre chose qui déséquilibre l’adversaire et qui le force, lui, à nous répondre le fatidique « non, non, non » et à s’y enferrer, et à faire bailler d’ennui les journalistes.
Or, un des éléments fondamentaux de la situation actuelle est qu’elle concerne au premier chef… l’université, bien entendu.
Or, de tous les milieux, celui des universités devrait justement, en principe, être l’un des plus propices au développement d’un tel discours neuf ou en tout cas inusité ou en tout cas inspirant. Pourquoi ? À cause de la multiplicité des points de vue qui, en principe toujours, cohabitent en son sein ET de la capacité supposée aux professeurs et aux étudiants d’articuler leur pensée et de la transmettre de manière claire et éloquente.
Autrement dit : s’il y a un milieu entre tous où sont censées fourmiller les idées neuves, et où on est censé être capable d’en parler clairement, c’est bien à l’université.
Pourtant, de ces idées neuves, pas une seule n’a été mise de l’avant depuis le début du mouvement étudiant. Pas publiquement, en tout cas. Et certainement pas non plus en dehors du cadre d’un simple « non, non, non » qui, je le répète, constitue une des pires erreurs qui se puissent. [10]
***
Je recommence.
Après des années et même des décennies d’une apathie pour le moins navrante, qui n’était brassotée que de temps à autre, et pratiquement toujours que sur des enjeux très ciblés qui ne remettaient absolument pas en cause le soi-disant gros bon sens au pouvoir (et dans l’opposition), le mouvement étudiant actuel fait un bien immense.
Dieu du ciel, se surprend-on à avoir envie de crier… y aurait-il encore de la vie dans l’immense cimetière qu’est cette société ?! Qui l’eut cru ?!
Sauf que, presque toute de suite, on se rend compte que cette fougue a toutes les chances du monde d’être en train de se précipiter tête première contre un mur. Et qu’à en juger par la force de l’élan d’un côté et par la solidité du mur de l’autre… il y a fort à parier pour que ladite fougue ne soit sur le point de rien d’autre que de se retrouver sur le cul, à regarder danser des étoiles.
Pourquoi ?
Parce qu’une fois le mouvement lancé, il faut que cette fougue passe encore en vitesse supérieure. Et qu’elle se mette à PARLER !
Il faut qu’elle cesse d’être la simple affirmation d’un refus.
Et qu’elle se transforme en projet.
Ça tombe bien : le milieu universitaire est justement un de ceux qui, en principe, devraient permettre d’en imaginer, d’en développer et d’en mettre en circulation, des projets. « En principe », j’insiste.
Si le passage ne se fait pas d’un niveau d’enjeux à l’autre, les carottes sont cuites : la contestation actuelle n’aura sans doute essentiellement servi qu’à poser les jalons fondateurs de futures carrières politiques comme nous en connaissons déjà des masses : du nouveau, encore un coup, mais qui soit exactement semblable à l’ancien (Merci, monsieur Claudel).
Non seulement rien n’aura-t-il alors été changé à court terme mais, à moyen et à long terme les choses seront même devenues dans l’esprit des citoyens encore bien pires, encore bien plus inamovibles qu’auparavant : « R’garde, r’garde : ça sert à rien de s’énerver, tu vois ben ? Rest’ donc tranquille à maison, pis fais donc tes devoirs comme y faut, si tu veux un jour te pogner une bonne job… pis avoir une belle retraite. »
J’ai toujours trouvé ça cute à mort, les discussions de plans de retraite à vingt ans. « À mort », vraiment. Littéralement.
Le fait est que les étudiants ONT bel et bien lancé un mouvement. Et que ce mouvement, s’il a été déclenché par l’annonce de l’augmentation des frais de scolarité, a rapidement et largement débordé ce cadre.
Les étudiants sont désormais responsables de ce qu’ils ont mis au monde : un espoir.
Mais un espoir qui, jusqu’à présent, n’a pas dit son nom.
***
Mononk vous lance au visage quelque chose de tellement inacceptable qu’instantanément la casquette vous en part en orbite sur un grand jet de boucane, que vous tapez un grand coup sur la table et que vous hurlez à pleins poumons : « Y en est pas question ! »
Et là… le temps s’arrête.
Lui, Mononk, il a la bouche grande ouverte de stupeur – il n’est vraiment pas habitué de se faire répondre sur ce ton-là.
Et vous, vous avez la bouche grande ouverte de stupeur – le coup et la phrase ont parti tout seuls. Il vous faut même un bon moment pour vous rendre compte que oui, oui-oui-oui-oui-oui, c’est bel et bien vous qui venez de faire ça. Et, surtout, de dire ça !
Mais en fait, il ne s’est encore rien passé vraiment. Rien qui porte réellement à conséquences.
C’est justement dans ce moment de stupeur partagée que tout va se décider.
Si, quand il se sera écoulé, vous n’avez toujours rien d’autre à dire et à répéter à Mononk que « Non », « Je veux pas », « Ça me tente pas » et tutti quanti…. vous pouvez être certains que dans une heure, le temps de s’être replacé les neurones en face des trous, et comme de toute manière vous n’avez nulle part d’autre où aller, Mononk aura réussi à vous faire avaler de force la destination qu’il avait en tête dès le départ.
Mais si… aaaaah… si vous êtes assez vites sur vos patins pour ne pas en rester là et pour aussitôt embrayer sur « pourquoi » il n’en est pas question… et même, bien mieux encore… si vous parvenez à vous lancer sur ce que vous souhaitez d’autre, vous, dans votre vie, que cette « évidence » qu’il vient de vous lancer par la tête… tout est possible ! Tout !
Y compris que vous soyez devenu dans trente ans autre chose qu’une copie conforme d’un Mononk lançant à la face de ses innombrables neveux et nièces ses évidences passées date depuis Ramsès II.
Ce n’est pas tant le « non » qui a parti tout seul, qui importe, que ce qui, en vous, l’a provoqué. Puisque c’est l’examen de ce qui l’a provoqué en vous qui permet seul de départager si ce mouvement qui vient de vous prendre a été un simple coup de tête, une crise de bébé gâté, ou le début de l’éclosion d’une révolte véritable.
Quoi qu’il en soit… il est déjà beaucoup trop tard pour faire marche arrière.
Dès le moment où il a fusé, votre « non », il ne pouvait déjà plus être effacé : si vous ne parvenez pas à nommer, et vite ! et clairement ! l’autre route, celle qui vous mène, vous, à un tout autre regard sur votre propre vie que celle que Mononk vient de tenter de vous imposer… eh bien vous auriez vraiment, sincèrement, bien mieux fait de vous fermer la trappe !
Parce que si vous ne l’assumez pas, si vous ne l’assumez pas jusqu’au bout, la SOURCE de votre refus, vous pouvez être assuré d’une chose : pour le restant de votre vie, chaque maudite fois de votre damnée existence que, couché à terre, la face dans le tapis, vous aurez la moindre velléité de répondre à Mononk autre chose qu’un « oui » tonitruant… lui, il va lever les yeux au ciel, se faire une belle ‘tite bouche en cul de poule, se brasser les mains en l’air et lancer au plafond d’une voix de fausset « Y en est pas question ! », avant d’éclater de rire en se tenant le ventre à deux mains.
Trop tard pour n’avoir rien fait, les copains !
Sorry.
Il n’y a plus devant vous que deux avenues possibles.
Mais, fort heureusement, l’une des deux porte tellement de noms qu’on pourrait tout aussi bien dire qu’il n’y en a que mille.
Ou bien vous continuez de vous contenter de répéter « non, non, non ». Et les choses finissent par écrapoutir. Et tout le monde rentre se cacher dans son trou.
Ou bien vous passez à… autre chose.
***
Je précise d’abord :
Par « autre chose », je n’entends pas du tout « faire tomber le gouvernement ».
D’autant moins qu’en l’occurrence, quand bien même il tomberait… est-il envisageable que celui qui prendrait sa place ferait autre chose que celui qui est là pour le moment ?
Justement.
Mononk, il a des sœurs et des frères, n’oubliez pas ça.
Si le premier écueil qu’on rencontre après avoir tapé sur la table et avoir hurlé « Non », c’est le risque de ne plus avoir rien d’autre à bafouiller que la répétition de la même chose, le second danger, quant à lui, consiste à se faire récupérer par quelqu’un d’autre de sa famille, à Mononk, qui voudrait bien hériter de sa job. Et qui la ferait d’ailleurs essentiellement de la même manière que lui.
Ou en pire encore.
Mononk, il est peut-être bien la plupart du temps ennuyant comme la pluie au point de nous en faire douter que le soleil ait jamais brillé pour de vrai… réussir à sauter de son registre à lui à celui du chantage émotif de sa sœurette, toujours prête à s’arracher les couettes en pleurant que c’est elle la plus fine au monde pis que ce sont tous les autres, tous ceux qui ne sont pas béats d’admiration devant elle, qui sont des pas fins… je ne suis pas sûr du tout que ça entre dans la catégorie des grandes victoires politiques qu’on ait à viser.
Le second piège, il s’appelle donc « récupération ». Et s’y laisser prendre mène tout droit, à terme, c’est-à-dire dans quelques années à peine, à ce que d’autres étudiants encore se retrouvent dans la même eau bouillante, assis drette devant Mononk ou bedon drette devant Matante ou bedon drette devant Mononk-Bis, à se faire lancer, DANS LE MEILLEUR DES CAS, exactement les mêmes affaires, sur le même ton, et dans le même but qu’aujourd’hui.
Pas fort, mettons.
Par « autre chose », je n’entends pas du tout non plus le lancement d’un « vaaaaste » débat sur les frais de scolarité en particulier ou sur le financement du réseau universitaire en général.
Parce que le financement de l’éducation supérieure et l’opportunité d’avoir ou pas recours à telle ou telle mesure spécifique pour l‘assurer, cela relève de l’ordre des MOYENS.
Tandis que la chose qui manque, et l’espoir qui émane de la contestation mise en branle a trait directement à elle, c’est un débat sur les BUTS visés.
Eh oui, c’est ça qu’il y a de si marquant dans ce qu’évoque ce vous faites depuis trois mois, chère gang : l’impression que vous êtes sur le point de commencer à parler d’autre chose que du ronron habituel. Et à en parler autrement. D’une manière qui jusqu’ici n’a pas eu cours dans notre société. Et que c’est justement ça qui vous fait chier : qu’il n’en soit pas question !
Et bien LA chose dont il n’est jamais question, dans cette société, chers et respectés amis, c’est… de buts !
Il ne suffit absolument pas d’expliquer à Mononk ce que vous avez envie de faire d’autre que ce que lui tente de vous imposer, parce qu’alors il n’aura qu’à changer l’empaquetage de sa salade, à hurler « Nouvelle et améliorée ! » puis à se remettre à vous la passer dans la face en tentant de vous la faire entrer dans les trous de nez, pour que n’ayez plus rien à lui répondre.
Non, ce qu’il faut surtout que vous réussissiez à exprimer, c’est POURQUOI ce que vous souhaitez, vous, est FONDAMENTALEMENT incompatible avec son PROJET à lui.
Et pour atteindre cet objectif…
Eh bien… on peut bien discuter jusqu’à plus soif des mérites du bazou jaune en regard des vertus du bazou vert, on ne risque certainement pas d’aboutir à grand-chose de concluant tant qu’on ne se sera pas demandé POURQUOI on en a besoin d’un, bazou. Ah bon, pour aller quelque part ? Mais… où, ça ?!
Ce n’est pas le sacrebleu de bazou, le problème ! C’est la DESTINATION visée, sur laquelle on ne s’entend pas !
Le sempiternel discours sur les moyens et sur la faisabilité, la rhétorique de la liste d’épicerie, c’est le troisième piège qui vous guette. Et ce n’est certainement pas le moins dangereux des trois.
Pour une foule de raisons. En voici deux.
D’abord parce que toujours tout envisager uniquement dans la perspective des moyens, et jamais dans celle des fins, c’est justement le propre du discours de Mononk. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, trois cent soixante-cinq jours par année, quel soit le sujet, quelle que soit l’urgence et quel que soit le temps qu’il fait. Croire que les questions doivent uniquement être abordées en termes de moyens, ce n’est pas un attribut parmi d’autres du discours de Mononk… c’en est le cœur, l’âme et le principe !
Mettez la main dans cet engrenage-là et zouf… vous rentrez dans le mur ! Tant qu’à lui répondre dans ces termes-là, il serait sans doute encore bien plus simple (et bien moins fatiguant pour tout le monde) de carrément vous sacrer la tête dans la bouche de son canon et de crier « Feu ! »
Deuxième raison. Parce que, de toute manière, à une liste d’épicerie on peut toujours en opposer une autre.
Et qu’en plus, une liste d’épicerie dont tu n’as pas discuté en profondeur les enjeux a de maudites bonnes chances de te péter au visage.
Un exemple.
« Gel des frais d’accès à l‘université », voire même « gratuité complète », vous dites ? Ah oui ? Vraiment ? C’est bien ça et rien que ça, que vous voulez ?
Eh bien, dans ce cas…
1- Comment justifiez-vous donc que les études supérieures soient pour ainsi dire gratuites pour ceux et celles qui ont déjà eu assez de chance pour se rendre jusqu’à elles – ce qui fait DÉJÀ d’eux et d’elles, sur un méchant temps, de véritables privilégiés — alors que le taux de décrochage, au secondaire, dans cette société, est proprement vertigineux EN PARTICULIER DANS LES QUARTIERS PAUVRES et que la moitié (49,7 %) de la population adulte du Québec a de la misère à comprendre ce qui est écrit sur une pinte de lait ?
Comment ?! Hein ?!
C’est ça, que vous appelez « justice sociale », vous autres, peut-être ?! Faire en sorte que les plus pauvres et les plus mal pris aient à payer encore plus de taxes et d’impôts, pour que vous vous voyiez vos privilèges à vous être encore renforcés puis fondus dans le bronze ?!
Ne devrait-on pas plutôt parler ici d’élitisme à l’état pur ?!
2- Si elle a de telles vertus, la gratuité scolaire… comment expliquez-vous donc que DEUX des trois principaux leaders étudiants soient issus de collèges privés ?! Hein ?!
Le fait ne tendrait-il résolument pas plutôt à prouver sur un sacrament de temps les vertus de l’enseignement pour lequel on paie directement de sa poche ?!
*
Wo ! Arrêt !
De deux choses, l’une :
1- Si – que Vishnou nous en garde – le mouvement étudiant actuel ne vise aucun autre objectif que le retrait (nécessairement momentané) de la hausse des frais de scolarité, les deux critiques que je viens de formuler sont sans conteste au nombre de celles que je lui oppose… farouchement.
2- Si, au contraire, et comme, à tort ou à raison, je l’espère, la lutte contre la hausse n’a été que le déclencheur d’une révolte plus vaste; si, en d’autres termes, ce n’est pas tant la question de sous qui importe ici que celle du ton méprisant et de la perspective politique niaise de la décision qui vous a été balancée au visage… eh bien ce qui précède ne constitue absolument plus une critique que je formule, moi, au sujet de la gratuité scolaire, mais simplement l’énoncé de deux exemples fort simples du sort que l’on peut facilement faire subir à une liste d’épicerie qui n’est pas présentée dans la perspective d’un véritable projet : elle a, oui, toutes les chances du monde de se transformer instantanément en champ de mines. Et bonne chance pour sortir de là avec tous vos organes intacts !
*
Maintenant, reprenons.
Ce que j’entends par parler « d’autre chose », ce n’est donc pas parler de simples moyens. Parce que des moyens ne sont JAMAIS uniquement de « simples » moyens. Ils parlent TOUJOURS de bien davantage que de leur simple utilité supposée.
Lancer un débat sur les moyens sans même avoir préalablement abordé la question des buts visés, c’est donc faire encore bien pire que de partir prendre son trou : c’est démontrer, preuve à l’appui, nuit de marche après nuit de marche, qu’on est au fond parfaitement d’accord avec la… euh… la philosophie qui sous-tend les décisions de Mononk !
*
Allo ? Oui ? C’est clair ?
Je viens de dire : si vous descendez dans la rue sans avoir de projet digne de ce nom… tout ce que ce que vous êtes en train de faire, c’est de démontrer que la vacuité militante de Mononk… vous êtes non seulement d’accord avec elle, mais que c’est même d’elle, fondamentalement, que vous êtes en train de faire l’éloge !
Alors après ça, hein…
Vous pourrez bien me raconter tout ce que vous voudrez sur ce qui différencie vos positions à vous de la sienne… mettons, pour dire les choses un peu poliment, que le smirk que vous me verrez sur la face, ce ne sera pas vraiment de la frime.
Vous voici donc placés devant un saint-sacrebleu de défi !
De quoi allez-vous donc parler ?
Eh bien, il ne me parait guère y avoir d’alternative : vous allez devoir parler de buts ! Des vôtres !
Vous allez donc devoir sauter hors du champ habituel des jasettes politiques, aussi radicalement que vous avez sauté hors de vos salles de cours.
Vous allez devoir nommer… votre rêve !
La question n’est ABSOLUMENT pas de savoir si la contestation actuelle réussira ou pas à faire s’articuler un projet politique, certainement pas non plus de déterminer si un tel éventuel projet serait réalisable ou pas, et encore bien moins à quelles conditions que si que quoi que où, du moment que.
Viser ça, ce serait encore être resté dans l’ordre des moyens — mais de moyens un peu plus sophistiqués que ceux dont la litanie nous est habituellement imposée et c’est tout.
Le but premier de la contestation actuelle devrait être de permettre FORMULATION de nouveaux projets !
J’insiste, je souligne, sur surligne, et j’accroche des pompons fuschia qui flashent : LES projets ! Au pluriel !
Et surtout : les RÊVES ! Les rêves, dont ces projets-là seraient les émanations.
La question qui vous pend au bout du nez, c’est celle-ci : cette société vous convient-elle comme elle est, oui ou non ?
Et POURQUOI ?!
AU NOM de quoi ?!
*
Il y a quelques mois à peine, des centaines de milliers de Québécois, isolément, chacun de son bord, chacun tout seul derrière un petit mur de carton et devant un petit morceau de papier, un petit bout de crayon au plomb à la main, ont fait avaler leur cerise aux éleveurs de troupeaux qui étaient convaincus, eux, depuis des générations, de père en fille, d’être les seuls à savoir ce qui est bon pour le rendement du bétail.
Ces gens-là, tous seuls dans l’isoloir, tout à coup, ont voté pour le NPD… c’est à dire non pas du « bon bord » ni du « mauvais bord », ni même du « deuxième mauvais bord »… mais d’un « autre bord ». Complètement inattendu. Sorti pour ainsi dire de nulle part, paf !
C’est comme ça que toute une talle d’abonnés de la route Montréal-Ottawa se sont retrouvés la mâchoire pendante, la boite de Kleenex à bout de bras.
Vous pouvez bien y comprendre ce que vous voudrez, mes très chers amis, voici mon interprétation à moi de ce qui s’est passé ce jour-là : essentiellement, ces centaines de milliers d’individus-là ont hurlé en silence « De l’air, baptême ! »
Un tout petit peu plus tard, le mouvement « Occupons » surgissait et non seulement prenait leur relais mais lançait même la balle encre plus loin : « Ça suffit ! »
Comme je ne crois pas à la génération spontanée (Merci, monsieur Pasteur), je ne suis pas, mais alors pas du tout, enclin à penser que ce puisse être le fruit du hasard si tout à coup, dans la société-même où on a réussi ces deux coups fumant-là l’an dernier, des milliers de jeunes se foutent aujourd’hui à poil au beau milieu de la rue sous le regard des policiers en armure, pour dire, eux aussi, qu’ils ne sont pas d’accord.
Alors moi, je vous dis :
OK !!! Fine !!! All right !!! Mais… pas d’accord avec QUOI ???!!!
Et surtout : au NOM de quoi ?
Évidemment, je sais, je sais, je sais : rien de plus compliqué au monde, comme ça, de but en blanc, rien que sur une pinotte, que de nommer son rêve.
Mais compliqué ou pas, il n’y a pas d’alternative : il FAUT que vous y parveniez.
C’est ou bedon ça… ou bedon Mononk et sa famille, pour l’éternité.
La balle est dans votre camp.
Dans AUCUN autre.
*
Vous avez un atout dans votre jeu, les copains. Un atout formidable. D’une inestimable valeur.
Vos études.
Parmi vos profs et parmi les amis de vos profs, ici, ou à côté, ou à l’étranger, vous disposez d’un accès pour ainsi dire direct à tout ce qui se dit, se pense, se mijote et macère sur la planète entière !
Dans toutes les perspectives, imaginables ou pas.
Vous n’avez que le petit doigt à lever.
Alors si, là, tout de suite, vous ne savez pas quoi faire pour empêcher le mouvement de se défaire, pour empêcher les choses d’éffouérer… je vous lance la première piste qui me passe par la tête – prenez-la pour ce qu’elle vaut.
Cette société pue le renfermé.
Elle pue la mort et le désespoir à vingt-cinq ans.
Aussi vibrante qu’une carcasse de bœuf au milieu du désert.
Alors… bout d’ christ !
S’il y a un seul gramme de vérité profonde dans vos actions des dernières semaines, allez-y ! Foncez ! Ouvrez-les, les fenêtres !
Convoquez… Je l’ sais-tu, moi ? Ah ! Les États généraux du rêve, tiens !
« Les États généraux du rêve humain »… ce serait pas pire, comme coup d’envoi pour votre réflexion, ça, non ?!
Qu’à partir de septembre qui vient, d’un bout à l’autre du Québec, on voie défiler chaque jour, un an de temps, à quatre de front par jour, à dix, à douze, tous les penseurs, tous les brasseurs d’idées, de rêves et d’espoirs que compte cette foutue planète ! Demandez leurs adresses à vos profs… et foncez !
Invitez-les ! Tous ! Dans l’ordre, le désordre ou même le brouhaha que vous voudrez ! Le Dalaï-Lama et Fidel Castro ! Les Prix Nobel et les Rock Stars ! Les poètes ! Les penseurs ! Gorbatchev, tiens ! Vous voulez savoir ce que c’est, changer une société coulée dans le ciment ? Demandez-le-lui donc, à lui ! Invitez… des politiciens qui ont des amis ailleurs que dans la pègre ! Il doit bien en rester, quelque part ? Et puis des chercheurs ! Des scientifiques ! Des philosophes ! Des révolutionnaires et des mères de famille ! Même des curés, si ça vous branche, j’ m’en tape ! Organisez un gigantesque congrès de l’espoir ! De toutes les couleurs !
« Quoi faire ? » « De sa vie ? » « De sa société ? » « Comment ? » « Pourquoi ? » « Au nom de quoi ? » « Au nom de qui ? » « Dans quel ordre ? » « On commence où ? »
Un feu roulant ! Un raz de marée !
Et posez-leur vos questions ! Et répondez-leur ! Et engueulez-vous !
Mais parlez !
Parlez, bout d’ christ !
Vous avez le choix :
Passer à l’histoire – ou à ce qui en reste – pour avoir été ceux qui ont non seulement organisé la énième contestation étudiante à s’être faite ramasser carré, mais qui a même répondu aux voteurs de l’an dernier et aux gars et aux filles du mouvement Occupy que vous, ces niaiseries-là, vous n’en avez rien à cirer. Et que vous, rien d’autre ne vous intéresse dans la vie que de poursuivre l’œuvre de Mononk et de Harper – parce que oui ! au total, c’est de ça et de ça seulement qu’il s’agirait alors…
Ou bien devenir ceux qui ne se sont pas contentés d’essayer et qui ont enfin commencé à… commencer à leur répondre, à Mononk et à sa famille ! Pour vrai !
Savez-vous quoi ?
Je suis convaincu que ce sera la première hypothèse qui se vérifiera.
Savez-vous quoi ?
Tout de suite, là, là, rien n’aurait plus de chance de me faire éclater en sanglots, de pure joie… que de me faire prouver que j’ai tort.
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Brouillon 01b – 4 / 6 mai 2012