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Toujours sur le thème « Alternatives à une ixième reprise de Bonne poule, Bad coq »…
… voici, tirés de ma petite banque d’idées rien qu’à moi, quelques exemples de sujets de films historiques possibles qui me sont venus au fil des âges – et qui, tant qu’à y être, offriraient aussi un contrepoint fort bienvenu aux « Aaaah… ce qu’ils ont trimé dur, nos pôvres ancêtres, diguidi guidi ha, su leux terres bourrées d’ cailloux, dondaine donda, au bord du bô grand fleuve, tiralon lonlaire ».
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Je sais parfaitement, merci beaucoup, que c’est on ne peut plus vrai que nombre d’entre eux et elles ne l’ont fort souvent pas eu facile du tout.
Mais si, rendus en 2017, avec le nombre d’œuvres de toutes sortes qui ont disséqué le sujet sous toutes ses coutures, le public n’a pas encore compris, je ne vois vraiment pas en quoi le fait d’en rajouter encore 5 ou 6, ou 30 ou 40, viendra à bout de l’incompréhension.
Autant passer un peu à d’autres sujets, non ?
Il n’y a pas eu UNIQUEMENT du pauvre monde condamné à tasser des roches pour faire pousser leux patates, dans l’histoire de cette société.
Au fil de l’histoire, les citoyens du Québec ont rencontré dans leurs vies bien d’autres problèmes que la seule hauteur que le blé d’Inde daignait ou pas atteindre.
Et bien d’autres joies que celle de changer la couche du 23e rejeton… en revenant des funérailles du numéro 3, le seul des 5 premiers à avoir atteint l’âge adulte, mort à 22 ans dans un chantier d’abattage d’avoir reçu un arbre complet sur la noix.
Ces choses-là ont eu lieu – mais il n’y a pas eu qu’elles.
***
En plus du remarquable Jean-Charles Harvey, donc, dont bien des épisodes de vie suffiraient à vous nourrir plusieurs fois, et sur un maudit temps, un deux heures de grand écran – et en plus d’une possible adaptation de son décoiffant roman Les Demi-Civilisés, comme le faisait si justement remarquer Éric Champagne (grand merci à lui !) – …
… voici quelques pistes résolument brouillonnes – mais qui, chez moi en tout cas, suffisent déjà amplement à faire rêver.
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1) « Ma chérie, je t’écris ceci au bord d’une petite oasis, au milieu d’un océan de sable… »
Anecdote lue je ne sais plus trop où, il doit bien y avoir de ça au moins 25 ans.
Années 1860-1870, par là.
Un Canadien français (p’t’êt’ ben un Acadien, ou bedon un gars de La Malbaie, ou bedon d’Ottawa, me rappelle pus) traverse… le désert du Sahara à dos de chameau !
Oui, madame ! (Vous saviez pas ça, vous, que personne d’ici, avant 1960, ne sortait jamais d’ cheux nous ?!)
Il accompagne un groupe de Touaregs – rien de moins !
Arrive la fin du jour.
Le groupe installe son campement pour la nuit au bord d’un oued et prépare le souper.
Mais v’là ti pas que, arrivant en direction inverse sur l’autre rive de l’oued, un second groupe d’Hommes Bleus s’amène, et installe son propre campement pas loin du premier.
Le souper passe.
Autour du feu, on se raconte ensuite des anecdotes (je sais pas s’il leur restait ou non des guimauves à faire fondre).
Quand tout à coup, notre Canadien-français-sorti-de-chez-eux-mais-c’était-rare-en-pas-pour rire-du-monde-de-même-dans-ce-temps-là, entend, venant de l’autre camp, un chant triste qui s’élève :
« Un… Canadien errant… banni de ses foyers… »
Pas un qui s’adonne à passer par là, deux Canadiens-français ! Qui se croisent… par accident… en plein cœur du Sahara !
Un siècle avant la damnée soi-disant Révolution tranquille !
Si ça, ça mérite pas un film, bout d’ calvaire, qu’est-ce qu’y vous faut ?!
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2) « Ma chérie, je t’écris de New York… »
Dans ses Mémoires, Georges-Émile Lapalme raconte que c’est un ancien camarade de classe de son papa au temps de leurs études au collège de… de Joliette, je pense…, un ancien camarade qui s’appelait Leblanc, si ma mémoire m’est fidèle, qui, plus tard, dans les années 1920, préside à New York à la fusion de deux banques – La Chase, et la Manhattan –, se retrouvant ainsi au cœur de la naissance de ni plus ni moins que la plus grande banque du monde, à l’époque : la Chase Manhattan Bank !
Rappelez-moi de vous expliquer en détails pourquoi, avant 1960, il n’y avait au Québec, en dehors des maudits Anglais, QUE de pôvres cultivateurs crève-la-dalle.
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3) Trois-Rivières-Sur-Le-Nil
En 1884-1885, au cours de l’insurrection mahdiste, le général britannique Gordon et ses troupes se retrouvent assiégés dans Khartoum, au Soudan – où ils finiront par se faire massacrer.
À Londres, bien entendu, dès qu’on apprend la nouvelle du siège, on décide illico d’envoyer des renforts en toute urgence. Mais… par quel chemin, sacrebleu ?! La tâche est mauditement compliquée : regardez sur une carte…
… Khartoum est très loin des côtes – inutile, donc, de songer à envoyer une flotte de guerre. Tandis que par voie de terre, c’est carrément l’enfer : pas la moindre route digne de ce nom – aucune, en tout cas, qui permette l’avancée rapide d’une armée comme celle qu’il faut envoyer – ça lui prendrait une éternité pour se rendre !
Seule solution ? Lui faire remonter le Nil, à cette armée !
Mais bon sang de bon soir, comment réussir un coup pareil ?! Une armée ? Sur un fleuve ? Avec les rapides, les cataractes, et tout ?
Ah ! Coup de génie ! Pour guider les grosses barges, on va faire appel à… des draveurs ! Eux, ils vont savoir comment passer !
C’est comme ça que l’expédition de secours se met en route à partir de l’Égypte, menée par des draveurs du Manitoba et de la Mauricie, et guidée par… un Québécois ! Un Père… Bouchard, me semble-t-il. Pourquoi par lui ? Oh, parce qu’il connait le Soudan comme sa poche et parle couramment l’arabe, c’est tout !
Rappelez-moi de vous expliquer en détails pourquoi, avant 1960, il n’y avait dans nos rangs, pôvres de nous, QUE…
Bon bref. Une gang de gars de la Mauricie et de Winnipeg, menée par le Père Bouchard, qui à eux tous encadrent l’armée britannique qui fonce au secours de l’empire assiégé… non ? Ça vous sonne pas de cloche ?!
Baptême, une chance que dans l’ temps c’est pas à vous que George Lucas a proposé son Star Wars – le scénario se serait retrouvé direct au compost !
–
Oh, et puis j’allais oublier. Il y a même un sous-sujet épatant.
Vous savez quoi ? Dans l’armée de secours, il y a, à l’insu de tous, y compris du Père Bouchard, de ses joyeux draveurs et des officiers britiches à énormes moustaches et rouflaquettes…

…une jeune femme travestie en officier anglais !
Puisque je vous le dis !

Elle venait tout juste de se fiancer à un jeune, brillant et pimpant officier de l’armée de sa Majesté la Reine et Impératrice Victoria, quand le promis en question a été shippé au Soudan avec Gordon. Elle a tout fait pour obtenir la permission de l’accompagner – mais a fait rire d’elle dans tous les bureaux de ministères où elle a réussi à se faufiler.
Elle est donc restée à Londres, à se morfondre.
Quand un bon jour, bang, la nouvelle arrive : siège de Khartoum !
Son cœur, son amour, sa passion est en danger de mort !
Cette fois, elle ne fait ni une ni deux : elle s’invente une fausse personnalité, s’aplatit les seins avec de larges bandes de coton… et part, en uniforme, déguisée en soldat de l’expédition de secours !
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4) » Mon épouse bien-aimée, je t’écris de Genève… »
L’ancêtre des Nations Unies s’appelait La Société des Nations.
Elle avait été fondée au sortir de la 1ère Guerre Mondiale pour tenter d’empêcher qu’il y en ait une 2e.

De 1924 à 1930, la délégation canadienne auprès de la SDN est dirigée par un Québécois. Eh oui.
Il lutte pour que la voix du Canada soit, dans cette enceinte, distincte de celle de l’Angleterre : « Il est important, écrit-il, que le Canada dès les premières années à Genève, habituât la Grande-Bretagne à la pratique de l’égalité entre les nations sœurs du Commonwealth. »
En 1924, il participe à la rédaction du Protocole de Genève, première convention internationale à interdire l’utilisation des armes chimiques.
Il défend les droits des minorités ethniques en Europe.
Et, en 1924, il devient même Président de l’Assemblée elle-même – toutes proportions gardées, l’équivalent, de nos jours, du Secrétaire Général de l’ONU, donc.
–
Un… Québécois… vous l’ai-je précisé ?
Secrétaire de l’Assemblée de la Société des Nations !
Je ne doute pas une seule maudite seconde que vous connaissez l’histoire de votre société sur le bout des doigts, et que par conséquent vous n’aurez strictement aucune difficulté à l’identifier…
(…)
J’attends…
(..)
J’attends toujours…
(…)
Bon c’est correct, j’ai compris.
Il s’appelait Raoul Dandurand.
Hen ?! Tu veux dire que c’tait même pas un faux-Québécois, j’ veux dire… un estie d’Anglais ?
Hé non… désolé. Meilleure chance la prochaine fois.
***
5) « Chère âme, je vous écris de Berlin… »
Vous savez c’est qui, ça ?
Non ?
(M’en doutais un peu.)
–
Eh bien imaginez-vous donc que c’est un médecin, qui a été député et à Québec et à Ottawa, il a même été ministre, né en 1869 près de Louiseville, au Québec, et décédé en 1935.
Il s’appelait Henri Béland – dans le genre « nom bien de chez nous », difficile de faire mieux.
Marié en secondes de noces à une Belge, Béland est en Europe avec sa nouvelle épouse quand éclate la 1ère Guerre Mondiale. Le couple se rend en toute hâte à Kapellen (ou Capellen), près d’Anvers, où la famille d’Adolphine possède le château Starrenhof…
… et Henri s’engage comme médecin à l’hôpital – en reconnaissance de quoi le roi de la Belgique lui conférera après la guerre le titre de Chevalier de l’Ordre Très Distingué de la Couronne de la Belgique.
En attendant, à l’arrivée des Allemands, il est arrêté en tant que ressortissant d’une nation ennemie, et interné, de mai 1915 à mai 1918, dans une prison de Berlin.
En 1919, il publie le récit de son incarcération : Mille et un jours en prison à Berlin.
Extraits :
Ce jour-là, une atmosphère de religiosité enveloppait l’imposante chaîne de montagnes qui séparent l’Espagne de la France. Le Congrès Eucharistique, qui prenait fin, avait réuni, à Lourdes, un nombreux clergé et un peuple immense venus de tous les coins du monde. Tous – fidèles par centaines de mille : laïques, prêtres, prélats, évêques, princes de l’Église – avaient, la veille au soir, mêlé leurs voix dans les chants pieux de l’inoubliable et grandiose procession aux flambeaux en face de la Basilique, pendant que là-haut, au sommet du Pic du Gers, la croix flamboyante se détachait dans la nuit profonde. Cette croix de feu, au fond de la nue, semblait rappeler la parole angélique d’il y a deux mille ans : Pax hominibus bonae voluntatis. (01)
C’était le 26 juillet 1914, un dimanche. Nous nous promenions, ma femme et moi, dans le parc d’un village pyrénéen. Le soleil dardait ses rayons chauds et vivifiants, incendiant toute la vallée du Gave. Soudain, un camelot s’approche de nous portant sous son bras un paquet de journaux. Le gamin criait à tue-tête :
– C’est la guerre ! C’est la guerre !
Nous lui coupons la parole en posant cette question :
– Quelle guerre ?…
– Mais la guerre entre l’Autriche et la Serbie, monsieur. Vous aurez tous les détails en achetant mon journal : la Liberté du Sud-Ouest.
En effet, ce matin-là, toute la presse européenne publiait le texte de l’ultimatum, désormais fameux, que l’Autriche venait de lancer à la petite Serbie.
Le lendemain, dans le rapide qui nous ramenait de Bordeaux à Paris, nous trouvions, à chaque gare importante, les plus récentes éditions des quotidiens français où était commenté à profusion, avec passion et nervosité, le document diplomatique qui menaçait de troubler la paix de l’Europe. – On discutait fiévreusement dans le compartiment où nous étions : – « C’est bien encore et toujours la perfide Autriche !… » D’autres ajoutaient : – « C’est encore plus l’ambitieuse et traîtresse Allemagne qui inspire l’Autriche ! »
(…)
Quel spectacle que celui de l’exode de tout un peuple vers un pays étranger ! Nous en avons été les témoins navrés. A mesure que les Allemands s’approchaient de la ville d’Anvers du côté sud et du côté est, la population de Malines et des environs, les habitants de Duffel, de Lierre, de Contich, de Vieu-Dieu et de cinquante autres villes et villages situés entre la ligne extérieure et la ceinture intérieure des forts, se déversaient dans la ville d’Anvers. Lorsqu’il devint évident, le mardi et le mercredi, que la ville dans laquelle ils s’étaient réfugiés et où ils avaient cru trouver un sûr asile, devait elle-même subir le bombardement de l’artillerie allemande, toute cette population et celle d’Anvers – peut-être 500,000 personnes en tout – se ruèrent de tous les côtés pour échapper au feu menaçant. 200,000 environ traversèrent l’Escaut vers Saint-Nicolas et le territoire hollandais au sud de la rivière; 250,000 à 300,000 débordèrent sur la grande route Anvers-Rotterdam.
Dans les derniers jours de l’agonie d’Anvers, j’ai été le témoin constant de ce lamentable exode. Le matin, me rendant en bicyclette de Capellen à Anvers, je remontais pour ainsi dire le flot des réfugiés, et le soir, en revenant à Capellen, je suivais le même flot, sans cesse s’augmentant et fuyant interminablement.
Comment décrire ce spectacle, grandiose s’il n’eut été si lugubre, et d’un pathétique dont il y a peu d’exemple dans l’histoire; des vieillards, des femmes et des enfants, portaient sur leur dos, dans leurs bras, traînaient dans des brouettes, dans des véhicules de toute description, du linge, des objets de piété, des meubles petits ou grands, des lits, des matelas, des chaises, enfin, tout ce que l’on avait pu emporter… D’autres, j’oserais dire plus fortunés, emmenaient la vache et la chèvre, le vieux cheval, un mouton ou le chien fidèle… Tous allaient tête basse, harassés, déprimés, affaissés.
Je n’oublierai jamais ce pauvre vieillard qui vint, un soir, nous demander asile. Il poussait péniblement, et depuis combien de temps, une brouette dans laquelle était assise sa vieille épouse impotente et paralysée ! Il en fut ainsi tous les jours pendant le siège. A la résidence de Capellen, des centaines et des centaines de réfugiés entraient dans le parc et dans le jardin, et s’improvisaient un gîte pour la nuit, sous les arbres et dans les buissons. D’autres, les vieillards, les femmes ou les malades, étaient admis dans la maison. Les chambres, les corridors, les greniers et les caves, tout était rempli.
Le lendemain matin, ces pauvres réfugiés reprenaient leur marche vers la Hollande, et c’était de nouveau le triste défilé de cette longue et lamentable théorie de nécessiteux allant tout droit devant eux, sans but, en quête d’un foyer étranger qui daignerait leur être hospitalier !…
Le vendredi, jour de la prise d’Anvers, les troupes allemandes entrèrent dans la ville vers 9 heures du matin.
–
« Ah, écoute, arrête ! Faut tu comprennes, René-Dan ! Ben oui, y a eu des affaires tout croches, dans notre histoire… mais c’est parce que dans l’ temps, le monde, ici, y savaient pas – y savaient rien pantoute ! Personne était jamais sorti ! Faut tu comprennes : ici, y avait rien d’autres que des cultivateurs pauv’ comme la gale, le cul vissé su leux terres ! »
Si je ne les ai pas entendues cinq cents fois, ces esties de plaies-là, c’est que c’est mille fois, qu’on me les a dites !
***
6) IL ÉCRIT : “Si vous regardez une carte de l’Europe, remarquez à quel point la Grèce ressemble à une main squelettique plongeant ses doigts crochus dans la Méditerranée”.
Et cette dame, elle, vous savez qui c’est ?
Non ?
Eh bien, permettez-moi de vous présenter madame Emma Goldman (1869-1940). L’une des femmes les plus déterminées, les plus solides et les plus énergiques dont j’aie entendu parler, toutes époques confondues – très certainement sur un pied d’égalité avec la reine Elizabeth 1ère d’Angleterre… mais d’une toute autre couleur politique. Activiste, libertaire, féministe et anarchiste, elle était presque littéralement une révolution à elle toute seule.
Je vous laisse le loisir de la découvrir un peu par vos propres moyens – allez-y fort !
Pourquoi est-ce que je vous parle d’elle ?
Pour deux raisons. D’abord parce que je ne peux pas m’empêcher de céder à la tentation de lui rendre hommage – y a toujours ben un bout’ à tout l’ temps parler rien que des curés moisis et des vieux vampires fascistes qui peuplent les pages de notre histoire – de l’air, un peu ! Et ensuite pour introduire un de ses amis.
(Cela dit, s’il vous prend l’envie soudaine de faire un – ou sept – films sur Emma… ne vous gênez surtout pas pour moi.)
—
Cet ami, il s’appelle Will Durant.
Je vous en dis deux mots.
Né en 1885 au Massachusetts de parents venus du Québec, son père est originaire de Chambly, le jeune Will est – bien entendu – destiné à la prêtrise. Mais il se rebelle.
Il quitte le séminaire, est excommunié et s’enfuit à New York, où il se retrouve plongé dans les milieux anarchistes. C’est là qu’il fait la connaissance d’Emma Goldman… et de Chaya Kaufman, qui devient un peu plus tard – à quinze ans – son épouse et collaboratrice, et qu’il appellera pour le reste de leur vie “Ariel”.
Son Histoire de la Philosophie parait d’abord, en 1921, puis ils s’attellent tous deux à une Histoire de la Civilisation en 11 tomes qui leur demandera – à Ariel et à lui – quarante années de travail.
On estime qu’à ce jour plus de 17 millions d’exemplaires de leurs livres ont été vendus de par le monde.
Lui, est considéré comme étant peut-être le plus grand vulgarisateur du siècle, aux USA, en philo et en histoire.

—
Durant, pour moi, ce n’est pas trois, quatre ou sept films possibles. Lisez à son sujet et vous allez voir que des films inspirés de sa vie ou des thèmes sur lesquels il a bûché, il y en aurait au bas mot vingt-cinq à faire, tous plus fascinants les uns que les autres.
Dès la toute première fois que j’ai lu à son sujet, il s’est transformé en symbole, à mes yeux. Celui de ce que le Québec au complet aurait pu devenir s’il avait eu le front de s’arracher aux curés et de prendre le risque de la vie.
—
Oh, et soit dit en passant :
Il y a à Montréal une station de métro Lionel-Groulx, une autre baptisée Henri-Bourassa. Il y existe une rue Mentana qui célèbre la mémoire de Québécois qui sont allés, volontaires, déguisés en Zouaves, combattre la démocratie en Italie. Il y en a même une Tardivel et une Louis-Veuillot.
Mais la dernière fois que j’ai regardé, il n’y avait même pas un bout de ruelle à s’appeler Will-Durant.
C’est tout.
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7) “Bien cher papa, je t’écris d’Espagne… »
La Guerre Civile espagnole se déchaîne de 1936 à 1939. C’est le conflit armé qui, durant la première moitié du 20e siècle et exception faite des deux guerres mondiales, fait le plus grand nombre de victimes – directes et indirectes : sans doute autour d’un million.

Elle consiste en l’affrontement des Républicains qui défendent le gouvernement de gauche légalement élu, contre les Nationalistes qui souhaitent l’abattre – et reçoivent dans cette entreprise une aide substantielle des fascistes italiens et des nazis. (02)

C’est durant cette guerre qu’en appui aux Phalanges de Franco, l’aviation allemande bombarde la petite ville de Guernica, événement que commémorera Picasso dans l’une de ses toiles les plus célèbres.
Et c’est au début du conflit qu’à Montréal, des dizaines de milliers de personnes défilent sur la rue Sherbrooke en appui à Franco, au chant de « À bas les Juifs ! À bas les communistes ! »
–
À l’appui des Républicains aussi, une aide massive va arriver (en Espagne, veux-je dire, certainement pas ici) sous la forme des Brigades Internationales : près de 60 000 volontaires de gauche, venus d’une quinzaine de pays et bien décidés à enrayer l’avancée du fascisme.
Les soldats de ces brigades sont regroupés selon leur pays d’origine.
Les Canadiens le sont dans un bataillon baptisé « Mac-Pap », télescopage de « Mackenzie-Papineau », du nom des deux leaders de la Rébellion de 1837 (mais PAS dans sa version retouchée par le chanoine Groulx à la demande des grosses gommes du clergé qui voulaient récupérer les Patriotes… laquelle version retouchée a toujours cours au Québec à notre époque, soit dit en passant – puisque, comme chacun sait, au Québec, en 1960, tout a changé. Et quand je dis Tout, c’est TOUT !).
—
C’est un médecin de ce Bataillon Mac-Pap qui, justement au cours de la Guerre d’Espagne, invente le procédé de transfusion sanguine sur les champs de bataille – rien de moins. Essayez un peu d’imaginer combien de vies il a permis de sauver, ce procédé – mais je doute qu’il soit possible d’y parvenir.
Il est né en Ontario, a longtemps habité Montréal, où il a servi comme pneumologue au Royal Vic et au Sacré-Cœur. En avril 1936, il a causé parmi ses confrères un scandale de tous les tonnerres de Zeus en exigeant pour le Canada un système de santé universel gratuit ! (03) Durant la Crise économique de 29, il avait même établi une clinique gratuite pour les femmes et les enfants de chômeurs… laquelle a été mise à sac par des émules nationalistes du chanoine Groulx, sous prétexte que son fondateur était un communiste. “Nos pauvres, y peuvent bien crever de c’ qu’y veulent, on s’en contre-tabarnak comme de l’an quarante du moment qu’y s’acoquinent pas avec le Yab’ en parsonne pour essayer de sauver leux z’esties de ‘tites vies… qui valent moins qu’une crotte de mouche en regard de la survie de la Rrrrace !”
Le Yab’, en l’occurrence, il s’appelle Norman Bethune – et comme en 1960 tout a changé au Québec, s’il existe aujourd’hui une statue de lui à Montréal…
… c’est que la ville de Shanghai, en Chine – où il est un héros…
… nous a fait cadeau d’une copie de la sienne – autrement, vous auriez amplement le temps de vous faire cuire tous les œufs de la Création en l’attendant.
La station de métro qui porte son nom, quant à elle, est située… est située… enfin, elle doit bien se trouver quelque part. Et le boulevard baptisé en souvenir de lui est… euh… juste à côté de la station de métro, voilà !
—
Pourquoi est-ce qu’il s’est enrôlé dans les Mac-Pap, Bethune ?
Eh bien entre autres parce que, voyant les fascistes d’Adrien Arcand – dont la belle carrière antisémite a été financée au départ par l’Église – à l’œuvre dans les rues de Montréal sous le regard bienveillant de la police, il pense qu’une victoire en Espagne de leurs frères idéologiques leur donnerait un fier coup de pouce (04) et qu’il faut à tout prix empêcher ça.
—
Soit dit en passant…
La prochaine fois que vous entendrez quelqu’un prétendre que le Québec des années 1930 avait bien raison, allez, d’être antigauche et antisémite, et qu’il n’y a strictement rien à lui reprocher à ce chapitre puisque tout le monde l’aurait été à l’époque, songez à ceci :
Au prorata de de sa population, la Canada a fourni le deuxième plus important contingent des Brigades internationales – tout de suite après celui de la France, laquelle est immédiatement voisine de l’Espagne.
Les Mac-Pap ont été entre 1200 et 1500. (05)
Il y a un monument en leur mémoire, à Ottawa.
Un autre à Victoria, BC.
Il existe aussi une plaque à Winnipeg. Et, il y a quelques années, un comité a été formé en Alberta pour la création d’un monument dans cette province.
Même au Québec, tout à fait remis à présent de ses p’tites erreurs passées, le monument est difficile à rater : il s’élève, impressionnant comme tout, sur le boulevard Norman-Bethune, de l’autre côté de l’artère, juste en face de la station de métro du même nom.

Oh, et puis tant qu’à être sur le sujet de « Tout a tellement changé au Québec », comparez donc l’importance de ces deux notices Wikipédia au sujet des Mac-Pap… en anglais… et en français :

—
Tout le monde était pareil et pensait la même chose ?
De ces 1200 ou 1500 Mac-Pap, combien, selon vous, venaient du Québec – de ce Québec qui comptait pour plus du quart de la population canadienne ?
Si « tout le monde » au Canada avait réellement été comme au Québec, on s’attendrait logiquement à trouver… entre 300 et 400 Mac-Pap québécois. Nous sommes bien d’accord ?
Et bien ils ont été… un dixième de ce nombre : une trentaine ! (06)
Et maintenant, venez donc encore essayer de m’expliquer que tout était pareil partout.
—
Toujours est-il qu’au moment où, dans les années 90, j’apprends qu’il a existé une telle chose que les Mac-Pap, et prends conscience de l’incroyable déséquilibre entre le nombre de ceux qui proviennent du Canada dans son ensemble en regard de celui de ceux qui proviennent du Québec, je me mets en quête de l’identité de ceux venus de la Belle province. Rien ! J’ai sans doute mal cherché, mais je n’en découvre aucune maudite espèce de trace. Jusqu’à ce que, en 97, je tombe sur un bouquin publié l’année précédente – en anglais, comme il se doit –, qui s’intitule…
Le parcourant, au détour d’une page – la 170, pour ne rien vous cacher –, un nom me tombe sous les yeux – et le livre, lui, me part des mains.
Un anglophone membre des Mac-Pap, Lionel Edwards, a un jour écrit à son père le récit de la mort d’un de ses camarades de combat : il s’appelait Lauradin Roy, c’était un trappeur de la région de Rimouski.
J’éclate en sanglots. Comment ?!, mais COMMENT un gars de Rimouski a-t-il réussi à s’engager dans les Mac-Pap alors que les brillants étudiants de l’Université de Montréal, eux, en foule se comptant par dizaines de milliers de têtes de pipe, accompagnés de tout le personnel éditorial du Devoir et d’une foule de calottes priant en latin, ne trouvaient rien de mieux à faire, en entendant le mot « Espagne » que de marcher pour la cause de Franco ?!
—
Toutes ces années plus tard, l’énigme de son engagement, à mes yeux, reste entière.
Depuis 1997, je pense qu’il n’a pas dû s’écouler un seul mois sans que je me dise qu’il FALLAIT ABSOLUMENT que j’en découvre davantage sur le compte de ce gars. Mais, entre la quête de sous pour survivre et les mille projets que ma tête de linotte engendre sans cesse comme autant de feux d’artifice, ces 20 années ont passé comme l’éclair sans que je sois passé aux actes.
Triple buse que je suis.
Ce n’est que ces jours-ci que, rouvrant mes fichiers pour la première fois depuis bien des lunes, je tente dans la foulée de me mettre à jour et tombe, sur le Net, sur un bouquin paru aux Presses de l’Université Laval en 2003 et tiré d’une thèse déposée en 1999 (07)… soit à peu près au moment où j’allais abandonner Le Hobbit.
L’auteure cite au passage un texte de Bernard Dionne, “Los Canadienses et la guerre d’Espagne: No Pasaran !”. Je cherche, fouille – finis par dénicher une référence pour le texte de Dionne (08), mais pas le texte lui-même. (09)
Peu importe pour le moment. L’essentiel, c’est que… j’ai enfin de nouveaux détails !
Allez, allez, retroussez-vous les manches, bordel !
LAURADIN ROY !
Au boulot !
(Septembre 2017)
MERCI RDD!!!!