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Devant le rideau.
Claquement d’interrupteur. Changement d’éclairage : pénombre.
Kean entre, drapé dans son grand manteau. Déambule.
Finit par faire face au public.
KEAN
Vous pensez que le monde est devenu trop compliqué ? Que tout change trop vite ? Vous n’avez plus de repères ? Cela vous étourdit ?
Vous gémissez, parfois : « Ah, autrefois » ? « La belle époque » ? « Ah, quand tout était simple » ? Et encore : « Ces jeunes !, comment les comprendre ! » ?
Eh bien, imaginez ! Début du XIXe siècle. La France : le pays le plus populeux d’Occident. L’un des plus riches de la planète !
Il y a quelques années, on a voulu avoir son mot à dire sur l’utilisation qui était faite des impôts écrasants qu’on devait payer, dans ce pays-là. Pourquoi crever de faim, dans un pays si riche ? Dire son mot, c’est tout, rien que ça.
La réponse: « NON ! » L’armée charge, sabre au clair. Canon, contre la foule. « NON !, rien ne changera. Bétail vous êtes nés, bétail vous resterez ! »
La Révolution explose. Tout chavire. On tente de réorganiser le monde. La pensée. Les rêves. Tout se défait. Se refait. S’effondre à nouveau. Terreur...
Claquement de guillotine.
… les têtes se mettent à rouler. Et puis et puis.
Le Grand Homme surgit – Napoléon ! Il kidnappe la Révolution et galope, sur son dos… jusqu’aux Pyramides !, jusqu’à Moscou ! C’est l’Aigle ! C’est l’Empereur ! C’est le Diable !
Il s’effondre.
Ouf. Les couronnes d’Europe ont tremblé. Mais à présent, c’est passé. En France, le roi est même de retour sur le trône. Et, avec lui, le regard d’autrefois sur le monde : « Non, non : la vérité n’est pas en vous, pas du tout, mais non ! Non ! La vérité est là haut. Et rien que là haut. Écoutez ceux qui savent. N’importe que le passé. »
Une partie de la jeunesse ne peut pas entendre ça. Elle tremble de rage. De vertige. D’espoir, aussi. Et de tendresse pour ses semblables.
Elle refuse. Tout. Tout ce qui vient d’en haut. Elle refuse de continuer de se faire imposer ce qu’elle doit être.
On lui dit « Respect ». Elle répond « Courage ».
On lui dit « Honneur ». Elle répond « Grandeur ».
On lui dit « Église ». Elle répond « Nature ».
On lui dit « Obéis ! » Elle répond « Créer ».
On lui dit « Voici ce qu’est le monde ». Elle répond « Ta gueule, on s’entend plus rêver ! »
On lui dit « À Genoux ! » Elle répond…
Et, DEBOUT devant Dieu, Moïse ayant pris place,
Dans le nuage obscur lui parlait face à face.
Il disait au Seigneur : « Ne finirai-je pas ?
Où voulez-vous encor que je porte mes pas ?
Je vivrai donc toujours puissant et solitaire ?
Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre.
Que vous ai-je donc fait pour être votre élu ?”
(Alfred de Vigny, Moïse)
Cette jeunesse-là s’appelle… les Romantiques.
Elle trouve des répondants en Allemagne. En Angleterre. Un jour, traversant la Manche, des acteurs anglais débarquent à Paris. Et leur façon de jouer, neuve, inconnue jusqu’alors, inimaginable, bouleverse, totalement, des jeunes gens qui s’appellent… Alexandre Dumas, Victor Hugo, Eugène Delacroix, Hector Berlioz…
Passage de La Symphonie Fantastique.
Grâce à ces acteurs-là, des poètes découvrent un souffle nouveau, et la France rencontre enfin Shakespeare.
Ces acteurs anglais, qui débarquent ? Eh bien, ils changeront leur temps.
Parmi eux. Le plus grand. Un acteur-océan.
Les voici, lui et sa révolte, qui traversent le temps. Jusqu’à nous !
Écoutez ce murmure qui s’élève avec la poussière d’entre les pages jaunies. Écoutez la voix de cet homme solitaire, coincé entre deux mondes.
Edmund… Kean !
Le rideau se lève sur les Nobles, déjà en place.
Kean fait signe à l’Intendant de lancer la représentation.
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Acte I — Premier tableau — 1820
L’INTENDANT
Acte Premier.
Un salon chez monsieur le comte de Koefeld.
(etc…)
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