Une erreur à éviter comme la peste

 

(2 septembre 2019)

 

De toute évidence, je n’ai pas été clair du tout.

Alors je recommence, et je fais le détail – point par point.

C’est la dernière fois.

 

1- Je sais ce que je fais. Je pratique la mise en scène depuis 1979, et j’enseigne depuis 1983. J’ai, entre autres, dirigé à l’École nationale des exercices publics, à Ludger-Duvernay par exemple, qui étaient… je ne sais pas trop… de 5 à 12 fois plus compliqués que Rita ne le sera jamais même en nous forçant comme des dingues – peut-être même plus compliqués que ça encore. Dans ces occasions-là, j’ai travaillé avec plusieurs directeurs ou directrices de prod en formation – et les choses se sont toujours passées à merveille.

 

2- Je sais comment on monte un show et ce que demande chacun des postes. Kean au TNM ou Les Guerriers à Go, pour ne nommer que ces deux-là, ont l’un et l’autre comporté de véritables prouesses techniques.

 

3- Par ailleurs, dans les années 2000, j’ai écrit deux essais, deux briques épaisses de même, dont l’une est tout particulièrement consacrée à ce que j’ai compris dans ma vie du fonctionnement de l’imaginaire – il a bien failli remporter le Prix littéraire du Gouverneur général : il était finaliste (je le précise juste pour éviter que vous pensiez que ce n’étaient que des balounes dans une bouteille de Coke).

 

4- Découlant de ces choses que j’ai comprises, que je raconte dans ces deux bouquins et qui nous concernent ici, ce point essentiel : il y a des activités mentales qui ne se mélangent pas – c’est-à-dire : auxquelles il est fortement recommandé de ne jamais se livrer immédiatement l’une à la suite de l’autre. Parce qu’elles font appel à des modes de pensée trop différents. Si on l’essaie, on réduit considérablement le rendement de la deuxième – on peut même aller jusqu’à l’enrayer complètement. Je le sais : j’ai étudié la question durant des années, et comparé les résultats – clairs comme de l’eau de roche.

Par exemple : on ne transforme pas – jamais ! – une réunion de prod en réunion de conception. J’insiste : jamais !

Parce que la manière de penser propre à chacune des activités est profondément incompatible avec celle nécessaire à l’autre. Une fois enclenchés dans le crâne des participants, les processus de mise à plat et de planification sur lesquels repose une réunion de prod sont presque impossibles à arrêter quand ensuite on essaie de se mettre à créer – et il peut aller jusqu’à carrément bloquer net la créativité. Il serait nettement préférable de retourner chez soi et de faire des tartes.

Vous ne me croyez pas ? Faites l’expérience. Après une heure de rencontre syndicale ou de conseil d’administration, essayez, rien que pour le fun, de réciter un poème que vous aimez à la folie… Non seulement les probabilités pour que vous retrouviez l’émotion qu’il vous fait ressentir quand vous le récitez chez vous sont très faibles, mais il est même possible que vous ne soyez même pas capable de vous souvenir des mots.

 

5- Transformer une réunion de prod en réunion de conception, c’est donc – dans le meilleur des cas — perdre son temps ! Et perdre mon temps, j’haïs ça ! Surtout quand 1) on en est encore aux toutes premières étapes d’un processus de création et que 2) du temps, on a toutes les chances du monde de finir par en manquer.

En fait, c’est souvent même pire que de juste perdre son temps, parce que ça peut entraîner chez les participants non-prévenus le sentiment qu’ils seraient dénués d’imagination ! Ça peut donc finir par créer un véritable blocage psychologique – ce qui est l’exact contraire de ce pour quoi j’enseigne à l’EST.

À la limite, si vraiment on n’a pas le choix de mélanger les deux types de réunions au cours d’une même séance, il faut impérativement, dans la chronologie, faire passer la conception en premier.

Pourquoi ? Parce que des processus de pensée rationnelle qui ne tournent qu’à demi-régime sont presque toujours nettement plus efficients (et envahissants) que ne le seront jamais des processus imaginatifs qui roulent eux aussi au ralenti.

Mais même ça, je ne le conseille pas – ne serait-ce que parce que – à moins d’avoir une expérience du tonnerre de Brest – essayer d’avoir des idées créatrices avec un compte à rebours qui fait tic-tac sur le coin de la table (« Vite, vite, il nous faut une idée de décor, parce qu’après ça, il va falloir finir l’horaire ! »), est presque en tête de la liste des meilleurs moyens de ne jamais en trouver une maudite qui ait de l’allure.

 

6- C’est pour ça, et pas parce que je serais un quidam bizarroïde, que j’ai tant ramé, depuis des semaines, pour dégager la table devant nous avant le début des répets : pour que nous ayons la tête libre. Ou, bien plus précisément, pour que vous, les étudiants, ayez la tête libre, et pour qu’ainsi vous vous trouviez en état d’éventuellement avoir des idées. Moi, des idées, je peux en avoir en me jouant dans le nez, les jambes au plafond ou en lisant les cotes de la bourse, je m’en tape, des conditions – sauf que moi j’ai au compteur plus de quarante années d’expérience, de réflexion et d’entrainement, et que de toute manière ce n’est pas de moi qu’il s’agit ici, mais de vous ! C’est à vous d’avoir des idées, pas à moi. Moi, mon boulot, c’est de vous montrer ce qu’ensuite on peut en faire de théâtral, de vos idées.

Mon premier boulot est donc de faire en sorte que les conditions se prêtent à ce que vous en ayez ! Et mon sacrament de boulot, je le connais !

C’est pour ça, que j’ai demandé à ce que la réunion portant sur l’échéancier – qui n’est quand même pas l’urgence du siècle, sacrebleu – soit reportée à la séance de la semaine prochaine – plus précisément après la séance de la semaine prochaine. Mais on m’a répondu que non – que c’était pas possible.

 

7- Ce qui fait que paf ! je me suis retrouvé du jour au lendemain avec sur les bras le pire scénario imaginable : devoir essayer de lancer un processus de création par une rencontre de prod ! Essayez de faire pousser des petits pois sur la ligne blanche au milieu de la chaussée du pont Jacques-Cartier, vous m’en reparlerez.

 

8- Ma réponse est : non.

Et je n’essaierai même pas.

Si vous, vous avez du temps à perdre, grand bien vous fasse, mais moi je n’en ai pas. J’aime nettement mieux rester chez nous – et ne commettez pas l’erreur de vous imaginer que je blague.

 

9- Pas encore assez clair ?

Envoyons encore un coup :

Ce que je demande, ce n’est pas de ne pas y être, à la réunion-de-prod-se-transformant-en-réunion-de-conception. Bordel, je ne suis pas un ado qui fait des caprices, et qui s’imagine que les réalités qui adviennent quand il ferme les yeux sont moins réelles que s’il les voyait ! Ce n’est pas à moi, que la réunion de prod va nuire—c’est à vous ! Et, donc, au show !

Faites ce que vous voulez. Mais ne me demandez pas de faire semblant que je ne sais pas ce que je sais.

 

10- En conséquence de tout ce qui précède : mercredi, faites toutes les réunions de prod que vous voulez, je reste chez moi.

 

11- Prévenez-moi quand des conditions minimales de création seront disponibles. Pas avant.

 

 

P.S. — Essentiel :

Croyez-le si vous le pouvez, ces notes ne se veulent en rien une critique du travail d’Amélie et de Catherine. J’insiste : en rien.

Si je veux que notre production ait un sens, je suis – tout simplement – obligé de l’écrire, et de l’écrire sur ce ton, parce qu’il n’y a, dans les faits, à l’ÉST, aucun vis-à-vis à la direction technique, vis-à-vis auquel je pourrais expliquer ces choses – qui pour moi, depuis le temps que je les étudie et les mets en pratique, sont des évidences. Oh, sur papier, je lis, oui oui, qu’il y aurait un machin appelé « direction artistique », mais dans les faits elle est inexistante. Autrement, c’est à cette direction que je m’expliquerais, et elle, à son tour, ferait – je l’espère en tout cas – valoir mon point de vue à son pendant technique.

Seulement, comme je ne suis pas ici pour réformer l’EST,  ni pour tasser le mont Everest de 6 pouces sur la gauche, mais tout simplement pour monter un spectacle au mieux de mes capacités tout en enseignant à quelques étudiantes et étudiants à accéder de leur mieux aux richesses de leur imagination – et que le temps file déjà, et que nous en avons fort peu, je fais ce que je peux avec ce que j’ai : ça presse !

 

RD