La troisième pièce…

Dans la série…
« Vous vous en foutez royalement et vous faites très bien — mais je vous le dis pareil »…
… voici le texte No. 148 du Vol 17.

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Dimanche 22 novembre 2020

Mise à jour.

Incroyable mais vrai : il y a plus d’un an déjà que j’ai achevé l’écriture de la pièce encore inédite dont il est question ici.

Il semblerait bien qu’elle va être publiée, je viens à peine de l’apprendre — détails à venir.

Une seule chose a changé, chez elle, au cours de ces 13 mois : le titre.

Ce n’est plus Pour Manu, mais Ben.

Pourquoi donc ?

Et bien, parce que… Being, Bob, Ben — tout simplement.

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Samedi 14 décembre 2019

POUR MANU

À la fin d’octobre 1984, en revenant de New York, deux jours, il me semble, après avoir fini d’écrire Being at home with Claude, alors que pas un chat ne savait même encore que j’avais écrit une nouvelle pièce, et que je n’avais bien entendu pas la moindre espèce d’idée du sort qui attendait la drôle de chose enfouie dans mon sac à dos et qui ne portait même pas encore de titre, une pensée me tournicotait entre les oreilles.

Scène de “Twelve angry Men” de Sidney Lumet (1957), avec notamment les remarquables Henry Fonda et Lee J. Cobb, dont le tension dramatique m’inspira en partie la forme de “Being at home…”.

Being - 1985 - Page Journal NYC 02 Coupée petite

Je me disais : « Cette pièce-là est mauditement incomplète. »

Ça ne voulait pas dire du tout que selon moi il manquait quelque chose DANS la pièce, mais qu’il manquait quelque chose AUTOUR d’elle. Ce que je cherchais, et je savais que je n’avais que deux ou trois heures pour l’identifier parce que dès que je serais de retour dans mon appart de Montréal, le tourbillon de la vie allait venir me distraire, c’était… ce que je voulais dire par là. « Autour d’elle », ça voulait dire quoi ?

Et puis l’image s’est mise doucement à émerger. Ce que mon interrogation voulait dire, c’était que, sur le sujet de l’amour et de la passion, je ne pouvais pas m’en tenir à cette pièce-là, que je venais de terminer. Une autre devait absolument venir lui répondre, la compléter.

Laquelle ? Aussitôt qu’il commença de m’en apparaître une esquisse, je passai à un doigt de me mettre à hurler de rire comme un fou tellement ce qui venait de me passer par la tête était invraisemblable.

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La pièce-sans-titre, dans mon sac, racontait une histoire d’amour-passion qui vire à la tragédie parce que l’un ou l’autre des protagonistes, peut-être même les deux, a littéralement déchiré sous la pression : c’était trop.

Mais je n’avais pas le droit de m’en tenir à ça. Je ne voulais pas, au moment où je mourrais, avoir été un auteur qui a écrit que l’amour-passion ne peut être QUE destructeur.

Donc ?

Donc, il fallait que j’écrive une espèce de réponse à Being…, une réponse qui raconterait que l’amour fou ne fait pas que tuer, bien loin de là. Il fait aussi vivre.

Pour le raconter, je devrais donc parler de « l’amour qui se peut ».

Et c’était ça, qui venait de passer à un doigt de me faire éclater de rire : raconter une histoire d’amour qui se peut… non, mais qu’est-ce que ça peut être tarte ! C’est sans doute LE sujet le plus kétaine qui se puisse. Qu’est-ce que j’allais bien pouvoir faire de ça – la simple idée d’écrire une seule ligne d’une histoire pareille me foutait le cafard : « C’est ça, vas-y. Pis après, tu pourras toujours publier chez Harlequin, pendant que tu y seras – y parait que c’est super payant… Crétin ! »

*

Sauf que… je sentais bien que, même si, dit dans ces mots-là, le projet n’avait pas de bon sens, la question qui m’avait mené à lui, elle, était capitale, et qu’il allait m’être impossible de la fuir.

En conséquence, je pris cette décision : « Bon, ok. Donc il va y avoir au total plus qu’une pièce. La première de la série parle de la passion qui surgit, certes, mais qui détruit tout sur son passage, comme un tsunami. Et, éventuellement, à l’autre extrémité, il y en aura une qui dira que ça se peut que l’amour-passion ne tue pas. Bon. Mais… il va falloir qu’il y en ait d’autres entre les deux. Je ne peux pas simplement sauter de l’une à l’autre. »

Et la chose en resta là.

*

Plus de 15 ans plus tard, en 2000, alors que je viens tout juste d’enfin ! finir d’écrire Bob, et que je la relis en la trouvant d’une bêtise colossale, tout à coup je m’arrête net. Une idée vient de me frapper, il vient de me revenir le souvenir de ce trajet en taxi vers l’aéroport LaGuardia puis de moi, assis dans l’avion d’Air Can, me demandant ce qu’il manquait autour de Being… :

« Sacrebleu ! Mais Bob, C’EST une partie de la réponse à Being… ! Being…, c’est le surgissement de passion qui fait tout exploser, et Bob, c’est… la passion qui, deux fois dans la vie du même gars !, passe à un tout petit cheveu de se pouvoir… mais au « mauvais » endroit, dans les « mauvaises » circonstances. L’amour concret entre Andy et Bob se peut, tout y est pour qu’il advienne, mais… il y a UN obstacle, et de taille : Bob n’est pas gay. De la même manière, l’amour se peut – et advient ! – entre Bob et Agnès… mais il ne reste à Agnès que quelques heures à vivre. »

Ok. Deux des pièces de la série sont donc désormais écrites : l’impossible, et le presque possible.

Ne manque plus que la dernière. Qui me fout la trouille au moins autant, mais sans doute bien davantage encore, que la première fois que j’ai pensé à ce qu’elle devrait être : l’amour-passion non seulement possible mais qui advient et qui dure.

Je n’ai toujours pas la moindre idée de ce en quoi elle pourrait bien consister, sinon qu’au fil des décennies, j’ai pris quelques notes mentales – je ne me souviens pas, en tout cas, avoir jamais noté par écrit, nulle part, quoi que ce soit à son sujet – sur ce qu’elle ne PEUT PAS être. Le problème c’est que de savoir ce qu’il n’y aurait pas dedans ne m’aide absolument pas à discerner ce qu’il y aurait.

*

Jusqu’à ce que…

… le jeudi 31 octobre de cette année, tôt le matin il me vienne tout à coup une de ces déboulades d’idées dont je suis coutumier : des pensées, par dizaines, par vingtaines, et encore et encore, sur quinze, trente sujets, qui me passent dans le cerveau, zip, zouf, à la même vitesse et avec le même son, le même appel d’air, qu’une trâlée de vingt-roues qui foncent sur une grand-route mouillée. Un véritable kaléidoscope qui part dans tous les sens. J’appelle ça mon agenda : mon « vrai » agenda. Une espèce de mise à jour hyperrapide de tout ce à quoi travaille mon esprit ces temps-ci.

Je suis tout étonné, parce que je ne m’attendais absolument pas à ce qu’il y en ait un ce matin-là. Depuis le début d’octobre, je vis un véritable enfer. Chaque heure est longue comme une semaine, et les semaines s’étirent comme des années. Je me traine. Je ne suis que l’absence de… lui. Un être bouleversant qui, en une toute petite phrase, m’a jeté à terre encore plus sûrement que ne l’aurait fait un tremblement de terre de 9. Je ne sais plus rien, il n’y a plus rien, rien d’autre que ses yeux, son sourire, l’ombre de ses mains. Et qui n’est pas là. Et qui n’y sera jamais.

Tout ce que j’espère, c’est d’avoir la force de supporter ce feu-là le temps qu’il faudra… ou alors de crever. Je ne me tuerai pas – la chose est exclue – ça, je n’ai pas le droit. La vie, même maudite, est un privilège trop profondément sacré pour quitter la table de son propre chef. Je ne me tuerai pas… mais bordel qu’un infarctus ferait mon affaire ! Là, là ! Tout de suite !

À la fois je brûle… et je suis captivé. Parce que si j’ai vécu quelque fois déjà de grandes passions, inspirées par des êtres d’exception, aucune n’a jamais eu cette force-là. Je veux dire cette sorte-là de force, cette « couleur » là. Le surgissement du désir de lui, dans ma vie, change complètement des pans entiers de ce que je pensais savoir – de moi, de ma vie, de ce qui m’anime. Alors mes semaines-années, je les passe à prendre des notes, pour pouvoir les relire, pour essayer de parvenir à penser.

C’est dans cet état-là que la déboulade me surprend. Elle surgit et se déroule, zif, zaf, pouf, les pensées, les résumés, les têtes de chapitres défilent comme un feu d’artifice. Et ça, et ça, et ça, et ne pas oublier que, et faire attention à, il y aura ceci, il y a eu cela… et tout à coup… boum : tout s’arrête. Tout s’arrête sur UNE image, UNE pensée. Et je suis sidéré.

Tout ce à quoi je travaille, pense, tout ce qui me nourrit ou bien me déchire, tout… se résume en une seule image.

Et je sais instantanément à quoi elle se rattache, dès qu’elle se pointe. À la dernière pièce en réponse à Being….

*

La vie ne se prive pas à ses heures d’être dans sa cruauté d’un raffinement sans limites.

La mienne me donne un ordre : « Tu sais, ce projet de pièce ? La troisième, celle sur l’amour qui se peut ? Eh ben, mon homme… c’est maintenant, que tu l’écris ! Tu suite ! Dans la minute ! Tu crées à l’instant un nouveau fichier, pis tu plonges ! »

J’ai envie de me frapper la tête dans la fenêtre jusqu’à ce que je passe à travers ! « Maintenant ?! Là, tout de suite ?! Mais c’est de la folie pure ! Je crève de l’absence du plus beau gars du monde, j’ai juste le goût de me crisser la tête dans le micro-onde, à defrost, pour arrêter de penser pis de brûler vif… pis toi, viarge de salaud, tu veux que j’écrive une pièce su l’amour qui se peut ?! Mange un siau de marde ! »

« Écoute-moi bien, je ne le répéterai pas : ou bien tu t’y mets… immédiatement… ou bien je te garantis qu’avant que le soleil se soit couché, ta carcasse est effouérée au beau milieu de la rue ! C’est clair ?! »

Je pleure comme une vache.

Et j’ouvre un nouveau fichier.

*

Une scène vide. Il n’y a qu’un stool en plein milieu.

Un jeune gars, Tommy, entre, une guitare à la main – mais il ne sait pas en jouer.

Il s’installe sur le tabouret, comme un chansonnier. Et se met à raconter, en s’adressant à une caméra qui doit se trouver derrière la salle, ce que la vie lui a appris. C’est une lettre, qu’il enregistre : un vidéo pour Manu, un gars encore plus jeune que lui. Pour lui dire à quel point il l’aime. Et de quoi il parle, quand il dit « Je t’aime ».

*

Au cœur du récit : cette image toute simple qui m’est apparue au terme de la déboulade.

Un jeune homme entre dans une grande pièce. Un homme âgé, qui s’y trouvait déjà, l’aperçoit et tout de suite en le voyant, un soupir sonore lui vient : « Ah ! »

Plus tard, le jeune homme va trouver l’autre et lui demande : « Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi vous avez fait Ah !, en me voyant ? »

Le vieux réfléchit, grave. Et finit par dire :

« Pour que je puisse vous répondre, et pour que vous puissiez comprendre de quoi je parlerai alors… il va d’abord falloir que nous apprenions à nous connaitre de très près, vous et moi. Ensuite… nous aviserons. »

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EXTRAIT :

TOMMY : Des fois, Stan disait – c’était super important, dans sa vie : « Y a des provinces, en nous, des régions de mondes, profonds, où il n’a que nous qui pouvons aller. Sauf. Pour de très, très rares explorateurs. Et eux, le seul chemin qu’ils peuvent emprunter pour y aller, il s’appelle l’amour. »

Stan poursuit son évocation de leur rencontre, à Tommy et à lui :

STAN : Et… je m’étais pas trompé du tout, tu sais… le tien… ton vrai de vrai visage, celui dont la source m’est apparue en te voyant… c’est une merveille.

Ce qui émane de toi quand tu jouis, mon bel amour… ce que ta façon de t’abandonner raconte de ce qui vit en toi à chaque moment de tes jours… je pense qui a pas de mot qui a été conçu pour aller assez loin, assez haut, pour pouvoir en parler.

(…)

Tu comprends ?

Si je tentais pas quelque chose im-mé-di-a-te-ment, là là, si j’étais assez épais pour ressortir de ce magasin là sans avoir tenté sur le champ d’exprimer qu’il venait VRAIMENT de se passer quelque chose de capital… pour vrai… je suis certain que je serais devenu fou. Que ma raison, m’aurait rendu fou. Qu’elle m’aurait convaincu, à la longue, à force de rebrasser et rebrasser sans fin ce qui AURAIT PU arriver, que j’avais jus’ pu fantasmer. Mon esprit se serait… détricoté dans le doute et les ruminations.

Pour avoir une chance de peut-être empêcher ça, il ne fallait surtout pas que je reste avec rien qu’une impression, un flash, une image intérieure, il fallait que ce que me faisait ressentir ce que je voyais là, devant moi, l’effet que tu me faisais, devienne quelque chose de réel, de concret, hors de moi, dans le monde – tout de suite !

TOMMY : Et il avait raison, tu sais. Parfaitement, raison.

Il y a des gestes qu’on a à faire immédiatement, dans la vie, ou des paroles qu’on a à dire, tout à coup, devant une personne, ou un événement bien précis, que tout le monde, que l’univers entier ne peut voir que comme… un coup de folie. Et c’est vrai que c’en est un. Pour tout le monde… sauf pour la personne qui le pose ou le dit. Pour cette personne-là, réagir comme elle le fait, comme elle vient de réaliser qu’elle DOIT absolument le faire, immédiatement, sans calculer, sans se préparer, comme, pris dans un feu de forêt quand on arrive en courant à la rivière on se crisse à l’eau pis c’est tout’, pour cette personne-là, risquer, en faisant ça ou en disant ça, de s’apercevoir qu’elle vient de perdre la boule net, et qu’elle ne la retrouvera peut-être plus jamais, qu’elle va dériver pour le restant de son existence comme un bateau à voiles abandonné… c’est rien du tout… comparé à l’horreur qu’elle SAIT qui va très certainement déferler si elle ne fait pas ou ne le dit pas.

Y a des moments, Manu, où la vie nous dit : « Maintenant – go ! »

Et c’est très rare qu’elle prévienne avant d’entrer. Elle va toujours, autant que je sache, te pogner les culottes à terre.

Et il y a rien que tu puisses faire pour te préparer à ça.

Sauf.

Avoir pris l’habitude de vivre ta vie, à chaque seconde, comme si y pouvait sortir un dragon d’une bouche d’égout.

Parce qu’y peut… sortir un dragon d’une bouche d’égout.

N’importe quand.

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03 - La trilogie

Une semaine plus tard, pile, la pièce était finie.

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Pas un chat ne l’a encore lue.

Vous êtes les tout premiers à en avoir eu un extrait sous les yeux.

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Et pour la suite…

… nous verrons bien.

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