Ib’n Ismaël

16 septembre 1989

 

─  Homme tendre, cesse de geindre. Au nord, que vois-tu ?

─  Rien.

─  Et que vois-tu, s’approcher de l’est ?

─  Rien.

─  Du sud ?

─  Rien.

─  Et de l’ouest, que vient-il ?

─  Je ne vois rien venir. Rien. Rien.

─  Et pourtant, quelque part, on a longtemps attendu. Et à présent on s’approche, à pas craintifs. De peur de ne rien trouver là où tu te tiens.

 

La neige a cessé de tomber

Le ciel est clair

Le froid revient

Et je songe à un songe

Que je ne verrai jamais

 

Ib’n Ismaël était

Assis au sommet d’une dune.

Ib’n Ismaël, il me semble que tel était son nom,

Observait la nuit

Sous les espèces d’un millier de dunes

Fondues sous le siècle des nuits.

Ib’n Ismaël, je ne sais même pas si,

Quelque part,

Son nom éveille le souvenir le plus fugace.

Ib’n Ismaël songeait à une immense nuit

Et à rien qu’une.

À cette nuit-là, songeait le sage,

À cette nuit-là qui l’avait fait

Ce que le souvenir nous en garde.

Et il songeait à mille nuits

Mais à celle-là où rien n’advint.

À celle-là où le silence.

À celle-là où le désir.

 

À celle-là où l’appel.

 

Ib’n Ismaël songeait à cette nuit

Où il avait oublié même

Qu’il portait un nom

Et ne s’était souvenu que de ce qu’il

Avait une tête

Et l’autre une épaule

 

Assis sur le sable qui s’écoulait encore

Ib’n Ismaël gardait la tête haute

Tandis que, derrière lui,

Dans les derniers rougeoiements du feu,

Le campement plongeait dans les ronflements, et,

Quelle étoile l’inspira ?

Quel soupir du simoun mourant ?

Lui vint, non pas même une brûlure

Pas une douleur

Mais à peine un pincement

Lointain, lointain

La neige avait cessé de tomber

À peine un pincement.

Le souvenir d’un émoi

Jadis,

Là où dû le saisir un verbe,

Le souvenir d’un possible.

Là où avait vécu un vide.

 

Ib’n Ismaël porte un nom que j’aime.

Il est assis sur une dune.

Et moi au bord d’un gouffre.

Ib’n Ismaël songe à un geste

Qu’il eut dû oser

Que je n’ai pas posé.