Pour me détendre un peu après des années de natation dans l’océan de faits et d’interprétations à laquelle m’oblige le travail sur le Hobbit (01), et puis pour tenter de prendre à rebrousse-poil les innombrables pièges semés dans le discours par la foule des historiens tardivelio-groulxistes et leurs suiveux, assez tard dans l’essai j’instaure un jeu de questions/réponses que je présente ainsi :
Et maintenant, jouons aux devinettes.
Voici un questionnaire amusant. Ah ah.
J’avais d’abord pensé l’intituler Les détails de l’histoire, en hommage au discernement dont sait faire montre Jean-Marie Le Pen, chef du Front National français (02) quand il s’agit des camps d’extermination et d’autres babioles du même genre. Plus tard, j’ai plutôt cru devoir le baptiser, en hommage à Jean Paré, qui est lui aussi très doué pour saisir d’instinct l’importance des choses, L’industrie des placards : je suis certain que, sensible comme il l’est aux questions d’orgueil national, monsieur Le Pen ne m’en voudrait pas et serait même d’accord avec moi quand j’affirme qu’il serait vraiment trop injuste de célébrer un étranger comme lui pour une tâche que certains, cheux nous, font aussi bien que n’importe qui. Allais-je privilégier un França au détriment d’un des nôtres ? Nenni.
Au début de 1997, donc, monsieur Jean Paré, directeur (ou rédac chef ?) (03) de L’Actualité, écrivait dans son magazine, en page éditoriale, cette jolie phrase qui était d’ailleurs reprise en encadré, en grosses et grasses lettres rouges, comme résumant l’essentiel de la teneur de tout son papier :
Il se développe, depuis le retour du Parti québécois au pouvoir, une industrie qui consiste à fouiller tous les placards du passé, à la recherche d’un paragraphe, d’une phrase incriminants.
JEAN PARÉ – L’Actualité (04)
« Incriminants » ? Ciel ! À quel égard ? À l’égard du racisme, voyons. Après avoir commencé par affirmer que parler de racisme au Québec serait l’équivalent, en fait de cliché faisant la preuve de l’ignorance du proférateur, de parler des Français arrogants, des Anglais hypocrites, des Italiens désordonnés, des Allemands brutaux et des Mexicains paresseux, monsieur Paré estime que le racisme aurait cependant ceci en commun avec la pédophilie que c’est une accusation dont, une fois qu’elle a été portée contre un individu, même si cet individu allait être prouvé innocent son nom restera entaché à jamais. Un peu plus loin, il prétend que les ouvrages dans lesquels certains fouillent, de toute façon, personne ne les a lus depuis cinquante ans mais que le but – perfide – de ces traques serait de trouver en effet « un paragraphe, une phrase incriminants », en un mot une peccadille, à brandir sous le nez de l’univers outré et qui justifierait d’éventuellement adopter une ligne dure à l’égard du Québec et à l’égard surtout du projet indépendantiste.
Il poursuit en évoquant l’évidence : des toqués, des débiles et des démagogues, il y en a et il y en a eu partout.
Et il conclut enfin en laissant entendre que le fait de parler de racisme en parlant du Québec reviendrait ni plus ni moins qu’à faire la preuve de ce qu’on est soi-même un raciste.
Hou-la !
Le tout est présenté dans une perspective donnant clairement à voir que l’Opération Salissage – c’est le titre de l’éditorial en question –, dans le cadre de laquelle adviennent ces désécrations de notre passé, se déroulerait essentiellement à l’extérieur du Québec : « Les médias de langue française sont introuvables hors du Québec », affirme-t-il.
*
La facture de l’article est d’un classicisme si pur, la ligne d’argumentation d’une telle clarté, la bonne foi est si patente et l’inclusion dans le discours paranoïaque dominant cheux nous si claire que je me suis résolu, en définitive, à intituler mon quizz : Les p’tits moutons – Hommage à Jean Paré.
J’évoque de ce fait les boules de poussière de toutes tailles qui, dès que j’ouvre la porte de mes placards à moi, se mettent à rouler dans tous les sens, et non les pauvres bêtes qui ont refilé leur maladie aux vaches folles après avoir des siècles durant été les impavides compagnes de Jean-Baptiste, notre saint patron national. Je le précise avant qu’on ne m’accuse d’être à la solde du Mossad, de passer mes nuits à faire tourner les tables en invoquant l’esprit de Lord Durham ou de régulièrement prendre un scotch avec les amis outaouais de l’ex-ministre Claude Morin – ceux qui ont toujours un bout de fil qui leur pendouille de l’oreille et une dent creuse qui se met à leur faire horriblement mal aussitôt qu’en leur présence on fait fonctionner un four à micro-ondes. Force m’est cependant d’admettre qu’il est toutefois bien possible que l’évocation ne puisse pas totalement faire abstraction de l’aspect grégaire du comportement ovin, ce comportement qui aux yeux de certains justifierait qu’on les traite de suiveux.
[Développer, à propos de Jean Paré : Quelle belle définition de la culture et quelle fine compréhension de ses enjeux : un livre que personne n’a lu depuis cinquante ans ne signifierait donc plus rien ? Vraiment ? Et il ne vaudrait plus rien depuis combien de temps ? Je veux dire : qu’elle est la durée de vie du contenu d’un livre que personne n’ouvre, monsieur Paré ?]
[Préciser que je ne couvrirai ici qu’une petite partie de ce qui est disponible sans même avoir à me forcer…]
Amies lectrices, amis lecteurs, place au fouillage de poubelles, donc, place à…
– Les p’tits moutons –
Hommage à Jean Paré
… à la suite de quoi commencent les questions/réponses.
Je me suis arrêté dans le temps à pratiquement 300 – nul doute que si jamais je m’y remets, le compte passera facilement le cap des 600 (mais sans doute suis-je ici absurdement optimiste et passerai-je largement celui des 1 000).
*
223 – Question :
Où a d’abord été hissé ce qui finira par servir de drapeau officiel au très démocratique Québec contemporain, drapeau que j’appelle désormais pour ma part le Torchon de Carillon, mais que l’on pourrait tout aussi justement dénommer Guenille de Tardivel ou, avec toujours autant d’exactitude, Bannière des zouzous ? (05)
Réponse :
Sur un presbytère, évidemment. L’abbé Elphège Filiatrault le fait flotter sur sa résidence de la paroisse Saint-Jude, et c’est là que notre père spirituel à tous, Jules-Paul Tardivel, le découvre et l’adopte. (06) C’est un drapeau de curés, et tout particulièrement de curés ultramontains. Ce n’est même que ça. C’est d’ailleurs ce que le journal Le Nationaliste d’Olivar Asselin fera remarquer… en mai 1904 (07), soit il y a près d’un siècle. Un de ces jours, l’historien Durocher, de l’Institut Lionel-Groulx…
… va sûrement nous expliquer que personne n’était au courant, ou alors que ça ne veut rien dire, à moins que ce ne soit l’historien Champagne, qui nous expliquera qu’après tout ce n’est le drapeau de personne, juste une rumeur ou un prétexte à procès d’intentions.
*
PARENTHÈSE DANS LA PARENTHÈSE
L’histoire du Torchon, en trois coups de cuillère à pot
Fin 19e siècle – Le drapeau dans lequel se reconnaissent depuis un moment les francophones, au Québec, c’est le Tricolore de la république française.
D’ailleurs c’est aussi, orné d’une une étoile en plus, celui des Acadiens – sauf que le tricolore étoilé, lui, a conservé son statut jusqu’à notre époque.
Il y a alors quelques dizaines d’années qu’un abbé Gonzague Baillargé prétend avoir découvert l’étendard qui aurait flotté lors la bataille de Carillon, dernière victoire française avant la Conquête.
Après la mort de Baillargé, il sera prouvé qu’il n’en est rien, qu’il a dû ne s’agir que d’une banale bannière religieuse – mais ça ne changera strictement rien : le mythe perdurera.

Toute fin du 19e et début 20e. En France, la séparation de l’Église et de l’État est proclamée, entre autres dans le domaine de l’enseignement. Ce qu’apprenant, le clergé ultramontain québécois se met à cracher le feu : « Out, l’estie de tricolore ! », s’écrie-t-on – mais en latin.
Il lui faut d’urgence un remplaçant.
« Je l’ai ! » s’écrie l’abbé Filiatrault de Saint-Hyacinthe. Il prend la bannière de Baillargé…
… la couche sur le côté pour qu’elle ait l’air d’un drapeau plutôt que de la bannière qu’elle est…
… un p’tit coup de Photoshop pour faire de la place…
… une ligne blanche, deux lignes blanches…
… und Presto ! – la job est faite !
Québécois-Québécoises, à genoux ! Recueillez-vous devant le Baillargé-Carillon-Filiatrault – ou, si vous préférez, le Baillargé 2.0…
… auquel, pour faire bonne mesure et pour être absolument certains de la clarté du message (le Sacré-Cœur, en France, étant nettement associé aux réactionnaires), on ajoutera éventuellement la patate divine en plein milieu – pour faire du tout le « Carillon-Sacré-Cœur » ou Baillargé 2.5.1…
… jusqu’à ce que Rome ordonne de retirer l’organe.
On revient alors au rêve érotique de l’abbé Filiatrault et on se met à pousser à pleine force pour le faire adopter comme étendard officiel. Duplessis rechigne.
Le chanoine Groulx menace de lancer l’Ordre de Jacques-Cartier à ses trousses. Duplessis est bien obligé de plier, mais demande, pour ne pas avoir l’air de perdre la face complètement, que des changements soient apportés à la Guenille. « Pas de problème », lui fait répondre le Chanoine par l’intermédiaire de l’un de ses factotums…
« Marché conclu ! », s’écrie Maurice, qui fait immédiatement hisser sur la tour de l’Hôtel du Parlement le Baillargé 2.6.
… où il se trouve toujours. Estie !
FIN DE LA PARENTHÈSE DANS LA PARENTHÈSE
*
Toujours dans Les P’tits Moutons, sur la question de savoir si les fascistes d’ici étaient ou pas de « vrais » fascistes, ce couplet-ci – dont je me souviens encore combien la rédaction m’a amusé (rendu là dans mes travaux, l’étape du dégoût était passée depuis un méchant bail – ce qui n’implique aucunement que celle de la colère se soit jamais achevée) :
292 – Question hypothétique (08) :
Un militant du Parti marxiste-léniniste vous apprend en période électorale qu’autrefois, en 1949, il se serait fondé à Montréal un périodique appelé Pravda, et il ajoute que la faucille et le marteau imprimés en couverture de chacun de ses numéros n’avaient stric-te-ment rien à voir avec ceux des Communistes russes, que le journal n’avait rien à voir non plus avec celui de Moscou – c’est par un pur hasard, vous explique-t-il, que les deux se sont retrouvés à porter le même nom : on aurait préféré qu’il s’appelle La Vérité [comme celui de Tardivel], mais on trouvait que ça sonnait mieux en russe – comme ça, pour aucune raison en particulier.
À titre de preuve, il vous montre un passage des mémoires d’un des fondateurs de ce journal, qui a été l’un de ses principaux animateurs pendant des lustres – appelons-le Edgar Latremouille (09). Monsieur Latremouille, dont on dit que ses amis l’appelaient « camarade » et que ses intimes le surnommaient « petit père des peuples » – comme ça, en gag, ça ne voulait rien dire de particulier –, racontant son voyage à Moscou dans les années 30, se remémore un meeting auquel il a assisté là-bas et durant lequel il avait entendu parler Staline. Il précise au passage qu’il n’avait pas été du tout du tout impressionné par sa prestation (10) – même si celles de tous les autres autour de lui lui étaient apparues tout à fait ravissantes.
Continuant de feuilleter le livre sous l’œil du militant qui, pour une raison qui vous échappe, commence à s’impatienter, vous tombez sur un passage où le petit père des peuples Latremouille cite un de ses propres discours de la fin des années 30, dans lequel il chante les louanges du pacte Molotov-Ribbentrop, un autre un peu plus loin où il appelle de ses vœux l’union des prolétaires de tous les pays dans le cadre de la révolution prolétarienne, et un enfin où il dresse la liste des individus – la liste en tout cas de ceux dont il peut se souvenir, parce qu’il y en avait vraiment trop – dont il a souhaité qu’on les envoie au goulag. Le militant, en tentant de vous arracher le livre des mains, vous explique que les goulags, ici, n’avaient rien à voir avec les goulags en Russie; c’est un hasard, dit-il, qu’ils aient porté le même nom – ici, c’étaient des camps de vacances que le Parti avait pensé créer quelque part en haut de la Terre de Baffin. Juste avant de remettre son livre au militant, vous remarquez qu’il a été écrit et publié en 1992, soit juste après la chute du Mur de Berlin et du régime soviétique en URSS (11). Le militant, sur la base des preuves qu’il vient de soumettre à votre attention, se lance alors dans l’exposé des raisons qui devraient vous amener à voter pour son candidat, étant bien entendu qu’il n’a rien à voir avec les communistes, « marxistes-léninistes » n’étant qu’une dénomination choisie comme ça, au hasard, « Ça ne veut rien dire, d’ailleurs on pense en changer dès qu’on en aura trouvé un meilleur ».
Quelle est votre réaction ?
Est-ce que vous…
1) appelez immédiatement Jean Paré à L’Actualité pour lui demander de mettre une équipe sur le coup pour faire blanchir la mémoire de Latremouille ?
2) ordonnez au militant de vous sacrer patience parce que la politique ne vous concerne pas, mais consentez tout de même à lui acheter une de ses jolies épinglettes représentant un drapeau rouge frappé du marteau et de la faucille jaunes parce que ça fera joli sur votre veston noir ou le corsage de votre robe vert pomme ?
3) lui promettez de voter pour son candidat, en remerciement de quoi vous recevez un enregistrement de l’« Internationale » en russe – le militant vous explique que les Russes aimaient tellement cette chanson bien de chez nous qu’ils l’ont adoptée à leur tour à la fin des années 80 ?
4) promettez d’y penser et recevez pour nourrir vos réflexions une pile d’exemplaires d’un quotidien appelé Le Devoir Prolétaire, dans les pages duquel on s’insurge presque quotidiennement contre les procès d’intentions dont le Parti (et par extension le Québec au complet) serait l’objet chez nous et à l’étranger. Vous vous rappellerez d’ailleurs plus tard que le nom du Devoir Prolétaire était sans cesse mentionné dans les mémoires de Latremouille comme ayant à l’époque été le seul journal de chez nous à n’avoir pas systématiquement craché sur lui et sur la Pravda, et à l’avoir même appuyé ouvertement. On vous apprendra par hasard que le fondateur et père spirituel du Devoir Prolétaire fut à une certaine époque jugé trop mou par ses ouailles et rejeté de son journal pour être remplacé aussitôt par un ardent collaborateur de la Pravda (12); ou
5) trouvez qu’il y a quelque chose qui ne raboute pas dans l’histoire qu’on vous raconte, mais n’arrivez pas à mettre le doigt sur ce qui cloche ?
Réponse :
Je ne sais pas pour vous, mais moi je me sauve en courant.
*
Toujours est-il que…
Vous voulez savoir pourquoi, dans cette société, une véritable politique culturelle, qui seule pourrait éventuellement justifier l’existence d’un ensemble différent sur ce continent, restera jusqu’à nouvel ordre une impossibilité ?
Parce que les fascistes n’aiment pas les artistes !
En droite ligne depuis Tardivel, la haine à l’égard des arts et de la pensée constitue, après le drapeau et La Cause, le troisième volet de l’héritage persistant des faux-curés/vrais-fascistes d’antan.
*
On continue…
En plus de ce qui vient d’être exposé, il y a encore une autre raison pour laquelle la Cause québécoise ambiante me hérisse.
C’est que, fondamentalement, le fascisme est suicidaire. Si on lui en laisse l’opportunité, il finit à tout coup par détruire ce qui lui a servi de prétexte pour se hisser au pouvoir puis pour s’y maintenir. Tout détruire, il l’a fait, ou l’a tenté, partout où il a pris les commandes.
L’Allemagne, après que Hitler et ses copains soient allés au bout de leur power trip, c’est de ça qu’elle a l’air :
En France, à la fin du 19e siècle et au début du 20e, Charles Maurras, père du nationalisme intégral et de ce fait source directe d’inspiration du projet nationaliste québécois, s’est fait un nom à japper contre l’Allemagne – la Ligne bleue des Vosges, les appels à la Première Guerre mondiale –, c’est même un de ses adeptes, Raoul Villain, qui assassine le chef socialiste Jean Jaurès qui, lui, s’y oppose, à la guerre.
Vous savez, « Jaurès » ? Comme dans la magnifique chanson de Brel, sur son ultime album :

« Pourquoi ont-ILS tué Jaurès » ? « ILS” ? Les nationalistes.
Une fois la guerre terminée, au coût de bof, quelques millions de morts…
… les Réparations à être versées par l’Allemagne défaite, lui, Maurras, ne les trouve jamais assez élevées – il pousse donc de toutes ses forces pour qu’on fasse souffrir les Boches encore bien davantage. Résultat ? Il participe ainsi à étouffer au maximum la société allemande et, par le fait même, à créer des conditions propices à la prise du pouvoir par Hitler. Ensuite, quand les troupes du même Hitler entrent à Paris et que Pétain se retrouve aux commandes à Vichy avec leur bénédiction, Maurras s’écrie « Divine surprise ! » – laquelle surprise a cet air-là :
Et puis Pierre Bourgault, qui raconte à la radio à Marie-France Bazzo – en riant, en plus, le triple fils de pute ! –, que oui, oui, oui, c’est vrai, dans les années 60 il a bel et bien affirmé en public que si l’indépendance était votée et que Les Autres refusaient de négocier, nous devrions faire comme Nasser après sa nationalisation du canal de Suez, en 56 : menacer de couler quelques bateaux dans la Voie maritime du St-Laurent pour la bloquer – en « oubliant » de préciser, le tabarnak, que la manœuvre de Nasser est passée à un cheveu de déclencher une guerre mondiale, et que suite à elle l’Égypte s’est fait péter la gueule dans les grandes largeurs, deux fois en onze ans !


Des exemples, il y a en a à la pelle.
Fin de la parenthèse
*
Bref.
La nuit dernière, je me couche hanté par tout ça qui me remonte en vrac à la mémoire, par les montagnes de références que je viens de noter depuis trois jours, et par des foules d’autres encore qui viennent de se réveiller et s’agitent et font un raffut de tous les diables au fond de ma cervelle.
À mon ébahissement complet, au bout 17 ans d’une inactivité que j’avais cru devoir durer jusqu’à la tombe, les portes de mon essai sont tout à coup grandes ouvertes à nouveau dans mon esprit. Oh, j’avais bien pensé autrefois, à voix très basse, que la chose pourrait arriver un de ces quatre, qu’elle était somme toute probable, mais en principe. Et voici que, soudain, paf ! ça y est, c’est fait ! – et ça n’a pris qu’un tout petit moment.
*
Après ça, je vais me coucher.
Je me lève ce matin.
Je fais mon tour habituel des journaux en ligne.
Puis effectue un passage, que je souhaite très bref, sur Facebook.
Là, je remarque presque tout de suite un lien proposé par un gars qui m’a écrit en ligne la semaine dernière. Il réagissait à un de mes posts Facebook de mai de cette année, dans lequel j’accrochais les deux chanoines, Groulx et Bock-Côté — le deuxième, pour faire changement, chantant les louanges du premier.
Il m’a écrit, le gars, pour m’expliquer essentiellement que « Nonon, le pauv’ chanoine Groulx, il n’est pas vraiment à blâmer, puisqu’en se permettant de petites dérives antisémites, il a juste fait ce que faisait tellement de monde dans son temps » – et j’ai sauté au plafond. De toute évidence, le gars n’a aucune espèce d’idée de ce qu’il raconte, et se contente de répéter les tounes qu’on lui a fait apprendre par cœur. Ne pas savoir, c’est une chose – mais reprendre les gens sur des sujets à propos desquels on ne s’est même pas donné la peine de se renseigner, c’en est une tout autre. Au cours de nos échanges, il m’annonce qu’il va lire les mémoires du chanoine – c’est assez dire qu’il ne les connait pas encore.
Sur sa page FB, on lit qu’il a été prof de philo au cégep – ça devait être beau dans ses cours s’il connaissait aussi bien sa matière qu’il connait son histoire, et lançait comme ça à tout bout de champ des affirmations-lapins sorties de son chapeau.
Je lui ai répondu à gros traits ce que je connais sur le sujet. Et lui s’est mis à jouer les vierges éplorées, me trouvant terriblement violent, disait-il.
Classique : il ne sait pas, il admet qu’il ne sait pas, mais cela ne l’empêche en rien d’avoir des opinions, parce que lui, c’est ça qu’il sent.
Toujours est-il que ce matin, je clique par simple curiosité sur le lien qu’il propose, et que c’est comme ça que je me retrouve… direct chez Bock-Côté ! Qui chante les louanges d’un livre paru récemment. Un livre qui appelle à une mystique de la renaissance nationale !
La mâchoire m’en décroche – la tête me tourne.
« Mystique » ?
« Renaissance » ?
« Nationale » ?
Très sérieusement, je pense un long moment que j’hallucine : j’ai la certitude d’être encore la nuit dernière, en train de relire des passages de piles entières de textes des années 10, 20, 30 et 40 ! Mot pour mot ! Ceux-là mêmes par lesquels on poussait à l’adoption du Torchon, à l’antisémitisme, à l’empêchement de la lutte contre le fascisme, et bien entendu, au cœur de tout, à la totale prise de contrôle des esprits par la fiction indépendantiste dont l’immonde Tardivel a été l’un des tout premiers promoteurs.
Les mots « Mystique », « Renaissance », « Nationale », les revoici… tels qu’à l’époque ! Live !
*
Et c’est ça, le cauchemar. C’est en tout cas l’essentiel du décor dans lequel il se déploie, même si ça ne s’arrête pas là – il s’en faut encore de beaucoup.
Je savais depuis vingt ans – en principe, toujours – qu’il paraissait inévitable que, dans le néant culturel où nous baignons, la chose finisse par se produire : le retour aux sources.
Mais tout de même… ça donne un coup !
*
Bien entendu, elle n’a jamais cessé d’affleurer, la foutue mystique.
Au début du 20e siècle, durant le Première Guerre pour la mise en branle de laquelle, en France, s’est tellement démené Maurras, chez nous le curé Perrier de la paroisse Saint-Enfant-Jésus-du-Mile-End…

… grand copain de Groulx et de Henri Bourassa (Il me semble même avoir lu autrefois, peut-être dans les Mémoires de Groulx, que les discussions menant à la création du Devoir se seraient déroulées dans son presbytère – faudrait bien que je retourne vérifier ça, un de ces jours), est accusé d’avoir caché des armes dans le sous-sol d’une école de la paroisse et d’entretenir des liens avec au moins un poseur de bombe.
À l’autre bout du siècle, en 98, le site Vigile – vaillant pourfendeur de tout ce qui n’est pas La Cause – met en ligne sous le pseudonyme de « Jocelyn Waller » (en tout cas, si ce n’est pas un pseudonyme, je ne vois pas ce que les guillemets font là, à encadrer le nom de l’auteur) un véritable appel aux armes et à la violence politique. On le place même en page éditoriale, le texte, en en-tête, en choix des animateurs du site : c’est une lecture très clairement privilégiée.
Le pacifisme asphyxie les souverainistes québécois (13), et le respect superstitieux du rituel démocratique les perdra aussi sûrement que les superstitions qui ont perdu les Sioux ou les Incas. Non pas que la démocratie soit mauvaise. Au contraire. Elle est excellente. Mais les signes abondent qui, rassemblés, indiquent à notre instinct, à notre intuition (14) – tout autant qu’à nos sens, y compris le fameux bon sens – que l’ennemi n’entend plus jouer le jeu démocratique que nous nous entêtons à respecter à la lettre comme des enfants de chœur – et ce en dépit d’un récent jugement de la Cour suprême du Canada qui constitutionnalise dans les faits le droit d’une province à la sécession. Ne vous fiez pas au droit. (15) Le respect des règles démocratiques vaut dans les situations normales – et nous ne sommes pas dans une situation normale.
Autrement dit : à la scrap le pacifisme, à la scrap « le respect superstitieux du rituel démocratique », à la scrap le droit ! Fiez-vous à votre instinct et rappelez-vous que nous sommes en guerre !
Comme le commun des mortels, les francophones d’Amérique sont incapables d’imaginer autre chose que le présent et que, comme tous ceux qui ne peuvent imaginer autre chose que le présent, la perception juste du passé et de l’avenir (ces deux bras d’un même tronc) leur échappe. Ajoutez à ça que les francophones d’Amérique ne peuvent se permettre un fâcheux accident historique, d’une nature ou d’une autre, affectant soudain, disons, six millions d’entre eux… Bref, soyons terriblement audacieux et choquants et disons-le sans ambages : MIEUX VAUT PRÉVENIR QUE PÉRIR. Guerriers, cessez de tergiverser, rentrez au bercail, et prenez vos mesures. Il y a du pain sur la planche – de quoi vous occuper pour longtemps. (16)
“JOCELYN WALLER” – Vigile – 1998 (17)
Ce qu’il nous faut ce sont des guerriers – pas de la démocratie. Quelle clarté de la ligne !
Voilà un monsieur « Waller » qui connait ses classiques :
C’est uniquement dans l’application perpétuellement uniforme de la violence que consiste la première des conditions du succès. Mais cette opiniâtreté ne saurait être que la conséquence d’une conviction spirituelle déterminée. Toute violence qui ne prend pas naissance dans une solide base spirituelle, sera hésitante et peu sûre. Il lui manque la stabilité qui ne peut reposer que sur des conceptions philosophiques empreintes de fanatisme. (…)
Toute conception philosophique, qu’elle soit de nature religieuse ou politique – souvent il est difficile de tracer ici une délimitation – combat moins pour la destruction, à caractère négatif, que pour arriver à imposer, dans un sens positif, les siennes propres. Ainsi la lutte est moins une défense qu’une attaque.
ADOLF HITLER (18)
Près de 20 ans après sa publication, en 2017 le délire de « Waller » est, au moment où j’écris ceci, toujours disponible dans les archives de Vigile. Entre-temps, ce qui a changé d’essentiel, c’est que désormais les guillemets autour du nom des signataires d’aujourd’hui de propos pareils ont disparu : avec Mathieu Bock-Côté dans le Journal de Montréal, on y va ouvertement – par ici la mystique ! Ce qui pourrait bien signifier qu’on se sent légitimé de le faire sans plus avoir à se cacher.
*
La mystique, elle pourrait bien un bon matin se payer un grand retour et, dès les années 90, j’étais bien conscient de la possibilité… parce qu’une doctrine qui contrôle une société entière au point où le nationalisme contrôle la nôtre, depuis aussi longtemps et sans que jamais, depuis son accession aux commandes, elle n’ait été véritablement mise en danger ni même ne serait-ce que véritablement critiquée, il est presque inévitable qu’un jour où l’autre elle s’arrache les masques qui auront un temps été nécessaires à son maintien.
À la fin des années 40, après la défaite de nos « amis » fascistes d’Europe, il est bien évident qu’il fallait au plus vite se donner une épaisse couche de fond de teint. C’est à ça qu’allait bientôt servir Frantz Fanon : d’un seul coup, le Québec passa alors directement de fier Colonisateur à pôvre Colonisé ! Zouf !
Pourquoi ? Parce qu’il fallait un nouveau levier rhétorique.
Un peu plus tard, Vatican II s’annonce ?
Presto ! Off, la soutane !
Et on continue en complet trois pièces !
La mode est à la mondialisation ?
Et un Libre-Échange, un, qui marche – à fond la caisse !
Oups, la mondialisation commence à avoir mauvaise presse ?
Kaboum ! Mais non, voyons, le Québec est… altermondialiste ! Et l’a toujours été ! Je vous le jure : c’est dans nos gènes !
*
Une fois que les grands travaux de rénovation de l’image de marque de la Cause ont été menés à bien, chaque fois, dans les années 90, que je parle EN PUBLIC du fascisme passé, des quantités d’éditorialistes, de journalistes, de participants aux courriers des lecteurs et aux tribunes téléphoniques se mettent à hurler que je divague, que je suis un vendu, un fou et que le chanoine Groulx… « Ben voyons don’ !, c’est fini depuis cinq mille ans au moins, ces maudites niaiseries-là – on sait même plus où on a caché son squelette. Et pis, de toute manière, restons calmes, hen… ce qu’il a fait, c’était vraiment pas si grave que ça… »
Alors qu’EN PRIVÉ, des vieux fascistes m’écrivent ou m’arrêtent sur la rue pour me dire que bien entendu, que j’ai raison, et pour me prévenir que leur combat est loin d’être terminé.
Ou alors, d’autres vieux me répètent : « Qu’il y ait eu des fascistes ? Ici ? À la grandeur de la société ? Mais mon cher enfant… c’est ton étonnement, qui m’étonne. J’y étais. Je les ai vus. Tu veux que je te parle d’eux ? »
Tandis que de toutes parts, les porte-paroles de La Cause continuent de hurler que j’hallucine.
*
J’hallucine tellement, que…
En 1992, un prof d’histoire de l’Université de Montréal écrit un joli article. Je souligne – ce n’est pas une faute de frappe : pas en 1929, en 1992 !
Reagan vient de passer 8 ans au pouvoir aux USA, l’ouragan Tatcher vient tout juste de déferler sur le Royaume-Uni (et sur les Malouines), tandis qu’en France, Le Pen commence à faire des ravages et que personne ne sait comment lui répondre (d’ailleurs, ils cherchent toujours au moment où j’écris ceci en 2017).


À Montréal, donc, le prof d’histoire en question écrit ces lignes vachement inspirantes :
La droite radicale européenne […] espère échapper au sort qu’elle a connu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, c’est-à-dire la marginalisation au sein de l’opposition. Même ébranlée par l’anéantissement ignominieux des fascismes (19), elle s’est employée, pendant toutes ces années, à renouveler sa pensée dans la fidélité à ses fondateurs (20), en dépit des tensions et de l’émiettement qui furent son lot.
Elle touche aujourd’hui la récompense de son labeur.
Reste à savoir ce qu’elle fera de cette chance inespérée que lui donne l’histoire.
PIERRE TRÉPANIER – Cahiers de Jeune Nation, avril 1992 (21)
« L’anéantissement ignominieux des fascismes » ! En… 92 !
Et il siège au Conseil d’administration de la Ligue d‘Action nationale, qui publie la revue du même nom :
Dubois ?! Le câlice, y est fou à enfermer !
*
« Fascisme »
Selon Berlet (22) :
- Nationalisme, et super-patriotisme reposant sur un sens de mission historique.
- Militarisme agressif allant jusqu’à glorifier la guerre comme étant avantageuse pour l’esprit national et individuel.
- Recours à la violence ou aux menaces de violence pour imposer ses points de vue.
- Recours à un leader ou à des élites qui ne sont pas responsables devant un électorat.
- Culte de la personnalité d’un leader charismatique.
- Réaction à l’encontre des valeurs de la Modernité, souvent accompagnée d’attaques émotives contre le libéralisme aussi bien que le communisme.
- Incitation des masses homogènes à se joindre à une mission héroïque.
- Déshumanisation de l’adversaire et création de boucs-émissaires – paranoïa du complot.
- Image de soi relevant du sentiment d’avoir atteint une forme supérieure d’organisation sociale, par-delà socialisme, capitalisme et démocratie.
- Éléments idéologiques d’un socialisme national : par exemple, appui ostentatoire aux classes ouvrières ou agricoles nationales; mais, en définitive, alliance effective avec des éléments des élites.
- Dans le cadre de la course au pouvoir, abandon de toute idéologie cohérente.
- Le fascisme est anti-libéral.
- Le fascisme est anti-conservateur.
- Le fascisme tend à opérer comme une forme charismatique de la politique.
- Le fascisme est anti-rationnel.
- Le fascisme en appelle au socialisme.
- Le fascisme est lié au totalitarisme.
- Le fascisme repose sur un support social hétérogène.
- Le fascisme est raciste.
- Le fascisme est internationaliste.
- Le fascisme est éclectique.
Selon Eco (24) :
- Culte de la tradition.
- Rejet des valeurs de la modernité.
- Culte de l’action pour l’action.
- Le désaccord est une trahison.
- Peur de la différence.
- Appel aux déshérités de la société.
- Théories du complot.
- Sentiment constant d’humiliation.
- La vie est conçue comme une guerre permanente.
- Élitisme populaire – mépris pour les faibles.
- Inflation de l’ego.
- Ingérence du pouvoir dans la sphère sexuelle.
- Populisme sélectif : soumission de l’individu au Peuple.
- Recours à la Novlangue.
*
Toujours en 92 (1992, pas 1892), dans le deuxième numéro des Cahiers de Jeune Nation qui ont déjà publié la si belle prose de Trépanier, ceci – et souvenez-vous qu’au Québec, il n’y a JAMAIS eu des fascistes !
Le Front national était cependant un parti politique et nous n’envisagions pas d’en fonder un dans l’immédiat; l’action intellectuelle, par le biais d’un groupe de discussion ou d’une publication, étaient des idées qui nous intéressaient beaucoup plus.
À cet égard, l’une des composantes du Front national, les Groupes Nationalistes-Révolutionnaires (G.N.R.) (25) du jeune et talentueux historien François Duprat (26), nous proposaient un modèle intéressant avec leurs Cahiers Européens-Hebdo.
C’est sans doute chez Duprat et ses Cahiers Européens-Hebdo qu’il faut chercher l’origine lointaine du périodique Jeune Nation. (27)
FRANÇOIS DUMAS – Cahiers de Jeune Nation, juillet 1992 (28)
Quelques années plus tard, suite à la diffusion, au Point de la télé de la SRC, d’un reportage sur l’histoire de la Guenille auquel j’ai participé…
… retontit un e-mail de protestation (entre nombre d’autres) adressé à la SRC. Il parait à première vue tellement insensé, tellement radical d’extrême-droite qu’il a l’air d’un gag. Je décide de creuser un peu pour tenter de comprendre d’où il sort. Il est signé par un monsieur « lm guilbault ».
Et, un peu plus tard encore, l’ombudsman de Radio-Can m’appelle. Il y a eu des plaintes. Pour avoir osé affirmer ce que j’ai dit…
… suis-je historien ? J’en reste comme deux ronds de flan. Non, mais qu’est-ce que mon statut peut bien venir foutre dans le portrait ? Ce n’est pas de moi qu’il s’agit, mais des faits énoncés – sont-ils vérifiables, oui ou merde ?
Récit – Hobbit (29) :
J’y ai déjà fait référence : en mars 1998, (…) l’émission Le Point, de la télévision de la SRC, diffuse un reportage sur le drapeau du Québec – version à peine révisée du ridicule et invraisemblable drapeau soi-disant de Carillon évoqué par T.D. Bouchard près de 95 ans plus tôt –, reportage auquel on m’invite à participer. Je fais part de ce que je connais sur le sujet, et notamment du sens des symboles qu’il porte : d’extrême droite, nettement.
Comme il fallait s’y attendre, dans la foulée de la ministre Beaudoin faisant part des émotions rose nanane que lui inspire la Guenille…
… des téléspectateurs indignés écrivent au Point pour protester contre la teneur du reportage.
L’un des envois porte ce titre : « Le drapeau québécois : l’iconoclasme jacobin assouvit en ondes ».
Extrait :
De facto, ces symboles avaient déjà été acceptés et diffusés par le peuple du Québec depuis trois siècles lorsque l’Assemblée nationale a finalement adopté le drapeau fleurdelisé. De même, Maurice Duplessis a été reporté au pouvoir de manière répétitive par ce même peuple. N’a-t-il pas choisit, voulu et apprécié son sort dans une large majorité ? Que l’on cesse de réécrire l’histoire selon les besoins d’une cause crasse et égoïste.
Ces historiens improvisés ne se réclament-ils pas plutôt du jacobinisme libertaire, égalitaire et fraternel, laïque et pseudo-démocrate, qui a finalement plus d’affinités avec les totalitarismes soviétiques et nazis que ces derniers n’en ont avec le Québec des années 30 et 40 ? (30)
Vous avez bien lu : pour ce citoyen québécois de la fin du XXe siècle, la Révolution française, son libertarisme, son égalitarisme, le sentiment de fraternité dont elle se veut la promotrice, en font une proche parente du totalitarisme soviétique et du nazisme.
Par ailleurs, il n’y aurait pas lieu de déplorer le duplessisme puisque, affirme toujours ce citoyen, Duplessis était élu.
Autrement dit, on haït les élections, mais critiquer Duplessis, c’est attaquer le peuple qui l’a élu; critiquer le drapeau, c’est attaquer le peuple puisque que Duplessis était élu par lui; et faire la promotion des idéaux de la Révolution française, c’est être un monstre infâme qui ne souhaite que la souffrance du peuple.
On se croirait revenu aux belles années d’Adrien Arcand, le chef du Parti Nazi canadien, accusant le premier ministre libéral MacKenzie King d’être un suppôt de Staline et de l’Antéchrist. (31)
Mais ce n’est que la lettre d’un illuminé, sans doute ?
Peut-être.
En tous cas, elle est signée Michel Guilbault, de Sorel, lequel monsieur Guilbault donne comme adresse celle de son courrier électronique : lmg@loginnovation.com.
« Michel Guilbault », dites-vous ? Alias « lmg » ? De Sorel ?
Tiens donc.
C’est certainement une autre coïncidence sans signification, mais quelques mois plus tard, en octobre 98, on peut toujours trouver sur Internet (32), dans le courrier adressé au « Dixie Net », le site Web de la Ligue de défense des Sudistes étatsuniens – qui n’ont pas encore avalé la victoire d’Abraham Lincoln et l’interdiction de l’esclavagisme… inacceptable atteinte à leurs droits –, une autre lettre, datée, celle-là, de 1996, et signée… Louis-Michel Guilbault, « michelg@sorel.mtl.net ».
Ah bon ?
Eh oui.
Quelques temps avant cette lettre de 1996, le « Dixie Net » a officiellement affiché une prise de position tout à fait favorable à la sécession du Québec. Dithyrambique, l’appui :
Le but visé par la Ligue Sudiste est l’indépendance culturelle, sociale, économique et politique, et le bien-être, du peuple sudiste.
Nous affichons, sans honte, notre fier héritage à prédominance anglo-celtique.
Nous nous réclamons à bon droit de la vision politique des Pères fondateurs des États-Unis, de la lutte héroïque de nos ancêtres Confédérés contre la centralisation gouvernementale, et de notre héritage chrétien sous-jacent.
Dixie Net – 1996 (33)
Conclusions :
- Le mouvement sécessionniste, au Québec, est vivant, en pleine forme et en pleine croissance.
- Le mouvement sécessionniste, au Québec, va poursuivre son travail en vue de l’indépendance.
- Le mouvement sécessionniste a déjà obtenu, au profit du peuple québécois, plusieurs concessions de la part du gouvernement fédéral canadien.
- La sécession constitue à la fois un bouclier (protégeant les droits contre les attaques dont ils sont l’objet) et une épée (au service de la victoire finale contre ceux qui ne reconnaissent pas les droits d’une communauté souveraine). La sécession n’est pas un but, mais un moyen d’atteindre le but que constitue la défense de la liberté.
- Le peuple du Québec a exercé un droit dont le peuple sudiste est privé, c’est-à-dire celui de se prononcer quant à la forme du gouvernement sous lequel il vit.
- L’Union canadienne se maintient du fait de la volonté et du désir du peuple, alors que l’Union fédérale des États-Unis est maintenue au moyen de baïonnettes sanglantes.
Vive le Québec Libre ! (34)
Le Sud va s’enlever encore ! (35)
Dixie Net – 1996 (36)
Monsieur Louis-Michel Guilbault écrit, donc, en 96, pour remercier les Sudistes de leurs bons vœux, pour leur faire part de sa sympathie spontanée à l’égard de leur noble combat (37), mais aussi pour corriger – « amicalement » (38), précise-t-il –, quelques bricoles. « Ne prenez pas en mal mes remarques, énonce-t-il en substance à ces petits cousins du Klu-Klux-Klan (39), votre texte, je l’ai tellement aimé que j’en ai même publié une traduction – avec crédits et tout et tout – dans mon propre journal, le Lys blanc ».
Le QUOI ?!
Le Lys blanc… comme sur le drapeau bleu et la papeterie de l’État québécois, apparemment.
Ah bon.
« Une publication bi-mensuelle nationaliste canadienne française ».
Bravo.
*
Histoire de bien mettre à l’heure les pendules de ses amis du Sud, monsieur Guilbault se lance alors dans un joli résumé de l’histoire du Canada français : ce que signifie le mot « Canada »; ce que signifie le mot « Québec »; le fait que les vrais Canadiens, c’est nous, les Français; que nos ancêtres se sont battus dans les Croisades et ont édifié en France tout plein de belles cathédrales – c’est capital, les cathédrales : nous aurons l’occasion de revenir sur le sens politique que peut revêtir le culte du Moyen Âge –; et puis qu’ils sont venus ici…
… demeurant Français, ils se glorifièrent du titre de Canadiens, qui sonnait (justement) à leurs oreilles comme un titre de conquête. (40)
MICHEL GUILBAULT – 1996
… mais les Anglais ont débarqué, zut zut zut – … ces mêmes maudits Anglais de l’héritage de qui ses correspondants se réclament pourtant « sans honte » – et ils ont tenté de nous assimiler, notamment en nous imposant le parlementarisme… alors que ses correspondants prétendent se réclamer des Pères de la Constitution étasunienne, lesquels Pères ont justement fait l’Indépendance entre autres parce qu’ils trouvaient absolument inacceptable de vivre aux côtés d’une province aussi obscurantiste et réactionnaire que… le Québec francophone. Bref.
Plus tard, poursuit Guilbault, il y a eu l’abbé Groulx et Henri Bourassa. Et puis Maurice Duplessis – Ah, ce cher, cet admirable Maurice –, dont la tâche a essentiellement consisté en la promotion de l’autonomie provinciale :
Jusqu’en 1959 (année de sa mort), la province de Québec est demeurée profondément nationaliste et catholique, réclamant de plus en plus pour les Canadiens français, et même, éventuellement, l’indépendance.
Cela s’avéra avoir été une approche fructueuse puisque, tout au long de son « règne », le Canada français avança lentement mais sûrement (41). Il n’est donc pas surprenant, cependant, que les (modernes) historiens révisionnistes socialistes décrivent cette époque comme « La Grande Noirceur » : ils sont payés pour faire la promotion de ce qui vint ensuite.
MICHEL GUILBAULT – 1996
Et de se lancer dans une farouche critique de la Révolution tranquille – qu’il associe à celle, abhorrée, de 1789… inspirée par celle des USA… dont prétend pourtant se réclamer le Dixie Net… – puis du Parti Québécois, accusant Jacques Parizeau d’être un promoteur du Libre Échange avec… les États-Unis, et… des Nations Unies. Quoi ?! Défendre le principe des Nations Unies ?! Oh, le vilain.
*
À cause du Parti québécois, écrit Guilbault…
Un « Québécois » est simplement un citoyen du Québec (entendre : d’une province en passe de devenir un pays), noir, blanc, jaune, rouge, Musulman, athée, Bouddhiste, etc. (42)
Le concept de nationalisme canadien français traditionnel, pour sa part, implique une communauté ethnique et religieuse, laquelle ne repose bien sûr pas sur l’exclusion ni sur le racisme (43), mais uniquement sur les valeurs communes au sein de notre propre peuple. […]
Longue vie au Sud.
Longue vie à la Nouvelle-France !
MICHEL GUILBAULT – 1996
Il est inadmissible que les Noirs, les Jaunes, les Musulmans soient citoyens du pays dont il rêve, ce qui n’implique bien sûr pas pour autant que, dans ce rêve, l’exclusion et le racisme jouent quelque rôle que ce soit. Ben voyons, c’est évident : le fait de rejeter une thèse politique sous prétexte qu’elle prétend mettre tout le monde sur le même pied ne signifie certainement pas que l’on souhaite autre chose qu’elle à ce chapitre.
Ce qui explique que l’on puisse affirmer, après le référendum de 95, que…
Ce sont […] des gens étrangers de cœur et d’esprit au Québec qui ont fait pencher la balance. […] La préservation des intérêts supérieurs d’un pays passe par le maintien d’une communauté nationale homogène.
JEAN-MARIE LE PEN – 1995 (44)
Tiens ? Qu’est-ce qu’il vient faire là, Le Pen ?
Oh rien du tout, c’est juste une idée qui m’est passée par la tête : comme il est d’accord avec Jacques Parizeau sur une des causes de la défaite du référendum de 95, et comme en 98 (45) le Council of Conservative Citizens – un mouvement des USA qui a été des plus actifs lors des tentatives pour faire démettre le Président Clinton lors de l’Affaire Lewinski – lui a remis un beau drapeau sudiste en guise d’hommage, et que lui leur a répondu, comme Guibault, à quel point il est sympathique à leur cause, je me suis dit que ça ferait joli.
*
Je disais donc que monsieur Louis-Michel Guilbault ne souhaite pas davantage le racisme et l’exclusion que ne le souhaitent eux-mêmes les Sudistes, dont il salue le beau combat pour la liberté. La-leur. Et rien que la-leur.
Ce qui normal de la part d’un Réactionnaire qui ne souhaite que le pouvoir. Le sien. Et rien que le sien.
Surtout quand on a comme ange tutélaire Jean-Marie Le Pen. Le Chef. Et rien que le Chef.
*
C’est ainsi qu’un monsieur qui fait dans le Lys blanc est tellement cohérent qu’il appuie à-fond-la-caisse un mouvement prétendant se réclamer des Pères de la Constitution étasunienne… lesquels Pères de la Constitution ont mené une guerre civile contre leur propre souverain… en s’appuyant sur les principes qui, sous peu, allaient être au cœur de la Révolution française. Ben quin.
*
Mais poursuivons.
La lettre que monsieur Louis-Michel Guilbault de Sorel adresse au Dixie Net et celle que, pour sa part, lmg-Michel Guilbault de Sorel envoie à la SRC au sujet de « l’iconoclasme jacobin » qui pollue les ondes, quelque irréconciliables qu’elles puissent paraître si l’on néglige le fait que leur point commun essentiel est le culte de l’autorité réactionnaire qui s’y affiche, ne représentent pas une coïncidence, il conviendrait peut-être mieux d’évoquer ici une file de wagons de train. Un très long train. Très très, long.
Par exemple, en page 2 du tout dernier numéro d’un périodique nationaliste québécois à courte espérance de vie (46), appelé Cahiers de Jeune Nation [la revue, donc, où Trépanier et Dumas ont publié ce que j’ai cité un peu plus haut], numéro paru en septembre 1995 (47), on invite les fidèles de cet organe sur le point de disparaître à s’associer désormais au journal… Lys blanc, mis sur pied par un monsieur Louis-M. Guilbault de Sorel, dans le but de fêter… le quinzième centenaire du baptême de Clovis !
Le baptême de Clovis, toi Chose ! À Sorel !
*
Lys blanc, pour commémorer le baptême de Clovis. En voici un, au moins, qui ne fait pas semblant de ne pas savoir de quoi il parle. On peut sans doute lui reprocher de ne pas être bien certain de la somme de 2 + 2, mais certainement pas de ne pas reconnaître une profonde parenté de pensée quand il s’en présente une.
On peut écrire à ce monsieur Guilbault à la B.P. 501, Sorel, J3P 5N9, lit-on.
Tiens donc.
« Louis-M. Guilbault, à Sorel », ça ressemble passablement, si je ne m’abuse, à « Michel Guilbault, alias lmg, Sorel ». Non ?
Oui.
Et à Michel Guilbault, « michelg@sorel.mtl.net ». Non ?
Oui.
Si a=b, et que b=c, alors a=c. Non ?
Oui.
Il se pourrait donc bien, en conséquence, que le monsieur qui trouve malséant de critiquer le drapeau réactionnaire du Québec soit le même qui trouve important de célébrer le baptême de Clovis, et qui est saisi de brusques élans du cœur quand la Ligue Sudiste évoque son combat contre la maudite démocratie sanglante des Nordistes. Non ?
Oui.
Il se pourrait donc aussi que, dans cette hypothèse et dans le cas de ce monsieur Guilbault, prétendre aimer Duplessis, parce que, dit-il, Duplessis a été élu, alors que lui trouve que l’égalitarisme et la démocratie recèlent des affinités certaines avec le totalitarisme soviétique et le nazisme, n’ait constitué que… qu’une commodité du discours, disons. Un raccourci. Je suppose que, pressé d’envoyer sa lettre de bêtises à la SRC, il l’a un peu bâclée, et que ce qu’il voulait dire, en réalité, c’était que lui aime Duplessis parce que ce cher Maurice était un monsieur qui avait de la poigne et les idées claires, et que si le peuple a été assez idiot pour le réélire sans presque discontinuer et jusqu’à ce que la mort vous sépare, c’est bien la preuve de ce que, de toute façon, le peuple ne mérite rien de mieux que Duplessis. En attendant, en tous cas, le retour sur le trône de Clovis IV. Ou de Louis XLIX. Hmmm. À moins que ce monsieur ne rêve aux magnifiques plantations d’indigo et de coton que ses esclaves de toutes les couleurs pourraient entretenir en banlieue de Sorel sous sa paternelle bienveillance – sans racisme ni exclusion ? Hmmm.
*
Bon.
Non, je ne vais pas engager de détective privé pour découvrir s’il s’agit bel et bien du même lmg ou si, tout simplement, une ville de la taille de Sorel peut, quoi qu’en pensent les statisticiens, abriter simultanément deux ou trois aussi gémellaires promoteurs de la course historique à reculons avec un cerveau de la taille d’un pois chiche, dotés d’une faculté d’empathie propre à faire rougir d’envie un scorpion. Si c’est le même, je lui souhaite longue vie et de bien s’amuser. S’ils sont trois, j’espère simplement que la vie n’en mettra jamais aucun sur mon chemin – je suis désolé de devoir admettre publiquement que ma capacité de tolérance à l’égard de certains vices est bien moins grande que je ne le souhaiterais. Parlant de vice, je ne fais pas allusion à la pornographie. Je parle d’aspiration à l’inhumanité caractérisée. Comme disait Romain Gary :
Bref, l’humanité parvenait plus facilement au déshonneur avec la tête qu’avec le cul.
ROMAIN GARY – 1963 (48)
Il est vrai que Romain Gary a combattu le maréchal Pétain et son régime dans les Forces Françaises Libres du général de Gaulle, ce qui ne fait peut-être pas de lui le candidat idéal pour figurer parmi les lectures de chevet de ou des Michel-Louis-Michel-lmg-Guilbault, sorellois ou autres.
*
Bouclons quelques boucles.
En 92, Les Cahiers de Jeune Nation publient donc un très joli texte de Pierre Trépanier qui déplore l’anéantissement ignominieux des fascismes, lequel Trépanier est, au même moment, Trésorier de la Ligue d’Action nationale – Jean-Claude Dupuis, cofondateur des Cahiers, y siège aussi :
Mais oups, quelqu’un a du s’ouvrir la trappe quelque part, parce que tout à coup, deux-trois mois plus tard… L’Action nationale se sent obligée de dénoncer les Cahiers de Jeune Nation…

… de dénoncer l’extrême-droite, et de claironner qu’elle « exerce à cet égard la plus grande vigilance ». Eh ben, bravo.
Cette vigilance est tellement soutenue et convaincante que, arrive 1997, hop, Trépanier-l’anéantissement-ignominieux-des-fascismes, est…
… toujours membre de la Ligue.
Parlez-moi de ça, des chiens de garde qui ont l’œil clair et le pif alerte.
*
Entre-temps, en 95, les Cahiers ont rendu l’âme, repassant dans un ultime sursaut le crachoir au Lys Blanc de LM-whatever-Guilbault, lequel ne veut pas qu’on parle en mal du drapeau ni de Duplessis, et trouve les cousins du KKK vachement sympathiques.
Vous ne trouvez pas que le monde est petit ?
*
Je vous disais donc :
Fin 19e – Le curé Filiatrault hisse la guenille de Carillon sur son presbytère. Tardivel, qui a été le tout premier à rêver d’indépendance – parce qu’il faut se débarrasser au plus sacrant des esties de démocrates –, passant par-là l’aperçoit. Coup de foudre.
1917 – L’héritier spirituel de Jules-Paul, Lionel, continue la tâche lancée par son prédécesseur. Et fonde dans la foulée une revue qui – par pur hasard ! – porte le même nom qu’une autre, à Paris, fondée par Charles Maurras…

… avec laquelle elle partage bien des aspects, dont le culte du héros. En France ça donne Jeanne d’Arc, et chez Groulx, ça nous vaut une résurrection de Dollard des Ormeaux – le gars au baril de poudre, revu et corrigé autant qu’il est besoin.



1940 – La Guenille a le vent dans les voiles – so to speak. Et, comme par hasard, ça s’adonne que, massivement, les Québécois ne veulent pas aller se battre « pour l’Angleterre » – la planète entière sait que cette guerre est mondiale (allez essayer de compter le nombre de pays conquis par l’Axe, rien que pour le fun) –, mais pas eux. Et que la France soit alors dirigée par Pétain n’a strictement rien à faire dans le portrait, bien entendu, vous pensez bien. Comme le démontre à l’envie cette page couverture d’une revue de Québec, parue en pleine guerre – La Droite :
Extrait d’un article qu’on y trouve (51) :
Dans quelques années, ce prosateur inspiré sera devenu une vedette archi-connue cheux nous grâce à son personnage du Père Gédéon – il s’agit de Doris Lussier.
Le voici, monsieur Lussier, le soir du 15 novembre 76, chargé d’accueillir sur la grande scène du rassemblement les candidats du PQ qui viennent de remporter leur comté en cette soirée historique pour la Cause :
En attendant…
1945 – La guerre est perdue – zut, les carottes sont cuites pour nos copains et alliés européens – c’est « l’anéantissement ignominieux des fascismes » – sauf au Québec, où pas le moindre de ses promoteurs, au fascisme, n’a été sérieusement inquiété. Alors on accueille ceux de l’étranger qu’on peut cacher (52). Et on se cherche une nouvelle toune à chanter, puisque celle d’hier est tout à coup nettement passée de mode.
*
Parenthèse.
Le Hobbit. Les petits moutons, Question/Réponse numéro 232.
Question :
Le 17 avril 1950, une pétition portant les noms de cent quarante-trois personnalités éminentes du Québec est envoyée à Ottawa au ministre responsable des questions d’immigration, Walter Harris. Parmi ces 143 signatures, on retrouve celle de Rosaire Morin, président général des Jeunesses laurentiennes. Pouvez-vous dire quel est l’objet de cette pétition ?
Réponse :
Il s’agit d’une pétition demandant le renversement de la décision d’un comité d’enquête qui recommande l’extradition du Canada vers la France de Jacques Dugé de Bernonville, l’un des principaux dirigeants des Milices pétainistes pendant l’Occupation allemande en France, c’est-à-dire de l’un des officiers les plus haut placés dans la lutte contre la Résistance. Il a fui la France à la débâcle allemande et s’est réfugié au Québec où il profite de nombreux appuis. Entre-temps, en France, il a été condamné à mort par contumace.
« Le Québec est [donc] le seul lieu du monde où on est pétainiste non pas entre 1940 et 1945, mais encore et plus que jamais entre 1945 et les années cinquante ! »
MARC ANGENOT – 1996 (53)
Parmi les autres signataires de la pétition, en plus de monsieur Rosaire Morin, n’en soulignons pour l’instant que cinq :
1) René Chaloult, père du Torchon bleu et qui appelle le chanoine Groulx “mon maître”.
2) Robert Rumilly, ardent promoteur du pétainisme et farouche antisémite.
3) Camilien Houde, maire en titre de Montréal, qu’on voudrait bien nous faire voir comme un martyr.
4) Édouard Montpetit, secrétaire général de l’Université de Montréal, celui-là même que Durocher et Compagnie nous présentent comme l’un de ceux qui modernisent (vérifier le terme exact, mettre citation et référence) le clérico-nationalisme et qui, en janvier 1917, signait dans le premier numéro de L’Action Française de Montréal – cette Action française qui n’avait rien à voir avec celle de Charles Maurras –, un article intitulé Vers la supériorité.
5) Arthur Tremblay, président de la Société Saint-Jean-Baptiste, laquelle Société Saint-Jean-Baptiste, en 1942, nous l’avons vu, a interdit aux représentants de la France libre de De Gaulle le droit de participer à sa parade du 24 juin parce qu’elle préférait les représentant du gouvernement Pétain – on ne peut vraiment pas dire que la valeureuse Société manque de suite dans les idées.
Au fait : j’insiste sur la signature de monsieur Tremblay essentiellement pour entendre un jour, si jamais mon livre allait paraitre, un représentant de la SSJB expliquer au Point et à Télé-Québec, avec l’appui moral de Durocher, de Lacoursière ou quelqu’autre des toréadors de la Belle époque, que « Qu’est-ce que vous voulez, en 1950, on ne le savait pas ce qui s’était passé en France pendant la guerre ! On pouvait quand même pas deviner ! », et pour voir l’animateur ou l’animatrice opiner du bonnet d’un air déconfit en faisant : « Ah non, effectivement, eh non, c’est vrai, oui, ah ben oui hen ? Vous avez bien raison mon pauvre monsieur, non c’est vrai, effectivement : comment auriez-vous pu le savoir ? », avant de passer à la pause commerciale après laquelle nous recevrons Pierre Falardeau qui nous parlera de son amour pour le chanoine, ou Michel Vastel qui nous parlera du crime des Juifs. À moins que ce ne soit Jacques Parizeau et Pierre Bourgault qui nous interpréteront un numéro inédit de stand-up intitulé Cutty Sark, argent et vote ethnique. Ou pour avoir le plaisir de lire un article du très sérieux bi-mensuel L’Actualité évoquant le lapin obèse qui vit chez moi (expliquer). (54)
*
Bernonville – sous le pseudonyme de Jacques Benoit – se cache à Saint-Pacôme de Kamouraska, c’est-à-dire là même où Chaloult (55) possède un chalet d’été. Quand je vous dis que le monde est petit… Il est protégé par le nabab de la place, Alfred Plourde (56), lequel a été secrètement briefé par Noël Dorion (57) et deviendra plus tard député de l’Union nationale.
En 26 (58), Bernonville était militant de l’Action française de Maurras. Le monde est décidément tout petit petit petit… En 38, il a été associé au complot de la Cagoule (59). Très tôt, il s’est fait collaborateur d’Abel Bonnard (60). En 41, il a été chargé d’affaires aux questions juives au Maroc, c’est-à-dire qu’il y a été fait responsable de l’application des lois antisémites de Vichy, celles-là mêmes que Papon (61) appliquait aussi, mais dans la métropole. Bernonville s’occupait par ailleurs de collecte d’informations qui aboutissaient chez les Allemands. Il devint directeur des études à la très pétainiste École des cadres d’Uriage. (62) Il prêta serment à Hitler en 43 et se retrouva, coucou, sur la liste de paie des SS. Il se lança dans la traque aux maquisards aux Glières, puis dans le Vercors, fit incendier fermes et habitations, torturer et fusiller ses prisonniers. En mai 1944, il devint directeur au Maintien de l’Ordre en Bourgogne : arrestations, tortures, livraisons de prisonniers aux Allemands. Il fuit en Allemagne au moment de la débâcle, passe par l’Espagne de Franco et Quebec here I come…
À la même époque, au moins quatre autres pétainistes de choc sont réfugiés ici (63). Dans une entrevue à La Presse, Camilien Houde parle d’une possibilité d’une vingtaine d’extraditions. Emporté par une hystérie qui ne nous est pas inconnue de nos jours, Houde télégraphie au chef d’état-major des USA pour lui demander de protéger de Bernonville… « j’appartiens à un groupe ethnique d’expression française, le seul du continent, et […] il nous faut la protection des puissants pour obtenir justice » (64), c’est-à-dire pour pouvoir protéger des criminels de guerre que nous cachons chez nous. La campagne fera tellement de bruit, et ira chercher de tels appuis qu’elle vaudra la mention en France d’« une province nazie de langue française : le Québec » (65). Maudits Français !
René Chaloult, toujours lui, aurait déclaré que si Bernonville s’était appelé Bernondsky, on ne lui aurait pas fait autant d’embêtements pour l’accueillir au Canada. (66) Quand je vous dis qu’il n’y a jamais eu d’antisémitisme au Canada français… Céline Dion n’est d’ailleurs pas notre première grande vedette internationale… en février 1949, la radio nationale d’Espagne – franquiste, évidemment – se sert d’écrits de Rumilly pour justifier la lutte menée par Vichy contre la Résistance durant l’Occupation de la France. Yé.
Fin de la parenthèse
*
Et à présent, revenons juste un instant à nos petites boucles de tout à l’heure.
Vous vous souvenez de L’Action nationale, qui en 92 compte au nombre de ses directeurs Pierre Trépanier-l’écrasement-ignominieux-des-fascismes ? Eh bien cette revue, en 1997, au moment où Trépanier fait toujours partie de la Ligue, a à sa tête…

… Rosaire Morin, qui, dans son jeune temps, à titre de président général des Jeunesses laurentiennes, demandait qu’on empêche l’extradition de de Bernonville.
*
On continue.
1948 – Grandement aidé par les pressions exercées par l’Ordre de Jacques-Catier, Groulx force Duplessis à avaler la Guenille – après lui en avoir fait redresser les fleurs de lys.
Entrevue , 50 ans ans plus tard, avec l’un des innombrables historiens de service : Jacques Lacourisère. [Écoutez ça, ça vaut le coup]
« Et ils ont fait passer le drapeau. »
Cette redoutable OJC dont Lacoursière reconnait bien tardivement le pouvoir en 1998, c’est parce que T.D. Bouchard a osé la dénoncer au Sénat en pleine Deuxième Guerre, ce qui a en un clin d’œil soulevé une véritable tempête, que Godbout l’a sacrifié… est-ce assez vous dire sa puissance ?
Dites-moi donc ça, vous, là, là. Une société secrète, et donc sans comptes à rendre à qui que soit d’autre que ses chefs, qui peut faire battre des députés, qui peut faire adopter un drapeau dont même le seigneur et maître Duplessis ne veut pas, qui force un autre Premier ministre, en pleine guerre, à se débarrasser du seul politicien qui pourrait la menacer… vous en connaissez beaucoup, des étiquettes pour désigner ça ?
Oh, et puis tenez, pendant que nous sommes sur le chapitre de l’OJC, ré-écoutez-le donc ici, cet admirable historien Lacoursière — dont j’ai été OBLIGÉ au Secondaire d’étudier les tabarnak de rengaines, triple estie de saint-sacrament ! –, écoutez-le à nouveau admettre, l’âme en paix, qu’il a été l’un des plus jeunes grands commandeurs de cette organisation secrète capable de mobiliser le Québec en un rien de temps ! Ostie de vieux câlice ! Pas juste « membre », pas juste « commandeur » : « Grand commandeur » ! C’est-à-dire pas un simple exécutant, mais un de ceux qui les repassaient et veillaient à les faire exécuter, les si efficaces mots d’ordre !
Dire que j’ai déjà été assis devant lui – sans savoir (ce qui m’a peut-être évité un séjour en prison pour voies de fait). Écoutez-le, et repensez à dix mille cinq cents curés, après la défaite de leurs copains fascistes européens, s’engouffrant dans des cabines téléphoniques pour en ressortir en complet – vous ne trouvez pas que le sien est joli comme tout ?
Cet homme, durant mes études secondaires, j’ai, à l’instar de centaines de milliers d’autres, été OBLIGÉ d’étudier son sacrament de manuel !
Décennie 50 – Les Québécois passent du statut de « Conquérants » (voir, plus haut, lmguibault) et de Dompteurs de Sauvages à grands coups de barils de poudre (voir Groulx), à celui « Colonisés ». Merci pour le hint, monsieur Fanon – vous pouvez retourner vous coucher.
1959-1960 – Out Maurice, out l’Union nationale, out les soutanes. Mais l’essentiel de la construction, c’est-à-dire la Guenille et les curés – en civil désormais – reste en place.
1970 à 2010 – Le Québec est, selon les besoins de la propagande du moment, de droite ou de gauche, mais toujours sous le même flag et toujours dans la perspective tardivelio-groulxienne – jamais dénoncée.
Les historiens comme Trépanier, Durocher, Lacoursière et une trâlée d’autres continuent leurs beaux efforts, tantôt discrets tantôt tonitruants, pour mettre la table en vue d’un grand retour – et, aidés en cela par des armées entières de journalistes à la cervelle molle et de vieux fascistes qui passent leurs journées devant leur radio et leur tévé, à côté de leur téléphone puis devant leur clavier à e-mails, font vigoureusement fermer la trappe à tous ceux qui oseraient poser des questions le moindrement embêtantes. Ta yeule Delisle, ta yeule Lavertu, ta yeule Dubois. Vos yeules, tout l’ monde ! – à moins que ce ne soit pour brailler Gens du pays !
1977 – Aussitôt élu, le PQ ressort la statue de ce cher, de cet admirable Maurice, si précieux aux yeux de ou des LM Guilbault de Sorel, et la plante bien en vue sur les pelouses de l’Assemblée nationale.
1980 – Flop référendaire. Pas grave, on continue. De toute manière, ce flop n’affecte en rien l’emprise sur le pouvoir. Ni la doctrine ni le drapeau n’en sont affectés – et Maurice… on trouvera bien un jour le moyen de faire une bonne job de photoshop à son image. On n’est pas pressés.
1992 – Trépanier, en grande forme, déplore l’immonde écrasement des fascismes au 20e siècle, et milite pour la Cause tout en écrivant des beaux livres sur le Chanoine et en préparant la relève des historiens nationalistes.
1995 – Re-Flop référendaire. « Ostie de vote ethnique ! », s’écrie quelqu’un aussitôt achevé le dépouillement des votes mais, comme il se doit, la chose est dite « sans exclusion ni racisme » – tandis qu’un de ses copains (appelé Bouchard, Lucien) enjoint la population à fournir davantage de « bébés blancs » – toujours, bien entendu, dans un esprit de saine fraternité entre les races.
*
Et nous voici en 2017.
La revue sinon fondée en tout cas radicalement inspirée et animée par le chanoine il y a un siècle existe toujours.

Le drapeau flotte toujours.
Les estie de joueux de piano crèvent toujours la dalle.
La statue de Maurice n’a pas bronché de sa place depuis 40 ans. Et ce n’est pas parce qu’il est resté célibataire toute sa vie, le cher homme, qu’il n’a pas désormais une foisonnante descendance idéologique.
Bock-Côté réhabilite Groulx – non plus dans le privé ni dans les salles de classe, comme le faisait discrètement Trépanier durant sa belle carrière –, mais sur la place publique, renouant avec le militantisme à visage découvert d’un Robert Rumilly (67). Il le fait notamment dans les pages du journal fondé par un gars appelé Péladeau, lequel était un admirateur de Mussolini et, dans les années 50, avait sur son bureau une croix gammée en bronze – toutes choses qui, est-il bien nécessaire de le préciser, ne signifient stric-te-ment rien. And Jean Paré strikes again !

Bock-Côté, donc, réhabilite Groulx à fond la caisse – et plus le moindre signe de vie des innombrables grands yeules qui, il y a 20 ans, beuglaient en chœur, à tue-tête, qu’il n’avait plus aucune espèce de maudite importance, le chanoine ! Disparus ! Pft ! N’a pus.
Alexis Martin, de son bord, monte un beau show sur Camilien Houde.
Houde, élu conservateur, en 1930, avec l’appui des journaux d’Adrien Arcand… (69)

… et qui défendait l’Italie de Mussolini (70) :

De son côté, Martin Lemay, ancien député du PQ (il succède dans Sainte-Marie-Saint-Jacques à l’inoubliable André Boulerice) et conseiller municipal à Montréal, écrit un livre pour démontrer que…
Maurice Duplessis a été le plus grand premier ministre de l’histoire du Québec. Plus grand qu’Honoré Mercier, Louis-Alexandre Taschereau, Jean Lesage, Robert Bourassa et même René Lévesque. (71)
Hmmmm ? Préface de… qui ?
Est-ce bien étonnant de la part d’un péquiste, quand on sait comment, en 77, la statue du Cheuf, à Québec-Ville, s’est retrouvée à contempler la Grande-Allée ?
*
Et puis, pendant ce temps…
… un Québécois qui a eu, lui, l’idée saugrenue et vraiment pas courante cheux nous de lutter contre le fascisme et l’extrême droite…
… idée pas si courante sans doute parce, cheux nous, les deux phénomènes qu’il entend combattre n’ont jamais existé, comme chacun sait…
… a un matin la belle surprise de trouver son nom sur des stickers collés à la grandeur des portes d’une station de métro, accompagné d’injures. (72)

En 1936, sans doute ?
Eh ben, non – pas tout à fait…
Le JOUR-MÊME où MBC publie son beau papier sur la mystique nationale dans le journal fondé par Péladeau-as-tu-vu-ma-belle-croix-gammée-en-bronze. (Je ne trace aucun lien de causalité, je me contente de constater la simultanéité.)
Mais rien de tout ça ne veut dire quoi que ce soit.
*
Et… un massacre dans une mosquée de Québec, lui ?
Non plus.
D’ailleurs, la mosquée, ce n’ÉTAIT PAS un acte terroriste.
Quoi ?!
Hé non.
Pas d’après la loi canadienne, en tout cas – laquelle s’est appropriée le mot « terroriste » pour le retourner sur sa doublure, lui faire faire trois pirouettes arrières, un grand jeté et quatre salto de côté, ce qui est excellent pour l’exposure des procureurs qui peuvent ainsi se faire inviter à la queue-leu-leu aux infos et (tenter d’) expliquer leurs subtils jeux de cache-cache et de petit pois sous le gobelet, ce qui aide en chien le citoyen à comprendre le monde dans lequel il vit.
Le pauvre citoyen, lui, tata qu’il est, il s’imaginait jusqu’à hier que « terrorisme » était le mot servant à désigner un acte violent commis dans un but politique pour attirer l’attention sur une cause – et il en est pour ses frais : ce n’est pas ça, ou ce l’est peut-être, ou ce ne l’est peut-être pas. Et zouf… un autre mot de kidnappé. Après ça, essayez donc d’expliquer à un enfant que foncer en camion dans une foule EST du terrorisme, mais que prendre son fusil, se rendre dans un lieu de prière et tirer à bout-portant des gens en train de se recueillir n’en est pas un. S’il ne vous écrase pas son cornet dans le front, demandez immédiatement à son médecin de réduire sa dose de calmants.
*
D’ailleurs tenez, parlant de Québec – elle a bien changé, cette bonne vieille ville.
Imaginez un peu : dans les années 40, en pleine guerre, on n’y tirait pas le monde dans une mosquée, on y mettait le feu à une synagogue.
*
1942 – Une communauté juive de Québec veut se construire une nouvelle synagogue, l’existante menaçant ruine.
Le Conseil municipal décide que non, et interdit la construction d’édifices religieux dans le quartier :

95 % des familles catholiques de la paroisse se prononcent ouvertement CONTRE « le projet de construction d’une synagogue » :
Sauf que… oups, se réveillant soudain d’un sommeil profond à la Blanche-Neige, le maire s’aperçoit que de toute façon elle ne peut pas être construite, la synagogue, parce que… parce que… parce que… Ah ! Parce que le terrain est prévu pour servir… au prolongement d’une rue ! Oui, oui, c’est bon, ça, le prolongement d’une rue ! Fiou !
Sauf que, encore un coup, un petit peu plus tard encore… ce n’est plus au prolongement d’une rue que le terrain doit servir, mais à… à… à… Ah ! L’agrandissement d’un parc ! Yé ! Riche idée ! Lequel agrandissement est immédiatement entériné par le Conseil municipal – ce qui prouve on ne peut plus clairement qu’il ne l’était pas avant !

Le Congrès juif s’insurge contre la manœuvre même pas subtile – et le fichument démocrate journal L’Action catholique lui répond de prendre son trou : “C’est de la calomnie !”

En août, la cause se retrouve devant les tribunaux :

Le lendemain de l’ouverture du procès : « Grande Assemblée Patriotique » dans le parc en question.
Je vous demande pardon ?! “Une Grande Assemblée Patriotique” ? Pour… l’agrandissement d’un parc ?! Eh oui.

1944, en mai, les promoteurs du projet de synagogue gagnent leur procès (« Jocelyn Waller » a bien raison, allez : méfiez-vous du droit !) :
Deux semaines plus tard, en pleine nuit… le feu prend dans la synagogue.
Le chef de police enquête.

Une fenêtre a été forcée et on a retrouvé sur les lieux une canisse qui « aurait pu contenir un liquide inflammable » et deux vadrouilles. Un chimiste ne parvient pas à identifier exactement la substance utilisée, mais se dit « positif que la vadrouille et le récipient contenaient un liquide très inflammable, qu’il croit être du genre Naphta ». Par ailleurs, avant l’incendie, un témoin a vu deux hommes se diriger vers l’arrière de la synagogue.
Quelques jours plus tard, le maire et L’Action catholique accouchent d’une version officielle : “Y a rien là, fa ke… arrêtez de nous faire des procès d’intention !”
*
Qu’est-ce que je voulais prouver, avec ça ?
Rien du tout.

*
Oh, pendant que j’y pense…
L’année précédant l’incendie de la synagogue, en 43, à Montréal, lors d’une élection partielle, un communiste se présente – et est élu. Le seul député communiste de l’histoire canadienne. Dans un quartier multi-ethnique. Son principal adversaire est Paul Massé, du Bloc populaire – lequel Bloc est contre la conscription et contre la guerre parce que les femmes, en partant pour l’usine, vont détruire la famille. Il est poussé dans le dos par les joyeux drilles du Devoir, bien entendu, et joue à fond la caisse la carte antisémite. Un de ses dépliants supplie (en 5 langues) les citoyens de Montréal-Cartier de voter pour lui parce qu’il est… le seul non-juif à se présenter.
Les derniers paragraphes se lisent :
Le comté de Cartier compte pour 55 pour cent de Canadiens français, 20 pour cent de Canadiens de diverses origines et seulement 25 pour cent de juifs.
Unissons-nous et empêchons qu’on nous vole l’élection (…).
De quoi il faut bien déduire que les Juifs (avec ou sans majuscule) ne sont pas des “Canadiens de diverses origines”.
Sympathique…
*
Oh, et d’ailleurs… ça n’a aucune espèce de rapport, mais…
Son organisateur de comté, à Massé, c’est…
Voyons, c’est quoi, son nom ? But…? Nov…? Ça finit en « gné », me semble…
Non, je l’ai ! Chartrand !
Michel, Chartrand.
Hen ?! Chartrand ?!
Celui dont le mariage va être célébré par…
Voyons, comment qu’y s’appelle ?! Dutronc ? Non. Lafarge ? Non.
Ah!, je l’ai ! Groulx ? Lionel, Groulx ?
C’est en plein ça.
*
Revenons juste un petit moment sur le sujet du terrorisme.
Dans les années 90, quand j’ai découvert que la Crise d’Octobre 70 a passé à un tout petit poil d’être en fait la Crise de Février 70, mais que Jacques Lanctôt et un complice avaient à ce moment-là été arrêtés lors d’un contrôle de routine (73) alors qu’ils étaient en route pour aller kidnapper le consul d’Israël au nom de l’amitié québéco-palestinienne… je m’étais écrié « Eh tabarnak ! »
Pourquoi donc ?
Oh, pour rien : un détail infime.
Vous savez qui était le paternel de ce Jacques Lanctôt qui va se reprendre quelques mois plus tard et déclencher la Crise d’Octobre ? Non ? Vraiment pas ? Dommage. Ça vous fait un portrait de famille ravissant.
Son père, il s’appelait Gérard. Et ça s’adonne — je vais finir par croire que le hasard en veut au Québec personnellement — qu’il a été le bras droit d’Adrien Arcand à la tête du Parti fasciste canadien – rebaptisé en 38 Parti de l’Unité nationale du Canada, et qu’il a hérité de la direction de la section du Québec à la mort du Führer de Montréal – il est toujours en poste en 70…
… quand son fiston est saisi de folles envies de kidnapper quelqu’un, n’importe qui, au hasard… et que le destin aveugle lui fait désigner un Juif-ça-veut-rien-dire. En 70 !
On ne peut bien évidemment pas rendre un gars responsable des opinions politiques de son père. Mais ne venez pas me raconter que si vous lisez quelque part que le gars qui a déclenché la Crise d’Octobre était le fils du chef des fascistes du Québec et qu’il avait d’abord voulu kidnapper le consul d’Israël à Montréal, il ne vous traversera pas la tête qu’il y a, chez certains membres de la famille, une remarquable continuité. (74)
*
Des années plus tard, le même « Eh tabarnak ! » jaillit à nouveau de ma gorge tel le cri de Tarzan qui vient de se péter un orteil sur une patte de table, quand je vois tout à coup la jolie photo de…

… Julien Poulin (75) souriant (littéralement aux anges) (et accompagné de Pierre Falardeau) brandissant un étendard du Hezbollah !
Attendez, attendez ! C’est pourtant parfaitement logique : Poulin est un fervent nationaliste, et est associé à fond la caisse, à Pierre Falardeau. Quand on connait l’histoire du mouvement qu’ils appuient tous les deux, fondé par des curés ultramontains et autres Tardivel, il n’y a donc rien de plus logique pour lui que de s’associer à un autre intégrisme – d’intégristes à intégristes, on se comprend. Ça me rappelle ce reportage passé à Télé-Québec dans le temps, dans lequel on interviewait deux leaders religieux extrémistes : un du côté juif et l’autre du côté palestinien. Ils finissaient par affirmer qu’entre eux, au moins, il y avait le terrain commun de la foi ! Sous-entendu : il n’y a pas celui de la démocratie et de ses valeurs, et ce sont elles, nos ennemies en commun.
Bref, l’intégrisme étant déjà son « habitat naturel » jusqu’à la moelle, à Poulin, et comme, cheux nous, les saperlipopette de curés ultramontains ont déserté la soutane, peut-on lui reprocher, le pôv’ gars, de chercher ailleurs un peu de réconfort spirituel ? Hmmm ?
C’est sans le moindre doute de ce côté-là, celui de réconfort spirituel, je veux dire, qu’il faut chercher l’explication de l’image de Poulin, à première vue un peu bien étonnante, comme on disait dans le temps de Molière…
… à moins d’être un enfoiré de première comme moi, bien entendu, et d’être surtout frappé par le fait que la cause palestinienne dans le cas de Lanctôt et celle du Hezbollah dans celui de Poulin ont l’immense vertu de permettre d’être antisémite après la 2e guerre comme leurs ancêtres idéologiques, ici, l’étaient avant elle et pendant.
Si c’est le cas – et l’enfoiré que je suis ne peut pas s’empêcher d’en être convaincu –, cela ne peut impliquer qu’une chose au présent, exception faite de la parenté entre extrémisme musulman et tradition ultramontaine – tous les deux considérant que la religion (la « mystique de la cause ») est au-dessus des considérations politiques – et c’est que l’amitié québéco-palestinienne ou québéco-hezbollah est pour Lanctôt, Poulin, Falardeau et leurs pareils un simple prétexte (ce que l’antisémitisme a toujours été).
Par exemple :
En général, l’art de tous les vrais chefs du peuple de tous les temps consiste surtout à concentrer l’attention du peuple sur un seul adversaire, à ne pas la laisser se disperser. Plus cette assertion de la volonté de combat d’un peuple est concentrée, plus grande est la force d’attraction magnétique d’un pareil mouvement, plus massive est sa puissance de choc. L’art de suggérer au peuple que les ennemis les plus différents appartiennent à la même catégorie est d’un grand chef. Au contraire, la conviction que les ennemis sont multiples et variés devient trop facilement, pour des esprits faibles et hésitants, une raison de douter de leur propre cause.
Aussitôt que la masse se voit en lutte contre beaucoup d’ennemis, elle se pose cette question : est-il possible que tous les autres aient vraiment tort et que, seul, notre mouvement soit dans son droit ?
C’est alors que ses forces se paralysent. C’est pour cela qu’il faut toujours mettre dans le même tas une pluralité d’adversaires les plus variés, pour qu’il semble à la masse de nos propres partisans que la lutte est menée contre un seul ennemi. Cela fortifie la foi dans son propre droit et augmente son exaspération contre ceux qui s’y attaquent.
ADOLF HITLER (76)
Il ne faut donc qu’un seul ennemi à la fois. Et, si on en change, il faut en changer complètement.
Ce qu’il signifiait, mon deuxième « Eh tabarnak ! », c’était donc ceci : « Ils vont avaler leur gomme sur un crisse de temps, les copains Palestiniens et du Hezbollah, le jour où Lanctôt, Poulin, Falardeau et leurs gangs vont décider de changer de cible, de lâcher les Juifs et de se mettre à jour avec l’extrême-droite européenne en passant aux Arabes ! »
Quand j’essayais d’expliquer ça à des gens que je rencontrais, en 2006-2007, par-là, mes vis-à-vis, devinez quoi, me regardaient comme si je venais de débarquer de ma soucoupe et n’arrivaient pas à se faire une opinion esthétique au sujet de mon teint vert à pois bleus et de mes yeux sur pédoncules : « Ostie d’ sacrament d’ Dubois à marde ! Tout l’ temps en train d’essayer de déterrer la ‘tite beubitte cachée dans un coin, heeen ?! »
Eh oui.
C’était surtout le qualificatif de « ’tite » beubitte que j’aimais. Une star nationaliste qui brasse un drapeau du Hezbollah, pour eux, c’était une « ’tite » affaire.
Savez-vous quoi ? Ils m’expliquaient que… ça ne voulait rien dire du tout.
Rappelez-moi de vous raconter un jour à quel point j’en ai plein le cul de me faire expliquer que les choses ne veulent rien dire du tout, par de gens qui ne sont pas allumé un seul câlice de neurone depuis l’âge de 4 ans et demie !
*
Bref.
Tout ça me brasse dans la tête.
Je pars me coucher.
Et puis, ce matin : « Mystique nationale ! »…
… c’est-à-dire le cœur-même des discours de Groulx et de sa gang de fripouilles ! (77)
*
Je rêve.
Je rêve.
Je rêve sûrement.
Je vous jure que je rêve.
Et qu’il n’est pas question que j’ouvre les yeux.
*
J’avais juste envie de vous dire ceci.
Puisque, de toute manière, peu importe ce qu’on écrit en rêve – ça reste entre soi et soi.
J’avais juste envie de vous dire :
Préparez-vous, les momies sont en train de revenir à la vie.
Je veux dire : à visage découvert, comme autrefois. Telles quelles.
J’entends déjà les charnières des couvercles de leurs sarcophages, qui grincent en se soulevant doucement.
Préparez-vous, les momies sont en train de revenir à la vie. Et c’est bien normal, au fond, allez. Puisque cette société paralysée est tout entière consacrée à la mémoire de leurs vies antérieures – sans qu’il y ait eu la moindre véritable alternative en vue depuis 60 ans au moins.
Préparez-vous, les momies sont en train de revenir à la vie. À quoi d’autres peut-on s’attendre, quand les penseurs et les artistes crèvent de faim et sont inaudibles à la demande générale et dans une indifférence parfaite – et inamovible. Parce que quand ça crève pas de faims, ces esties-là, ça fait chier sur un méchant temps. Alors tout le monde est content.
Je voulais vous dire :
Dans le vide, la vie n’est pas possible.
Mais la mort, elle, oui.
Alors regardez-la approcher. Préparez-vous. Cette fois-ci, ce sera sans doute leur grand baroud d’honneur, aux momies. Depuis le temps qu’elles l’attendent, en contemplant les yeux pleins d’eau leur crisse de drapeau sur tous les édifices publics et pendouillant à dix mille balcons.
Leur baroud d’honneur. Avant que la société qu’ils ont si fort et si bien œuvré à paralyser ne tombe en cendres.
Elles n’ont rien à craindre.
Pas en vue le moindre adversaire digne de ce nom.
Ceux d’autrefois, qui se sont opposés à elles de toutes leurs forces mais en vain, et dont vous ne connaissez vraisemblablement même pas les noms, dont de toute manière vous vous contre-tabarnakez comme de l’an 40, les Jean-Louis Gagnon deuxième manière, les T.D. Bouchard, les Jean-Charles Harvey… il n’y en a même plus un chat pour chausser leurs bottines.
Vous le trouvez risible, Trump ? Une espèce de Dictateur à la Chaplin, vulgarité en plus ? Attendez de voir à quoi vont ressembler nos cadavres de chanoines ressuscités, à nous et rien qu’à nous, le jour où écrire des beaux articles et des beaux livres, et se donner les uns aux autres des belles conférences, ne leur suffira plus.
Et qu’ils passeront à l’action.
–
« Passer à l’action ?! Pffff ! Foutaise ! », venez-vous sans doute de vous écrier à la lecture de la ligne précédente. « Nous autres, on est des pacifistes, tu sauras ! OK ?! Parler d’un risque de dérapage violent de la Cause c’est rien d’autre qu’un fantasme pervers entretenu à dessein par ceux qui haïssent le Québec ! » ?
Faux !
Le Québec n’est pas pacifique par nature – pas plus en tout cas qu’aucune autre société.
S’il n’a pas encore été mis à feu et à sang, ce n’est pas à cause de quelque illusoire pureté, mais pour au moins deux raisons géopolitiques évidentes :
1) À cause de l’inclusion du Québec dans le Canada, et de la libre circulation des personnes qui découle de cette inclusion. Ça fait des dizaines et des dizaines d’années que grâce à cette libre-circulation les mécontents de la situation ici sacrent leur camp dans les autres provinces à pleines portes. S’ils en avaient été empêchés, et étaient restés pognés ici de force, je vous garantis que ça ferait un maudit bout d’ temps que la marmite aurait fait explosion.
2) Les hyper-nationalistes d’ici n’ont jamais pu envisager une campagne militaire tout simplement parce que le déséquilibre des forces sur le terrain, en Amérique du nord, aurait été par trop immense. L’option militaire, on ne pouvait avoir recours à elle que « par la bande », comme on dit au billard : en laissant d’autres que nous mener le combat les armes à la main. D’où les affinités européennes de la Deuxième Guerre.
Quand il s’agit de défendre la démocratie, les Québécois rechignent (politiquement, en tout cas – puisque certains individus trouvent chaque fois le moyen de casser le moule et de s’engager).
Mais quand c’est de l’attaquer, la démocratie, qu’il s’agit, pouf, on vire de bord encore un coup et on fonce !
Savez-vous ce que signifie le nom de la rue de Mentana, à Montréal ?
Non ?
Pas grave, prenez un aut’ bière.
*
Elle célèbre…
Une victoire des Zouaves contre les Républicains de Garibaldi !
*
Mon cauchemar, ce n’est donc pas seulement l’article poche de Bock-Côté – un article poche au sommet d’une montagne d’articles poches. C’est d’abord et surtout l’article de Bock-Côté maintenant ! En plein déferlement d’extrême-droite et de délires autoritaires dans des régions entières de la planète – en Espagne, aux Philippines, en Russie et dans d’autres pays de l’ancienne URSS, au moment du Brexit, de Marine Le Pen et allez donc.
Mais surtout : aux USA !
Pour la première fois depuis une éternité, le règne de Trump laisse entrevoir la possibilité (encore bien faible, c’est vrai, mais plus forte que jamais) de désordres publics graves chez nos voisins du sud. S’ils allaient advenir et prendre de l’envergure, ils changeraient considérablement la donne sur tout le continent nord-américain. Si ces désordres allaient éclater puis faire tache d’huile, pour la première fois de leur histoire l’hypothèse paramilitaire serait envisageable pour les purs et durs tardivelio-groulxistes. Sans doute feraient-ils alliance avec les uns ou les autres des innombrables groupes suprématistes des USA – en tout cas, si vous croyez que l’hypothèse est farfelue, je vous suggérerais bien humblement de relire l’échange de LM Guilbault avec le Dixie Net, entre bien d’autres exemples.
C’est pour ça, qu’il y a mon cauchemar…
Parce que, dans de telles conditions, un article sur la mystique nationale le même jour que ça…
… c’est extrêmement difficile à laisser passer sans le relever.
*
Je l’ai dit – et je reviendrai sans doute plus longuement sur le sujet à un autre moment : le rêve fasciste induit le fantasme de suicide collectif violent.
C’est même une des raisons pour lesquelles j’ai renoncé au Hobbit en 2000 : pour ne pas risquer d’aggraver les choses – ce qui restait la seule hypothèse envisageable, à partir du moment où les améliorer me semble impossible.
Depuis plus de 20 ans, ma crainte a donc été à l’égard d’un remake à grande échelle d’Octobre, lequel mènerait presque à coup sûr à voir le Québec se faire sacrer une raclée de première magnitude.
Les fascistes du cru n’y verraient aucune objection, bien au contraire.
Relisez la citation d’Hitler au moment d’être battu :
Et ensuite, méditez « Waller » :
Le pacifisme asphyxie les souverainistes québécois.
et
Guerriers, cessez de tergiverser, rentrez au bercail, et prenez vos mesures. Il y a du pain sur la planche – de quoi vous occuper pour longtemps.
******
ANDY — T’es un révolutionnaire. (…) Qu’est-ce qu’y a ?
BOB — Y a pas grand chose qu’ j’haïs plus’ au monde que d’ me faire dire c’ que j’ suis ou ben c’ que j’ pense.
ANDY — Excuse-moi. C’était une question pour vrai, mais j’ai oublié le point d’interrogation.
BOB — Fais attention : j’haïs ça pour vrai. Pas parce que j’ai mauvais caractère, jus’ parce que les gens aiment mieux juger que penser. Pis qu’ chus allergique à niaiserie. Même la mienne.
ANDY — Promis. (…) Et puis ?
BOB — Quoi ?
ANDY — T’es un révolutionnaire ? (…) Non ?
BOB — Les révolutionnaires sont des gens extrêmement généreux… avec le sang des autres.
ANDY — Hiii. (Tu y vas pas avec le dos de la cuillère…). Les intentions suffisent pas ?
BOB — A’c un bazooka dans yeule pis des bâtons d’ dynamite dans ‘es mains ? J’ pense pas, non.
RDD (78)
*
La Meute…
En même temps que les attaques médiatiques tous azimuts contre les antifascistes…
Que les insultes lancées par des lâches anonymes…
En même temps que Bock-Côté, qui jouit de plus d’exposure que jamais…
En même temps que le livre sur Duplessis…
En même temps que des appels à la mystique…
Alors qu’aucune opposition digne de ce nom n’est articulée, ni même ne se profile à l’horizon…
Et alors que sur la place publique ne règne pratiquement rien d’autre qu’un vide vertigineux…
C’est ça, le grincement que j’écoute du fond de mon lit !
***********************
Postscriptum
le 13 septembre 2020
Hier, il y avait une manif, à Montréal.
Anti-masques.
Et pro-Trump.
Ça vous étonne ?
Pas moi.
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(25 septembre au 17 octobre 2017)
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