Le Printemps, monsieur Deslauriers

J’ me câlice de savoir quel pourcentage de mon rêve

est capable de résister à la réalité.

 Tout c’ que j’ veux, c’est qu’il vive.

Parce que j’ vis de lui.

Fak… qu’il vive,

dans l’état qu’il pourra !

 

Tout c’ qu’il me faut pour vivre,

C’est d’ savoir que la joie se peut.

Que, quelque part,

Quelqu’un pleure de bonheur.

 

Si moi chus pas capab’,

too bad.

 

J’ me sacre des probabilités qu’il y a

ou qu’il y pas

que l’ soleil se lève demain matin.

 

Si y s’ lève pas, tant pis !

On fera c’ qu’on pourra sans lui.

 

(François, le petit-fils)

 

 

 

 

 

 


 

Monsieur Deslauriers va mourir.

Cancer.

 

Le jour de son soixante-dixième anniversaire, il réunit ses enfants dans un aréna qu’il a construit autrefois, et leur annonce qu’ils sont tous déshérités. Et pourquoi ils le sont.

Et pourquoi il va reprendre la route.

.

.


.

Le Monologue

.

Chus parti d’ chez-nous à quinze ans.

J’ me suis sauvé.

J’ai.

J’ai faite des jobines. À Québec. À Rivière-du-Loup. À Rimouski. A Trois-Rivières.

Chus allé couper du bois en Abitibi.

 

À dix-sept ans.

À dix-sept ans, j’avais déjà mon voyage.

J’ voyais. Toué z’ aut’. Pis. J’ai eu. Peur. J’me suis vu comme eux-aut’ : à trente-cinq, quarante ans, rendu foreman, ou ben avec un bras en moins. Ou ben la tête, en moins. Dans ‘es beans. Pis.

 

Y avait.

Le foreman en chef. Le boss du chantier. Y v’nait des États.

Les soirs, pis l’ dimanche après-midi, les gars, on s’ racontait d’où c’est qu’on v’nait. Y en v’nait d’ partout. Des Allemands. Des Russes. Des Français. Un Hongrois. Lui, le foreman, y s’appelait.

Patrick.

Patrick queuk chose.

 

« Patrick », Patricia.

C’est comme.

J’ai jamais osé donner son nom à un des garçons. Pour pas y mett’ une trop grosse job su’ es épaules.

À mes yeux.

 

Un soir à l’automne, y s’est mis à nous raconter toués jobs qu’y avait faites.

Y nous a parlé des manufactures d’ la Nouvelle-Angleterre.

Du vacarme.

Des usines.

Des machines.

Y disait qu’aux États, y a des villes assez grandes pour marcher des heures pis des heures sans jamais rencontrer deux fois ‘a même face. Sans jamais rencontrer personne que tu connais.

Y disait que quant’ y travaillait, là, y avait un appartement.

Chez nous, on était dix-sept. Pis j’étais l’ bébé. Pour moi, une maison où c’ qu’y a pas vingt personnes dedans ‘à fois, c’était ou ben l’ désert ou ben un château. Un appartement, pour moi, c’était un château. Lui, y parlait de t’ çà comme si de rien était.

Y a ben des gars qui trouvaient qu’y d’vait nous conter des peurs pour faire l’intéressant.

Mais la plupart braillaient.

Moi, quant’ y parlait de t’ çà, y fallait m’ brasser, après, pour me ramener en Abitibi.

 

Ça y a pris trois soirs.

Trois soirs de…

De métro.

De bateaux qui braillent, en pleine nuit, en arrière des entrepôts d’un port.

De nuits qui finissent jamais.

De statues hautes comme des montagnes.

De montagnes avec des faces, hautes comme des maisons, sculptées d’dans.

De fontaines d’eau bouillante en plein milieu du désert.

D’arb’ au tronc large comme des rivières.

De villes au milieu du désert. Y disait : « Des villes comme un oeuf dans’ poêle. Le soleil te brûle la tête. L’air danse. »

De villes où c’ que ça parle français.

De maisons, avec des colonnes tout l’ tour, toutes blanches, quésiment toutes abandonnées, avec des nèg’ qui chantent la nuit, des familles complètes. Pis c’est tellement beau que tu t’écrases en arrière d’un arb’, pour pas déranger, pis tu pries pour que la nuit finisse jamais.

Y parlait.

De rues où y a du monde de toutes les couleurs.

Des odeurs que tu pensais pas qu’ ça s’ pouvait que ça puisse sentir aussi bon.

Des langues qui chantent.

Des langues qui cassent.

Des bébés de toutes sortes de couleurs. Qui jouent à des jeux dont t’as jamais entendu parler.

 

Ça y a pris trois soirs.

Pis le troisième soir, pendant qu’y parlait. J’ai eu comme un blanc.

 

J’me suis vu.

J’ai jamais pu m’ rappeler vraiment de quoi ça avait l’air : « là ».

C’était plus’.

Plus’ comme.

Comme.

Y avait une place dans l’ monde qui m’appelait.

 

J’étais d’ bout’ sur un long, long quai.

Y avait quelqu’un à côté d’ moi.

Qui m’ parlait.

Dans une langue que j’ connais pas encore.

Pis la mer bougeait : des grandes vagues calmes, ça sentait l’ sel.

Pis y passait un bateau.

Immense. On voyait la ligne des tôles. On entendait le grondement des machines. Su l’ bateau y avait des hommes qui nous criaient des affaires. Mais on entendait pas, à cause des moteurs.

Pis des vagues.

Pis des oiseaux.

Y nous faisaient des signes.

D’un coup, l’aut’ gars pis moi on se r’gardait, pis on éclatait d’ rire : on v’nait jus’ d’en descend’, de c’ te bateau-là.

On arrivait du bout du monde.

 

Pis aussi. J’me battais.

Dans une rue. Pas une rue d’asphalte, une rue d’ terre.

De poussière rouge et jaune.

Jus’ pour jouer.

 

J’ai entendu. J’ai senti. Comme si, jusque là, j’avais toujours été un puzzle où c’ qu’y manquait un morceau en plein milieu.

Pis là, j’ savais…

J’savais pas où…

Mais j’ savais que ben loin, dans un aut’, dans d’aut’ pays, le morceau du milieu m’attendait.

 

Pis là, y s’est arrêté d’ parler.

Net.

Pis y a fermé les yeux.

Comme si y v’nait d’ tomber endormi.

Au beau milieu d’une phrase.

 

Les aut’, on s’est r’gardé.

« Ben voyons, qu’est-cé qu’y fait ? »

«  Qu’est-cé qu’y y arrive ? »

« Parle. Continue. »

«  Tu parlais des vignes. Des collines couvertes de plantations. »

Y disait :

« Avec le ondulement des collines, ça fait, quant’ t’es placé assez haut, comme un océan d’ fruits. Avec des vagues. Pis d’ l’écume. Jaune. Orange. Vert. Noir. Bleu, pour les raisins. »

« Quoi d’aut’ ? Quoi d’aut’, t’as vu ? »

On était là, suspendus après son silence.

 

Ça a duré… peut-êt’ quinze minutes.

On l’ voyait lutter pour garder les yeux fermés. Les paupières plissées. La face tout’ (ratatinée…).

On était tout’ morts de peur qu’y r’parle pus. Qu’y aye pus rien à dire.

Le silence était pésant, pésant. Comme.

 

Pis d’un coup, y a rouvert deux yeux ronds ronds, y a ravalé, pis v a dit :

« Mon Dieu, j’avais oublié ça. »

 

Pis là, y s’est mis à raconter, d’abord ben lentement, que…

Quant’ y avait travaillé, dans ‘es vignes, quant’ y travaillait, là, un soir, pareil comme on était en train d’ faire là, y s’étaient tout’ mis, les ouvriers, à s’ conter des souvenirs pis des voyages.

Pis y avait un vieux, avec des grands ch’feux noirs qui y tombaient jusqu’aux épaules, qui était là à les écouter sans dire un mot, les yeux fermés.

Y travaillait pas là, lui, y vivait su l’ camp en cachette avec ses fils qui faisaient la cueillette.

Pis le vieux, un moment donné, s’est l’vé au beau milieu d’ la phrase d’un aut’, pis y a parlé.

Pendant deux jours et deux nuits.

Sans arrêt.

Un d’ ses fils traduisait parce que personne connaissait leur langue.

 

Le vieux a dit qu’y v’nait de plus loin, loin loin dans l’ sud.

Y a parlé pendant deux jours pis deux nuits.

Pis y sont tout’ restés à l’écouter, même les foremans, pis y ont tout’ perdu leu job quant’ les patrons ont appris çà.

 

Y a parlé qu’y a des places où y a des gens qui vivent dans des grottes creusées dans des falaises. Des villes complètes. Des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants.

Y a parlé qu’y a des pyramides qui existent. Qui ont été bâties y a des milliers pis des milliers d’années. Immenses. En gros blocs de pierre sculptée. Où on faisait des sacrifices, en haut. Y égorgeaient du monde parce que les dieux étaient tout l’ temps enragés pis ça les calmait. Pis ces dieux-là vivent encore. Pis y sont ben ben enragés parce que pus personne leur parle. Pis y z’attendent leur tour. Y z’attendent de r’venir. Pis y ont faim. Y ont soif. Pis y vont êt’ épouvantab’.

Pis autour des pyramides, y a des grandes forêts où y vit des animaux pour lesquels y a pas de nom ni en français ni en anglais.

Des animaux qui parlent.

Qui savent d’où c’est qu’ tu viens.

Pis qui savent c’ qui va t’arriver dans vie, mais y te l’ diront pas.

Mais si y en a un qui t’apparaît en rêve, écoute-le. Pis parle jamais de lui à personne. Sinon, là y est ton ami mais y va s’ sentir trahi pis y va s’ venger.

Y va t’abandonner.

 

Y a parlé de pauvreté.

De villes faites en vidanges.

De monde, des tribus au complet qui s’ battent pour pas mourir de faim.

Y a parlé d’un tout p’tit pays où y a un grand lac où y a des soldats ben grands pis ben blonds qui parlent en anglais pis qu’y viennent des États, y en a partout, pis y ont des avions pour faire sauter des villages avec tout l’ monde qu’y a d’dans.

Y a parlé de maladies épouvantab’.

Y a parlé de montagnes où y a du monde qui vivent cachés là, y veulent pas avoir affaire aux Blancs, pis y a des soldats pis tout’ sortes de monde qu’y ‘es cherchent mais y ‘es trouveront jamais.

 

Pis là, une fois, le vieux avait vu une cérémonie où un vieux, après avoir passé des années à enseigner à un plus jeune à danser, quant’ y sentait que sa propre mort arrivait, le laissait faire pour la première fois.

Pis dansait avec lui jusqu’à temps qu’y meure.

Pis à partir de c’te moment-là, le jeune devait commencer à chercher son futur remplaçant à lui.

 

Y a parlé qu’un jour, dans un pays, y a un soldat qu’y est arrivé pour demander au roi d’y donner la main d’ sa fille.

Le roi y a dit : « J’peux pas. On est en guerre. C’est pas l’ temps d’ fêter. Va t’ batt’. Pis si on gagne pis si tu t’en sors, er’viens m’ voir. » Pis après la guerre, le soldat r’vient. Pis y trouve le roi en train d’ pleurer, avec sa fille morte, à ses pieds. Le soldat prend la fille dans ses bras pis part avec. Pis y va s’asseoir le long d’une route. Pis l’ monde qui passent y d’mandent : « Qu’est-cé qu’tu fais là ? » Pis le soldat répond : « J’attends qu’ ma bien-aimée s’ réveille. » « Mais tu vois ben qu’est morte. » « Oh non, oh non, est par morte. » Pis y attend. Y attend. Tellement longtemps qu’ la poussière finit par les r’couvrir toué deux. Pis par en faire des tites bosses, pis après çà des collines.

Pis asteur y sont deux volcans un à côté d’ l’aut’.

Pis un jour y en a un qui va s ‘réveiller.

 

Y a parlé d’une ville où y a eu cinq tremblements d’ terre. Parce que la ville est bâtie proche d’une montagne dans laquelle y une sorcière d’enfermée, ou un dragon, j’ me rappelle pus, me semb’. Oui, oui, un dragon enfermé là par une sorcière, ça fait ben ben longtemps. Pis a l’a attaché par les ch’feux dans ‘montagne.

Quant’ y est arrivé là, y avait sept ch’feux.

Pis y s’ débat.

Pis de temps en temps, y a un ch’feux qui casse. Pis y a un tremblement d’ terre.

Pis y res’ deux ch’feux.

Pis quant’ y en restera pus, le dragon va t’êt’ libre pis la ville va disparaît’ en poussière.

 

J’en ai rêvé.

Jour et nuit.

Un an d’ temps.

Une année complète.

En mangeant.

En travaillant.

J’entendais le cri des oiseaux.

Pis celui des gens à qui ont ouvrait l’ vent’ pour essayer d’ calmer ‘es dieux.

Pis celui des gens à qui on ouvrait l’ vent’ pour essayer d’es faire t’nir tranquilles.

 

Des animaux m’ parlaient.

Me disaient d’où c’est que j’ v’nais.

Pis j’avais beau leur répéter :

« Où j’ m’en va ? Où ? C’est çà que j’ veux savoir. »

Y faisaient rien qu’ me rire en plein’ face.

 

Un an d’ temps.

Jusqu’à penser en v’nir fou.

À avoir peur de m’ mett’ à m’adresser aux aut’ gars du chantier dans des langues qui existent pas.

Un an d’ temps.

 

Une nuit, avec queuk piasses dans mes poches, j’ai sacré mon camp.

Dans boue.

A’ec quésiment rien à manger.

 

J’ai traversé ‘a province.

À pied.

En quêtant pour manger quant’ j’ traversais un village.

Pis en jeûnant le res’ du temps.

En g’lant.

En perdant connaissance souvent.

 

Une nuit, j’ marchais.

Y neigeait.

La vie était grise à pert’ de vue.

 

J’ai fermé ‘es yeux.

 

D’in coup j’ les ai rouvert, pis y avait une sœur à cornette penchée su moi.

Aussitôt qu’a m’a vu ouvrir les yeux, a s’est mis à crier.

Y en a cinq, dix, douze aut’, qui sont arrivées.

Y en avait une qui m’ brassait. A m’ forçait à l’écouter. A m’ disait qu’ j’avais été trouvé quésiment mort, dans’ un banc d’ neige.

« Mais qu’est-cé qu’ vous voulez qu’ ça m’ sac’, moi ? Laissez-moi dormir. »

A piaillait, à m’ criait d’attend’ l’aumônier. « Y s’en vient. » Ê m’ suppliaient de pas mourir avant qu’y arrive.

Y m’a donné l’extrême-onction.

« Si y peut finir. Que j’ me rendorme. C’est trop loin, là. J’me rendrai jamais. »

 

Pis d’in coup, c’est r’venu. Encore plus clair que la fois au chantier : la même sensation :

« Envoye, viens t’en.

T’es capab’.

Viens t’en.

Viens voir les bateaux.

Viens t’ batt’ pour le fun, dans poussière.

Viens voir des faces comme t’as jamais imaginé qu’y pouvait en exister.

Y a des langues dont t’as jamais entendu parler qu’y attendent que t’es apprennes. »

 

Deux s’maines après, je r’partais.

 

Arrivé à Montréal, j’ai resté chez Simon, un d’ mes frères.

Y m’a habillé.

Y m’a remplumé un peu.

J’me disais : « Jus’ pour queuk jours.

En route pour… »

 

Un soir, en sortant prend’ une bière, j’ai.

 

Un soir.

C’était l’ printemps.

 

J’allais réussir, moi.

J’allais l’ faire.

 

La vie était tellement belle.

Moi.

Moi.

J’allais partir.

Êt’ tu-seul.

Au milieu de rien d’ connu.

Avoir une place. Une place dans l’ monde.

Êt’ quelqu’un, peut-êt’.

Êt’ riche, peut-êt’.

J’allais l’ f’aire.

J’y allais.

 

Le printemps.

Me semb’ que ça fait des années qu’on n’a pas eu, d’ printemps.

Asteur, la plus belle saison c’est l’automne, on dirait.

 

C’était tellement beau.

Tellement.

Y faisait.

Y faisait vert.

Y faisait vert de bourgeons neufs pis d’ gazon jeune.

Y faisait bleu ciel.

Y faisait.

Y faisait or de soleil couchant.

.

.

Y faisait.

Doux.

De l’odeur de la peau de la femme qu’on aime.

Doux à brailler d’ bonheur.

 

Y faisait beau.

Y faisait bon.

Y faisait grand.

Y faisait espoir.

Sans même à avoir à mett’ un nom t’sus tellement c’était bon.

 

Vous comprenez pas.

Vous pouvez pas comprend’. Pis j’ pourrai jamais vous l’ dire.

 

Vous pourrez jamais savoir : les enfants.

Les cris des enfants qui jouaient d’ l’aut’ bord d’ la rue.

Leur gros ballon qui a roulé jusqu’à moi.

« Heye, monsieur. Monsieur. Not’ ballon. Not’ ballon. Merci, monsieur. »

J’ pense que j’ me rendais même pas compte que j’ les entendais.

 

C’est-tu çà, la vie ?

Passer au travers d’ la beauté sans jamais la voir ?

En s’ rendant compte qu’on l’a connue rien qu’une fois qu’on est rendu ailleurs ?

Quant’ on est peut-êt’ même pus nulle part.

 

Y a.

Un.

Un d’ mes lacets.

Un d’ mes lacets d’ bottine qui s’est défaite.

J’me sus arrêté. J’me suis mis à g’noux pour le rattacher.

 

J’me suis r’levé.

Pis a me r’gardait.

 

Ê était tellement belle que j’ai pas faite la différence ent’ elle pis la beauté du soir.

 

A riait.

 

A riait.

A l’a dit : « Bonjour ».

 

Pis a me r’gardait.

 

Pis.

A l’a parlé d’ ma casquette.

 

Pis.

A m’a invité à m’asseoir à côté d’elle.

 

Y faisait doux.

Doux.

« Comme l’odeur de la peau de la femme qu’on aime. »

 

Doux comme tes grands ch’feux qui traînaient su ma poitrine.

Doux comme tes yeux.

Tes cils.

Tes sourcils.

Doux.

Doux comme la peau de ta gorge.

Sous mes lèv’.

Comme tes seins.

Pis ton vent’.

 

Doux comme…

Comme…

Tes mains.

 

Tout’ çà : tes mains.

 

Y a-tu déjà eu queuk chose de plus’… De plus doux au monde, de plus grand, que tes mains, que tes bras dans l’ soleil couchant du printemps de nos nuits ?

 

J’ai passé cinquante ans d’ ma vie à r’voir le vert du gazon neuf pis l’or du soleil couchant à chaque fois q’ tes cris d’ bonheur,

doux,

doux,

à chaque fois qu’ tes cris d’ bonheur ont parti… tellement fort que j’ai jamais compris que la ville au grand complet s’ réveille pas.

 

On a jamais tant ri, tant ri que quant’ j’ t’ai conté çà.

D’abord y avait rien qu’ moi, qui riait.

T’étais insultée :

« M’as t’en faire, toi, mon maudit. Me rire en pleine face. Pis pas vouloir me dire pourquoi. M’a t’en faire. »

J’pensais mourir dans tes chatouillements.

« Arrête.

Arrête.

Arrête.

J’ai vu.

J’ai vu.

Mon Amour.

Ton cri était tellement beau.

T’es tellement belle.

Mon soleil.

Mon gazon.

Ton cri était tellement beau, tellement grand,

que j’ai vu, j’ai vu la ville au grand complet se réveiller. Les bigoudis su’ a tête.

La couvarte ramenée en d’sour du menton.

La bouche ouverte. « Hen ? Hen ? Henri. Henri, réveille-toi. C’était quoi, c’ cri-là ?

J’te dis qu’ j’ai entendu crier. »

 

Ah.

Mon grand, mon grand Amour.

 

Tu l’ savais, tout c’ temps-là, hen ?

Hen ?

Dis-moi-lé ? Hen ?

Dis-moi-lé qu’ tu-suite quant’ j’ me suis r’levé,

que quant’ tu m’as dit : « Avec des ch’feux de cette couleur-là, monsieur, c’est un crime de porter une casquette quant’ y fait c’te lumière-là. »

Dis-moi-lé qu’ tu l’ savais,

qu’ tu l’ savais déjà,

que j’ devais partir.

Que j’ devrais.

Qu’un jour y faudrait,

y faudrait que j’ parte ?

 

Dis-lé,

qu’ tu l’ savais déjà.

 

Dis-moi, mon Amour,

Femme de ma vie,

que tu l’ sais que j’ dois finir la route.

 

Que j’étais rien qu’ de passage.

 

Ma Grande.

Mon Immense.

Ma Joualverte.

 

L’aut’, Amour,

l’aut’, celui qu’ t’aime en moi,

se meurt.

 

Je l’ sais qu’ tu comprends qu’en restant à côté d’ toi jus’ par peur d’ la douleur qu’y aurait dans tes yeux,

qu’en restant par manque de foi en toi,

j’ te f’rais injure.

 

Ma Grande.

Ma Géante.

Ma Toute-belle.

 

Une nuit de cinquante ans.

 

Y a un ti-cul, en moi, qui veut pas,

qui peut pas,

mourir sans avoir fait’ sa job.

 

C’est lui qui t’aime.

Pis c’est lui qui part.

 

Je pars, ma Dame, je m’éloigne de vous.

Mais je repars pleurant les aub’s à vos genoux.

J’ai été votre amant et le demeurerai.

Je t’aime comme un enfant

Tu m’auras

Tout

Donné

 

Vous avez été une parenthèse dont vot’ mère était la raison.

,

.

La parenthèse se r’ferme aujourd’hui.

 

Depuis vingt ans,

vous m’ pensiez mort.

 

Mais j’étais rien qu’ déplogué :

pas faire c’ que j’avais à faire,

pis je l’ savais, c’ que j’avais à faire,

me prenait tout’.

 

Mais là, j’ai rien à vous donner.

 

Vous aurez pas à hériter d’une job à finir,

que j’ai à finir, moi.

 

Depuis qu’ vot’ mère a été enceinte de Gérard que j’ me dis :

« J’ai à leur laisser le meilleur de moi. »

 

Pis ça m’aura pris cinquante ans pour comprend’ que l’ meilleur de moi,

c’est l’ voyage à finir.

 

J’me disais.

Bernard ?

Si j’ leur laisse l’argent… de quoi y est faite ?,

y vont-tu comprend’ ?

Y vont-tu pouvoir lire de quoi y est faite ?

Si.

Si j’ leur laisse pas,

si j’ leur laisse rien qu’ la… foi ?

Que c’est pas grave de manquer son coup, quand on a fait’ c’ qu’on a à faire ?

Est-ce que j’ leur donne pas une chance de voir aut’ chose ?

« Le restant », Vincent.

Est-ce qu’en r’tournant à la rencont’ de mon rêve, j’ leur donne pas une chance de voir le leur ?

 

C’est pas : « Moi, y a fallu que j’ me batte pour le mériter. Asteur, battez-vous autant qu’ moi pour le mériter à vot’ tour », Bernard.

C’est : « Si j’ fais rien qu’ vous l’ donner, c’ t’argent-là, pis qu’y a pas dans vos mémoires c’ qu’y y a donné l’ jour, c’est aussi ben de rien vous laisser. »

 

Quant’ Provost m’a annoncé que.

J’ai commencé par pas l’ croire.

Pas moi.

Ça a pas d’ bon sens.

J’ai pas encore rien fait’.

J’ai rien fait’ de ma vie.

( Regardant l’aréna : )

C’est rien, ça :

l’Expo, l’ métro, des maisons…

C’était rien qu’ des pratiques.

J’attendais.

J’attendais un signal.

Ben y a finit par v’nir.

 

Je l’ croyais pas.

J’ai failli l’assommer…

Y crier d’arrêter d’ dire des niaiseries.

Qu’on meure pas à…

 

Pas déjà ?

 

J’ai passé ma vie à m’ préparer.

 

Chus prêt.

En tout cas, si là je l’ suis pas, je l’ s’rai jamais plus’ que ça.

 

La prochaine fois,

quant’ queuqu’un voudra vous embarquer dans son rêve

ou ben s’ servir de vous aut’ comme excuse,

prenez au moins ‘a peine d’y d’mander de quoi y s’agit

avant d’ dire oui.

 

Y a des fois.

J’ai peur.

Pas que vous ayez trop étudié.

Mais pas les bonnes affaires.

Que vous ayez surtout étudié les affaires qui servent rien qu’à négocier.

Pis à jus’ laisser de plus en plus d’ place à la peur.

Pis aux excuses.

 

Patricia,

on négocie pas avec c’ qu’on a à faire de sa vie.

On l’ fait ou ben on l’ fait pas.

 

On mène pas une vie d’ pilote de brousse en passant ses fins d’ semaine dans l’ scinique à Ronde, Henri.

 

On peut s’ tromper.

Mais on a pas l’ droit de pas essayer.

 

Y a encore.

Quat’.

Quat’ mots que j’ voudrais vous dire.

J’pourrai jamais les répéter à personne.

Même pas à vous aut’ :

 

« Les enfants, bon voyage. »

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Y a une ville qui m’attend.

Où j’ai toujours rêvé d’aller.

Où j’ai toujours rêvé d’ mourir.

Tu-seul, si y faut.

Pis y a pas personne à qui j’ peux d’mander d’ me suiv’ là.

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(29 avril 2021)

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