.
0 – Préambule
Le fonctionnement de l’esprit humain ne cessera jamais de m’estomaquer.
Et de me ravir.
Le fonctionnement en général de l’esprit humain, me ravit, mais tout particulièrement celui de ce que j’appelle depuis bien longtemps « l’intelligence passive » – cette région en nous qui œuvre en permanence hors du champ de la conscience, et surtout de la raison, et d’où proviennent, entre bien d’autres choses, les « flashes » et les idées que nous croyons « soudaines », apparues dirait-on sans prévenir mais que l’on peut pourtant, au prix d’efforts considérables mais éminemment agréables, s’entrainer à sentir approcher de fort loin – ce à quoi j’ai consacré une très grande part de ma vie, sans doute la plus précieuse.
Je crois bien que c’est dans cette région-là de nous que réside le daïmon si cher à Socrate.
En tout cas, c’est définitivement là qu’habite le mien, fort occupé par les temps qui courent. Le tabarnak. Qui est mon âme.
*
J’ai déjà expliqué que l’entreprise dans laquelle je suis lancé à corps perdu depuis plus de six mois, et qui a abouti dans le monde des formes à un blogue qui reste encore pour l’instant très sommaire, s’est imposée à moi en tant qu’ « appel d’écriture ».
Ça aussi, un appel d’écriture, c’est un phénomène que l’on peut (tant bien que mal) s’entrainer à sentir approcher, mais surtout à « lire » lorsqu’il se met à se déployer et à dicter ses ordres.
Ce qu’il y a de particulièrement sacrant, avec l’intelligence passive, c’est que ses buts, ses manœuvres et les fruits qu’elle permet ne sont pas annoncés d’entrée de jeu – ils se présentent un à un, dans une succession dont il vous est impossible de savoir par avance combien d’étapes elle comptera.
Elle agit par enfilades de « portes » : une première apparait devant vous. Vous avez le choix :
… vous l’ouvrez, ou pas.
Si vous ne l’ouvrez pas, de deux choses l’une :
… ou bien l’idée qui se tenait derrière elle renoncera à capter votre attention et s’évanouira peu à peu, tant pis pour vous…
… ou bien, si cette idée est pour une raison ou pour une autre tellement essentielle que le renoncement lui est interdit, une fois la première effacée une nouvelle porte se pointera un jour, encore plus imposante et impérieuse que celle que vous avez d’abord refusé de pousser… et encore… et encore… de plus en plus forte de fois en fois, parlant de plus en plus en plus fort, jusqu’à ce que vous décidiez enfin à l’ouvrir… ou jusqu’à ce que, rendu au bord de la folie, coincé entre vous-même tel que vous voulez continuer d’être jusqu’au cercueil et vous-même tel qu’une partie cruciale de vous vous souhaite devenir, vous vous arrachiez la cervelle et vous immobilisiez à jamais – c’est ce que j’appelle « le deuil précoce » : faire en nous le faux-deuil d’une partie de notre être à laquelle nous avons refusé l’existence.
Si en revanche vous la passez, la porte, vous êtes habituellement bon pour une surprise. Souvent de taille. Et qui, souvent aussi, prend la forme d’une chose à clarifier dans votre esprit, ou d’un geste à poser :
« Cette chose, que tu dis sans cesse être si importante à tes yeux ? Tu sais ? Eh bien… affirmer qu’elle l’est, ce n’est que du babillage, ou bien l’est-elle vraiment ? Si elle l’est… agis-la, que je voie un peu de quoi tu es fait dans le monde réel et pas seulement dans tes fantasmes. Fais-le ! – allez, allez ! à l’ouvrage ! »
Vous vous mettez au boulot.
Mille démons viennent rire de vous en chemin et vous faire des jambettes… mais un jour, tadam !, la chose est accomplie ! Vous débordez d’une joie profonde, chaude, émerveillée.
Vous allez vous coucher, épuisé mais réjoui. Fermez les yeux. Les rouvrez. Et une autre porte est là, qui vous dit, avec la voix de la précédente : « Coucou, me revoici. Passons à l’étape suivante… »
Cinq, dix, quinze fois de suite.
Jusqu’à ce qu’un jour, ayant accompli la dernière tâche en date, vous vous attendiez, au coucher, à avoir encore un portail devant le nez quand vous soulèverez les paupières au matin… mais qu’au lieu de ça, vous vous réveilliez tout à coup au beau milieu de la nuit… en train de naviguer-flotter sur un océan de pur bonheur, de paix, de sérénité.
Vous êtes totalement ébloui.
Cet océan, c’est LE CŒUR de votre vie.
Une mystérieuse partie de vous que vous avez accepté d’entendre vient de vous guider pas à pas sur le chemin menant à la réponse à une question primordiale – une question que parfois vous connaissiez depuis si longtemps que, depuis des lustres, vous aviez cessé de remarquer sa présence.
Une partie de vous vient de vous entrainer, main dans la main, sur un chemin auquel la raison à elle seule n’a pas accès – parce qu’il est des liens qu’elle se refuse à tracer si on ne l’y oblige pas, des rapprochements qui la rebutent… tant et aussi longtemps qu’on ne lui met pas le nez dedans.
Vous restez là, couché sur le dos, à voguer tranquillement, et à écouter, en vous, toutes les provinces doucement se réaligner après ce doux – ou violent, parfois… – tremblement de terre.
Votre vie vient de faire un pas en avant sur la route qui est la vôtre – et rien que la vôtre.
*
1 – Commençons…
Pourquoi diable est-ce que je vous parle de ça ?
Eh bien tout simplement parce que le processus que j’ai évoqué à l’instant vient tout juste de se dérouler dans ma vie – et quand j’écris « tout juste », je veux bien dire « tout juste » : au cours des trente dernières heures.
J’ai parlé, dans mes billets, de mon mieux mais en m’efforçant de tout de même faire le plus court possible, de ce en quoi a consisté l’appel d’écriture qui m’a obligé à les écrire.
En synthèse : dire que j’ai écrit ce blogue parce que j’en avais envie serait profondément trompeur. Je ne l’ai pas écrit parce que j’en avais le goût. Ce de quoi j’avais le goût, c’était d’écrire de toutes autres choses – mon roman, des pièces, des textes que jamais d’autres yeux que les miens ne verront. Mais c’était impossible : seul le blogue m’était accessible.
À une exception près.
Je vous fais un aveu : pour faire un pied de nez à l’appel d’écriture que je viens de vivre, et aux ordres qu’il me donnait sans cesse, depuis janvier j’ai écrit une pièce – très littéralement « à l’arraché ». Eh oui. Une pièce, presque au complet, EN PLUS du blogue. Il ne me restait même pas une journée de travail à faire pour qu’elle soit achevée.
Et le 15 mai, dégoûté par la niaiserie du milieu théâtral, et par la dégradation de la pensée et du discours dans la société où je vis, je l’ai effacée en même temps que le blogue. Totalement. Même les copies de sûreté sur mes disques de sauvegarde.
*
Je suis venu à bout de l’écriture de la première page du blogue – « La Guerre Perdue… » – et ai tout de suite cédé à l’impulsion de commencer la deuxième.
J’ai raconté tout ça dans le dernier billet, le « Mafalda ».
Il y a seulement une chose dont j’ai alors évité de parler parce que, sur le coup, il ne me semblait pas pertinent de le faire et parce qu’en plus j’avais hâte en sapristi d’en avoir fini : dans « Mafalda », l’explication que je donne de l’interruption de l’écriture de la deuxième page n’est pas complète. Aussitôt les trois premiers billets mis en ligne, j’ai bloqué d’un coup sec. La chose pouvait très bien s’expliquer par la complexité de ce qui devait venir ensuite, certes, mais une autre explication était aussi possible, dont j’ai volontairement retardé la prise en compte : dans le cadre de l’appel d’écriture qui me guidait, ce n’était pas à ça, à l’écriture de la deuxième page, que je devais me consacrer – en tout cas pas pour le moment.
Cela revient à dire que si je n’ai pas avancé davantage dans l’écriture de « … et ce qu’il y a ensuite », c’est sans doute pour l’une ou l’autre de ces deux raisons, ou alors à cause d’un alliage des deux :
1) Il me fallait bien plus de temps que je ne l’avais imaginé pour être prêt à me lancer.
Ou…
2) L’écriture s’est interrompue pour une raison du même ordre que celle qui m’a fait couper court aux aventures d’un épi de blé d’inde bolchévique.
Pourquoi diable n’en ai-je pas parlé, de cette deuxième explication possible ?
Tout bonnement parce que, du simple fait d’en parler, j’aurais admis une chose qui me répugnait : qu’encore une fois, comme après le petit bout de la Princesse russe, je n’avais aucune sacrament d’idée de ce que j’avais à faire à présent !
La seule certitude que j’avais, c’était que l’appel d’écriture était plus fort que jamais. Mais pour aller où… dans quelle direction, bordel ?! Pas d’idée – rien !
*
Pendant tout ce temps-là – je veux dire : tout au long de la rédaction du blogue, même durant les éclipses –, un autre fil courait. Mais que j’obligeais à rester extrêmement ténu. Il me fallait même tout mon petit change, jour après jour, pour m’empêcher de l’arracher tout à fait.
C’était celui du « Qu’est-ce qu’on fait ? »
*
Voyez-vous, dans ma vie, après que j’aie eu décrit ceci ou cela, après que j’aie eu exprimé une pensée ou une autre, on m’a, mais des centaines de fois !, répondu du tac au tac par cette ostie de question-là :
« Ok. Pis ? Qu’est-ce qu’on fait ? »
À chaque tabarnak de fois ou peu s’en faut !
Alors que c’est une question… qui me débecte totalement !
Qu’est-ce que j’en sais, moi, sacrament, de « Qu’est-ce qu’on fait ? » !
Je viens de te décrire ce que JE VOIS. Et toi, tu me réponds : « Qu’est-ce qu’on fait ? » !
Mais… c’est pas de mes tabarnak d’oignons, à moi, « Qu’est-ce qu’on fait ? » !
Fais ce que t’as à faire pis contre-câlice-moi patience ! Chus pas ton père !
C’est pas parce que je suis capable de chanter que le ciel est bleu que chus capable de te dire ce qu’on devrait faire pour qu’il vire vert pomme à pois roses !
*
C’est sans doute un aspect les plus comiques de mon existence. Un des plus ironiques, en tout cas.
Sous prétexte que j’ai une silhouette de la sveltesse et de l’élégance d’un cube de glace et une voix de la subtilité d’un truck à vidanges, à peu près tout le monde que j’ai rencontré dans ma vie s’est imaginé que mon rêve était de devenir général en chef de je sais trop quelle armée… alors qu’il n’y a rien au monde que j’haïs plus que de dire aux autres quoi faire – à part peut-être… me le faire dire…
Pourquoi est-ce que j’haïs ça autant ?
Eh bien d’abord parce que JE NE SUIS PAS un général !
Ce que je suis, c’est UN MOINE !
C’est clair, ça, ou est-ce qu’il faut que je vous dessine une murale, câlice ?!
Vous pensez que je suis en train de FAIRE quelque chose, en écrivant ceci ?
Vraiment ?!
Vous pensez que je BÂTIS quelque chose, là, là, en tapant sur les touches de mon clavier ?
C’est ça, que vous pensez ?
Eh ben… BOUUUUUP ! WRONG !
Je ne bâtis rien !
Je prie !
Je prie avec les mots du moment, et rien d’autre !
Je prie dans un monde sans dieu !
Je prie la seule entité priable dans le monde où je vis !
Je prie… l’esprit.
Je fais un acte de foi, et c’est tout !
Je parie, à la Pascal, que je ne suis pas tout seul sur la planète, je parie qu’il y reste des êtres qui écoutent, en plus de toute la tabarnak de gang de ceux qui jappent !
Je prie l’esprit que j’imagine à l’écoute… et lui adresse le seul message qui se puisse :
« Allo… »
Mon « Allo… », il prend tantôt la forme de Being at home with Claude, tantôt celle de Bob, tantôt celle d’une vieille princesse russe folle raide et adorable, tantôt celle de personnages de roman coincés dans un univers de cauchemars que tout le monde autour d’eux prétend ne pas voir, ou alors il prend la forme de mon corps et de ma voix que je prête aux paroles de Claude Gauvreau, ou alors je le glisse à l’oreille de plus jeunes, pour tenter de leur inoculer l’horrible désir d’un jour devenir eux-mêmes. Je ne veux pas – JAMAIS ! – leur dire QUOI faire de cette vie qui leur est prêtée : je veux leur dire à quel point je me meurs de VOIR un jour qui ils sont ! Qui ils sont une fois déployés, qui ils sont une fois en plein vol, qui ils sont volant sur le dos en riant aux éclats, qui ils sont gorilles morts de rire au sommet des immeubles, qui ils sont dont ils ont une telle peur…
Alors, allez-vous me contre-câlicer patience avec vos saint sacraments de « Qu’est-ce qu’on fait ? » !?
Il n’y a RIEN à faire !
Rien d’autre…
Qu’être en vie.
Et en être reconnaissant à s’en étouffer dans ses larmes !
*
Bon, je me calme.
*
Je savais qu’il était inévitable, en écrivant le blogue, qu’à son terme la maudite question me soit posée. Elle était même annoncée.
Mais sans rien dire… je l’enterrais chaque fois. Chaque fois. Chaque fois. Chaque fois. Chaque. Tabarnak. De fois.
Pourquoi ?
Pas juste parce que ce n’est pas de mes oignons d’y répondre.
Encore bien plus parce que je savais que si, cette fois-ci, j’avais le malheur de lui apporter ne serait qu’un commencement de réponse… il y avait toutes les chances du monde pour que je sois lié par elle. Et qu’en conséquence, ce qu’il y aurait à faire, on me pousse alors à en devenir le leader.
Plutôt crever la gueule ouverte !
*
Tout ça pour dire que, tout au long du travail, je ne pensais pas à des « solutions » aux situations démentes que j’évoquais – quoi que ce foutu mot de « solutions » puisse bien signifier.
Je décrivais ce que je voyais, évoquais des souvenirs, tentais d’être le plus clair possible pour que d’autres, si jamais l’envie ou le besoin allait leur prendre de faire quelque chose, puissent éviter les pièges les plus grossier à se dresser sur leur route, et aient en main pour les guider si nécessaire une esquisse de carte la plus complète possible.
Point.
*
Sauf que.
Je commence la deuxième page… et elle bloque immédiatement. Sans que l’appel d’écriture faiblisse du moindre iota.
Je retire la page le 15 mai. Les folies du milieu et de la société au grand crisse de complet battent leur plein. Je suis en tabarnak comme je ne l’ai sans doute pas été depuis près de 25 ans. Mais l’appel, lui, ne bronche pas : il ne diminue pas, au spectacle de ces délires, de ces orgies de glapissements, et ne se renforce pas non plus. Il ne change pas de couleur, ni de vibration. Il est là, c’est tout, et il m’attend.
Ciboire !
Je me dis : « Peut-être qu’en écrivant un billet final…? »
Alors, hop : Mafalda.
Mais non, rien. L’appel est intact.
Qu’est-ce qui se passe, saint-sacrament ?!
J’ai tout fait, TOUT ce que tu m’as demandé, câlice, que je hurle à cœur de jours et de nuits à mon estie de daïmon ! J’ai pu une sacrament de cenne ! Mon appart est une soue ! Ça fait depuis novembre que j’ai pas lâché une maudite seconde, viarge ! Je vois à peu près pus personne ! J’ai de la misère à lire ! J’AI-TOUT-FAIT-CE-QUE-JE-POUVAIS ! QU’EST-CÉ-QUE-TU-ME-VEUX, ENCORE, SAINT-CÂLICE-DE-CIBOIRE ?!
Rien. Silence.
*
2 – Poursuivons…
Jusqu’à jeudi soir – il y a deux jours.
Je suis en train de relire le blogue au complet pour le cinquantième fois au moins.
C’est un exercice qui m’est familier depuis une éternité. Mes pièces, je les ai toutes lues et relues, presque sans fin, en me racontant chaque fois que j’étais quelqu’un d’autre, ou alors en suivant un fil pigé au hasard dans la trame, puis un autre, puis encore un. Une fois qu’elles sont écrites, mes pièces, je les lis comme un acteur travaille son rôle : en se demandant à chaque mot, dix fois, vingt fois, quels sont tous les possibles qui sommeillent là-dessous ?
Quand tout à coup.
J’arrive au texte de la femme du restaurant.
Et m’aperçois qu’à chaque fois que j’ai relu ce billet-là, depuis des mois, le texte en orange je l’ai sauté. En me disant que je le connaissais déjà par cœur. Et puis parce que les images de la lecture que nous en avons faite au Salon rouge, les deux autres R et moi, sont tellement claires dans ma mémoire !
Jeudi soir, je le relis.
En arrivant à la fin…
« Il est quelque chose de bien plus dangereux qu’une femme qui hurle.
C’est une femme dont le hurlement ne franchit pas les lèvres.
Parce que elle, quand le barrage se rompt, ce ne sont pas les tables qu’elle renverse. »
… je me fais une fois de plus la remarque que je me suis faite chaque fois :
« Ah, l’ostie de phrase ! Déjà en l’écrivant, cet automne-là, tu le savais, que c’était une enflure. C’est fou pareil, que personne l’ait jamais relevée. « Ce ne sont pas les tables qu’elle renverse. » Franchement, Dubois. Une révolte ? Une vraie ? Au Québec ? Qui soit pas jus’ des simagrées pis du contage de balounes ? Une révolte qui débouche sur quoi que ce soit d’autre qu’un suicide ? Estie ! Le soir que t’as écrit ça, t’avais dû péser fort en crisse su l’ Jack Daniel’s, mon homme. »
Je ferme le blogue.
Me prépare à ouvrir Netflix – à regarder un bout de film avant d’aller me coucher. Et demain, je ne me rappellerai qu’à peine de ce que j’ai vu à moins que ce soit Sense8 – parce qu’en bas de ça, depuis des mois, il n’y a plus rien qui s’imprime.
Et il me passe cette drôle de phrase par la tête.
« Arrête donc, épais. Tu sais parfaitement pourquoi elle est là, la phrase. Si erreur il y a, c’est d’avoir continué le blogue après ce texte-là : tout était dit. »
Han ?
Qu’est-ce que je viens de penser là ?
Je décide de ne rien visionner du tout et d’aller me coucher drès là.
*
Je me réveille à… je sais plus… 3h30 ? 4h00 ?
Pif. Réveillé d’un coup.
Ces réveils-là aussi, je les connais par cœur. Ce sont ceux de l’écriture : je m’éveille comme si j’avais déjà commencé de travailler en dormant, je m’éveille juste pour pouvoir noter « pour vrai » ce qui vient de m’apparaitre les yeux fermés.
Sauf que… cette fois-ci, et ça, ça ne m’est encore jamais arrivé de ma vie… il n’y a justement rien à écrire. Je n’ai pas d’idée, rien. Pas d’image, pas de son. Pas de toune. Rien.
Je suis tout de suite en furie contre moi-même : « C’est ça, stie ! Envoye grouille, le gros ! Écris des pages blanches, câlice, ça a ben l’air que c’est là que t’es rendu ! »
Je m’installe devant mes écrans avec un premier café. Me promène sur le blogue. Me promène à lire les nouvelles. Me promène dans mes notes.
Rien. Rien. Rien, sacrament !
Je vais sur Facebook – ce que j’évite comme la peste, ces derniers temps – déluges de délires !
Et presque tout de suite : paf !
*
Un post. Par quelqu’un dont on m’a dit récemment que c’est une personne intéressante. Une jeune artiste. Qui publie un lien vers la consultation de l’insignifiant de ministre de la culture, en encourageant ses confrères et consœurs à aller lire le projet de politique et à participer à la consultation.
Je saute ! Littéralement : je fais explosion… de pure furie !
Mais qu’est-ce que ça prend, sacrament, pour que queukun comprenne 2 + 2 dans c’ t’ostie de société de débiles là ?!
Mais pire !
Tout à coup, je vois, sous le post, un « like » qui dépasse : le nom de quelqu’un en qui j’ai une confiance… oui… aveugle. Une femme brillante, remarquable.
Et je vois rouge !
Non, mais saint sacrement d’ostie ! Est-ce que c’est vraiment si compliqué que ça, comprendre UNE LIGNE de ce que j’écris !?
Heureusement que l’aube pointe à peine, parce que je ne sais pas ce que j’aurais fait. Sûrement quelque chose de fort regrettable, en tout cas.
Le sacrament de bateau est en train de finir de couler à toute allure, je suis la fille sur son bout de bois qui grelotte de tous ses os et qui ose pas encore lâcher la main du gars qu’elle aime, qui ose même pas encore admettre qu’il est mort… pis partout autour de moi, tout le monde se prend pour la mère, dans le film, une demi-heure avant, en manteau de fourrure, qui ordonne à la bonne de faire chauffer de l’eau pour le thé, parce qu’a va en avoir besoin en titi en r’venant !
Je… pète au frette !
Sauf que…
Au bout de… vingt minutes, peut-être ? Je me fais : « Woooo, là ! Les nerfs ! »
Et que, sidéré, je me mets à me regarder aller.
Mais pourquoi diable est-ce que je suis autant en maudit ?
Qu’est-ce que j’ai ?
Pourquoi l’effet que je ressens est-il aussi démesuré ?
Quand tout d’un coup… bang !
En…
Dix secondes ?
Même pas. Cinq.
« On fait quoi ?! »
Je le sais, quoi.
C’est clair comme de l’eau de roche.
Et je ne l’ai jamais senti approcher.
« Une femme dont le hurlement ne franchit pas les lèvres, elle, quand le barrage se rompt, ce ne sont pas les tables qu’elle renverse. »
Mon erreur, si erreur il y a eu, n’a pas été d’écrire la phrase.
Jamais de la vie.
Elle a été de ne pas FAIRE ce que j’ai écrit.
Et que je sais inévitable.
*
Je repense aux mille voix des artistes flushés, qui m’obsèdent depuis des mois. Je repense à mes anciens étudiants, bourrés de talent, disparus dans la brume, assassinés, piétinés par cette société de bovins. Je repense au Bismark au fond de l’océan. À des têtes arrachées par des feuilles d’acier qui volent. Je repense aux gens, dans mon atelier, à l’Uqam, en 92. À une fille qui pleure en racontant, et à tout nous autres, les autres, qui la regardons sans rien pouvoir faire. Je repense à des livres qui brûlent, à des livres qu’ON brûle. Je repense à Banco. À Pasternak. À Akhmatova. À Michel Garneau.
Je repense à la tête de Frulla, dans son bureau, Place Jacques-Cartier. Et je repense à sa voix, frette comme une hache et se contre-câliçant de tout. Je pense à l’insignifiant qui a repris son fauteuil de nos jours, et qui nous promet de pousser encore plus loin son œuvre à elle. Je repense à Chose Bouchard, la tête dans sa crisse de valise ! Je repense au vomissable Claude Ryan. Et à Boulerice et ses esties de manœuvres imbéciles.
Il y a UNE chose à faire ! Une !
Il est beaucoup trop tôt pour même réfléchir à ce que serait une politique culturelle digne de ce nom : par quel bout on reprend ça, le sauvetage d’une culture qui est devenue un champ de ruines ? Et de toute manière, je sais parfaitement que pas un traître chat ne comprendrait de quoi je parle si j’allais avoir le malheur de m’ouvrir la trappe.
Pourquoi ça ?
Parce que les artistes ne savent pas où ils sont.
Ils l’aperçoivent vaguement, où ils sont,
Ils sentent que c’est inconfortable
Et, par moments, que c’est même révoltant
Mais ils ne le comprennent pas.
Ils ont trop peur.
Ils le pressentent, où ils sont.
Mais ils pètent de trouille à l’idée d’ouvrir les yeux,
De regarder pour vrai autour d’eux,
Et de mettre un nom sur ce qu’ils voient.
Ils aiment mille fois mieux crever en tremblant comme des feuilles,
En marmonnant des âneries.
Il y a UNE chose à faire ! Une !
Pour pouvoir à la fois stopper net l’insignifiant de ministre.
Et commencer à, peut-être, permettre aux artistes de faire face à la situation dans laquelle ils se trouvent.
Il est peut-être
Il est sans doute
Déjà trop tard depuis longtemps.
Qu’à cela ne tienne.
Il faut pouvoir se dire sans mentir qu’on a TOUT tenté.
Première chose :
Nommer où nous sommes.
Écoutez-moi !
La situation dans laquelle nous nous trouvons, ça porte un nom !
Ça s’appelle…
Une guerre !
[1er au 3 juillet 2017]
.
.
.
.