Kean — La Pièce

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Deuxième Partie

La Pièce

 

 


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Sommaire

 

Alexandre Dumas – Notes Biographiques

Giusseppe Garibaldi

Dumas et Hugo

Shakespeare vu par Victor Hugo

La Pièce – Kean ou Désordre et Génie

Jean-Paul Sartre

La Pièce, Version Sartre – Paris 1953 – Pierre Brasseur

La Pièce Version Sartre – USA 2000

 


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Alexandre Dumas

 

Le général Dumas

1802 – Le 24 juillet : naissance à Villers-Cotterêts, dans l’Aisne, de Alexandre Davy de la Pailleterie, dit Alexandre Dumas.

1811 –  Entrée au collège de l’abbé Grégoire, à Villers-Cotterêts. Il y reste jusqu’en 1813.

1816 –  Dumas devient troisième clerc de notaire, toujours à Villers-Cotterêts. Il consacre plus d’énergie à la pratique de la chasse qu’à l’étude du droit.

1819 –  Dumas fait connaissance d’Adolphe de Leuven, avec qui il produira ses premières œuvres littéraires.

1822 –  Premier voyage à Paris.

1823 –  Dumas s’installe à Paris et obtient un emploi dans les bureaux du duc d’Orléans.

1824 –  Naissance le 24 juillet d’Alexandre Dumas fils, fruit de la liaison de Dumas avec Laure Labay.

1825 –  Écriture et représentation de la pièce La chasse et l’amour, en collaboration avec Leuven.

1829 –  Le 10 février: représentation à la Comédie française de Henri III et sa cour, premier coup d’éclat du théâtre romantique, qui place Dumas parmi les figures de proue du mouvement, aux côtés de Victor Hugo :

Prototype du drame historique à costumes et actions spectaculaires, Henri III et sa cour, un an avant la bataille d’Hernani, rompt avec tous les canons du théâtre classique. Moment crucial : la scène où le duc de Guise force physiquement sa femme à donner un rendez-vous piège à son amant. Dans ses Mémoires, Dumas écrit :

Si la violence de cette scène trouvait grâce en face du public, c’était ville gagnée. La scène souleva des cris de terreur, mais, en même temps, des tonnerres d’applaudissements : c’était la première fois qu’on voyait aborder au théâtre des scènes dramatiques avec cette franchise, je dirais presque avec cette brutalité.

Voilà qui éclaire tout autrement – c’est le moins qu’on puisse dire – les aimables commentaires du citoyen Duval sur le jeu romantique. Qu’est-ce qu’il condamne, en fait, Duval ? Le style ? Ou ce que ce style permet d’exprimer et qui, selon lui et les autres bien-pensants, ne devrait pas l’être ?

1830 –  Le 30 mars : première de Christine au théâtre de l’Odéon. / Dumas s’engage dans la révolution de 1830. — À propos de cette révolution, voir la Troisième Partie : « Restauration » et « Le Retour des Rois ».

1831 –  Naissance le 5 mars de Marie-Alexandrine,  fille de Dumas et de Belle Kreilssamner. / Le 3 mai : création au théâtre de la Porte Saint-Martin d’Antony, premier succès triomphal de Dumas.

1832 –  Premier voyage à l’étranger, en Suisse, où Dumas rencontre Chateaubriand.

1833 –  Publication des Impressions de Voyage – Suisse. / Dumas donne une fête somptueuse où se presse le tout-Paris des arts  — dont Delacroix –, de la littérature et du théâtre.

1835 –  Voyage en Italie

1838 –  Voyage en Belgique et en Allemagne

1840 –  Mariage avec l’actrice Ida Ferrier. Séjour en Italie. / Publication de Impressions de voyage – Excursions sur les bords du Rhin, Le maître d’armes et Souvenirs de voyage – Une année à Florence.

1841 –  Publication du roman Le Chevalier d’Harmental.

1843 –  Publication de Le Corricolo.

1844 –  Après quelques tentatives éparses, Dumas se lance dans le roman et publie coup sur coup Les trois mousquetaires, Une fille du Régent, Le comte de Monte-Cristo, La reine Margot. Début de la collaboration avec Auguste Maquet. / Dumas séjourne à Saint-Germain en Laye et achète un terrain à Port-Marly pour y faire construire une maison.

1845 –  Procès à Eugène de Mirecourt au sujet de son pamphlet Fabrique de romans, Alexandre Dumas et Cie. / Publication de Vingt ans après, Le chevalier de Maison-Rouge, La dame de Monsoreau.

1846 –  Voyage en Espagne puis en Afrique du Nord. / Publication de Le bâtard de Mauléon, Joseph Balsamo, Une fille du régent.

1847 –  Dumas inaugure son Théâtre Historique en février et son château de Monte-Cristo, à Port-Marly, en juillet. Il est élu commandant de la Garde nationale de Saint-Germain en Laye. / Publication de La reine Margot, Impressions de voyage, De Paris à Cadix, Les Quarante-Cinq, Le vicomte de Bragelonne.

1848 –  Dumas participe à la Révolution de 1848 et tente en vain de se faire élire député. — Voir la Troisième partie : « Restauration » et « Le retour des Rois ». Publication de Le collier de la reine. / Alexandre Dumas fils publie son roman La dame aux camélias.

1849 –  Vente aux enchères de Monte-Cristo. / Publication de Les mille et un fantômes.

1850 –  Dumas est poursuivi pour dettes. Faillite du Théâtre Historique. / Publication de La tulipe noire, Ange Pitou.

1851 –  Intensification des poursuites contre Dumas : il se réfugie à Bruxelles où se trouvent bon nombre d’opposants à Napoléon III, dont Victor Hugo. / Publication de Olympe de Clèves, Mes Mémoires.

1852 –  Première représentation théâtrale triomphale de La dame aux camélias de Dumas fils. Voyages aux Pays-Bas et en Allemagne. / Publication de La comtesse de Charny, Isaac Laquedem.

1853 –  Dumas alterne séjours à Bruxelles et à Paris, où il négocie le règlement de sa faillite. / Parution de son journal Le Mousquetaire.

1854 –  Dumas quitte définitivement Bruxelles et se réinstalle à Paris. / Publication de Les mohicans de Paris, Le page du duc de Savoie.

1856 –  Publication de Les compagnons de Jéhu.

1857 –  Dumas rend visite à Victor Hugo, en exil à Guernesey. Voyages en Angleterre et en Allemagne. / Fin de la parution du Mousquetaire, lancement de l’hebsomadaire Le Monte-Cristo. / Publication de Le meneurs de loups.

1858 –  De juin 1858 à mars 1859, Dumas voyage en Russie, de Saint-Pétersbourg jusqu’au Caucase. / Publication de Les louves de Machecoul, De Paris à Astrakan.

1859 –  Voyage en Italie. / Publication de Le Caucase.

1860 –  Rencontre avec Garibaldi. Dumas navigue en Méditerranée avec sa maîtresse Emilie Cordier, à bord de son yacht Emma. / Il rejoint Garibaldi en Sicile, lui apporte son aide en allant à Marseille acheter des fusils pour ses troupes. / Victorieux, Garibaldi nomme Dumas directeur des fouilles et des musées, à Naples. / Publication de Mémoires de Garibaldi, Causeries. / Création à Naples du journal LIndipendente.

Lettre de Dumas à Delacroix (1856) : — Mon cher Delacroix, Vous savez que c’est pour moi que l’on a été vous demander de restaurer l’Hamlet. Je tiens beaucoup au tableau. Vous pourriez croire que c’est pour un marchand et vous étonner du sans gêne dont on use avec vous. De là cette lettre. Tout votre — Alex. Dumas — 77 rue d’Amsterdam.

1861 –  Dumas habite à Naples jusqu’en 1864.

1863 –  Publication de La San-Felice.

1864 –  Dumas rentre en France et s’installe à Enghien. / Publication de sa traduction d’Ivanhoé de Walter Scott.

1865 –  Dumas entame une série de causeries en France et à l’étranger. Voyage en Autriche et Hongrie.

1866 –  Voyage en Italie. / Reparution du journal Le mousquetaire.

1867 –  Dumas se fait photographier avec sa maîtresse Adah Menken, ce qui provoque un scandale. Voyage en Allemagne. / Publication de Les Blancs et les Bleus, La terreur prussienne.

1868 –  Parution du journal Dartagnan.

1869 –  Dumas séjourne en Bretagne pour travailler à son Dictionnaire de cuisine.
Publication de Le docteur mystérieux, La fille du marquis.

1870 –  Voyage en Espagne. Dumas s’installe dans la villa de son fils à Puys, près
de Dieppe, où il meurt le 5 décembre. Obsèques le 8 décembre.

1873 –  Publication posthume du Grand dictionnaire de cuisine.

 

Dumas vers 1869

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Giuseppe Garibaldi

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(Nice, 4 juillet 1807– Caprera 2 juin 1882) – L’un des plus brillants guerriers du Risorgimento [1] et l’un des meilleurs guérilleros de tous les temps.

Servant dans la marine du Royaume de Sardaigne (1833-34) il subit l’influence de Giuseppe Mazzini — le prophète du nationalisme italien — puis il participe au soulèvement républicain avorté, au Piémont en 1834. Condamné à mort, il s’échappe vers l’Amérique latine ( il y reste de 1836 à 1848 ). Il lutte au Brésil et soutient l’Uruguay dans sa guerre contre l’Argentine, commandant sa petite marine de guerre et plus tard une Légion italienne. Il devient connu internationalement grâce à la publicité que lui fait Alexandre Dumas. Portant un costume de gaucho, il revient en Italie en avril 1848 pour participer à la guerre d’indépendance. Ses exploits contre les Autrichiens à Milan et contre les Forces françaises qui supportent Rome et les États pontificaux font de lui un héros national. Finalement battu à Rome, il bat en retraite en 1849. Anita, son épouse et compagne d’armes, meurt durant cette retraite.

Garibaldi dissout alors son armée et s’enfuit à nouveau à l’étranger : Afrique du Nord, États-Unis, Pérou. Le « héros des deux mondes » revient en Italie en 1854. En 1859, il aide le Piémont dans sa nouvelle guerre contre l’Autriche en menant au combat un force de volontaires qui capture Varèse et Côme.

En mai 1860, il entreprend la grande aventure de sa vie: la conquête de la Sicile et de Naples. Il n’a pas le support de l’État italien, mais le Premier ministre Cavour et le Roi Victor Emmanuel II n’osent pas l’arrêter. Il se tiennent prêts à l’aider… en cas de victoire. Le 11 mai, il débarque en Sicile avec 1,000 Chemises rouges et se proclame dictateur au nom de Victor Emmanuel. Il défait l’armée du Roi de Naples le 30 mai à Calatafimi, puis un soulèvement populaire lui permet de capturer Palerme.

Il atteint Naples le 7 septembre. Du 3 au 5 octobre, il livre la plus grande bataille de sa carrière sur les rives de la Volturno. Le 26 octobre il remet la Sicile et Naples à Victor Emmanuel. Puis il se retire dans sa maison de l’île de Caprera, mais continue à rêver de la capture des États pontificaux. En 1862, craignant des complications internationales, le gouvernement l’intercepte à Aspromonte, où il est blessé. Il lance une nouvelle expédition sur Rome en 1867 et est arrêté à Mentana par les troupes françaises. Plus tard, durant la Guerre Franco-Prussienne de 1870-1871, il lève une troupe de volontaires désireux de supporter la nouvelle république française.

Sans Garibaldi, l’unification de l’Italie ne se serait pas faite à cette époque. Meneur talentueux et homme du peuple, il savait, mieux que Cavour ou que Mazzini comment faire se lever les foules et a souvent su hâter le cours des événements. Plus tard dans sa vie, ayant perdu ses illusions à propos de la politique, il se déclara socialiste.

 


 

Dumas et Hugo

 

Géant de la littérature française du XIXe siècle, Victor Hugo a entretenu toute sa vie une relation suivie et complexe avec Alexandre Dumas.

Lettre de Dumas à Hugo (3 octobre 1837) : — Mon cher Victor, Moi aussi de mon côté j’ai mille choses à vous dire : aussi je vous attends mercredi à dîner avec Brindeau. Le dîner sera à 7 heures seulement sur la table. Vous voyez que je connais vos vices. Venez plus tôt si vous pouvez. Je vous attends. Mille amitiés, Alexandre Dumas.

Une relation allant de la plus vive amitié quand, dans leurs débuts, les deux jeunes iconoclastes se battent côte à côte pour imposer le théâtre romantique ou quand, beaucoup plus tard, Dumas soutient Hugo exilé par Napoléon III, jusqu’à la rivalité agressive quand, en 1833, l’auteur des Misérables appuie les accusations de plagiat lancées contre celui des Trois mousquetaires.

À la fin des années 20, Hugo et Dumas sont à la pointe du mouvement romantique. La première pièce de Dumas, Henri III et sa cour, déchaîne les passions un an avant la célèbre bataille entourant l’Hernani de Victor Hugo. Pendant un certain temps, en fait, les succès de Dumas auront une fâcheuse tendance, du point de vue de Hugo, à surpasser les siens propres. D’où des brouilles temporaires, suivies de réconciliations.

L’amitié des deux écrivains devient plus stable après la prise de pouvoir de Napoléon III. Hugo, exilé politique, fréquente assidûment, à Bruxelles, Dumas, exilé pour dettes. Ce dernier rend visite au plus célèbre opposant à l’empereur dans son exil de Guernesey, et prend publiquement sa défense en France.

À la mort de Dumas, Hugo écrira une lettre superbe et émouvante à Dumas fils.

Les relations entre les deux hommes ne peuvent, malgré tout, passer pour équilibrées. Persuadé de sa supériorité littéraire et morale, Hugo éprouvait sans doute pour le fantasque Dumas un mélange d’affection et d’agacement. L’admiration et l’amitié que Dumas professait envers son illustre confrère étaient certainement plus sincères…

 


 

Dumas vu par Victor Hugo

 

« Alexandre Dumas creuse le génie humain et il l’ensemence »

 

Victor Hugo écrit à Alexandre Dumas fils le 15 avril 1872, à l’occasion du transfert de la dépouille de l’écrivain à Villers-Cotterêts :

 

Mon cher confrère,

J’apprends par les journaux que demain 16 avril, doivent avoir lieu à Villers-Cotterêts les funérailles d’Alexandre Dumas. Je suis retenu près d’un enfant malade, et je ne pourrai aller à Villers-Cotterêts. C’est pour moi un regret profond. Mais je veux du moins être près de vous par le cœur. Dans cette douloureuse cérémonie, je ne sais si j’aurais pu parler, les émotions poignantes s’accumulent dans ma vie et voilà bien des tombeaux qui s’ouvrent coup sur coup devant moi, j’aurais essayé pourtant de dire quelques mots.

Ce que j’aurais voulu dire, laissez-moi vous l’écrire. Aucune popularité en ce siècle n’a dépassé celle d’Alexandre Dumas; ses succès sont mieux que des succès; ce sont des triomphes; ils ont l’éclat de la fanfare. Le nom d’Alexandre Dumas est plus que français il est européen; il est plus qu’européen, il est universel. Son théâtre a été affiché dans le monde entier; ses romans ont été traduits dans toutes les langues. Alexandre Dumas est un de ces hommes qu’on peut appeler les semeurs de civilisation; il assainit et améliore les esprits par on ne sait quelle clarté gaie et forte; il féconde les âmes, les cerveaux, les intelligences; il crée la soif de lire; il creuse le génie humain, et il l’ensemence. Ce qu’il sème, c’est l’idée française. L’idée française contient une quantité d’humanité telle que partout où elle pénètre, elle produit le progrès. De là l’immense popularité des hommes comme Alexandre Dumas.

Alexandre Dumas séduit, fascine, intéresse, amuse, enseigne. De tous ses ouvrages, si multiples, si variés, si vivants, si charmants, si puissants, sort l’espèce de lumière propre à la France. Toutes les émotions les plus pathétiques du drame, toutes les ironies et toutes les profondeurs de la comédie, toutes les analyses du roman, toutes les intuitions de l’Histoire, sont dans l’œuvre surprenante construite par ce vaste et agile architecte. Il n’y a pas de ténèbres dans cette oeuvre, pas de mystère, pas de souterrain, pas d’énigme, pas de vertige; rien de Dante, tout de Voltaire et de Molière, partout le rayonnement, partout le plein midi, partout la pénétration de la clarté. Ses qualités sont de toutes sortes, et innombrables. Pendant quarante ans cet esprit s’est dépensé comme un prodige. Rien ne lui a manqué; ni le combat, qui est le devoir, ni la victoire, qui est le bonheur. Cet esprit était capable de tous les miracles, même de se léguer, même de se survivre. En partant, il a trouvé le moyen de rester, et vous l’avez. Votre renommée continue sa gloire. Votre père et moi, nous avons été jeunes ensemble. Je l’aimais, et il m’aimait.

Alexandre Dumas n’était pas moins haut par le cœur que par l’esprit; c’était une grande âme bonne. Je ne l’avais pas vu depuis 1857. Il était venu s’asseoir à mon foyer de proscrit à Guernesey, et nous nous étions donné rendez-vous dans l’avenir et dans la patrie, en septembre 1870, le moment est venu; le devoir s’est transformé pour moi : j’ai dû retourner en France. Hélas, le même coup de vent a des effets contraires. Comme je revenais dans Paris, Alexandre Dumas venait d’en sortir. Je n’ai pas eu son dernier serrement de main. Aujourd’hui je manque à son dernier cortège. Mais son âme voit la mienne. Avant peu de jours, bientôt je le pourrai peut-être, je ferai ce que je n’ai pu faire en ce moment; j’irai, solitaire, dans le champ où il repose, et cette visite qu’il a faite à mon exil, je la rendrai à son tombeau. Cher confrère, fils de mon ami, je vous embrasse.

Victor Hugo

 

 


 

Shakespeare vu par Victor Hugo

 

Quelques passages du magnifique texte que Victor Hugo écrit en guise d’introduction aux traductions de Shakespeare par François-Victor Hugo.

Les sous-titres et les soulignés sont de moi.

Mon but, en citant ce texte-ci, est double, mais tout simple : d’abord nous éclairer un peu sur le « pourquoi » du retour de Shakespeare en France. Que signifie son oeuvre, aux yeux des Romantiques français ? Il y a des chances pour ce qui les a fasciné chez Le Grand Will fasse écho à ce qui les a aussi fasciné, renversé, dans le jeu de Kean ? Et puis, seconde raison, pour attirer votre attention sur l’emphase mise par Hugo sur la démesure. Contrairement aux opinions « critiques » émises sur les Romantiques par leurs adversaires, rien de caractériel, ici. La démesure dont il est question n’est pas une démesure de l’égo. Tout au contraire : remarquez les termes auxquels a recours Hugo : « Homme-Océan », « génie recommençant », « sphynx », « fertilité », « force », « exubérance », « coupe écumante », « semeur d’éblouissements ». Ce qu’ils indiquent, c’est le désir de dire le monde. Ce n’est pas l’égo des Romantiques qui est démesuré, mais le monde, aux yeux de l’Homme. Comment le dire, ce monde? C’est, apparemment, ce qu’il n’est pas « de bon ton » de chercher à faire. Et qui ne leur a jamais été pardonné.

 

Homme-Océan…

Il y a des hommes océans en effet.

Caspar David Friedrich — Lever de lune – deux hommes sur le rivage – 1835-1837

Ces ondes, ce flux et ce reflux, ce bruit de tous les souffles, ces noirceurs (…), ces végétations (…), cette démagogie (…), ces aigles (…), ces merveilleux levers d’astres (…), ces grandes foudres (…), ces sanglots énormes, ces monstres entrevus, ces nuits (…), ces furies, (…) ces naufrages, (…) ces fêtes, (…) ces chants (…), ce bleu profond de l’eau et du ciel (…), cet insondable, tout cela peut être dans un esprit, et alors cet esprit s’appelle génie, et vous avez Eschyle, vous avez Isaïe, vous avez Juvénal, vous avez Dante, vous avez Michel-Ange, vous avez Shakespeare, et c’est la même chose de regarder ces âmes ou de regarder l’océan.

 

 

… Qui Complète la Révolution.

Shakespeare est frère de Dante. L’un complète l’autre. Dante incarne tout le surnaturalisme, Shakespeare incarne toute la nature; et comme ces deux régions, nature et surnaturalisme, qui nous apparaissent si diverses, sont dans l’absolu la même unité, Dante et Shakespeare, si dissemblables pourtant, se mêlent par les bords et adhèrent par le fond; il y a de l’homme dans Alighieri, et du fantôme dans Shakespeare. La tête de mort passe des mains de Dante dans les mains de Shakespeare; Ugolin la ronge, Hamlet la questionne. Peut-être même dégage-t-elle un sens plus profond et un plus haut enseignement dans le second que dans le premier. Shakespeare la secoue et en fait tomber des étoiles. L’île de Prospero, la forêt des Ardennes, la bruyère d’Armuyr, la plate-forme d’Elseneur, ne sont pas moins éclairées que les sept cercles de la spirale dantesque par la sombre réverbération des hypothèses. Le que sais-je ? demi-chimère, demi-vérité, s’ébauche là comme ici. Shakespeare autant que Dante laisse entrevoir l’horizon crépusculaire de la conjecture. Dans l’un comme dans l’autre il y a le possible, cette fenêtre du rêve ouverte sur le réel.

Hovhannes (Ivan) Aivazovski (1817-1900)

Quant au réel, nous y insistons, Shakespeare en déborde; partout la chair vive; Shakespeare a l’émotion, l’instinct, le cri vrai, l’accent juste, toute la multitude humaine avec sa rumeur. Sa poésie, c’est lui, et en même temps, c’est vous. Comme Homère, Shakespeare est élément. Les génies recommençants, c’est le nom qui leur convient, surgissent à toutes les crises décisives de l’humanité; ils résument les phases et complètent les révolutions.

Ces deux génies, Homère et Shakespeare, ferment les deux premières portes de la barbarie, la porte antique et la porte gothique. C’était là leur mission, ils l’ont accomplie : c’était là leur tâche, ils l’ont faite. La troisième grande crise est la Révolution française; c’est la troisième porte énorme de la barbarie, la porte monarchique, qui se ferme en ce moment. Le XIXe siècle l’entend rouler sur ses gonds.

Excusez-moi de me donner des airs de prof, mais je ne peux guère m’en empêcher. Regardez, remarquez : « La Révolution française; c’est la troisième porte énorme de la barbarie, la porte monarchique, qui se ferme en ce moment ». Ce qui signifie on ne peut plus clairement que le classicisme est, aux yeux de Hugo, un attribut de la barbarie.

 

Bon Goût et Droit Divin,

L’ex-« bon goût », cet autre droit divin qui a autrefois pesé sur l’art et qui était parvenu à supprimer le beau au profit du joli, l’ancienne critique, pas tout à fait morte, comme l’ancienne monarchie, constatent, à leur point de vue, chez les souverains génies que nous avons dénombrés plus haut, le même défaut, l’exagération. Ces génies sont outrés.

Ceci tient à la quantité d’infini qu’ils ont en eux.

En effet, ils ne sont pas circonscrits.

Ils contiennent de l’ignoré. Tous les reproches qu’ont leur adresse pourraient être faits à des sphynx.

Voilà qui n’est certes pas vraiment fait pour plaire à madame Lelièvre et à ses camarades…

 

Refaire le Monde à son Image.

Caspar David Friedrich — Promenade à la brunante (1830-1835)

 D’où sort la main de Shakespeare ? de la poche d’Eschyle.

Non ! Ni décadence, ni renaissance, ni plagiat, ni répétition, ni redite. Identité de cœur, différence d’esprit; tout est là. Chaque grand artiste, nous l’avons dit ailleurs, refrappe l’art à son image. […]

Tout recommence avec le nouveau poëte, et en même temps rien n’est interrompu. Chaque nouveau génie est abîme. Pourtant, il y a tradition. Tradition, de gouffre à gouffre, c’est là, dans l’art comme dans le firmament, le mystère; et les génies communiquent par leurs effluves comme les astres. Qu’ont-ils de commun ? Rien. Tout.

 

Imagination.

Shakespeare est, avant tout, une imagination. Or, c’est là une vérité que nous avons indiquée déjà et que les penseurs savent, l’imagination est profondeur.

Aucune faculté de l’esprit ne s’enfonce et ne creuse plus que l’imagination; c’est la grande plongeuse. La science, arrivée aux derniers abîmes, la rencontre. Dans les sections coniques, dans les logarithmes, dans le calcul différentiel et intégral, dans le calcul des probabilités, dans le calcul infinitésimal, dans le calcul des ondes sonores, dans l’application de l’algèbre à la géométrie, l’imagination est le coefficient du calcul, et les mathématiques deviennent poésie. Je crois peu à la science des savants bêtes…

 

Caspar David Friedrich — Deux Jeunes hommes au bord de la mer, au lever de la Lune (1835)

Abondance.

Si jamais un homme a peu mérité la bonne note : Il est sobre, c’est, à coup sûr, William Shakespeare. Shakespeare est un des plus mauvais sujets que l’esthétique « sérieuse » ait jamais eu à régenter.

Shakespeare, c’est la fertilité, la force, l’exubérance, la mamelle gonflée, la coupe écumante, la cuve à plein bord, la sève par excès, la lave en torrent, les germes en tourbillons, la vaste pluie de vie, tout par milliers, tout par millions, nulle réticence, nulle ligature, nulle économie, la prodigalité insensée et tranquille du créateur. A ceux qui tâtent le fond de leur poche, l’inépuisable semble en démence. A-t-il bientôt fini ? Jamais. Shakespeare est le semeur d’éblouissements. À chaque mot, l’image; à chaque mot, le contraste; à chaque mot, le jour et la nuit…

Raffinement, excès d’esprit, afféterie, gongorisme, c’est tout cela qu’on a jeté à la tête de Shakespeare. On déclare que ce sont les défauts de la petitesse, et l’on se hâte de les reprocher au colosse.

Mais aussi ce Shakespeare ne respecte rien, il va devant lui, il essouffle qui veut le suivre, il enjambe les convenances, il culbute Aristote; il fait des dégâts dans le jésuitisme, dans le méthodisme, dans le purisme et dans le puritanisme; il met Loyola en désordre et Wesley sens dessus dessous; il est vaillant, hardi, entreprenant, militant, direct. Son écritoire fume comme un cratère. Il est toujours en travail, en fonction, en verve, en train, en marche. Il a la plume au poing, la flamme au front, le diable au corps. L’étalon abuse; il y a des passants mulets à qui c’est désagréable. Être fécond, c’est être agressif. Un poëte comme Isaïe, comme Juvénal, comme Shakespeare, est, en vérité, exorbitant. Que diable ! on doit faire un peu attention aux autres, un seul n’a pas droit à tout, la virilité toujours, l’inspiration partout, autant de métaphores que la prairie, autant d’antithèses que le chêne, autant de contrastes et de profondeurs que l’univers, sans cesse la génération, l’éclosion, l’hymen, l’enfantement, l’ensemble vaste, le détail exquis et robuste, la communication vivante, la fécondation, la plénitude, la production, c’est trop; cela viole le droit des neutres.

Voilà trois siècles tout à l’heure que Shakespeare, ce poëte en toute effervescence, est regardé par les critiques sobres avec cet air mécontent que de certains spectateurs privés doivent avoir dans le sérail.

Henry Fuseli (Johann Heinrich Füssli) — Hamlet Acte I scène iv (1789)

Shakespeare n’a point de réserve, de retenue, de frontière, de lacune. Ce qui lui manque, c’est le manque. Nulle caisse d’épargne. Il ne fait pas carême. Il déborde, comme la végétation, comme la germination, comme la lumière, comme la flamme. Ce qui ne l’empêche pas de s’occuper de vous, spectateur ou lecteur, de vous faire de la morale, de vous donner des conseils, et d’être votre ami, comme le premier bonhomme La Fontaine venu, et de vous rendre de petits services. Vous pouvez vous chauffer les mains à son incendie. […]

Ecce Deus, c’est le poëte, il s’offre, qui veut de moi ? il se donne, il se répand, il se prodigue; il ne se vide pas. Pourquoi? Il ne peut. L’épuisement lui est impossible, il y a en lui du sans fond. Il se remplit et se dépense, puis recommence. C’est le panier percé du génie. (…)

Comme tous les hauts esprits en pleine orgie d’omnipotence, Shakespeare se verse toute la nature, la boit, et vous la fait boire. Voltaire lui a reproché son ivrognerie, et a bien fait. Pourquoi aussi, nous le répétons, pourquoi ce Shakespeare a-t-il un tel tempérament ? Il ne s’arrête pas, il ne se lasse pas, il est sans pitié pour les autres petits estomacs qui sont candidats à l’académie. Cette gastrite, qu’on appelle « le bon goût », il ne l’a pas. Il est puissant. Qu’est-ce que cette vaste chanson immodérée qu’il chante dans les siècles, chanson de guerre, chanson à boire, chanson d’amour, qui va du roi Lear à la reine Mab, et de Hamlet à Falstaff, navrante parfois comme un sanglot, grande comme l’Iliade !

 

Génie Humain.

Au-dessus de Shakespeare il n’y a personne. Shakespeare a des égaux, mais n’a pas de supérieur.

C’est un étrange honneur pour une terre d’avoir porté cet homme. On peut dire à cette terre alma parens. La ville natale de Shakespeare est une ville élue; une éternelle lumière est sur ce berceau : Stratford-sur-Avon a une certitude que n’ont point Smyrne, Rhodes, Colophon, Salamine, Chio, Argos et Athènes, les sept villes qui se disputent la naissance d’Homère.

Henry Fuseli (Johann Heinrich Füssli) — Le cauchemar (1781)

Shakespeare est un esprit humain; c’est aussi un esprit anglais. Il est très anglais, trop anglais; il est anglais jusqu’à amortir les rois horribles qu’il met en scène quand ce sont des rois d’Angleterre, jusqu’à amoindrir Philippe Auguste devant Jean sans Terre, jusqu’à faire exprès un bouc, Falstaff, pour le charger des méfaits princiers du jeune Henri V, jusqu’à partager dans une certaine mesure les hypocrisies d’histoire prétendue nationale. Enfin il est anglais jusqu’à essayer d’atténuer Henri VIII; il est vrai que l’œil fixe d’Élisabeth est sur lui. Mais en même temps, insistons-y, car c’est par là qu’il est grand, oui, ce poëte anglais est un génie humain. L’art, comme la religion, a ses Ecce homo. Shakespeare est un de ceux dont on peut dire cette grande parole : il est l’Homme.

Avoir enfanté Shakespeare, cela grandit l’Angleterre.

 

Comprendre.

Arriver à comprendre Shakespeare, telle est la tâche. Toute cette érudition a ce but : parvenir à un poëte. C’est le chemin de pierres de ce paradis.

Forgez-vous une clef de science pour ouvrir cette poésie.

1865

 


 

La Pièce

 

KEAN ou Désordre et Génie

 

Drame en cinq actes d’Alexandre Dumas père (1803-1870), représenté en 1836. […] Kean est le drame le mieux réussi de Dumas père, en raison surtout de ses effets scéniques (rappelons tout particulièrement la grande scène d’invective). Cette habileté technique ne suffit pas à masquer le caractère conventionnel et grandiloquent du drame.

Dictionnaire des œuvres, Robert Laffont [2]

 

Et hop !, nous y revoici !

Le caractère conventionnel » et… « grandiloquent »… évidemment.

Et pas un mot sur l’adaptation de Sartre… évidemment.

Photo de Dumas par Charles Reutlinger

Pourtant, chez les mêmes éditeurs, le Dictionnaire des Auteurs, lui, dans son résumé biographique de Dumas :

Avec une série de drames donnés au Théâtre-Français à l’Odéon, etc., parmi lesquels (…) Kean ou Désordre et génie (1836) (…), et avec les adaptations scéniques qu’il donna plus tard de ses romans, il fut d’ailleurs le seul des grands romantiques à connaître une gloire théâtrale capable de rivaliser avec celle de Scribe, par exemple.

Dictionnaire des auteurs, Robert Laffont

Donc, si je comprends bien, le « drame le mieux réussi » du « seul des grands romantiques à connaître une gloire théâtrale » phénoménale est « conventionnel et grandiloquent » ? Eh ben…

Même dictionnaire, rubrique « Sartre » :

En 1951, il fait créer Le Diable et le Bon Dieu. En 1952 s’opère la rupture avec Camus. Sartre participe au congrès mondial de la Paix  et  publie Saint Genêt, comédien et martyr. Il s’élève contre la guerre d’Indochine (publication de L’Affaire Henri Martin, 1953). Il voyage en Italie et en URSS. En 1955, il…

Oups. Pas de Kean. Aux oubliettes, Kean. Ce qui fait que tout ce qu’il y à en savoir, c’est que c’est un drame de Dumas, « conventionnel et grandiloquent ». Réglé.

Ah non, c’est vrai. Il y a encore, dans la même série de dictionnaires, la rubrique de « Kean » du Dictionnaire des personnages. Magnifique — on jurerait un article de Carmen Montessuit  [Note de 2018 : chroniqueuse théâtrale ayant (très très) longtemps sévi au Journal de Montréal] :

 

 


 

Frédéric Lemaître — Créateur du rôle de Kean en 1836

  


 

Jean-Paul Sartre

 

Sartre, Jean-Paul [3] 

(Paris, 21 juin 1905 – Paris, 15 avril 1980) – Le père de Jean-Paul Sartre, officier de marine, meurt alors que Sartre n’a que six mois. Jusqu’en 1911, il vit avec sa mère et ses grands-parents à Neudon.

En 1911, sa mère et lui déménagent à Paris. Sartre étudie au Lycée Montaigne puis, à partir de 1915, au Lycée Henri IV.

En 1917, sa mère épouse Joseph Mancy et la famille part s’établir à La Rochelle. Sartre ne pardonnera jamais ce remariage à sa mère et ne sera jamais heureux à l’école. En 1920, il est de retour au Lycée Henri IV. Il poursuit ensuite ses études au Lycée Louis le Grand, où il prépare son examen d’entrée à l’École Normale Supérieure, en 1924.

Sartre est un passionné de cinéma, et tout particulièrement de westerns et de comédies hollywoodiennes. En 1923, il publie une nouvelle dans La Revue sans Titre.

En 1929, toujours aux études, Sartre fait la rencontre de Simone de Beauvoir. Il n’est pas un bel homme, ne fait que 5′ 2″, louche, et un de ses yeux n’a que 10% de vision, mais Beauvoir et lui sont du même calibre intellectuel et, au terme de leurs études, ils deviennent amants.

Sartre avait souhaité se marier – il s’était fiancé à une jeune femme, en 1927, à Lyon – mais Beauvoir et lui conviennent de ne pas s’épouser. Ils se mettent d’accord sur un contrat de deux ans, dont les termes leur permettent à tous deux d’avoir des aventures chacun de leur côté, à condition de tout se dire.

En 1929-1931, Sartre accomplit son service militaire obligatoire dans les Services météorologiques de l’armée, après quoi il enseigne la philosophie au Havre et commence à écrire La Nausée.

De 1931 à 1945, il voyage en Grèce, en Égypte et en Italie.

En 1933-1934, il obtient une bourse qui lui permet d’aller poursuivre ses études à L’Institut français de Berlin. Là, il se penche sur les œuvres de Husserl (l’intention de conscience) et de Heidegger, dont les thèses constitueront les fondements de l’existentialisme tel que Sartre le conçoit.

Sartre s’intéresse aux rêves et, en 1935, accepte de participer à des expériences sur la mescaline, expériences qui lui vaudront des cauchemars hallucinatoires qui ont très bien pu être encore amplifiés par son état déjà dépressif.

Olga Kosakiewicz, une ancienne élève de Beauvoir âgée de 18 ans, est « adoptée » par le couple et se joint au ménage qui devient ainsi ce qu’ils appellent eux-mêmes « Le Trio ». L’expérience est un échec. « Je suis au plus bas », écrit Sartre qui, devenu amoureux d’Olga, et du fait de cette rupture, perd le goût d’écrire.

En 1936-1939, Sartre enseigne à Laon et, à Paris, au Lycée Pasteur.

Suite aux pressions qu’il exerce, les Éditions Gallimard acceptent de publier La Nausée, qui paraît en 1938. Dans cet ouvrage, Sartre développe et explique sa nouvelle doctrine existentialiste.

Au déclenchement de la guerre, Sartre est conscrit et affecté à la 70e division, à Nancy. Fait prisonnier de guerre, il est emprisonné à Padoux, puis à Nancy, et finalement au Stalag XII-D à Trèves. Au camp, il écrit et met en scène pour ses compagnons de captivité la pièce Bariona.

En 1941, il obtient sa libération pour cause de mauvaise santé — sa vision déficiente lui cause, plaide-t-il, des problèmes d’équilibre. Il retrouve donc le statut de civil et s’enfuit retrouver Beauvoir à Paris. Il organise un comité des Intellectuels de la Résistance, mais le danger croit rapidement et l’organisation doit se saborder. Sartre se remet à l’enseignement et à la critique littéraire.

Sartre utilise l’Occupation nazie comme toile de fond pour sa pièce Les Mouches (1943), version moderne de L’Orestie.

À la fin de la guerre, en 1945, il donne des conférences aux USA. Il est à ce moment-là devenu la figure de proue de la Gauche du Quartier Latin. Sa doctrine et lui sont au sommet de leur gloire.

En 1946, Beauvoir et lui fondent la revue de Gauche Les Temps Moderne. C’est de cette année-là que daterait sa célèbre – et durable… — dispute avec Albert Camus (au sujet du stalinisme), encore que certains l’expliquent plutôt par la parution de l’essai de Camus L’Homme révolté, en 1951.

Sartre expose sa doctrine athée et existentialiste dans L’Existentialisme est un humanisme (1946).

En 1948, le Vatican place l’ensemble de son oeuvre à l’Index.

À compter du début des années 1950, il s’investit dans les grands débats politiques. Il sera vice-président de l’Association France-URSS, mais s’en retirera au moment de l’invasion de la Hongrie (1956). Il visite l’Europe de l’Est et Cuba, et appuie plusieurs causes dont la lutte contre les politiques américaines au VietNam — il préside le Tribunal Russell en 1967 –, et contre l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie en 1968. En mai 68, il prend fait et cause pour les étudiants en révolte.

En 1964, Sartre se voit décerner le Prix Nobel de la littérature, mais le refuse.

“Avant le Prix Nobel, au Café Montparnasse”, par Berretty-Rapho.

Il prend le parti d’Israël lors des conflits du Moyen Orient dans les année 1970 et, en 1976, l’Université de Jérusalem lui décerne le titre de Docteur.

En 1977, il déclare qu’il n’est pas un Marxiste – il n’a d’ailleurs jamais appartenu au Parti Communiste..

Il meurt à l’hôpital d’un oedème aux poumons, en 1980. Beauvoir est à son chevet. Il est enterré à Montparnasse.

En 1981, Beauvoir fait paraître La cérémonie des adieux, récit des dix dernières années de sa vie.

 


 

Sartre appartient à la catégorie des écrivains chez qui la position philosophique est au cœur de l’œuvre et, même, de leur être artistique lui-même.

Les écrits théoriques de Sartre aussi bien que ses romans constituent des sources d’inspiration centrales de la littérature contemporaine.

Dans la perspective philosophique de Sartre, l’athéisme va de soi; la « mort de dieu » n’est pas pleurée. L’Homme est responsable de ses choix, et il est condamné à la liberté, à la libération de toute forme d’autorité. Il ne peut pas se soustraire à cette liberté, il peut chercher à la corrompre ou à la nier, mais tôt ou tard il devra se confronter à elle s’il veut devenir un être moral. Le sens de la vie d’un être humain n’est pas donné d’entrée de jeu, à sa naissance. Une fois reconnue la nécessité de la terrible libération, l’individu doit donc lui-même créer ce sens, il doit se doter d’un rôle dans ce monde, il a à investir sa liberté. Cette tentative de construction de soi est futile si elle ne s’accomplit pas dans la solidarité avec les autres.

Autrement dit : dans un monde sans Dieu, la vie n’a pas d’autre sens et pas d’autre but que ceux que chaque homme se fixe à lui-même.

Les conclusions à tirer de cette position, pour un écrivain, sont présentées dans Qu’est-ce que la littérature ? (1948) : la littérature n’est pas pour Sartre une activité en-soi, et ne consiste pas essentiellement dans la description de personnages ou de situations. Elle a pour objet la liberté humaine et l’engagement de l’écrivain. L’écrivain a pour responsabilité première d’agir de telle manière que personne ne puisse ignorer ce qu’est le monde. La littérature est un engagement; la création artistique est une activité morale.

La parution de ses premières études, largement psychologiques — L’Imagination (1936), Esquisse d’une théorie des émotions (1939), et L’Imaginaire : psychologie phénoménologique de l’imagination (1940) — n’attire pas beaucoup l’attention. En revanche, celle de son premier roman — La Nausée (1938) – et du recueil de nouvelles Le Mur (1938) lui valent une reconnaissance et un succès immédiats. Sartre y exprime sur le mode dramatique ses conceptions existentialistes d’aliénation et d’engagement, et celle de la rédemption par l’art.

Son ouvrage philosophique central, L’Être et le néant (1943), est une imposante étude de son concept d’être, duquel dérive l’essentiel de l’existentialisme moderne. L’humanisme existentialiste que professe Sartre dans son essai L’Existentialisme est un humanisme (1946) se laisse aussi apercevoir dans le recueil de nouvelles Les Chemins de la Liberté (1945-49).

C’est peut-être à titre d’auteur dramatique que Sartre est le plus connu. Les Mouches (1943), Huis Clos (1947), Les Séquestrés d’Altona (1959).

Sartre s’est aussi livré à la critique littéraire et a écrit des étude sur Baudelaire (1947), sur Jean Genet (1952) et sur Flaubert (1971-1972). Une autobiographie de sa jeunesse Les Mots, est parue en 1964.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

La Pièce

Version Sartre

Paris MXMLIII

Pierre Brasseur

 

Brasseur, qui crée le rôle de Kean dans l’adaptation de Sartre – en plus d’en signer la mise en scène –, n’échappe pas aux joies du commentaire sur la romantisme. À preuve, cette notice tirée de l’Encyclopédie Maisonneuve, une encyclopédie populaire internationale en 21 volumes, publiée en 1970.

 

 

Comment dites-vous ? “Excessif » ? Mazette, que c’est original…

 

 

 


 

Pierre Brasseur en Kean

 

 

 

 


La Pièce

Version Sartre

USA MM

Été 2000 – Shakespeare Santa Cruz, CA  [4]

Ce à quoi notre production NE RESSEMBLERA PAS…

 OU ALORS… J’ENTRE CHEZ LES MOINES !!!

 

Distribution :

Kean — Paul Withworth (directeur artistique du Festival)

Éléna — Lise Bruneau

Anne [5] — Natalie Griffith

Le Prince — Bryan Torfeh

Amy — Ursula Meyer

 

 


 

Notes

 

[1] Littéralement : « résurrection ». Mouvement italien du XIXe siècle, visant à l’unification et à l’indépendance de l’Italie.

[2] Dictionnaire des œuvres, tome IV, Robert Laffont, Bouquins, 1978, pp 52-53.

[3] À partir des fiches de la BBC, de l’Institut Nobel et de l’Encyclopédia Britannica.

[4] Crédit Photos : RR Jones. http://www.shakespearesantacruz.org/summer00/kean_image_page.asp, RDD, 20 janvier 2002

[5] Dans cette production, « Anna », pour une raison qui m’échappe, semble avoir été rebaptisée « Anne ».

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