Kean — Romantisme

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Le turquoise indique des notes prises en 2002 en vue du complètement de l’écriture, ou des ajouts de 2018.

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Quatrième Partie

Le Romantisme

 

 


 

Sommaire

 

Les Romantiques

Le Romantisme selon Danielle Girard

Le romantisme selon Danielle Girard – version commentée

Poésie et Politique – Shakespeare

Responsabilités du Génie – le Moïse d’Alfred de Vigny

Romantisme et Hellénisme

(Elgin et ses marbres — Byron — Delacroix — Hugo)

Albert Camus sur le Romantisme : L’Homme Révolté

Romantisme – Musique

 


Les Romantiques

 

Ici nous entrons dans le cœur véritable du sujet.

Voici un document tiré du site «Le romantisme, aspects et thèmes » [1] — d’après les cours de Danielle Girard du Lycée Jeanne d’Arc, à Rouen.

Je vous le propose pour deux raisons : d’abord parce que les enjeux du romantisme y sont bien nommés, bien documentés et que le « découpage » des thèmes romantiques y est fort inspirant. Ensuite, à cause… du profond mépris que, de toute évidence,  le romantisme inspire à madame Girard, un mépris très clairement connoté à Droite.

Autrement dit, dans l’image du romantisme que compose ce document, les morceaux du puzzle sont bien dessinés, mais ils sont assemblés de telle manière que le portrait d’ensemble, lui, est complètement loufoque : il vise très nettement à amener le lecteur à « condamner » le romantisme. Nos chers curés d’antan n’auraient guère pu faire mieux; ils l’auraient d’ailleurs sans doute fait dans des termes fort similaires.

Ainsi, pratiquement à chaque ligne du texte, la justesse de la compréhension des enjeux se prend-elle les pieds dans les clichés haineux. L’espèce de brouillard qui en résulte est tout à fait classique (ha ha) : dès le départ, les Romantiques ont été considérés par les Conservateurs et les Réactionnaires comme des fous, des dégénérés, des excessifs, des rêveurs, des pervers [voir, dans le chapitre « Théâtre », les jugements sur le jeu de Kean et de ses contemporains]. Ce qui est très certainement aussi le cas ici.

Le ton est donné dès la toute première phrase : « L’affaiblissement des croyances religieuses provoque un certain déséquilibre ». Ah bon ? Vraiment ? Comme c’est original… Le reste est à l’avenant.

Je cite donc ce document 1) pour la clarté de la structure de la pensée romantique qu’il fait ressortir et 2) pour illustrer par un seul exemple — mais il y en aurait bien d’autres à faire ressortir dans ce que nous lisons ou entendons chaque jour — à quel point la résistance aux idées romantiques reste forte en ce début du XXIe siècle… et s’articule de la même manière aujourd’hui qu’au XIXe. C’est aussi de cette résistance que parle Kean.

Je vous propose de lire le document deux fois. Première version : le texte du site, tel quel. Seconde version : lecture partielle commentée.

Il y a de fortes chances pour que le regard que madame Girard porte sur les Romantiques soit aussi celui qui viendra « spontanément » à la plupart de nos spectateurs. Il est peut-être même… le nôtre, au départ en tous cas, avant de nous être demandé ce qu’est le romantisme pour les Romantiques. Or, nous poser cette question, c’est précisément l’essentiel de notre tâche. Nous ne sommes pas là pour psychanalyser ni pour « guérir » Kean et Dumas – pas plus que Sartre d’ailleurs –, nous sommes là pour donner accès à leur regard sur le monde.

La différence entre les deux versions de ce document, ce qu’il y a entre ces deux versions… c’est précisément ce que je propose de faire vivre dans le spectacle que nous allons préparer ensemble.

Il ne s’agit pas pour nous de  remettre le romantisme à la mode, mais tout simplement de faire vivre, d’animer – au sens premier : « donner une âme » — le regard de ceux qui l’ont créé, leur combat, leurs tentatives de sortir à la fois de l’Ancien Régime, de la Terreur révolutionnaire, et des dévastations napoléoniennes.

Lançons-nous.

 


 

 

Le romantisme

I – Version Danielle Girard

 

L’exaltation du moi

 

Au XIXe siècle, le bouleversement profond de la société et l’affaiblissement des croyances religieuses provoquent un certain déséquilibre.

L’imagination et la sensibilité l’emportent sur la raison. On estime que la sensibilité est un fluide plus sûr que la raison, car l’esprit humain se modifie avec le temps, tandis que le cœur ne change pas. Ces deux qualités toutes personnelles – l’imagination et la sensibilité – tournent naturellement l’homme vers lui-même. D’où un certain égocentrisme

 

Analyse du moi

On s’examine dans ce qu’on a de particulier, d’exceptionnel.

Ce narcissisme est à la source de nombreuses confessions et romans autobiographiques.

Mais, dit Hugo : “Insensé, qui crois que je ne suis pas toi !”

 

Affirmation du “moi”

On se distingue par l’originalité dans les manières, le costume, le langage, ou l’originalité dans la conduite de sa vie, les rapports sociaux, la revendication de sa liberté avec parfois une bravade anti-sociale, ou plutôt anti-bourgeoise.

 

Orgueil du “moi” et sentiment de supériorité

On a conscience de son génie personnel, même s’il n’est pas reconnu par la société.

 

Primauté du “moi” sur le social

On juge les droits individuels supérieurs à ceux que la société a sur l’individu. Par exemple, dans l’amour :

— deux êtres que les hommes séparent ont le droit de s’unir devant Dieu

— deux êtres que les hommes ont unis sans amour ont le droit de tenir cette union pour nulle.

 

 

La Mélancolie

“J’appelle classique le sain, romantique le malade” dit Goethe

 

Les causes :

1) Situation historique :

Profond malaise dû à la situation politique et à l’accélération de l’histoire entre 1789 et 1848. D’où :

— le sentiment d’être impuissant à modifier le cours  des choses

— le sentiment du déclin, de la fin des choses, de la fuite inexorable du temps.

 

2) Situation sociale :

Les jeunes romantiques se sentent isolés, inadaptés, et vivent spirituellement en marge de la société, parfois en lutte contre elle, sans avoir de solides soutiens intellectuels et moraux.

Par suite des bouleversements sociaux depuis 1789, Les Romantiques n’ont plus rien de commun avec les deux générations précédentes.

L’épopée napoléonienne et les mythes qu’elle engendre ravivent encore leur nostalgie.

 

Les conséquences : l’homme “inadapté” et mélancolique

Il se caractérise par :

— le refuge dans la rêverie, dans la nature et dans la solitude

— une attitude instable, passant de l’enthousiasme au désespoir

— une mélancolie sans cause précise et sans remède qu’on appellera le « mal du siècle »

— l’impression d’être maudit, marqué par la fatalité

— une complaisance à la douleur qui grandit, qui révèle l’être à lui-même

— le goût des larmes

— la fascination pour le macabre, l’hallucination, le fantastique

— l’aspiration vers l’infini, le Beau, c’est-à-dire, souvent, la nature dans son immensité, la nature dans laquelle on trouve Dieu

— l’aspiration vers “l’ailleurs”, les voyages réels ou imaginaires.

 

 

Les luttes romantiques

Le romantique n’est pas continuellement en proie au spleen et à la mélancolie…

 

L’engagement

L’homme “engagé” est la deuxième face du même homme. Cela se manifeste par :

— le culte de l’amour et la passion, comme source de vie et d’énergie

— un idéal qui peut être humanitaire, religieux, patriotique

— la passion de la liberté — Certains romantiques ont combattu dans les mouvements nationalistes de résistance à l’oppression

— le sens d’une mission sociale à accomplir. Le poète doit guider le peuple. Certains écrivains — Hugo, Lamartine, Sand par exemple, prêchent un idéal de pitié pour les humbles, les victimes de la société, et une large et fraternelle humanité

— Le goût de l’action sociale et politique. Ils participent aux combats politiques, sont parfois des orateurs et des députés.

 

Les nouvelles valeurs et sources d’inspirations

En rupture avec les siècles classiques ayant pour valeurs la logique, la clarté, la raison, les romantiques explorent les forces de la nuit et de l’imaginaire : rêveries, rêves, fantastique, hallucinations, folie.

Contre les règles esthétiques classiques prônant la mesure et l’ordre, ils se tournent vers l’exceptionnel, l’excessif, le choc des forces qui s’opposent.

Avec le drame romantique, ils renouvellent les formes littéraires, provoquant parfois des scandales, notamment à la première représentation d’Hernani.

Ils remettent en honneur le moyen-âge, et l’art gothique méprisé depuis la Renaissance.

Ils redécouvrent Shakespeare refusé par les classiques.

Ils cherchent dans l’orient et l’exotisme de nouvelles sources d’inspiration.

 

 

L’art romantique : un art européen

 

Le romantisme est un mouvement européen, qui a ses sources en Angleterre et en Allemagne.
Il touche tous les arts à la fois : littérature, peinture, sculpture, musique.
En France, il lutte pour s’imposer de 1820 à 1830, triomphe de 1830 à 1860 environ.

À la lumière de tout ce qui a été dit dans les pages précédentes, on comprend que ses thèmes de prédilection soient :

 

Pour la nature :

Une nature grandiose, non domestiquée par l’homme, avec des paysages tourmentés, des tempêtes. Une nature qui n’est pas insensible à l’homme et est en communion avec lui.

 

Pour l’impression de la fuite irrémédiable du temps :

Le goût des ruines.

 

Pour l’univers intérieur :

La passion, notamment la passion amoureuse, souvent sans espoir et cause de souffrance, mais aussi parfois une sentimentalité un peu mièvre avec rêverie au clair de lune, dont se moqueront les écrivains réalistes.

 

Pour l’action :

Des actions spectaculaires, mettant en œuvre des foules. Les révoltes, insurrections, guerres dans leur horreur ou leur gloire. Le combat avec des fauves, des forces sauvages.

Des sujets particulièrement dramatiques, monstrueux ou barbares.

 


 

 

II – Critique de la version Danielle Girard

 

Récapituler les différents aspects qu’elle aborde, les critiquer, puis en faire la synthèse.

Mettre une à une en parallèle ses positions et celles de quelques grands Réactionnaires :

. Joseph De Maistre (condamnation de la révolte) — Lettres à un gentilhomme russe sur l’Inquisition espagnole :  « Il faut absolument tuer l’esprit du XVIIIe siècle » — Plus : sa réponse au poème de Voltaire sur le tremblement de terre de Lisbonne — acceptation totale de ce qui est, tel qu’en l’état. 

. Léon Daudet : Le stupide XIXe siècle.

 

LES OPPOSER À WINOCK — Les voix de la liberté : reprendre les principaux aspects de la haine de Girard, Lelièvre et Cie. Le faire sous forme de quizz ?

 

Camus —  L’Homme révolté — sur le dandysme, entre autres.

 

Romantisme : suite de Rousseau, fondement de la psycho. – ses abus : voir Saul, Unconscious Civilization 

 

Classiques versus Romantiques — Classiques : point de référence « au-dessus » — Romantiques : point de référence « à l’intérieur ».

 

Revenir sur ce que Girard évoque au triple galop en quelques syllabes : “le profond malaise dû à la situation politique”. Parler d’un “désastre politique” ne serait-il pas nettement plus approprié ? Après avoir déjà subi les coups et contrecoups de la Révolution, en moins de 20 ans  (1797-1814), la France vient de passer d’Empire continental à pays occupé. Cela ne constitue-t-il pas amplement une explication suffisante pour le développement d’un besoin pressant de redéfinir le rapport au monde dominant dans cette société ? 

 

 

George Steiner : « Rêves » — et, “par la bande”, glissement vers le formalisme — Tolstoi ou Dostoievski — cliquez pour l’entendre à ce propos : 

L’exaltation du moi

 

Au XIXe siècle, le bouleversement profond de la société et l’affaiblissement des croyances religieuses provoquent un certain déséquilibre. Par rapport à quand ? Ce bouleversement était-il souhaitable, ou non ? Ces croyances religieuses, elles, étaient-elles “équilibrées” ?

L’imagination et la sensibilité l’emportent sur la raison. Ah bon ? Donc, sensibilité-imagination d’une part et raison d’autre part s’opposeraient ? En quoi ? Qui le prétend ? Pourquoi ? La raison serait-elle la seule du trio à être fiable ? Deux siècles plus tard, l’arme nucléaire et la logique qui mène à sa dissémination, sont-elles des fruits de la seule raison ? 

 

On estime que la sensibilité est un fluide plus sûr que la raison, car l’esprit humain se modifie avec le temps, tandis que le cœur ne change pas. Ces deux qualités toutes personnelles – l’imagination et la sensibilité – tournent naturellement l’homme vers lui-même. D’où un certain égocentrisme. Alors que d’égocentrisme, la raison, elle, serait exempte ?

 

Analyse du moi

On s’examine dans ce qu’on a de particulier, d’exceptionnel. Par opposition à quoi ? À une emphase mise uniquement sur l’appartenance au groupe ? 

Ce narcissisme est à la source de nombreuses confessions et romans autobiographiques.

Mais, dit Hugo : “Insensé, qui crois que je ne suis pas toi !”

 

Affirmation du “moi”

On se distingue par l’originalité dans les manières, le costume, le langage, ou l’originalité dans la conduite de sa vie, les rapports sociaux, la revendication de sa liberté avec parfois une bravade anti-sociale, ou plutôt anti-bourgeoise. Et la “course aux rubans”, sous Louis XIV ?! Par ailleurs :  si cette originalité en-soi remplace un objectif à atteindre, elle s’appelle dandysme — cf Camus.

 

Orgueil du “moi” et sentiment de supériorité

On a conscience de son génie personnel, même s’il n’est pas reconnu par la société. “Orgueil” : revenir sur Prométhée et Lucifer — développer.

 

Primauté du “moi” sur le social

On juge les droits individuels supérieurs à ceux que la société a sur l’individu. Par exemple, dans l’amour :

— deux êtres que les hommes séparent ont le droit de s’unir devant Dieu.

— deux êtres que les hommes ont unis sans amour ont le droit de tenir cette union pour nulle.

Exemples tendancieux. Et mal fondés : Abélard et Héloïse, Roméo et Juliette, Hélène de Troie, etc… — Par ailleurs : serait-il envisageable qu’auparavant la primauté de la société sur les individus ait été démesurée ? Se pourrait-il qu’il y ait eu lieu de tenter de rééquilibrer ? Comment “sort”-t’on d’une culture où un Voltaire qui reçoit la bastonnade n’a aucun droit d’en appeler ?  

 

Et la suite à l’avenant.

À noter : dans le passage sur “Les nouvelles valeurs et sources d’inspiration”, elle écrit : “(Les Romantiques) redécouvrent Shakespeare refusé par les classiques”. Il n’y a donc de classiques que français ? Ou prétendrait-elle que Shakespeare aurait été refusé par les Classiques anglais ?

À LA FIN : “Traçons, “en négatif” de ce quelle trouve déplorable, la silhouette de ce qu’elle trouverait souhaitable… et nous nous retrouvons avec un Ancien Régime sublimé, un Ancien Régime de carte postale, académique (dominé par les Académies) jusqu’au trognon, où l’individu n’a de valeur qu’en tant que partie du tout (“Une nation faite de l’addition d’une multitude de zéros”, pour paraphraser Jünger), pétri d’humilité et de réserve à moins d’avoir droit à la particule. Charles X aurait-il rêvé à autre chose ?

 

 


 

Le Romantisme

Poésie et Politique

Shakespeare

 

 

Hugo : Shakespeare — revenir à L’HOMME-OCÉAN [Autre extrait ? — Ou alors en déplacer un ici, et le commenter.]

Puis extrait de L’Intro à Shakespeare :  souligner l’insistance de Victor Hugo à tracer des parallèles entre les événements politiques et l’écriture des pièces de Shakespeare — insistance aussi sur la censure exercée par le Lord Chambellan malgré l’appui de la reine.

 

 


 

Romantisme

Politique

Responsabilités du Génie

 

 

Alfred DE VIGNY

MOÏSE — 1822

 

Le soleil prolongeait sur la cime des tentes

Ces obliques rayons, ces flammes éclatantes,

Ces larges traces d’or qu’il laisse dans les airs,

Lorsqu’en un lit de sable il se couche aux déserts.

La pourpre et l’or semblaient revêtir la campagne.

Du stérile Nébo gravissant la montagne,

Moïse, homme de Dieu, s’arrête, et, sans orgueil,

Sur le vaste horizon promène un long coup d’œil.

Il voit d’abord Phasga, que des figuiers entourent;

Puis, au-delà des monts que ses regards parcourent,

S’étend tout Galaad, Éphraïm, Manassé,

Dont le pays fertile à sa droite est placé;

Vers le Midi, Juda, grand et stérile, étale

Ses sables où s’endort la mer occidentale;

Plus loin, dans un vallon que le soir a pâli,

Couronné d’oliviers, se montre Nephtali;

Dans des plaines de fleurs magnifiques et calmes,

Jéricho s’aperçoit : c’est la ville des palmes;

Et, prolongeant ses bois, des plaines de Phogor,

Le lentisque touffu s’étend jusqu’à Ségor.

Il voit tout Chanaan, et la terre promise,

Où sa tombe, il le sait, ne sera point admise.

Il voit; sur les Hébreux étend sa grande main,

Puis vers le haut du mont il reprend son chemin.

Or, des champs de Moab couvrant la vaste enceinte,

Pressés au large pied de la montagne sainte,

Les enfants d’Israël s’agitaient au vallon

Comme les blés épais qu’agite l’aquilon.

Dès l’heure où la rosée humecte l’or des sables

Et balance sa perle au sommet des érables,

Prophète centenaire environné d’honneur,

Moïse était parti pour trouver le Seigneur.

On le suivait des yeux aux flammes de sa tête,

Et, lorsque du grand mont il atteignit le faîte,

Lorsque son front perça le nuage de Dieu

Qui couronnait d’éclairs la cime du haut lieu,

L’encens brûla partout sur les autels de pierre.

Et six cent mille Hébreux, courbés dans la poussière,

À l’ombre du parfum par le soleil doré,

Chantèrent d’une voix le cantique sacré;

Et les fils de Lévi s’élevant sur la foule,

Tels qu’un bois de cyprès sur le sable qui roule,

Du peuple avec la harpe accompagnant les voix,

Dirigeaient vers le ciel l’hymne du Roi des rois.

Et, debout devant Dieu, Moïse ayant pris place,

Dans le nuage obscur lui parlait face à face.

Il disait au Seigneur : « Ne finirai-je pas ?

Où voulez-vous encor que je porte mes pas ?

Je vivrai donc toujours puissant et solitaire ?

Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre.

Que vous ai-je donc fait pour être votre élu ?

J’ai conduit votre peuple où vous avez voulu.

Voilà que son pied touche à la terre promise.

De vous à lui qu’un autre accepte l’entremise,

Au coursier d’Israël qu’il attache le frein;

Je lui lègue mon livre et la verge d’airain.

« Pourquoi vous fallut-il tarir mes espérances,

Ne pas me laisser homme avec mes ignorances,

Puisque du mont Horeb jusques au mont Nébo

Je n’ai pas pu trouver le lieu de mon tombeau ?

Hélas ! vous m’avez fait sage parmi les sages !

Mon doigt du peuple errant a guidé les passages.

J’ai fait pleuvoir le feu sur la tête des rois ;

L’avenir à genoux adorera mes lois ;

Des tombes des humains j’ouvre la plus antique,

La mort trouve à ma voix une voix prophétique,

Je suis très grand, mes pieds sont sur les nations,

Ma main fait et défait les générations. –

Hélas ! je suis, Seigneur, puissant et solitaire,

Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre !

« Hélas ! je sais aussi tous les secrets des cieux,

Et vous m’avez prêté la force de vos yeux.

Je commande à la nuit de déchirer ses voiles;

Ma bouche par leur nom a compté les étoiles,

Et, dès qu’au firmament mon geste l’appela,

Chacune s’est hâtée en disant : « Me voilà. »

J’impose mes deux mains sur le front des nuages

Pour tarir, dans leurs flancs la source des orages;

J’engloutis les cités sous les sables mouvants;

Je renverse les monts, sous les ailes des vents;

Mon pied infatigable est plus fort que l’espace;

Le fleuve aux grandes eaux se range quand je passe,

Et la voix de la mer se tait devant ma voix.

Lorsque mon peuple souffre, ou qu’il lui faut des lois,

J’élève mes regards, votre esprit me visite;

La terre alors chancelle et le soleil hésite,

Vos anges sont jaloux et m’admirent entre eux. –

Et cependant, Seigneur, je ne suis pas heureux;

Vous m’avez fait vieillir puissant et solitaire,

Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre !

« Sitôt que votre souffle a rempli le berger,

Les hommes se sont dit : « Il nous est étranger » ;

Et les yeux se baissaient devant mes yeux de flamme,

Car ils venaient, hélas ! d’y voir plus que mon âme.

J’ai vu l’amour s’éteindre et l’amitié tarir;

Les vierges se voilaient et craignaient de mourir.

M’enveloppant alors de la colonne noire,

J’ai marché devant tous, triste et seul dans ma gloire,

Et j’ai dit dans mon cœur : « Que vouloir à présent ? »

Pour dormir sur un sein mon front est trop pesant,

Ma main laisse l’effroi sur la main qu’elle touche,

L’orage est dans ma voix, l’éclair est sur ma bouche;

Aussi, loin de m’aimer, voilà qu’ils tremblent tous,

Et, quand j’ouvre les bras, on tombe à mes genoux.

Ô Seigneur ! j’ai vécu puissant et solitaire,

Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre ! »

Or, le peuple attendait, et, craignant son courroux,

Priait sans regarder le mont du Dieu jaloux;

Car s’il levait les yeux, les flancs noirs du nuage

Roulaient et redoublaient les foudres de l’orage,

Et le feu des éclairs, aveuglant les regards,

Enchaînait tous les fronts courbés de toutes parts.

Bientôt le haut du mont reparut sans Moïse. –

Il fut pleuré. — Marchant vers la terre promise,

Josué s’avançait pensif, et pâlissant,

Car il était déjà l’élu du Tout-Puissant.

 


 

 

Mary W. Shelley

Frankenstein — 1818

 

 

 

 


 

Romantisme

Et Hellénisme

 

Elgin et ses Marbres

 

Elgin (Thomas Bruce, 7e Comte de) – ambassadeur du Royaume-Uni auprès de l’Empire Ottoman (La Sublime Porte) – 1799-1803. Il obtient la permission des Turcs de sauver des parties du Parthénon, qui ne les intéressent pas du tout et pour l’entretien desquelles il craint [2]. Son but premier avait été de les copier – dessins et moulages. Attaqué en Angleterre, accusé de pillage – par Byron, entre autres – il se défend dans une brochure en 1810. Sa collection complète est acquise par la Couronne en 1816 pour la somme de £ 35 000.

 

Lord Byron

Childe Harold  [TRADUIRE]

 

Dull is the eye that will not weep to see
Thy walls defaced, thy mouldering shrines removed
By British hands, which it had best behoved
To guard those relics ne’er to be restored.
Curst be the hour when from their isle they roved,
And once again thy hapless bosom gored,
And snatch’d thy shrinking gods to northern climes abhorred !

 

TEXTE ELGIN 1810 ????

 

John Keats

On Seeing the Elgin Marbles for the First Time [TRADUIRE]

My spirit is too weak; mortality
Weighs heavily on me like unwilling sleep,
And each imagined pinnacle and steep
Of godlike hardship tells me I must die
Like a sick eagle looking at the sky.
Yet ’tis a gentle luxury to weep,
That I have not the cloudy winds to keep
Fresh for the opening of the morning’s eye.
Such dim-conceived glories of the brain
Bring round the heart an indescribable feud;
So do these wonders a most dizzy pain,
That mingles Grecian grandeur with the rude
Wasting of old Time -with a billowy main,
A sun, a shadow of a magnitude.

 


Elgin
 (James Bruce, 12e Comte de Kincardine, 8e Comte de) — 1811-1863 Gouverneur des colonies britanniques d’Amérique de Nord, où il établi le gouvernement responsable déjà recommandé par son beau-père, lord Durham. Il supporte le Parti des réparations, qui cherche à obtenir des compensations pour les pertes subies au Bas-Canada lors de la Rébellion. Il négocie le Traité de Réciprocité [libre-échange] entre les USA et les colonies canadiennes, étudie l’enseignement public au Canada et y abolit le régime seigneurial.

Envoyé spécial en Chine en 57-59 et 60-61 [3]. En 58 : visite officielle au Japon. En 62 : dernière affectation, vice-roi des Indes.

 

Elgin (Victor Alexander Bruce, 9e Comte de) — 1849-1917 – Né près de Montréal… — Fils du précédent, vice-roi des Indes 1894-1899.

 


 

 

Romantisme,

Politique

Et Hellénisme

[TRADUIRE]

Byron attending the House of Lords where he became a strong advocate of social reform. In 1811 he was one of the few men in Parliament to defend the actions of the Luddites and the following year spoke against the Frame Breaking Bill, by which the government intended to apply the death-penalty to Luddites. Byron’s political views influenced the subject matter of his poems. Important examples include Song for the Luddites (1816) and The Landlords’ Interest (1823). Byron also attacked his political opponents such as the Duke of Wellington and Lord Castlereagh in Wellington: The Best of the Cut-Throats (1819) and the The Intellectual Eunuch Castlereagh (1818).

In 1815 Byron married Anne Isabella Milbanke but the relationship came to an end the following year. Byron moved to Venice where he met the Countess Teresa Guiccioli, who became his mistress. Some of Byron’s best known work belongs to this period including Don Juan. The last cantos of Don Juan is a satirical description of social conditions in England and includes attacks on leading Tory politicians.

Lord Byron also began contributing to the radical journal, the Examiner, edited by his friend, Leigh Hunt. Leigh Hunt, like other radical journalists had suffered as as result of the Gagging Acts and had been imprisoned for his attacks on the monarchy and the government.

In 1822 Byron, Leigh Hunt, and Percy Bysshe Shelley travelled to Italy where the three men published the political journal, The Liberal. By publishing in Italy they remained free from the fear of being prosecuted by the British authorities. The first edition was mainly written by Leigh Hunt but also included work by William Hazlitt, Mary Shelley and Byron’s Vision of Judgement sold 4,000 copies. Three more editions were published but after the death of Shelley in August, 1822, the Liberal came to an end.

For a long time Lord Byron had supported attempts by the Greek people to free themselves from Turkish rule. This included writing poems such as The Maid of Athens (1810). In 1823 he formed the Byron Brigade and joined the Greek insurgents who had risen against the Turks. However, in April, 1824, Lord Byron died of marsh fever in Missolonghi before he saw any military action.

 Définition : Luddites.

 

 

Speech in the House of Lords (27th February, 1812) [TRADUIRE]

 

During the short time I recently passed in Nottingham, not twelve hours elapsed without some fresh act of violence; and on that day I left the the county I was informed that forty Frames had been broken the preceding evening, as usual, without resistance and without detection.

Such was the state of that county, and such I have reason to believe it to be at this moment. But whilst these outrages must be admitted to exist to an alarming extent, it cannot be denied that they have arisen from circumstances of the most unparalleled distress: the perseverance of these miserable men in their proceedings, tends to prove that nothing but absolute want could have driven a large, and once honest and industrious, body of the people, into the commission of excesses so hazardous to themselves, their families, and the community.

They were not ashamed to beg, but there was none to relieve them: their own means of subsistence were cut off, all other employment preoccupied; and their excesses, however to be deplored and condemned, can hardly be subject to surprise.

As the sword is the worst argument than can be used, so should it be the last. In this instance it has been the first; but providentially as yet only in the scabbard. The present measure will, indeed, pluck it from the sheath; yet had proper meetings been held in the earlier stages of these riots, had the grievances of these men and their masters (for they also had their grievances) been fairly weighed and justly examined, I do think that means might have been devised to restore these workmen to their avocations, and tranquillity to the country.

 


 

Victor-Eugène Delacroix

 

 

Chios (ou Chio), île de Grèce. Homère est réputé y avoir habité. Massacre perpétré par les Turcs en 1822, durant la Guerre d’indépendance grecque (1821-1829). Nombre de Chrétiens à n’avoir pas été massacrés furent vendus en esclavage.

Missilonghi ou Mesolongion, ville de Grèce. Célèbre pour deux événements de la Guerre d’indépendance grecque  — et lieu de la mort de Byron.

 

 


 

Victor Hugo

 

Victor Hugo en 1882, par Bastien Lepage

 

« L’Enfant Grec »

Juin 1828

 

O horror ! horror ! horror !

Shakespeare, Macbeth.

 

Les Turcs ont passé là : tout est ruine et deuil.

Chio, l’île des vins, n’est plus qu’un sombre écueil,

Chio, qu’ombrageaient les charmilles,

Chio, qui dans les flots reflétait ses grands bois,

Ses coteaux, ses palais, et le soir quelquefois

Un choeur dansant de jeunes filles.

Tout est désert : mais non, seul près des murs noircis,

Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis,

Courbait sa tête humiliée.

Il avait pour asile, il avait pour appui

Une blanche aubépine, une fleur, comme lui

Dans le grand ravage oubliée.

— Ah! pauvre enfant, pieds nus sur les rocs anguleux !

Hélas ! pour essuyer les pleurs de tes yeux bleus

Comme le ciel et comme l’onde,

Pour que dans leur azur, de larmes orageux,

Passe le vif éclair de la joie et des jeux,

Pour relever ta tête blonde.

Que veux-tu ? bel enfant, que te faut-il donner

Pour rattacher gaîment et gaîment ramener

En boucles sur ta blanche épaule

Ces cheveux qui du fer n’ont pas subi l’affront,

Et qui pleurent épars autour de ton beau front,

Comme les feuilles sur le saule ?

Qui pourrait dissiper tes chagrins nébuleux ?

Est-ce d’avoir ce lis, bleu comme tes yeux bleus,

Qui d’Iran borde le puits sombre ?

Ou le fruit de tuba, de cet arbre si grand

Qu’un cheval au galop met toujours en courant

Cent ans à sortir de son ombre ?

Veux-tu, pour me sourire, un bel oiseau des bois,

Qui chante avec un chant plus doux que le hautbois,

Plus éclatant que les cymbales ?

Que veux-tu ? fleur, beau fruit ou l’oiseau merveilleux ?

— Ami, dit l’enfant grec, dit l’enfant aux yeux bleus,

Je veux de la poudre et des balles.

 

 


 

CAMUS SUR LE ROMANTISME – L’HOMME RÉVOLTÉ

 

 

 

 

 


Musique

 

Beethoven

Tchaïkovski

 

 


 

Notes

 

[1] http://www.ac-rouen.fr/pedagogie/equipes/lettres/romantik/themes/intro.html, RDD, 23 janvier 2001.

[2] En 1687, lors de la guerre contre les Vénitiens  — menée par le général Francesco Marosini –, l’Acropole, qui avait été transformé en poudrière par les Turcs, est frappé par un boulet causant une énorme explosion.

[3] Voir Victor Hugo : La Prise du Palais d’Été.

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