12 septembre 2019
Survol de la situation
Au moment d’écrire ceci, je suis aux prises avec une question, une tentation, qui m’est revenue cent fois au moins au cours de ma vie.
Et il importe que je vous parle d’elle.
C’est celle de tout crisser là.
*
Au fil de mille et une activités auxquelles je me suis livré,
Cent fois elle est venue.
Et je l’ai repoussée à peu près 92 fois.
Les 8 autres, la porte à claqué.
*
À l’âge que j’ai atteint, il y a un sacré bout de temps que je ne suis plus dupe de moi-même – ou, en tout cas, pas complètement.
Je sais très bien que cette tentation c’est moi qui suis responsable de son surgissement.
*
Parce qu’elle a toujours déferlé après que j’aie tenté de m’accommoder d’une situation qu’au fond je savais parfaitement être impossible à supporter. Impossible à supporter… pour une nature comme la mienne, en tout cas.
Faux. Je viens de mentir.
Ce que je pense, c’est : impossible à supporter pour quiconque n’est pas prêt à avaler des pleins plats de couleuvres à tous les repas de la journée, des années de temps.
*
Toutes les fois dans ma vie où j’ai tenté d’être fin, de montrer patte blanche, comme on dit, ça a fini par sauter.
Et plus j’avais réussi à ravaler et à être fin et plus l’explosion a fini par être terrible. À toutes les fois.
*
Mais bref.
*
Il s’est passé ce matin un incident entre Cath DJ et moi – en deux temps.
Or, cet incident survenait après un autre : son envoi d’il y a deux jours – la mise en demeure d’avoir à réintégrer les classes de l’Uqam – et donc de passer les lignes de piquetage.
Soyons bien clairs : comme, à ma connaissance – et corrigez-moi si je me trompe –, Alice R n’a pas encore commencé à répéter, l’ordre de Cath, qui avait trait aux productions, ne visait qu’une seule personne : moi.
J’ai fait celui qui n’a rien vu – ce qui constitue de fort loin le sport d’équipe le plus pratiqué au Québec.
Hier, j’ai simplement envoyé à mes collègues profs de Jeu la lettre que vous trouverez en bas de ce texte-ci.
Vous remarquerez que le ton en est posé, calme, presque serein – mais explicite : depuis le début de la grève des employés, j’ai réussi à maintenir la cohésion du groupe, et aucune répet ni aucun réunion n’a sauté.
Or, aussitôt que CDJ envoie sa directive, dès qu’il est question de rentrer de force, qu’arrive-t-il ?
Ceci :
Autrement dit : le groupe est scindé en deux, et tous les mots – superbes – que certains/certaines d’entre vous ont écrits sous ce cadre de vote parlent de déchirement !
De déchirement !
Elle a réussi, en un seul envoi, à crisser sur le cul tout ce que nous avions tenté de réussir depuis dès avant la rentrée.
Tout ça pour se payer un trip d’autorité. Tout ça pour faire plaisir au Pouvoir.
*
Ce matin, elle m’a refait le coup.
Et le bouchon m’a parti.
Je l’ai envoyée chier.
Et l’ai avertie que je ne voulais parler à personne de l’EST (côté profs et direction) tant que je ne serais pas désenragé.
Un peu plus tard, Nancy B – que j’apprécie énormément – a tenté sa chance et s’est elle aussi fait r’virer de bord.
Pareil pour Petre.
*
À mes yeux l’image est très claire et très simple :
Quitte à me ramasser dans la rue, sans une cenne,
Mon désir est de crisser mon camp de là – cet endroit est souverainement malsain.
Parce que la direction ne lâchera jamais :
Elle va continuer de vous pressurer pour vous faire entrer dans le moule, jusqu’à son dernier souffle !
L’enjeu N’EST PAS vos cours,
Ni votre sécurité.
Et surtout pas le show,
L’enjeu, c’est de vous empêcher de faire montre de solidarité avec les employés en grève,
Pour bien paraitre aux yeux de la rectrice
Et s’assurer des promotions.
Un point c’est tout.
Et ça me fait vomir.
*
Donc.
Ils ne lâcheront pas.
Et ma présence ne peut que vous maintenir en porte-à-faux.
La seule solution viable – et pour vous et pour moi — est donc que je claque la porte.
Mais je ne me m’y résous pas.
*
Croyez-moi ou pas, c’est vous que ça regarde,
Mais mon affection pour vous est vraie –
Particulièrement, bien sûr, à l’égard de ceux et celles avec qui j’ai déjà travaillé
Et que j’ai donc eu la chance de connaitre davantage
Et je tiens au show
Que nous avons entamé.
Mais ces coups de cœur ne m’aveuglent pas :
Si je reste, ils vont continuer de nous faire chier jusqu’à ce que je plie.
OR JE NE PLIERAI JAMAIS !
Donc ?
*
Ma décision n’est pas définitive.
Et, en attendant de l’avoir arrêtée, je ne lâche pas.
Soulignez :
JE NE LÂCHE PAS.
(Pas de virgule, Et un point à la fin.)
Je vais faire la réunion de conception de ce soir.
Les acteurs/actrices, parlez à vos camarades de « l’autre moitié de la classe », s’il vous plait, et dites-moi ce que vous souhaitez pour demain matin (4’sous) : n’importe quoi, sauf dans les locaux de l’Uqam. Et sans la présence d’autres profs, autrement, je sors.
Pour demain après-midi, pour la présentation de monsieur H, il est en train de l’organiser. J’y serai.
*
Pour le reste…
Je pense qu’une bonne brosse, bien d’équerre, en fin de semaine,
Devrait me permettre de me nettoyer les idées,
Et nous verrons lundi.
TOYO !
***
La lettre d’hier
Le 11 septembre
Bonjour collègues,
Vraiment désolé de ne pas avoir pu faire signe plus tôt, mais j’imagine que vous devez bien vous douter de ce que les heures – toutes les heures – depuis le 3, ont passé à la vitesse grand V.
Elles sont dans leur quasi-entièreté allées à ma priorité absolue : tout tenter pour empêcher que notre production ne prenne le champ – ce qui jusqu’à présent a réussi !
Pas une seule répétition ou réunion n’a été annulée – pas une seule –, le taux de présences a avoisiné les 100 % – ce qui n’aurait jamais été le cas si j’avais imposé que nous travaillions intra muros. (*)
Et par ailleurs, point capital : jusqu’à hier en tout cas, l’enthousiasme de mon équipe était intact.
Dans mon équipe, pas de temps perdu, donc – tout au contraire. Jusqu’à maintenant en tout cas.
Mais je vais aujourd’hui consulter tous les membres du groupe à ce sujet – et je ne doute pas un instant qu’en les faisant rentrer de force au bercail les cours perdront des plumes.
je m’en lave les mains – j’ai fait tout ce que j’ai pu – et les étudiant-e-s aussi. Nous avons commencé à travailler d’arrache-pied deux semaines avant la rentrée des classes, nous sommes donc en avance sur notre propre échéancier, mais la manœuvre d’hier a, j’en suis convaincu, toutes les chances d’être nettement contreproductive et de nous faire reculer.
Pour finir, deux petits gags – histoire de détendre l’atmosphère.
1) Je me permets de vous mettre en p.j. la page couverture du périodique « L’Itinéraire » en circulation actuellement. Sa vue, hier, m’a fait pouffer de rire. Elle rappelle un temps depuis lequel l’UQAM a changé en chien !
2) J’ai feint d’annoncer hier aux étudiants, qui ont bien ri, que je n’ai pas l’intention de me plier à l’ordre, que je prévois pour bientôt, de ne plus enseigner qu’à ceux et celles qui seront membres en règle de la C.A.Q..
Cordiales salutations
RD
(*) De tout manière je n’aurais jamais tenté d’imposer que nous travaillions intra muros – puisque je pense fermement (à titre notamment de co-fondateur de syndicat – l’AQAD) que l’attitude actuelle de l’ÉST à l’égard de nos collègues grévistes n’aura à terme rien encouragé d’autre que l’escalade. Et que, quoi qu’il advienne, VOUS risquez d’avoir longtemps à vivre avec les conséquences psychologiques de ce qui s’est passé dans notre camp depuis une semaine et demie.
Après la crise de juillet dernier, au cours de laquelle les employés de soutien de l’École ont déploré avec force le peu de cas qui est fait d’eux chez nous… passer allègrement jour après jour les lignes de piquetage sous leur nez comme cela se fait depuis plus d’une semaine me semble, pardonnez ma crudité de langage… frôler l’indécence !
Après ça, l’Assemblée Départementale de l’ÉST aura beau embaucher tous les psychologues d’entreprise qu’elle voudra – j’ai bien peur que pour quelques années à venir ce sera une dépense en pure perte.
René-Daniel Dubois
Professeur invité
École Supérieure de Théâtre