Adam Curtis

The Century of the Self et HyperNormalisation.

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Dans tout le travail que j’ai tenté d’accomplir (à l’évidence, sans grand succès) au long de ma vie à propos de la culture et de la place des arts dans une société qui se raconte au sujet de l’une et des autres des balounes fort dommageables et qui n’ont à peu rien à voir avec la réalité telle qu’elle saute aux yeux, la plus grande difficulté, et de fort loin, que j’ai rencontrée a été celle de l’établissement d’une « représentation du monde » que j’aurais partagée avec les individus auxquels je m’adressais, et qui m’aurait permis d’être éventuellement entendu d’eux lorsque j’affirmais quelque chose.

C’était, m’a-t-il semblé depuis fort longtemps, la tâche de loin la plus essentielle. Elle s’est avérée être de tout aussi loin la plus démoralisante.

Parce qu’il ne suffit pas d’avoir appris à « savoir parler » – ce qui constitue déjà un immense défi –, il faut aussi, tout autant, être capable de « passer entre les mailles » des images que s’est construites le vis-à-vis auquel on s’adresse, faute de quoi il entendra peut-être ce que vous lui direz mais ne le comprendra presque certainement pas. Pis, il risque même grandement de le « comprendre à l’envers ».

Comme je l’ai si souvent répété – et bien plus souvent encore constaté : la graine d’un arbre qui tombe sur l’asphalte d’un parking de centre d’achat par jour de grand soleil tapant a bien peu de chances de germer.

Ceux et celles que la question intéresse pourront avec quelque profit lire et méditer la remarquable Nouvelle Ignorance de Thomas de Koninck.

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Quoi qu’il en soit, il m’a été accordé, ces dernières années, de tomber presque coup sur coup sur deux documentaires qui m’ont, à leur manière, chaviré. Et ce n’est sans doute pas une coïncidence s’ils sont dus tous les deux au même réalisateur. Un britannique du nom d’Adam Curtis.

Enfin !

Je tombais enfin, après avoir passé des décennies à tenter d’élaborer la mienne, sur une parole au sujet de « Comment va le monde » qui me convenait !

Le choc a été (presque) aussi fulgurant que la rencontre, dans mes jours, des mots d’Albert Camus, de Carl Jung et (dans une moindre mesure) d’Ernst Jünger, entre nombre d’autres, à propos de « Comment vit le monde en nous ».

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Deux documentaires, donc. À écouter, préférablement, dans l’ordre où je vous les propose ici.

The Century of the Self, en 4 parties.

et

HyperNormalisation

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Citation (tirée de HyperNormalisation) – à propos de l’échec du Printemps égyptien, et qui recoupe pile les réflexions que je me faisais quelques années plus tôt à propos des grèves étudiantes québécoises de 2012 :

It became clear that there was a terrible confusion at the heart of the movement.

(…)

What they did not have was a picture of what that society would be like – a vision of the future.

The truth was that their revolution was not about an idea… it was about how you manage things.

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Je vous suggère aussi :

https://thecreativeindependent.com/people/adam-curtis-on-the-dangers-of-self-expression

Et, très vigoureusement :

http://mkultra.dance/behind-the-scenes-the-documentary-elements/

Over the past twenty years, millions of people have given up believing in the grand stories told them by politicians and others in power. This has created a vacuum into which have rushed all kinds of strange and bizarre stories about the hidden forces that are really controlling the world.

I find them fascinating – because, on the one hand they show how in our chaotic and uncertain time people are desperately seeking evidence that someone, anyone, is really in control. But at the same time people also hate the idea of control – because everybody these days wants to be an independent, free individual. And I think it is the tension between these two – the desire for control and the desire for freedom – that leads to such strange and bizarre stories rising up.

Traduction à toute vitesse :

Depuis une vingtaine d’années, des millions d’individus ont renoncé à croire aux grands récits que leur faisaient les politiciens et autres détenteurs du pouvoir. Cela a suscité l’apparition d’un vide, dans lequel se sont engouffrées toutes sortes d’histoires bizarroïdes et étranges selon lesquelles ce seraient de forces cachées qui en réalité contrôleraient le monde.

Je les trouve fascinantes – d’une part parce qu’elles nous permettent de constater à quel point, à notre époque chaotique et incertaine, les gens ont désespérément besoin de se prouver que quelqu’un, peu importe qui, quelque part, est vraiment aux gouvernes. Et d’autre part, parce qu’elles donnent à voir à quel point les gens détestent l’idée de contrôle – parce que tout le monde, de nos jours, désire être un individu libre, indépendant. Je pense que c’est la tension entre les deux désirs – de contrôle d’un côté et de liberté de l’autre – qui mène à l’apparition de telles idées bizarres et étranges.

 

(Mai 2017)

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