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– LES CAHIERS DU HOBBIT –
Élites, suicide, mensonges,
fascisme et faux-semblants
[ mais c’est pas d’ not’ faute,
c’est parc’ qu’ les Anglais nous haïssent… ]
– Première Partie –
René-Daniel Dubois
mars 1996 / mars 2000
Cet ouvrage est dédié à la mémoire de
Xavier-Yves Dequoy
Notes (incomplètes) pour les remerciements
Il me serait impossible de remercier tous les gens à qui je suis redevable d’avoir pu mener à bien la rédaction de cet ouvrage. J’ai pourtant longtemps eu tendance à trouver comiques les longues listes de remerciements souvent placées en tête des essais. Aujourd’hui, je ne puis qu’humblement prier ceux que j’oublie de bien vouloir me pardonner.
Une gratitude toute particulière, immense, revient de plein droit à Jean-François Garneau – un véritable collaborateur : sans son appui et ses recherches, sans son soutien et sa disponibilité, je ne serais jamais venu à bout de cette tâche. Merci pour sa patience devant mes sautes d’humeur, pour sa généreuse acceptation de la discussion parfois vive et des remises en question même brutales, pour son attention, pour ses innombrables remarques, ses observations, ses commentaires et ses critiques, en un mot pour sa présence, sa passion, sa curiosité, son immense culture, sa logique. Sa révolte. Sa quête. Et sa sérénité.
Mes remerciements à Barbara Scales, à Jacques Godbout, à John Saul : pour la pression, l’incitation, des années durant.
À la Fondation Raymond-Garneau, pour son soutien financier.
À Richard Cloutier et Guy Savard.
À Jean-François Paulhus et à Esther Delisle.
À Axel Harvey pour l’accès aux collections de son père. Et pour le sourire.
À Kendall Wallis, McGill University Reference Librarian.
À Linda et à Hervé.
À toutes celles et à tous ceux que j’ai fait suer, des heures durant, à leur rebattre les oreilles avec mes « trouvailles » et mes interminables ruminations à haute voix.
Aucun homme n’est une île,
entière en elle-même;
chaque homme est morceau du continent,
partie de l’océan;
si une motte est enlevée par la mer,
l’Europe en est amoindrie,
comme le serait un promontoire,
ou le manoir de tes amis,
ou le tien propre.
La mort d’un homme,
de n’importe quel homme,
me diminue,
car je suis partie de l’humanité.
C’est pourquoi,
ne demande jamais pour qui sonne le glas
– il sonne pour toi.
JOHN DONNE[1]
Je crois que le Français moyen,
le Français de base
n’a pas grand chose à se reprocher.
Les gens qui doivent s’occuper
de nourrir leur famille,
de faire manger leurs gosses,
ont d’autres chats à fouetter
que s’occuper de ce qui se passe vraiment
en été et en automne 1940.
Mais ce dont il s’agit,
ce sont les élites,
les hommes qui servent l’État,
les corps constitués,
l’élite politique,
intellectuelle,
les hommes dont le métier est
de réfléchir,
d’écrire
et de produire.
C’est là le vrai problème. […]
Lorsqu’on le remet à la Gestapo,
ce n’est pas le flic qui le remet à la Gestapo
qui m’intéresse,
c’est de savoir comment l’élite politique au pouvoir
et les élites intellectuelles
qui participent à la révolution nationale,
qui est un énorme réseau
qui se met en place pour faire la révolution nationale,
que ce soit dans les mouvements de jeunesse,
que ce soit dans les écoles,
dans les universités,
un peu partout,
ce sont ces hommes-là,
ces élites-là,
qui nous intéressent.
ZEEV STERNHELL[2]
Les faibles peuvent tenter cette quête
avec autant d’espoir que les forts.
Mais il en va souvent de même des actes
qui meuvent les roues du monde :
de petites mains les accomplissent
parce que c’est leur devoir,
pendant que les yeux des Grands
se portent ailleurs.
J.R.R. TOLKIEN[3]
– J’aurais bien voulu que cela n’eût pas
à se passer de mon temps, dit Frodon.
– Moi aussi, dit Gandalf,
comme tous ceux qui vivent
pour voir de tels temps.
Mais la décision ne leur appartient pas.
Tout ce que nous avons à décider,
c’est ce que nous devons faire
du temps qui nous est donné.
J.R.R. TOLKIEN[4]
– CHAPITRE PREMIER –
AVERTISSEMENTS
– 1 –
À propos de la structure de cet ouvrage
Cette première partie des « Cahiers du Hobbit » constitue tout à la fois l’amorce et la synthèse de celles qui suivront. Elle présente l’argument d’ensemble du travail un peu comme, au moment de rédiger une thèse universitaire, on prépare d’abord un document théorique qui annonce les arguments auxquels on aura recours et la dynamique générale proposée, avant d’entrer dans les détails du parcours.
L’essentiel de ce premier tome réside donc, à l’évidence, dans le chapitre III, lequel, plus qu’un résumé, consiste en un survol, en un concentré de l’ensemble : l’ouvrage complet en accéléré. C’en est du même coup le plan théorique. Dans les prochains tomes, je ne compte pas reprendre l’exposé général de ce chapitre, mais en reprendre plutôt un à un les détails. Détails historiques significatifs, grilles d’interprétation, récits de mon parcours.
L’ensemble comptera trois ou quatre tomes au total. Le dernier, les « Carnets du Hobbit », consistera en une collection annotée de courts textes – extraits, conférences, entrevues, billets, plans de cours – écrits au fil des ans.
– 2 –
À propos de la longueur de cet ouvrage
– I –
Une thèse exceptionnelle appelle une démonstration exceptionnelle.
« Exceptionnelle » n’a pas ici le sens « d’une qualité remarquable », mais plutôt « d’un objet ou d’un point de vue inhabituel ».
– II –
Une thèse exceptionnelle appelle une démonstration exceptionnelle.
Pourquoi ? Notamment, parce qu’une thèse « habituelle » profite par définition de son statut d’ « habituelle » : de nombreux ouvrages antérieurs à celui qu’on veut ajouter à la pile, et souvent même de nombreux pans du discours public ou des discours spécialisés, ont préparé le terrain à la démonstration. Ces ouvrages et ce discours ont identifié les termes[5], ont permis de baliser le terrain, et constituent ainsi un tissu auquel, dans le nouvel ouvrage, on peut se référer[6]. Que la thèse nouvelle soit, sous une forme ou sous une autre, une redite peu ou prou revampée d’une précédente déjà connue, ou une variation inédite sur un des élément constitutifs d’une thèse « habituelle », une opinion, une critique ou en général un discours « habituel » se pose donc, pour l’essentiel, en continuité : on n’a pas, pour la défendre, à la prendre à partir de zéro, il suffit – même si la tâche peut s’avérer imposante – de la situer par rapport au tissu qu’elle va présenter pour une ixième fois, qu’elle va prolonger ou qu’elle va critiquer.
En revanche, une thèse exceptionnelle, au sens où je l’entends ici, ne peut évidemment pas profiter de l’acquis que constitue un tel tissu, puisque c’est l’absence même de ce tissu de référence qui lui confère son caractère d’exception.
La thèse exceptionnelle doit donc établir elle-même la trame, et préciser le sens des termes qui la composent et l’expriment. Autrement dit, elle doit présenter le douzième ou le vingt-septième livre sur le sujet que constituerait la présentation d’une thèse habituelle et, en plus, les onze ou vingt-six livres précédents, sur lesquels cette thèse s’appuierait.
À titre d’exemple : un psychanalyste pourrait éventuellement, de nos jours, affirmer en quinze secondes à la télévision que Youppi, la mascotte des Expos, semble souffrir d’une névrose, et appuyer son affirmation par une énumération rapide d’éléments synthétiques qui permettraient selon lui de l’affirmer, puisqu’il se trouve un nombre considérable d’individus, dans notre société, à être familiers fût-ce à très gros traits avec la notion de névrose, et que même de nombreuses personnes à n’avoir pourtant jamais ouvert un manuel de psychologie savent en tout cas que le terme « névrose » n’en est pas un d’horticulture. De même, Youppi est un personnage public et l’évocation de son cas ne demanderait pas une trop longue présentation.
En revanche, Sigmund Freud, au tournant du siècle, n’aurait vraisemblablement pas pu faire aussi prestement une pareille affirmation à propos d’un « personnage public », même s’il avait à son époque existé une obligation aussi dérisoire que celle à laquelle nous sommes soumis à la nôtre, qui force à s’exprimer en formules choc de quinze secondes ou moins, ou d’articles de deux cents mots environ. Freud n’a pas non plus connu le bonheur qu’il y a à vivre dans une société qui se prétend démocratique mais où quantité de citoyens réputés sains d’esprit et ayant reçu une éducation avancée ont plus de chances de connaître le nom du gros bonhomme de peluche jaune-orange qui fait des pirouettes lors des matches de baseball et se brasse la bedaine comme s’il était en permanence infesté de poux jusqu’aux oreilles, que de connaître celui du ministre de la justice de la province ou du pays qu’ils habitent, ou même d’être en mesure d’énoncer sur quel principe de légitimité repose le système politique dans lequel ils vivent, c’est-à-dire, en d’autres mots, ce qui les différencie des esclaves.
– III –
La perspective que je tente de développer dans ce livre est, justement, « inhabituelle ». Pour le Québec, s’entend. En tout cas, elle va à contre-courant de celle dans laquelle on se situe habituellement cheux nous[7] pour tenter d’expliquer les événements en faisant appel à l’histoire et à une signification de cette histoire qui serait, prétend-on, évidente.
En ce qui me concerne, cette perspective habituelle et soi-disant évidente me paraît plutôt être de l’ordre de la mystification, d’une entreprise de détournement de la pensée, d’une entreprise poussant les citoyens à maintenir et à développer un comportement politique en ancrant en eux la certitude qu’aucun autre comportement que celui qui leur est proposé n’est envisageable compte tenu de notre histoire et de sa signification « évidente ».
Peut-être est-il inévitable qu’une thèse historique dominante, quelle que soit sa teneur, finisse par se présenter comme naturelle et incontournable ? Peut-être – j’en doute, mais je ne m’attarderai pas tout de suite, ici, sur cette interrogation en particulier.
Il n’en reste pas moins que s’il est habituel, dans notre société, aussitôt qu’il est question de politique, d’histoire ou de vie en société de n’avoir pour l’essentiel recours qu’à une seule perspective, toujours la même, reprise à toutes les sauces imaginables, cela revient à dire qu’une seule mystification a officiellement cours dans la société québécoise francophone. Et cela me paraît malsain.
Même s’il était vrai qu’une perspective historique ne puisse jamais être autre chose qu’une mystification, ne serait-ce que d’un strict point de vue utilitaire il en faudrait trois, cinq, dix, de manière à permettre aux citoyens d’au moins trianguler un peu et d’ainsi être à même de choisir en meilleure connaissance de cause laquelle des visions du monde et lequel des gestes qu’ils sont invités à poser leur paraissent les plus dignes de l’être.
J’en propose une autre, de perspective, dans ces pages. Elle est donc, selon moi en tout cas, exceptionnelle dans le contexte où je la produis.
– IV –
Je ne dispose d’aucun fait social ou historique inédit dont la divulgation justifierait à elle seule mon entreprise : l’aspect exceptionnel de la démonstration à laquelle je me livre dans cet ouvrage ne tient pas à une révélation spectaculaire. Je ne vais pas apprendre au lecteur que les Québécois de souche seraient les seuls descendants légitimes des habitants du continent Mû, ni démontrer qu’ils seraient dotés d’un code génétique qui ferait d’eux, par nature, d’incomparables démocrates.
Au contraire de m’être lancé à la recherche de faits inédits et spectaculaires, c’est à l’a priori de la perspective « naturelle » qui a cours cheux nous que je m’en prends, ce qui revient à dire que je compte démontrer que cette perspective à laquelle on a cheux nous systématiquement recours n’est justement pas naturelle, qu’elle n’est pas non plus automatique – comme on le laisse aussi généralement entendre -, mais qu’elle est plutôt un produit, un objet souhaité, recherché, travaillé, façonné.
Ce n’est pas l’histoire du Québec qui produit automatiquement la perspective dans laquelle, au Québec, on perçoit les phénomènes, ce sont les faits qui, a posteriori, sont amalgamés en fonction d’une démonstration reprise à l’infini, toujours la même, jusqu’à ce que l’effet recherché soit atteint, c’est-à-dire jusqu’à ce que le projet politique des initiateurs et des promoteurs de cette perspective remportent la victoire en vue de laquelle ils se sont battus et continuent de se battre.
Ce que je souhaite faire, c’est donc, tout simplement[8], démontrer que la perspective dans laquelle nous baignons cheux nous et à propos de laquelle il est à toutes fins utiles interdit de s’exprimer publiquement si ce n’est pas pour abonder dans son sens, constitue l’un des outils destinés à permettre la réalisation d’un projet, d’un projet qui est donc bien entendu antérieur à cette perspective.
Ce n’est ni à cette perspective ni à ce projet eux-mêmes que je souhaite particulièrement m’en prendre, mais à la prétention qu’ont leurs promoteurs de les décrire comme étant naturels, et au statut d’unique option viable qu’ils lui accordent de ce fait.
Je crois que la manière dont, dès l’enfance, on apprend depuis fort longtemps à voir et à comprendre les choses, au Québec, est un moyen parmi d’autres, un moyen qui a été pensé, développé et testé par les élites dominantes, dans le but de hâter la réussite de leur projet. Ce projet n’est, bien entendu, pas plus naturel ni automatique que la perspective qui est engendrée pour le servir : ce projet et cette perspective ne sont pas et n’ont jamais été les seuls possibles dans cette société. Leur règne est le résultat de tensions et même de vigoureux débats et de combats qui se sont déroulés depuis longtemps.
Il y a donc déjà eu au Québec d’autres projets et d’autres perspectives desquels s’inspirer ou auxquels avoir recours que celui et celle qui y règnent aujourd’hui. Quand bien même ces projets d’autrefois seraient supposés avoir disparu, à l’instar des dinosaures, du fait de leur inadaptation radicale – qui resterait à être démontrée -, il saute aux yeux que le projet dominant d’aujourd’hui s’est formé au fil de ses combats contre ses adversaires. Ces combats ne se sont pas déroulés seulement cheux nous : ils ne se sont déroulés cheux nous d’une manière qui était propre à cheux nous que sur un nombre limité de points spécifiques. Mais le combat spécifique qui se déroulait cheux nous faisait sans l’ombre d’un doute partie d’un combat beaucoup plus vaste qui se déroulait – et continue de se dérouler – dans tout l’Occident et même dans toutes les sociétés humaines.
Pour tenter de comprendre les tenants et aboutissants de ce combat qui s’est déroulé cheux nous et qui, cheux nous, a mené au règne de la pensée monolithique que j’appelle « le mythe de Cheux Nous », cette pensée qui se décrit elle-même comme évidente, naturelle, automatique et spontanée, il nous faut donc nous pencher sur ce qui se passait hier et se passe aujourd’hui ailleurs que cheux nous. Faire référence exclusivement aux modalités de ce combat cheux nous ne peut être le fait que d’individus satisfaits du règne cheux nous de la pensée monolithique, d’individus cherchant, donc, à démontrer que la manière de voir la société, le monde et l’histoire qui a cours cheux nous aurait été la seule à s’être montrée digne de vaincre, et que le monolithisme de la pensée qui est propre à cheux nous serait donc cheux nous non seulement naturel, automatique et spontané mais serait même « évidemment » préférable par nature à toute autre forme de pensée et à tout autre regard sur le monde.
– V –
Ma thèse exceptionnelle consiste à prétendre que le monolithisme de la pensée, dans le Québec francophone nationaliste – quelle que soit la forme adoptée par ce nationalisme… et il y en a plusieurs -, a été et continue d’être une nécessité stratégique pour les promoteurs d’un projet dont ce monolithisme sert les fins.
Mais, pour faire apparaître ce projet – qui détermine de manière radicale notre façon de voir le monde -, et pour faire apparaître aussi la pensée qui le fonde, je me vois forcé de les prendre tous les deux par plusieurs bouts à la fois. Je ne vais pas le faire en théorie mais plutôt en partant de mon expérience personnelle de citoyen, c’est-à-dire non pas en me plaçant sur le plan de l’abstraction et des généralités théoriques, mais en partant au contraire d’une part de faits que j’ai constatés et d’événements dont j’ai directement été le témoin ou l’acteur, et d’autre part des malaises que ces faits et ces événements ont suscités chez moi. En jugeant, si l’on veut, l’arbre d’après ses fruits.
Je me demanderai ensuite s’il est vraisemblable que l’arbre que l’on nous présente à tout coup cheux nous comme appartenant à un certain type puisse en toute vraisemblance donner des fruits comme ceux qu’il produit. Si l’arbre que notre perspective habituelle nous induit à désigner comme étant un pommier devait s’avérer donner ce que le langage commun désigne du nom de poires, post-modernité ou pas il faudra bien nous demander s’il est vraisemblable qu’une poire soit le fruit d’un pommier, et nous pencher sur les conséquences que recèleraient les hypothèses et les réponses auxquelles nous aboutirions… à moins que nous n’allions découvrir que, cheux nous, ce serait une erreur, justement, de s’imaginer que le langage ait pour fonction essentielle de désigner de la manière la plus claire, la plus adéquate et la plus intelligible possible le monde dans lequel nous vivons : nous pourrions bien nous apercevoir que nous habitons une société dans laquelle le fruit du pommier peut indifféremment s’appeler une poire, une tomate ou un chameau, selon les circonstances et les intérêts en jeu. La surprise serait de taille. Et il nous faudrait alors nous poser une autre question encore : si le langage ne servait pas cheux nous essentiellement à désigner avec la plus grande justesse possible les objets qui composent le monde et si, en conséquence, le recours au langage courant s’avérait n’être que d’une aide limitée pour organiser notre perception de ce monde et pour réfléchir à la place que nous occupons en son sein, à quoi servirait-il donc ?
Dans l’exemple extrêmement farfelu, n’est-ce pas, auquel j’ai recours ici, il se pourrait que, par exemple, nous découvrions que le langage ne serait[9] à peu près rien d’autre, cheux nous, qu’un outil de la domination que certaines classes de citoyens exerceraient sur la quasi-totalité des autres… et il nous faudrait alors nous demander, entre autres choses, en vertu de quels principes démocratiques un groupe de citoyens peut se sentir légitimé de contrôler absolument les définitions des mots – et, donc, le rapport au monde que ceux qui n’appartiennent pas à ce groupe se trouvent forcés d’entretenir -, l’adoption de ces définitions, dans ces conditions, signifiant d’avoir à en changer sans question chaque fois que les détenteurs de l’autorité décideraient eux-mêmes qu’il est temps d’en changer, en vertu de principes et de projets que personne d’autre qu’eux ne serait évidemment habilité à discuter ni même à identifier.
Nous interroger quant à savoir si les mots que nous utilisons correspondent bien au sens que ces mots sont supposés évoquer n’est donc pas une activité que l’on puisse sans risque classer automatiquement dans la catégorie des passe-temps. Et, compte tenu des implications dont cette activité peut se révéler porteuse, il me faudra souvent me livrer à elle dans les pages qui viennent.
Le travail d’examiner et de tenter de comprendre et de situer le monolithisme de pensée dont nous faisons montre cheux nous exigera en somme d’évoquer plusieurs expériences personnelles, de tenter de déchiffrer un grand nombre de comportements et plusieurs discours qui sont habituellement cheux nous présentés comme allant de soi; de m’attarder à quantité d’événements et de circonstances de l’histoire de cheux nous en particulier et de l’Histoire en général; d’aborder certaines idéologies et leurs fondements; et de confronter en de multiples combinaisons les notes prises dans les uns ou les autres de ces champs-là.
L’ampleur de ce travail explique en partie les dimensions du livre que vous avez entre les mains. « Une thèse exceptionnelle appelle une démonstration exceptionnelle. »
– VI –
Parmi les expériences auxquelles j’ai été soumis ou dont j’ai été acteur, et que je vais tenter d’évoquer, l’une des plus déterminantes est celle du recours au mensonge systématique, c’est-à-dire du mensonge érigé en système par l’ensemble – à très peu de choses près – des élites de toute une société.
La société québécoise est, en effet – et cette perception de ma part se trouve, avec d’autres éléments, au cœur de ce qu’on va lire -, une société qui passe une partie importante de son temps et de ses énergies à se livrer à l’activité que le langage populaire désigne comme le « contage de balounes ». Le Québec francophone se raconte des balounes. Et les balounes qu’il se raconte, il les croit.[10]
[« mensonge », au sens de Nietzsche : «Refuser de voir quelque chose que l’on voit, refuser de voir quelque chose comme on le voit »[11]]
Pourquoi pas ?, me rétorquera-t-on. Il parait que toutes les sociétés auraient besoin de mythes.
Pourquoi pas ? Eh bien parce que les mythes sont, d’une manière ou d’une autre, des représentations du monde synthétisées, des apparences de mensonges, soit, mais des apparences de mensonges cherchant à exprimer une réalité, une volonté, une angoisse ou un espoir vérifiables. En fait, les mythes sont bien davantage des raccourcis que des mensonges, dans la mesure en tout cas où le mensonge a pour but de tromper. Le mythe, lui, ne cherche pas à tromper, il cherche au contraire à exprimer une réalité, une volonté, une angoisse ou un espoir, en décrivant les choses par un autre chemin que celui de l’habituelle littéralité. Le mythe est donc inadéquat au plan formel, mais il l’est dans un but de plus forte évocation.
De même que
la parole est une invention
par rapport aux objets et aux idées,
le mythe
est une invention
à propos de la vérité.
J.R.R. TOLKIEN[12]
Le mythe a la forme d’un mensonge, mais vise un but qui est le contraire de celui d’un mensonge.
[AUTRES EXEMPLES : PIETRO CITATI – «La lumière de la nuit – Les grands mythes dans l’histoire du monde », pp 68, 107, 113 (+ 118 – Lucius ?)]
Le contage de balounes que je vais évoquer en parlant de celui des élites du Québec francophone, quant à lui, ne relève pas de la mythologie, mais bel et bien du mensonge. Catégoriquement. Littéralement.
J’utilise ici le mot « mensonge » pour décrire un phénomène qui se présente sous de nombreuses formes : d’un strict point de vue de description objective, il serait peut-être préférable, pour l’évoquer, de parler d’ « inadéquation systématique » : le contage de baloune ne permet pas d’avoir une meilleure prise sur le monde, ni d’avoir les idées plus claires qu’on ne les aurait sans lui, il est donc inadéquat; comme il a par ailleurs été érigé en système, il est donc systématique. Seulement, le fait d’adopter un terme neutre comme celui d’ « inadéquation » impliquerait le passage sous silence d’un aspect crucial du phénomène que je souhaite évoquer : la volonté qui le suscite.
Le contage de balounes qui a cours au Québec n’est ni un trompe-l’œil dû à des causes naturelles, ni une erreur involontaire ayant pris des dimensions colossales du fait de circonstances échappant au contrôle de tous et de chacun. C’est le contraire qui est vrai : ce contage de baloune est souhaité, entretenu, réfléchi, balisé, organisé, et sa reconduction perpétuelle vise un but social et politique précis.
En plus de la complexité des objets que je cherche à décrire ou à évoquer dans ce livre, je dois donc encore tenir compte du fait que nombre d’individus qui le commenteront publiquement sont des menteurs. C’est-à-dire qu’ils chercheront à en empêcher ou à en biaiser la lecture en tentant de plaquer sur lui des grilles qu’ils sauront être fallacieuses. Pour celles et ceux qui le liront malgré les préventions médiatiques et politiques qu’il suscitera, ces grilles auront induit une interprétation qui risque fort de brouiller les cartes. Là où, objectivement, il suffirait de quelques lignes pour évoquer un phénomène simple, je devrai donc à l’occasion prendre plusieurs pages pour empêcher – dans la mesure du possible -, que le vent du mensonge ne fasse se rompre les amarres.
Je me verrai de même obligé de démontrer en long et en large des faits ou des interprétations pourtant assez simples à percevoir ou à comprendre, parce que je sais parfaitement que si je ne prends pas ces précautions, ces faits ou ces interprétations seront retournés sur leur doublure et mis en pièce avec la plus parfaite mauvaise foi, en moins de temps qu’il n’en faut pour faire « ouf ».
La longueur de ce livre tient donc aussi au fait que je suis conscient de ce que mes propos seront volontairement déformés. Or, j’ai suffisamment côtoyé, pendant assez longtemps, certains des individus responsables de ce travail de falsification – j’ai d’ailleurs eu à mon tour l’occasion de m’y livrer – pour connaître bon nombre de leurs procédés. Je vais donc tenter de me prémunir à l’égard de leurs très prévisibles travaux. Je n’y parviendrai vraisemblablement pas. Mais je vais le tenter quand même.
En retour, je m’expose ainsi à me faire adresser toute une autre batterie de reproches : celui, par exemple, d’être mégalomane, la taille de ce livre faisant office de preuve on ne peut plus tangible.
Sachant que, de toute manière, les accusations fuseront quelle que soit la couleur de mes bas, je choisis des deux maux le moindre : je préfère courir le risque de pécher par excès plutôt que de risquer de ne pas donner au lecteur de bonne foi un maximum d’éléments lui permettant de saisir ce que je tente d’exprimer.
– VII –
Je ne prétends en aucune façon faire ici oeuvre d’historien, ni de politologue, ni de sociologue, et surtout pas d’avocat ni de juge. Non seulement je ne possède pas le statut académique ou légal qui me légitimerait de le faire, mais il me manque surtout le désir de me réclamer de tels statuts. Si, dans la vie, j’avais voulu devenir juge, avocat, historien, politologue, journaliste ou sociologue – et pourquoi pas entomologiste ou jardinier, tant qu’à y être -, je l’aurais tenté. Or, il n’en a rien été.
Pourtant, le fait de n’être membre d’aucune de ces castes n’implique pas pour autant que les champs d’étude ou de réflexion qui leurs sont dévolus constitueraient leurs chasses gardées. L’histoire n’appartient pas plus aux seuls historiens – au contraire, ils n’en sont que les gardiens, responsables de sa disponibilité et de sa mise en circulation – que la réflexion sur la vie politique et la société n’appartiennent en propre aux seuls politologues et aux seuls sociologues.
Le fait, pour un individu, en régime démocratique[13], de n’être membre ni du Barreau ni de la magistrature n’implique absolument pas que la réflexion sur ce qui est juste et sur ce qui ne l’est pas lui soit interdite. C’est le contraire, qui est vrai : les avocats et les juges n’ont pas pour fonction première de décider de leur propre chef de ce qui est juste ou de ce qui ne l’est pas, mais de voir à l’application des lois, lesquelles lois sont censées être l’expression de ce que, dans une société, le peuple – l’assemblée des citoyens – considère être juste ou injuste, légitime ou pas, et qu’il exprime par l’entremise d’institutions démocratiques ayant pour tâche d’organiser les conséquences pratiques et concrètes de ces croyances.
Une société où les historiens, les politologues, les sociologues, les avocats et le juges sont considérés comme les Maîtres absolus de leurs champs d’expertise respectifs, plutôt que comme des Guides ayant pour mission d’aider les citoyens à mieux comprendre les enjeux des débats ayant cours dans cette société, ne saurait, par définition, être décrite par le recours au vocable de « démocratie ».
La réflexion personnelle de chacun et de chacune des citoyens et des citoyennes sur ce qui est juste et sur ce qui ne l’est pas ne constitue pas une retombée secondaire d’un régime démocratique, mais son fondement-même. En régime démocratique, la réflexion des citoyens sur les notions de vérité et de justice relève d’un devoir incontournable.
Cet ouvrage n’est donc une oeuvre ni d’histoire, ni de sociologie, ni de droit, ni de science politique ou sociale, et encore moins une entreprise de vengeance personnelle ou de promotion d’une thèse politique partisane : il est une immense question, composée de milliers de questions[14]. Je l’ai rédigé parce que cette question et ces questions qui la composent me sont essentielles, mais qu’il m’est au fil des ans apparu impossible de les formuler verbalement de manière à obtenir des réponses, pas même de simples amorces de réponses.
Dans l’écrasante majorité des cas, lorsque j’ai tenté, tout au long de ma vie, d’aborder les sujets dont je traite ici, je ne me suis vu rétorquer que des haussements d’épaules immédiatement excédés et des « Ben voyons donc » méprisants – méprisants même, et surtout, quand ils se prétendaient amicaux ou compréhensifs. La quasi-totalité des explications mécaniques que l’on m’a servies au long de ma vie ont pourtant à peu près toutes fini par être évacuées aussitôt qu’elles avaient rempli leur fonction tactique du moment, et l’on est alors passé sans sourciller à d’autres batteries d’explications, tout aussi mécaniques que les précédentes et qui, souvent, niaient avec un aplomb remarquable les tenants et aboutissants de celles auxquelles on avait eu recours avec véhémence jusqu’à la veille.
J’appelle « mécaniques » des réponses qui n’en sont pas, des faux-fuyants appris par cœur sans y penser, des faux-fuyants dont je crois que tout-un-chacun les reprend à son compte pour n’avoir justement pas à s’interroger sur la vérité et la justice, et pour faire taire, en en appelant à l’évidence, quiconque dans notre société ose se montrer étonné par la manière dont se passent les choses.
Toutes ces questions que je pose ici, je vais donc, une fois encore, mais sous une forme encore plus compromettante pour moi, les reposer mais les reposer, cette fois, publiquement. Il m’importe, en conséquence, de les rendre les plus claires possible.
– VIII –
Ampleur et complexité des sujets abordés, conscience d’avoir à prémunir mes propos à l’encontre des attaques fallacieuses qu’ils ne manqueront pas de susciter, profondeur du malaise qui me fait formuler les questions que l’on va lire, et soin minutieux apporté à me montrer le plus clair possible – sans pour autant faire mystère de la révolte qui m’habite -, telles sont donc les explications que j’ai cru devoir proposer d’entrée de jeu au Lecteur pour les dimensions inusitées, exceptionnelles, du livre que voici – dont la matière aurait dû faire l’objet de douze ou vingt livres d’auteurs différents, qui les auraient écrits dans des perspectives différentes.
– 3 –
À propos du contenu de cet ouvrage
Étant données l’ampleur des recherches nécessaires et la quantité d’informations dont il m’a fallu faire usage ici, il s’est avéré impossible d’effectuer de doubles ou triples vérifications pour chacune des références auxquelles je fais appel.
Tout a été tenté pour d’abord éviter d’impliquer qui que ce soit dans des évènements dont il ou elle n’aurait pas véritablement été acteur ou actrice, et ensuite pour n’inclure même aucun événement ni aucun courant d’événements dont je ne sois pas convaincu qu’il soit à rapprocher de la situation générale que j’évoque.
Encore une fois, compte tenu d’une part de l’ordre de grandeur de la tâche à accomplir et d’autre part de l’éparpillement et de la fréquente médiocrité des ouvrages disponibles – morcellement de l’information, pauvreté de pans entiers du corpus historique et en particulier mémorialiste, fréquente absence d’index et même de références dans les ouvrages, importance qualitative et quantitative des sources à n’avoir jamais été traitées, biais idéologiques patents de la part de certains auteurs quand ce n’est même affirmations catégoriquement fallacieuses de la part de soi-disant experts objectifs -, j’ai bien entendu tenté l’impossible non seulement pour éviter les erreurs, mais encore pour éviter le recours à toute information qui puisse induire des erreurs d’appréciation, de déduction ou d’impression.
À ces difficultés déjà considérables sont venues s’ajouter celles, d’importance, liées au fait que l’entreprise initiale qui était la mienne ne comportait absolument pas le traitement d’une pareille quantité de faits. C’est par hasard, comme il le sera raconté plus tard, qu’un certain nombre de faits historiques ont été portés à mon attention, des faits dont la signification était trop importante pour que je rejette d’emblée leur étude. De fil en aiguille, cette étude a mené à la prise en compte d’autres faits encore, lesquels souvent viennent non seulement confirmer mais encore approfondir la perception du caractère capital des premiers, tout en multipliant le nombre d’avenues que je me suis retrouvé ainsi à devoir suivre pour parvenir à composer une image la plus complète possible et qui corresponde le plus fidèlement à la situation que j’évoque.
Cela étant, je ne suis pas en mesure de garantir qu’aucune erreur ni aucun glissement de sens ne soit advenu ici ou là.
Si, après la parution de ce premier tome, je prends conscience de la présence de telles erreurs, je les corrigerai de mon mieux dans les prochains.
De toute manière, je présente par avance mes excuses aux gens qui pourraient souffrir de leur fait.
Je tiens aussi à préciser que le but de cet ouvrage n’est aucunement de viser des individus en particulier, ni aucun groupe en général, même s’il est incontournable d’avoir recours à un nombre considérable d’exemples individuels.
Le but visé est de décrire une situation générale. Et à cet égard, ma certitude est aussi profonde qu’une certitude peut l’être.
D’où ma révolte.
– 4 –
À propos du ton de cet ouvrage
[je ne vais pas prétendre que je ne sais pas de quoi je parle, ni que je me place à distance : c’est la colère même devant le mensonge, la complaisance, la paresse intellectuelle, la fatuité et le conformisme dont fait montre l’immense majorité des membres des élites – pour ne pas dire leur quasi unanimité – qui me pousse à rédiger cet ouvrage. Je ne vais quand même pas me mettre à faire semblant que ces comportements seraient selon moi hypothétiques, ni que je n’en aurais jamais croisé que de fugaces manifestations isolées.
Entendons-nous bien : le but de ce livre n’est pas de m’interroger sur la question de savoir s’il y a ou non lieu de peut-être critiquer certains aspects secondaires des a priori doctrinaires et idéologiques sur lesquels fonctionne la société québécoise, mais de décrire et de faire partager au lecteur à quel point l’ensemble des ces doctrines et idéologies me paraissent dans leur nature même repoussantes, omniprésentes, et littéralement incontestées.
AJOUTER UN MOT : CRITIQUE DU POINT DE VUE SELON LEQUEL, PUISQUE J’ÉCRIS CE LIVRE, LA SITUATION NE SAURAIT ÊTRE AUSSI GRAVE QUE JE LE PRÉTENDS.
CE POINT DE VUE EST UN SOMMET DE JÉSUISTIQUE : LE PROBLÈME N’EST PAS DE SAVOIR SI CE QUE JE DÉCRIS EST CONNU OU NON. IL L’EST. LE PROBLÈME EST DE SAVOIR SI LA SITUATION QUE JE DÉCRIS PEUT ÊTRE CORRIGÉE. OR, LA RÉACTION JÉSUITE EST UNE PREUVE SUPPLÉMENTAIRE DU FAIT QUE RIEN NE SERA TENTÉ EN CE SENS, ET QU’IL N’EST D’AILLEURS EN AUCUNE MANIÈRE CONSIDÉRÉ COMME SOUHAITABLE QU’UNE CORRECTION SOIT ENTREPRISE.
Le commentaire que j’ai entendu de très loin le plus souvent, durant les dernières quatre années consacrées à ce livre, peut se résumer ainsi : fais bien attention, surtout, à la manière dont tu parles de tout ça.
À la manière….
Ce n’est pas le fond qui importe, c’est la forme.
Mais justement : le problème est là, très précisément. La société québécoise est une société formaliste. C’est là-dessus que repose toute la construction de mensonge : tout serait dans la manière ? C’est faux : tout repose sur l’entreprise. Une société rétrograde et fondamentalement antidémocratique depuis ses origines ne cesse pas d’être telle sous prétexte que ses élites ont condescendu à adopter – pour un temps – les formes du parlementarisme.
Le soupir de soulagement jésuite et la soi-disant préoccupation pour la forme prise par la critique sont tous deux de même nature : ils indiquent que, de toute manière, l’important est de ne surtout toucher à rien de ce qui est. Les deux comportements prétendent n’être que des bémols apportés à mon discours, mais en fait ils sont des produits directs de la chose-même que je vais critiquer ici : le mensonge, la complaisance, la paresse intellectuelle, la fatuité et le conformisme des élites québécoises. Ces soit-disant bémols ne sont aucunement les « oui mais » qu’ils prétendent être. Ils sont des « non » catégoriques. Mais gantés de blanc.
Je n’en ai rien à foutre.
Ce n’est pas moi qui prétendrai que le fait d’accepter de vivre en société fasciste ne poserait pas de paradoxes et n’induirait pas de formidables contradictions. Ceux qui choisissent cette voie ont toute la latitude qu’ils se souhaitent pour se pencher sur ces questions. Mais elles ne sont pas les miennes.
En ce qui me concerne, la question prioritaire à contempler se rédigerait plutôt ainsi : « Qu’est-ce qui est envisageable pour agir sur les aspects les plus monstrueux de la réalité au cœur de laquelle je vis ? » Et à cette question, je n’ai qu’une seule réponse à apporter, pour le moment en tout cas : la nommer. Puisqu’à la base de l’entreprise, se trouve le mensonge.
Prétendre que c’est le ton qui serait important, la manière de dire les choses, plutôt que le contenu de ce qui est énoncé, est un canular de dimensions colossales : le ton de Pierre Falardeau est incomparablement plus véhément, méprisant, vulgaire à tous égards, militant et tonitruant que celui d’une Esther Delisle. Et pourtant, à en croire la sagesse dite populaire, c’est lui qui serait un héros, et elle une énervée. Pourquoi ? Parce que, malgré ses airs de terroriste de film de série ZZ, Falardeau représente le Pouvoir : il énonce l’extrême frange du discours dominant. Alors que Delisle, de son côté, se situe à l’extrême frange du discours qui prétend s’opposer à celui sur lequel repose le personnage de Falardeau.
J’ai entendu cinquante fois des intellectuels s’exclamer “Aaaah, Delisle !”, d’un ton excédé, mais jamais personne n’a cité devant moi un seul passage précis justifiant une poussée d’urticaire : elle n’en vaudrait même pas la peine, parait-il. Mais alors, pourquoi être aussi excédé par son existence ? Ce n’est pas d’elle qu’il s’agit, mais de la position qu’elle a l’air de promouvoir. En fait, elle ne la promeut même pas. Mais c’est sans importance. Ou plutôt si : elle l’est, importante. Parce qu’elle sert de poteau indicateur planté à l’entrée de là où il est interdit d’aller. Comme il n’y a rien ni personne d’autre qu’elle dans ce coin-là, le poteau est visible de loin…
[mettre une citation sur chacun des deux (Godbout sur Falardeau) + allusion à la liste des cent signatures de la pétition-Falardeau : Delisle n’a droit à rien d’équivalent – beaucoup s’en faut – mais c’est elle qui serait au service d’un épouvantable complot. Les âneries de Falardeau se retrouvent au palmarès des libraires, il pond dans le Couac et est promu tel un Héros par Vigile appuyé par Bouthillier et Monière, mais lui serait un free-lancer et n’aurait pas de “tizamis” – comme il le dit lui-même –, tandis que c’est à la diffusion de Delisle qu’il faudrait faire bien attention. Ben quins.]
Cela dit, il n’entre aucunement dans mes intentions de dépasser Falardeau dans une course au dégoûtant dont je ne verrais pas vraiment l’intérêt. Mettons.
Pourtant. On ne me fera pas croire que l’expression de la révolte est désormais réservée au père spirituel d’Elvis Gratton.
NOTES
[1] Repris par Ernest Hemingway, en exergue de son roman Pour Qui Sonne Le Glas ?
[2] http ://www.cyberj.com/dossiers/judeoscope/jud9207.htm – JFG, 19 mai 1999 [PRÉSENTER]
[3] Le Seigneur des Anneaux – Tome I : La communauté de l’Anneau, Christian Bourgois, Le livre de poche no 4700, Paris, 1972, 606 p, p 401
[4] Le Seigneur des Anneaux – Tome I : La communauté de l’Anneau, Christian Bourgois, Le livre de poche no 4700, Paris, 1972, 606 p, p 83
[5] Ou, au moins, certains d’entre eux.
[6] Quand bien même ce serait pour le critiquer ou, même, tenter d’en nier la pertinence.
[7] Voir le chapitre 4 : Note – à propos de l’expression « Cheux Nous »
[8] Fiou…
[9] Si l’on exclue une partie du niveau zéro du langage : celui qui permet d’être conscient et d’agir dans la vie la plus immédiatement immédiate, et qui correspond à peu près au langage que maîtrise un enfant qui est né au langage depuis un an…
[10] Ou en tout cas, s’il ne les croit pas, c’est vraiment à s’y méprendre…
[11] Cité dans Le livre noir du communisme, p 44 – RÉF. DANS NIETZSCHE ?
[12] Cité par Carpenter, JRR Tolkien, p 167 – Dans le même sens, un biographe de Tolkien écrit : « Aux yeux de la plupart des critiques modernes, mythe n’est guère autre chose qu’un autre mot pour désigner un mensonge ou une fausseté, quelque chose qui n’est fondamentalement pas vrai. Pour Tolkien, le mot mythe a le virtuellement le sens opposé. Il représente la seule manière par laquelle certaines vérités transcendantales peuvent être exprimées de manière intelligible. » [Joseph PEARCE, Tolkien, Man and Myth – A Litterary Life, p XIII – trad. RDD]
[13] Quand bien même cette démocratie ne serait que formelle…
[14] Quand bien même, ne serait-ce que pour des raisons de lisibilité, le point d’interrogation sera peu usité. Il y a d’autres manières de poser des questions qu’en faisant retrousser toniquement la fin de ses phrases. De la même manière qu’on peut parfaitement achever une phrase avec un point d’interrogation alors que l’on n’est pas en train poser de question mais d’affirmer quelque chose, on peut très bien sembler formuler des affirmations qui sont en fait des interrogations. Dans un cas extrême, par exemple, on peut parfaitement imaginer qu’un individu troublé crie à un de ses amis qui vient de le trahir : « Fils de pute ! », et que l’exclamation, dans son libellé complet, doive s’entendre : « Prouve-moi que je me trompe ? S’il te plaît ? »
[15] Mémoires, pp 162-163
[16] La Droite, Québec, vol I no 4, 15 avril 1941
[17] Pourquoi je suis antiséparatiste, p 94