– CHAPITRE TROISIÈME –
AIGRES BLANCS D’AMÉRIQUE
Ce dont il est question dans cet ouvrage…
version OXO©, croyez-le ou non…
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Un immense désir de savoir,
au lieu de croire,
s’empara de mon être.
JEAN-CHARLES HARVEY – 1934[1]
Je ne changerai rien, sans doute.
Mais l’essentiel n’est pas là.
J’aurai dis ce que j’avais à dire.
*
Si je fais une distinction radicale entre d’une part les individus qui vivent sur le territoire québécois et, d’autre part, la société que ces individus composent, et si j’observe ce qui se passe en moi selon que j’évoque plutôt ces individus ou que j’évoque plutôt cette société, une différence essentielle me saute immédiatement aux yeux.
Bon nombre de ceux de ces individus que je connais personnellement me paraissent attachants, sincères, honnêtes. Touchants, souvent.
Mais cette société, elle, me fait horreur. Ni plus ni moins. Horreur.
Lorsque ces gens acceptent de se définir eux-mêmes, comme on les y pousse de toutes parts, comme étant d’abord et avant tout essentiellement des membres de cette société-là, ils se transforment à mes yeux en monstres inhumains. Et je ne songe plus alors qu’à fuir, à me terrer. Et j’espère l’oubli. Et j’appelle la folie. Pour ne plus voir. Ne plus ressentir cette horreur.
L’immense majorité des traits constitutifs spécifiques de cette société représentent, point pour point, l’exact opposé de ce que je souhaiterais trouver dans une société humaine.
Oh bien sûr, il y a des avantages à vivre au Québec : la guitare sèche et les guimauves sur le feu de grève ne sont jamais bien loin. La carte-soleil fait rêver bien des habitants des contrées étrangères. Toutes sortes de filets nous empêchent – parait-il – de chuter directement de nos rêves à la gueule des tigres qui feulent tout en bas, tournicotant autour du tronc de l’arbre, les yeux fixés sur la chair tendre qui fait le singe mais va bien finir par se fatiguer.
Seulement voilà, cette guimauve et ces filets-là se payent cher. Très cher.
Non, je ne parle pas de cash. Je parle d’âme.
Je vis dans une société qui hait l’âme. Hait la beauté. Hait l’Homme.
Et n’aime que la force.
Le culte absolu, incontournable et omniprésent voué à cette force, je l’ai vu s’étendre, année après année, depuis que j’ai l’âge d’observer ce qui se passe autour de moi. Et en moi.
J’ai vu ce qui me paraissait digne d’intérêt chez beaucoup de mes concitoyens s’amincir jusqu’à devenir un simple masque, aussi mince qu’une feuille de papier mouillé collée sur le visage. J’ai vu la couleur des rêves, changer. J’ai entendu le timbre des voix, changer. Le rythme de la respiration, changer.
Alors, je suis allé voir dans les livres et j’ai compris que ces changements se préparaient en fait depuis longtemps, très longtemps, comme dans les légendes.
L’ombre qui s’étend désormais jusque dans tous les racoins de cette société, qui prive d’air, qui glace les sangs, fige les regards, durcit les mains, rend sourd, voilà bien des années qu’elle s’avance en rampant. Pouce à pouce. Mot à mot.
Voilà. Ce livre se résume facilement, si l’on y tient absolument.
C’est le journal d’un homme qui vit en enfer mais qui, pourtant, ne se souvient pas d’être mort un jour.
Ce dont il se souvient, c’est de la beauté, et de l’émoi qui le gagne encore rien qu’à entendre ce mot-là, et rien qu’à le goûter sur sa langue. Rien qu’à le ressentir. « Beauté ».
Un homme qui a envie de dire :
Tu vois ce mur de flammes ? Tu le vois, tu le sens qui te brûle ? Et bien, autrefois, ici, il y avait un arbre, il y avait la maison d’un homme, il y avait un carré de sable dans lequel jouait un enfant réinventant le monde. Viens, viens avec moi, nous allons faire le tour de l’enfer. Et après, après seulement, je te dirai ce qui a déjà existé d’autre que l’enfer.
première partie
ce que je comprends à ce qui se dit
– moins III –
Jaurès
Au début du mois de juillet 1914, l’humanité se prépare à un embrasement comme on n’en aura encore jamais vu. D’une ampleur telle qu’à sa suite, on s’écrie de partout « Plus jamais ça », « Plus jamais la guerre », et que le fait de déclencher un conflit armé est effectivement, un temps, assimilé à un crime contre l’humanité. Cet embrasement c’est, bien entendu, celui que nous appelons de nos jours la Première Guerre Mondiale.
Sa cause principale ? Le nationalisme.
Nationalisme centrifuge à l’intérieur des empires, et qui cherche à les faire éclater.
Et nationalisme de confrontation entre les États tel celui qui, en France, cherche impatiemment à prendre sa Revanche sacrée sur la Prusse victorieuse contre elle en 1871; tandis que l’Allemagne nouvellement unifiée oeuvre avec acharnement à se constituer un empire à la mesure de ses ambitions « de fer et de sang ».[2]
[Churchill, Gathering Storm, pp 4ss : une guerre non entre États, mais entre peuples]
Face au nationalisme, une démocratie, fort imparfaite, à préserver. Mais dont presque rien ne subsisterait sans doute si les responsables du déclenchement de la guerre allaient l’emporter.
Lorsque les canons finissent par se taire, en 1918, on dénombre plus de 10 millions de morts et 20 millions de blessés.
Trois immenses empires ont disparu de la carte. L’Autriche-Hongrie [l’empire de la tolérance et du « Vivre et laisser-vivre » si cher à Stephan Zweig] a purement et simplement été dépecée, tout comme d’ailleurs la Sublime Porte – l’Empire Ottoman. En Russie, celui des Tsars a été renversé et remplacé par un État dont on n’avait encore jamais vu la pareille : un État soviétique, dont le surgissement transforme complètement les rapports de force non seulement entre les États, mais aussi à l’intérieur de presque toutes les sociétés humaines.
Pour un temps, cet État soviétique représente l’espoir incarné, la possibilité de transformer la vie, aux yeux d’innombrables déshérités, opprimés et exploités de toutes les parties du monde, aux yeux aussi des foules d’individus cherchant comment l’Homme pourrait enfin devenir pour l’Homme autre chose qu’un Loup. On en vient pourtant, petit à petit, à prendre conscience de ce qu’en fait, à même cet espoir, c’est un véritable enfer qui a été façonné en U.R.S.S..
Vingt ans après la fin de la Première Guerre Mondiale – le temps de reconstruire les usines et de regarnir les rangs des armées décimées -, en septembre 1939 un nouveau round européen commence officiellement. On parle alors de la Deuxième Guerre Mondiale mais, à plusieurs égards, ce conflit-ci est essentiellement le prolongement immédiat du précédent. [Abondant dans ce sens : Churchill, The Gathering Storm]
Sa cause centrale ? Le nationalisme, encore une fois. Mais un nationalisme encore plus militant, encore plus enflammé, encore plus aveugle, encore plus déchaîné, encore plus vindicatif qu’en 1914; un nationalisme mutant, pourrait-on dire, qui se relance à l’assaut pour, encore une fois, tenter d’en finir sans appel possible avec la démocratie [et avec la culture (but : règne absolu de la soi-disant nature)].
Résultat ? Quatre-vingt-douze millions d’individus mobilisés; entre trente-cinq et soixante millions de morts; villes et régions entières du globe dévastées à des degrés indescriptibles; invention et utilisation, à foison, d’armes dignes des cauchemars les plus délirants; mise sur pieds de véritables réseaux industriels destinés à l’extermination de populations entières; et pour finir, séparation du monde en deux blocs, pour près d’un demi-siècle, blocs dont la partie de bras de fer engloutit des richesses littéralement inestimables tandis que des populations meurent de faim ou simplement faute d’eau potable.
*
[Pourtant, des gens ont tenté de s’opposer au déclenchement du premier conflit. Aux USA, par exemple, Eugene Debs, chef du parti socialiste (Cf citation par Henry Miller, Souvenir Souvenirs, pp 270-271 – trouver v-o sur le web) – à cause de cette prise de position, il sera envoyé en prison.]
Le 25 juillet 1914[3], trois jours avant le début des hostilités, un homme dont on dit que sa voix résonnait « comme une cloche de bronze »[4], prononce un discours désespéré contre la guerre imminente, cette guerre dont le début va constituer le coup d’envoi de tout un siècle de massacres, de camps de la mort, de destructions et d’affrontements sans précédents :
Chaque peuple paraît à travers les rues de l’Europe avec sa petite torche à la main, et maintenant, voilà l’incendie. […]
Citoyens, si la tempête éclatait, tous, nous, socialistes, nous aurons le souci de nous sauver le plus tôt possible du crime que nos dirigeants auront commis et en attendant, s’il nous reste quelque chose, s’il nous reste quelques heures, nous redoublerons d’effort pour prévenir la catastrophe. Déjà, […] nos camarades socialistes d’Allemagne s’élèvent avec indignation contre la note de l’Autriche[5] et je crois que notre Bureau socialiste international est convoqué.
Quoi qu’il en soit, et je dis ces choses avec une sorte de désespoir, il n’y a plus, au moment où nous sommes menacés de meurtre et de sauvagerie, qu’une chance pour le maintien de la paix et le salut de la civilisation, c’est que le prolétariat rassemble toutes ses forces et que tous les prolétaires, Français, Anglais, Allemands, Italiens, Russes, nous demandions à ces milliers d’hommes de s’unir pour que le battement unanime de leurs cœurs écarte l’horrible cauchemar.
JEAN JAURÈS[6] – 25 juillet 1914
Trois jours plus tard, donc, la guerre éclate.
Encore trois jours de plus, et, à Paris, Jaurès est assassiné.
Par un Nationaliste. Du nom de Raoul Villain [7].
*
L’un des principaux organes de la presse nationaliste française de cette époque s’appelle l’Action Française, et il est animé principalement par Charles Maurras et par son acolyte Léon Daudet.
Un peu plus de quatre ans après la guerre, le 22 janvier 1923, une jeune anarchiste du nom de Germaine Berton se présente aux bureaux du journal dans le but d’abattre l’un ou l’autre des deux hommes. Comme elle n’arrive pas à les atteindre, elle assassine Marius Plateau, responsable entre autres des troupes de choc du mouvement : les Camelots du Roi.[8]
La motivation de Berton ? Venger, entre autres, l’assassinat de Jaurès. Se venger de ceux qui, durant des décennies, ont appelé la guerre de tous leurs vœux, de tout leur talent.
Elle devient, par le fait du geste qu’elle a posé, l’une des principales Muses du mouvement surréaliste d’André Breton.[9]
*
Il existe aussi une Action française à Montréal. Fondée en 1917 – en pleine guerre mondiale -, sa doctrine se résume en un seul mot : nationalisme.
Dans ses Mémoires, le chanoine Lionel Groulx, très près de la revue dès sa création et qui éventuellement en assumera la direction, prétend que le périodique de Montréal n’aurait en quelque sorte porté le même titre que celui de Paris que par coïncidence. L’argument est tellement spécieux qu’il ne peut tromper que ceux et celles qui tiennent absolument à l’être.
Entre mille exemples : le chanoine, en plus d’avoir eu l’occasion d’entendre en personne Maurras et Daudet dès avant la guerre (voir ses Mémoires), publie, dans les années 1920, en au moins une occasion directement à l’Action française de Paris.
Le jeudi 24 février 1922,
les Publicistes chrétiens
étaient convoqués à leur dîner mensuel
pour entendre une causerie
de M. l’abbé Lionel Groulx
sur le Canada.
C’est cette causerie que l’on va lire.
Elle produisit un effet si intense
qu’aussitôt on en demanda la publication.
L’Action française offrit de s’en charger :
la voici.
On pourra juger qu’en effet,
il y avait intérêt national
à la faire connaître au public français.
L’Action française, Paris – 1922[10]
Par ailleurs :
Si l’Action française de Montréal
doit sa formation doctrinale à celle de Paris,[11]
cette dernière,
en retour,
lui doit une précieuse intervention ecclésiastique,
et elle le reconnaît. […]
Le jour même de la mort de Pie XI…
… qui avait très sévèrement condamné l’Action française de Maurras[12]…
… Mgr Breynat, évêque français,
Vicaire apostolique du Mackenzie,
demande à Robert Harvard
de partir pour Rome.
« Lui même m’y précédera,
écrit Harvard,
et, en liaison constante
avec le cardinal Villeneuve[13],
archevêque de Québec,
m’aidera de ses conseils. » […]
À Rome,
Mgr Breynat assiste
au couronnement du cardinal Pacelli,
et le lendemain[14],
le nouveau Pape le reçoit en audience.
Il lui remit
« un mémorandum
sur l’affaire de l’Action française,
approuvé par le cardinal Villeneuve »[15].
« Pie XII accueillit la note avec une bonté
qui donna toutes les espérances à son visiteur ».
La crise de l’Action française
avait avancé d’un grand pas
vers le dénouement
final et favorable.
PIERRE GUILMETTE – 1957[16]–[17]
De sorte que…
Les plus fervents promoteurs
de la Droite
se firent aussi, bien entendu,
les plus vaillants champions
de l’Action française
– ainsi, le Cardinal Jean-Marie Rodrigue Villeneuve,
archevêque de Québec,
dont le peuple avait longtemps tenu
le XXe siècle en échec,
et Mgr Gabriel Breynat,
Vicaire apostolique du district de Mackenzie,
au Canada.
Les Cardinaux espagnols,
dont le pays,
en ce qui les concernait,
abordait à peine le XVIIIe siècle,
se montrèrent eux aussi
favorablement disposés.
EUGEN WEBER – 1962[18]
Au moment de dresser la liste des principaux alliés au Vatican de l’Action française de Charles Maurras, le Cardinal Villeneuve, qui honorait Groulx d’une exceptionnelle amitié et n’hésita pas, jusqu’à la Deuxième Guerre[19], à défendre ouvertement les thèses politiques de son ami… coiffe donc au poteau les évêques espagnols eux-mêmes dans leur ensemble, c’est-à-dire qu’il parvient à se montrer encore plus réactionnaire que l’un des collèges épiscopaux les plus profondément et les plus durablement rétrogrades d’Occident.
*
Le symbole de l’Action française de Maurras ? La fleur de lys, autrefois symbole de la monarchie mais, depuis la fin du XVIIIe siècle, symbole de la volonté antirépublicaine et autoritaire.
Lionel Groulx est l’un des plus ardents promoteurs de l’adoption par le Québec de son drapeau actuel.
*
L’Action française de Montréal existe toujours en cette fin du XXe siècle. Elle s’est simplement rebaptisée, deux fois – en 1928 puis en 1933 -, après que, justement, le pape Pie XI eut condamné celle de Paris. À cause de son nationalisme « intégral ».
En 1933, le dernier changement se fait au profit du nom qui est, donc, encore le sien aujourd’hui, l’Action nationale, titre qu’elle partage un certain temps avec un groupe suisse d’extrême droite. Si ce partage d’un même titre finit par cesser, ce n’est pas parce que le groupe suisse change d’orientation politique et de nom, bien au contraire : simplement, à l’automne 1940, le gouvernement fédéral helvétique – pourtant difficilement accusable de s’être montré trop critique à l’égard du Troisième Reich[20]… -, l’oblige à fermer boutique au même moment que d’autres organismes trop ouvertement fascistes.[21] La Suisse, durant la Deuxième guerre, fait sans doute montre d’une assez invraisemblable tolérance à l’égard des Fascistes et de leurs amis – surtout en regard de sa soi-disant neutralité -, mais il convient de noter qu’un des gouvernements alliés en démontre encore plus, de tolérance envers ses Fascistes indigènes : celui du Canada. Notamment parce qu’il craint, en prenant de front le nationalisme canadien français, de provoquer une guerre civile qui, dans les circonstances, risquerait d’avoir des implications catastrophiques.
Parlant de la Suisse réactionnaire, rappelons qu’au tout début du siècle, l’un des principaux maîtres spirituels de Groulx, lorsqu’il étudie à l’Université de Fribourg, en Suisse justement, s’appelle Gonzague de Reynold[22] [VÉRIFIER ENCORE UN COUP CE QUE LE CRAPAUD EN DIT : METTRE CITATION]– par hasard sans doute, l’un des penseurs les plus réactionnaires de l’Helvétie moderne :
Pour combattre la démocratie,
l’écrivain fribourgeois a utilisé ses armes.
C’est la thèse de l’historien Aram Mattioli,
qui publie en français une biographie
évitant caricature et hagiographie.
« Aussi paradoxal que cela paraisse,
Reynold
– en tant que représentant des nouvelles droites –
est un pur produit de cette modernité
dont il symbolise,
et c’est bien le problème,
exactement l’envers. »
La Liberté[23]
*
Soixante ans après la mort de Jean Jaurès, Jacques Brel compose et enregistre une chanson qui s’intitule, justement, « Jaurès ». Extrait :
On ne peut pas dire qu’ils furent esclaves
De là à dire qu’ils ont vécu
Lorsque l’on part aussi vaincu
C’est dur de sortir de l’enclave
Et pourtant l’espoir fleurissait
Dans les rêves qui montaient aux yeux
Des quelques ceux qui refusaient
De ramper jusqu’à la vieillesse
Oui not’ bon Maître oui not’ Monsieur
Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?
Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?
JACQUES BREL
Ils ont tué Jaurès.
« Ils » ?
Le Nationalistes.
*
Depuis des années, je me demande.
Comment peut-on écouter cette chanson-là. Prétendre en être ému aux larmes.
Lire André Breton. S’en dire bouleversé.
Et avoir un drapeau groulxien, bleu à fleurs de lys, qui pend à son balcon ?
[13 mars 2002 : appris ce matin la mort du peintre Jean-Paul Riopelle – il est assez indécent d’entendre tout le monde – dont le premier ministre cardinal Bernard Landry – se gargariser de l’épithète de « trappeur supérieur » que lui avait accolé… André Breton. N’importe quoi… ou le contraire… (Voir anecdote sur Riopelle dans Deirdre Bair : Beckett.)]
– moins II –
Très bien, et vous ?
Quelques petites précisions. À mon sujet.
Comme il ne manquera certainement pas d’individus pour affirmer sur tous les tons que l’ouvrage que voici en est un de vengeance perfide et de maladif dénigrement d’une société que je devrais tout au contraire et « comme il se doit » porter aux nues, elles ne me paraissent pas inutiles.
*
D’abord, je ne suis pas malheureux. Pas du tout. Au contraire, même : ça va très bien, je vous remercie.
Pourquoi le préciser ?
Parce que, selon toute vraisemblance – si je me fie à mon expérience -, je vais me mettre à recevoir de toutes parts des flopées de téléphones peinés ou catastrophés dès que ce livre sera paru :
– Qu’est-ce que t’as, mon pauvre petit chou ? Ça va pas ?
– Nonon, ça va très bien, pourquoi ?
– Ben, écoute, franchement. Pour écrire des horreurs pareilles, tu dois pas te sentir bien certain.
– Nonon, je t’assure que ça va.
Je veux dire que, personnellement, ça va très bien.
Jusqu’ici la santé est bonne. Je suis fait costaud. J’écris « la santé est bonne » et c’est bien plus qu’un constat, c’est un émerveillement. Je suis tout à fait conscient d’avoir brûlé la chandelle non seulement par les deux bouts mais encore par le milieu en même temps.
Je suis en bonne santé. J’aime ça. Je sais que c’est un cadeau. Et j’en suis reconnaissant.
Par ailleurs, je suis doté d’un assez solide sens de l’humour, ce qui n’est pas du tout la même chose que de posséder celui de la dérision – ni d’être possédé par lui. L’humour permet de rire de soi inclusivement, la dérision de rire des autres, exclusivement. Je ne mettrai pas trois pages à expliquer pourquoi, mais je trouve au moins aussi drôle de rire de moi-même à l’occasion que de quoi que ce soit qui m’entoure. Ça fait du bien, je trouve. Ça nettoie l’ego, ça lave les yeux et ça allège le cœur. Je ne passe pas mon temps à me crier des noms ni à me chercher des poux mais, quand ça se présente, il arrive que je m’adresse, la poire fendue jusqu’aux oreilles, des « Heye, la nouille ! » assez retentissants. Ne vous inquiétez pas : je connais aussi des moments d’apitoiement, auxquels toutefois je tente de ne réserver que la portion congrue de mon temps et de mes énergies. Le grattage de bobo n’est pas mon activité privilégiée. Pas parce que je me penserais pur, simplement parce que j’ai appris très tôt – à mon corps défendant – que la vie est courte. Et qu’en conséquence, il faut faire des choix.
Je ne suis pas malheureux. Pas du tout. Je vais vous dire : en fait, je suis même heureux. Oui, oui. Pas « heureux, à ceci près que… » Heureux. Point.
La vie est une splendeur dont je ne me rassasie pas. Le soleil, les humains, la pluie, la neige, les pissenlits, la pensée et la musique, les bibittes et les roches, me sont de perpétuels sujets d’émerveillement. Et la vitesse à laquelle la poussière s’accumule quand on ne passe pas l’aspirateur. Et le fait que la patate me batte encore.
À douze ans, j’étais convaincu de ce que le temps de vie qui m’avait été alloué était déjà entièrement écoulé. Et de ce que chacune des minutes qui passait à partir de ce moment-là représentait un bonus. Je le crois toujours. Ça me fait donc, au moment où j’écris ces lignes, trente et quelques années de bonus. Ça vous encadre un sentiment de reconnaissance, ça, mes amis.
D’un autre côté, je ne me prends pas pour Gandhi. Ni pour Voltaire. Ni pour Peter Pan. Ni pour Robin des Bois. L’abnégation d’un Gandhi est une chose qui me scie complètement. Je n’ai pas la moindre idée de l’endroit où il faudrait que je pêche la sérénité nécessaire pour réaliser le calme qu’il a achevé en lui-même ou auquel, en tout cas, il a réussi à donner la maîtrise de son équilibre. Or, pour accomplir la tâche qu’il s’était assignée, ce calme me semble avoir été essentiel. Voltaire, lui, c’était tout le contraire : la rigueur dans l’éparpillement. J’en suis tout aussi incapable. Peter Pan me tape sur les nerfs; il ne m’est jamais apparu autrement que comme la quintessence de ce que nous appelons familièrement cheux nous « la mouche à marde », modèle grand luxe, avec, en bonus, chapeau à plume, bottillons et justaucorps. Quant à Robin des Bois, je n’arrive jamais à oublier tout à fait qu’il oblige ses amis, beau temps mauvais temps, à passer leurs journées entières déguisés en jeunes pommes, assis sur de hautes branches, en collants, avec un arc sur les genoux, et que ce n’est en définitive que pour se réapproprier un titre de noblesse dont il a été spolié. Bref. Si je me fais une représentation cartoon de moi-même, je crois qu’il faudrait plutôt chercher du côté d’un alliage de Yogi l’ours, de Mr Maggoo, de Bugs Bunny, du robot de « Perdu dans l’Espace » quand les bras lui partent de tous les côtés, et d’un Lucky Luke en pantoufles. Ce ne peut-être pas très édifiant, mais il y a, en tout cas, amplement de quoi faire aller.
Pour le moment en tout cas, je vis seul. Et je suis seul. Mais là non plus, il n’y a pas de quoi faire un plat. Je suis un solitaire. Ça ne signifie pas que la présence des autres ou de l’autre me soit un fardeau – en tout cas, pas tout le temps, ni même la plupart du temps. Ce que ça veut dire, c’est surtout que j’ai beaucoup besoin de beaucoup de recueillement. De ce que certains de mes professeurs appelaient autrefois « rêvasserie ». J’en ressens un besoin, ne serait-ce que physique, d’une ampleur telle que cela représente une hypothèque extrêmement lourde prise sur toute relation d’intimité vécue sous un même toit.
En plus, j’ai très mauvais caractère. Je n’ai pas les pieds plats, mais j’ai mauvais caractère. Je descends plus de l’ours que du singe. À moins que, plutôt que d’en descendre, je ne remonte vers lui ? Quoi qu’il en soit, je grogne. Je ne mords pas, mais je grogne. J’ai été amoureux fou d’êtres exceptionnels. Je les aime toujours. Certains d’entre eux m’ont fait l’honneur de partager mes sentiments. Mais je n’ai jamais rêvé d’un bungalow à partager avec eux. Il me semble que le dieu de l’amour mérite mieux comme offrandes que des versements mensuels sur l’hypothèque.
Je suis un voyageur-immobile : un individu qui n’est porté ni sur la vie sédentaire ni sur le tourisme. En regard des critères ayant cours à notre époque, je ne saurais en aucun cas être décrit comme un grand voyageur, mais je me suis tout de même suffisamment promené pour nourrir mes réflexions pendant très longtemps, et en avoir gardé le cœur gonflé et de joie et de douleur, et de vertige et de reconnaissance à l’égard de la vie, du monde et de mes semblables. Pourtant, l’idée de me mettre en route « juste pour aller voir » ne me dit rien. De même, au plan des idées, le désir d’en savoir un peu sur tout, la connaissance comme entreprise encyclopédique, ne me fait pas non plus vibrer.
Je suis habité par des souvenirs prodigieux de moments passés hors de chez-moi, et d’autres passés dans mon fauteuil préféré, un livre entre les mains. La découverte de Dostoïevski, de Camus, de Garcia Marquez, de Duras, de Borges, de Vian, d’Ibsen, de Neruda, et aussi de Romain Rolland, d’Yourcenar, de Tolkien, de Kafka, de George Steiner, de Jünger, entre de nombreux autres; la redécouverte, sans fin, de passages de Shakespeare, mais aussi le rayonnement d’un Robert Lalonde, m’ont été autant de voyages derrière les murs que jusque là j’avais crus circonscrire le monde et la vie.
Il me revient sans cesse des moments vécus à Tunis, à Caracas, en Grèce, à Florence, en Australie, à deux rues de chez moi, dans le désert algérien, à Rivière-du-Loup, en Angleterre, à Vancouver ou à Casablanca, à New York ou en France. Pourtant, un ou deux chauffeurs de taxis, à Montréal, un vieille dame assise sur un banc de parc, un marchand dans sa boutique de la rue Saint-Laurent, m’ont fait voyager bien plus loin, et surtout bien plus profondément, que, parfois, British Airways, United ou Air Canada.
Je conserve, jamais épuisé, jamais pâli, toujours en train d’advenir, ce moment dans la Casbah de Tunis. Un professeur de l’École normale m’a invité là à déjeuner après une conférence que j’ai prononcée. Je me retrouve dans une enfilade de vastes pièces aux murs de ciment cru, où les gens de passage ne sont admis que sur invitation. Je suis le seul, là, à avoir ce teint blanc-rose des nordiques que d’aucuns qualifient de « teint petit-cochon ». Durant une heure ou deux, dans la fraîcheur immobile, sur fond de discussions à voix basse entrecoupées de brefs éclats de rire, j’écoute mon hôte me parler de la structure, aussi bien physique que sociale, de la ville du Maghreb, et du temps qui s’écoule autrement. Quelques heures plus tôt, un de ses confrères m’entretenait de la poésie amoureuse d’avant l’arrivée des Arabes. Et me faisait part de sa douleur : « Nous devons rejoindre le monde moderne. Nous le devons à nos enfants, vous comprenez ». Je lui réponds : « Mais cette modernité, votre civilisation a fait énormément, pour elle. Vous lui avez donné les mathématiques, c’est immense. » Et lui reste immobile, un moment, à fumer en me regardant sans broncher. Il finit par laisser tomber, tout bas : « Oui. Oui, mais nous ce n’est pas nous qui sommes allés sur la Lune. » Et il n’y a rien dans cet immense regret qui évoque l’orgueil blessé. Rien que le rêve. L’aspiration. L’appel.
Dans un autre coin de mon cœur, j’arpente les rues de la cité romaine de Tipasa, à l’ouest d’Alger, sur la côte. Au milieu des ruines de pierre ocre, j’écoute mon ami Slimane qui m’explique : « Tu sais, ils étaient formidables, ces Romains… » Il s’interrompt, et lui monte aux lèvres ce sourire gamin dont il possède le secret; je sais qu’il m’en prépare une : « … mais ils n’étaient que de passage. » Et il éclate de son grand rire à renverser les murailles.
Sur un tout autre mode encore, je suis, une nuit d’été, coin Bleury et de Maisonneuve, tout simplement. Je commence à comprendre qu’au moment où l’amour finit, le monde est soudain un désert bien plus vide que celui qui attend le comte Fosca[24], quand toute vie aura disparu de la surface de la Terre et que lui restera, immortel, à errer pour l’éternité dans un paysage lunaire, à rechercher le seul être qui partage sa damnation : une souris.
Ou je suis à Toronto, à deux pas de l’Hôtel de Ville. Il tombe de temps à autre une grosse goutte de pluie chaude et, dans les yeux de ce peintre, rivés aux miens, il y a mille vies possibles. Je donnerais dix ans de la mienne pour être sur un pont de Florence et regarder, à ses côtés, couler l’Arno.
Je suis un voyageur-immobile : pour moi, avoir accès, ne serait-ce qu’un instant, au monde comme le voient d’autres yeux que les miens, pensé par une autre âme, parcouru et agi dans un autre corps, ressenti par un autre cœur, est le plus grand cadeau qui je puisse me voir accorder.
Je suis un amoureux-né. C’est très bête par certains côtés. Et extraordinairement éblouissant par d’autres. Ça a des avantages. Et des inconvénients. Ça veut dire que je peux passer des semaines, roulé en boule, à me tordre de douleur. Mais ça veut aussi dire que lorsque je me remets sur mes pieds, je connais la valeur qu’il y a à être debout, parce qu’il a fallut que je le décide. En un mot : ça met du relief dans une vie. Je ne m’ennuie pas. La diversité des êtres, dans leur intimité, me sidère. Et me réjouit jusqu’au fond de l’être.
Premier point que je souhaitais tirer au clair, donc : je suis heureux. J’aime la vie. Et elle me le rend au centuple. Ce qui signifie, en l’occurrence, que je n’écris pas ce livre pour me venger d’elle, ni pour lui crier au visage qu’elle serait une salope.
C’est le contraire, qui est vrai : j’écris ce livre pour remettre en circulation une toute petite partie des cadeaux qu’elle m’a faits. Parce que, guimauves-pas-guimauves, la société au sein de laquelle je vis manque singulièrement de chaleur, de lumière et d’air frais. Et que cet état de choses ne me semble dû ni aux latitudes sous lesquelles nous vivons, ni aux Anglais et à l’empire qu’ils ont possédé autrefois mais qu’ils ont perdu depuis déjà un bail, ni aux Immigrants en général, ni aux Juifs en particulier. Pas même, pour l’essentiel, au fait que nous vivions en régime dit capitaliste. Je veux dire que, compte tenu du profil qu’offre au regard la société québécoise francophone, si elle était plus à gauche – ce que cheux nous, on appelle être à gauche -, les choses seraient sans doute encore bien pires. Nous verrons tout à l’heure ce que j’entends par là, et pourquoi je le pense.
Secondement, ce n’est pas non plus parce que j’ai eu une enfance difficile, que j’écris ce livre. D’abord parce que je n’ai pas eu une enfance difficile. J’ai eu une enfance tragique, ce qui n’est pas la même chose. Pas du tout. Elle a aussi été difficile, j’imagine, mais je n’en ai pas d’autre à disponibilité, à laquelle comparer le mienne de l’intérieur. Si je me fie aux nombreuses évocations d’enfances que j’ai croisées depuis la fin de la mienne, cependant, ce n’est pourtant pas la difficulté qui me semble l’avoir marquée au premier chef. Mais la tragédie. C’est-à-dire l’obligation de me définir comme humain devant le fatum – le destin -, et la nécessité de m’interroger sur la transcendance et la transgression des règles.
Elle a aussi présenté un autre caractère qui peut sembler exceptionnel : elle était d’avant-garde. Je sais d’expérience qu’à d’autres yeux que les miens, elle peut paraître avoir été exceptionnelle, mais c’est – au moins en partie – parce qu’elle a été vécue à la fin des années 50 et au début des années 60. Vécue dans les années 70 ou 80, je crois bien que des grands bouts en auraient parus presque classiques. De toute façon, elle m’a forcé à m’interroger très tôt sur un sujet, crucial dans ma vie jusqu’à aujourd’hui : l’identité se définit-elle essentiellement par les origines que l’on a subies ou par les gestes posés que l’on a choisi de poser ? Le second terme est extrêmement compliqué à manipuler, puisqu’il débouche sur la question : qu’est-ce qui a permis le choix de poser ce geste-ci plutôt que celui-là, de toute manière ? C’est vrai. Mais le premier est pis encore : les origines, si l’on accepte qu’elles nous définissent absolument, constituent une prison qui condamne immédiatement, sans appel, même le rêve d’en sortir un jour.
Bref. Ce n’est pas parce que j’ai connu une enfance bizarre que j’écris ce livre. En tout cas, pas au sens où, encore une fois, ce livre serait une vengeance. Ce livre n’est pas une vengeance. Pour y aller un peu du côté du pompeux, je dirais que s’il y a moyen de sortir vivant de l’enfance que j’ai connue, vivant et avec tous ses morceaux, ça ne donne pas – mais alors là, pas du tout… – le caractère requis pour accepter sans broncher l’imbécillité consentie, la mesquinerie, la fatuité et l’égocentrisme généralisés qui caractérisent notre vie collective. Mon enfance n’a pas été de nature à m’enseigner le goût de la vengeance, elle a été de nature à m’enseigner à poser des questions. Et à gueuler quand on refuse de me répondre de manière sensée.
Non, je ne crois pas que gueuler soit la seule action imaginable ou souhaitable face à une société telle que la société québécoise. Il existe sans l’ombre d’un doute, dans la panoplie des réactions envisageables, des tas d’autres comportements beaucoup plus appropriés ou fertiles et, j’imagine, beaucoup plus civilisés, que celui-là. Je le sais d’autant mieux qu’au cours des vingt-cinq dernières années, j’en ai expérimenté des tas, d’autres manières. J’ai tout fait pour tenter de comprendre, pour me mettre à la place des autres, pour « prendre mon gaz égal », pour « fafiner », pour essayer de voir la situation sous toutes sortes d’autres angles – même ceux qui semblaient a priori les plus invraisemblables -, pour tenter d’imaginer les raisons d’ordres supérieurs qui pouvaient motiver et justifier l’état des choses en vigueur cheux nous. En vain. En revanche, jour après jour, je suis rentré chez moi dégoûté de moi-même, épuisé d’avoir tenté, le sourire aux lèvres, toute la journée, d’aller chercher un signe de reconnaissance dans le regard des autres : « Envoye, baptême, dis-le. Arrête de me sortir le bottin des explications officielles, pis crache-le, que tu trouves que ça a pas d’allure ! ». D’un interlocuteur à l’autre, cette pensée me tournoyait dans la tête. Je tendais des perches, ouvrais sur de nouveaux sujets, des heures durant. En vain. L’autre s’approchait, s’approchait, ses yeux me disaient qu’il allait enfin parler, admettre qu’il savait. Et puis tout-à-coup, un coup d’œil de sa part m’apprenait que non, il virait de bord : trop dangereux. Trop compromettant.
Tout était là, dans les yeux qui me disaient : « Ah oui, oui, je sais, Je sais où tu veux m’amener. Oui, je sais : moi aussi, j’ai mille exemples dans la mémoire, dans le cœur, qui me hantent, qui me harcèlent. Mais je ne peux pas. Je n’irai pas. Arrange-toi tout seul. »
Quelles qu’aient été les approches tentées, j’en suis chaque fois arrivé au même constat : la situation générale, au Québec, relève du mensonge, du mépris, du ressentiment et de la peur à un point et dans le cadre d’une dynamique d’exclusion tels que jamais je ne les aurais crus possibles dans quelque société que ce soit. J’en suis donc venu à la conclusion – à défaut d’aucune autre qui soit envisageable – qu’il ne sert à rien de tenter de convaincre, et que je ne sais même plus comment la discussion pourrait encore être possible : des milliers de personnes que j’ai rencontrées au long de ma vie, l’écrasante majorité sait parfaitement de quoi il retourne. Mais elles ne l’admettront jamais. Il n’y a donc pas lieu de convaincre : beaucoup savent déjà. Et il ne saurait non plus être question de discuter : j’ai depuis longtemps perdu le compte des occasions où l’on m’a froidement, posément, renvoyé la porte en pleine face.
Voilà donc où j’en suis. Je n’ai aucune espèce d’envie de passer ma vie à gueuler, mais je suis tout aussi incapable d’accepter sans broncher ce que je sais être inacceptable.
Des hôpitaux qui ferment sans que qui que ce soit ou peu s’en faut ne dise un mot; des jeunes qui se suicident à tour de bras dans une atmosphère d’indifférence béton; des gens mis à la poubelle par milliers, par dizaines de milliers, sans ciller et sans que la moindre plainte n’arrive même à s’élever tellement le couvercle est vissé serré; l’éducation considérée essentiellement comme moyen d’apprentissage d’un métier quand il s’agit du peuple, et comme celui du cynisme militant quand il s’agit des élites; le désarroi de générations entières à qui l’on ment pire que des arracheurs de dents et sans qu’un seul hostie de chat aie la décence d’au moins tenter de rétablir ce que beaucoup savent parfaitement être des mensonges; le règne mur à mur d’élites aussi veules que des moppes, corrompues jusqu’à la moelle, et qui passent leur vie à se prétendre martyres; une culture qui encourage les individus à renoncer au développement de leur individualité pour se fondre dans le Jell-O collectif, et qui les fait même odieusement chanter pour s’assurer qu’il ne risquent pas de se mettre à penser, à aimer et à agir autrement qu’on le leur ordonne… ces petites choses-là, entre d’autres, me semblent plus qu’amplement suffisantes pour justifier de gueuler.
On me rétorque : « Peut-être bien, mais fais attention à toi. Il ne peut pas y avoir que ça. »
Ouais ouais ouais, je le sais, je vois ça, qu’il ne peut pas y avoir que ça. Je ne vois même que ça : que, pour la société qui m’entoure, il ne peut pas y avoir que ça… C’est tellement vrai, qu’il n’y a pas que ça, que, de « ça », on ne veut pas entendre parler du tout. Merci, j’ai compris.
Troisièmement. Ce n’est pas non plus parce que ma carrière ne marchait pas, que je me suis mis à écrire des essais et à prendre la parole sur des sujets politiques. Là encore, c’est le contraire qui est vrai : ma carrière marchait très bien, merci beaucoup. Elle marchait si bien qu’à la fin des années 80, j’avais la possibilité – plus courante aujourd’hui – d’oublier toutes les questions qui me hantaient au sujet de cheux nous, et de m’élancer dans une infinie perspective de cocktails d’ambassades et de consulats, et de parties de premières à Paris, à Londres, à New York, à Los Angeles. Le cœur m’a levé. Pas parce que je serais un beautiful loser, simplement parce que cette perspective, à mes yeux, est celle du néant en trois dimensions. Et que le néant n’est pas ma tasse de thé. Sorry. La marquise de Merteuil[25] m’intéresse quand je lis, sous la plume de Laclos, la description qu’il en trace, ou que je regarde un bon film inspiré du roman, mais face à face, dans toute sa splendeur, dans la vraie vie, elle me fout le cafard et ça s’arrête là.
D’ailleurs, dès que j’ai eu pris trois minutes pour y penser, l’évidence m’a sauté aux yeux : cheux nous, il est plus facile pour un auteur d’être joué à Paris qu’à Sorel. Je résume outrancièrement, mais c’est bel et bien de ça qu’il s’agit quand même pour l’essentiel. Or la fonction première du poète ne me semble pas être de courir les parties d’ambassade, mais de se pencher sur ce qu’il trouve bizarre dans ce qui se passe autour de lui. Et en lui.
Être né, avoir grandi et vivre dans une société où il est plus simple pour un artiste de travailler à l’étranger que là où il vit, se rendre compte que ce que l’on trouve de plus chavirant parmi les réalisations humaines n’a pas cours dans la société où l’on vit et que, même, plusieurs des traits fondamentaux de cette société s’opposent systématiquement à ce que l’on trouve de plus réjouissant parmi les réalisations humaines, c’est assez près de ce que je trouve suffisamment étonnant pour m’y attarder un long moment. Pas parce que je crois que la société au sein de laquelle je vis doive nécessairement être le plus extraordinaire au monde, simplement parce qu’on y raconte jusqu’à plus soif que tout – ou bien peu s’en faut – de ce qui s’y trouve de déplorable serait la faute des autres… alors que ce n’est pas, mais alors là pas du tout, ce que je constate pour ma part. Ergo.
*
Voilà. J’ai trop souvent eu l’occasion de constater la redoutable efficacité de cette manière, si courante cheux nous, d’écarter toute pensée troublante en la portant immédiatement au compte de la psychologie de celui qui l’exprime, pour lui laisser la voie entièrement libre. Je ne peux sûrement pas empêcher le recours à elle contre moi. L’idée ne m’en traverserait d’ailleurs même pas l’esprit.
En deux petits coups de cuillère à pot, je souhaitais tout de même préciser d’emblée que si l’on a l’intention de me l’appliquer, on a peut-être intérêt à se lever de bonne heure, et à prendre son café fort.
– Ah oui ! Oui, bien sûr ! Mais voyez cette résistance !, ce durcissement, d’entrée de jeu ! C’est bien la preuve qu’il se cache derrière des commentaires sociaux pour tripoter des enjeux qui ne sont que psychologiques ! Oh, le beau cas !
Ouais, ouais, ouais, c’est ça.
Maintenant, au travail.
– moins I –
Deux mots.
Oups. Non, désolé, pas encore.
Une autre petite série de précisions. Langagières et conceptuelles, celles-ci. À propos de deux mots que je vais utiliser souvent, en attendant de revenir sur leur cas un peu plus en détails.
Certains mots, à la longue ou parfois même assez rapidement, ont le sens qui glisse. Ils perdent, en quelque sorte, leur foyer – comme on dit en optique. Leur signification était passablement claire et découpée au moment de leur apparition, et puis ils s’égarent dans les broussailles. Parfois ce n’est pas trop grave, mais dans d’autres cas, en revanche, ce l’est beaucoup. Quand aucun autre ne vient permettre de focaliser à nouveau sur l’objet ou le phénomène que ce mot servait auparavant à désigner avec plus de précision, par exemple. Dans le genre, il y en a deux dont je vais me servir ici.
*
Le premier, c’est « Fasciste ».
Il est devenu, après la Deuxième guerre mondiale, une espèce d’injure-à-tout-faire. Comme « Nazi », « Gestapo », « S.S. ».
Un Fasciste, aujourd’hui, dans le sens courant, c’est aussi bien un dictateur – quel que soit son credo idéologique -, que n’importe quel individu que l’on souhaite discréditer en le traitant de pas-fin-au-cube[26]. Un Fasciste, croit-on, c’est un violent et un vicieux. Un fou. Ça se tient au garde-à-vous. Ça aime la police secrète. Ça a le bras qui retrousse pour un oui ou pour un non. Ça lance des roches aux Juifs, mais ce n’est pas un Arabe. Ça aime claquer des talons. Ça aime son Chef. Ça marche au pas de l’oie. Ça fracasse le crâne des enfants sur les murs, juste pour passer le temps. Ça aime les uniformes, les parades, les grands étendards flamboyants et l’architecture monumentale.
Il est vrai que certains de ces traits ont effectivement été associés aux uns, aux autres, ou à tous les mouvements proprement fascistes de la première moitié du XXe siècle. Mais ça ne signifie pas pour autant que le fascisme se résume à ça. Ni même que ces caractéristiques soient nécessairement de quelque utilité que ce soit pour définir ce qu’est le fascisme.
Il est vrai que la plupart des voitures automobiles ont quatre roues, mais ça ne signifie pas pour autant que tout ce qui a quatre roues soit une voiture, autrement les wagons de chemin de fer, les carrosses pour bébés et la table sur laquelle est posé mon téléviseur seraient aussi des voitures automobiles. Ce qui n’est pas le cas. Il y a des caractéristiques plus essentielles que le fait d’avoir quatre roues, pour définir une auto – d’ailleurs il en existe à trois roues – : l’autonomie de propulsion, par exemple – comme le nom d’ « auto-mobile » l’indique -, le fait d’être généralement fermée, de rarement pouvoir transporter plus de cinq ou six passagers ou de ne pas nécessiter de voies de guidage très élaborées.
Un remarque équivalente s’applique au fascisme : quand bien même la majorité des régimes fascistes ont fait montre d’une nette propension à faire un usage immodéré des uniformes militaires et paramilitaires, cela ne signifie pas pour autant que tout uniforme soit fasciste. Ni qu’il faille nécessairement porter un uniforme pour se voir être reconnu comme un Fasciste. Ce n’est pas en se tenant à l’affût d’une ressemblance vestimentaire ou physionomique avec tous les acteurs qui ont joué au cinéma les rôles de méchants Nazis que l’on a le plus de chance de reconnaître un Fasciste si un jour on en rencontre un dans « la vraie vie ». Non seulement ce n’est ni la barbe de trois jours, ni le corps raide, ni le regard fixe, ni les gants de cuir moulant, ni le sourire sardonique qui semblent avoir réellement caractérisé les Fascistes « classiques », mais il y a déjà plus de trente ans qu’Hannah Arendt a fait remarquer, durant le procès d’Adolf Eichman, que ce bourreau-là avait, au contraire de posséder une tête typique de sanguinaire pathologique, tout d’un homme on ne peut plus ordinaire, « banal » même.[27]
Le fascisme, ce n’est pas un air qu’on se donne, c’est un projet politique. Ce qui implique que ce n’est pas en observant l’air des gens que l’on peut se rendre compte qu’on a affaire – ou non – à un Fasciste, mais en percevant et en comprenant la cohérence qui unit les uns aux autres les différents projets auxquels il oeuvre.
Ce projet fasciste n’est pas de commettre des crimes horribles. Hitler n’a pas pris le pouvoir en promettant à ses électeurs de provoquer quarante, cinquante ou soixante millions de morts, de construire des camps d’assassinat systématique d’un bout à l’autre de l’Allemagne et de la Pologne, ni en insistant sur la nécessité de se débarrasser par le recours au meurtre des infirmes et des impotents et de stériliser ses opposants politiques. Les crimes nazis sont légitimés par l’entreprise nazie, mais ils ne la résument pas. Il y a autre chose que ces crimes, dans le projet fasciste allemand. Et c’est cette autre chose qui se trouve à la source de l’inspiration fasciste. Les crimes en sont la conséquence et non la cause.
De même, en Italie, l’antisémitisme est, dans une très large mesure[28], imposé par l’allié nazi – l’Italie fasciste n’est donc pas, par elle-même, antisémite; à l’évidence, cela ne l’empêche pas pour autant d’être fasciste.
En Italie aussi, comme en Allemagne, et encore en Espagne et au Portugal il y a, dans le fascisme, autre chose à l’œuvre que le désir de commettre d’innommables méfaits. La commission de méfaits est peut-être à certains égards inévitable à partir du moment où les Fascistes se lancent dans leur conquête du pouvoir, mais cela n’implique aucunement qu’une telle perpétration résume à elle seule les raisons pour lesquelles les Fascistes le veulent, ce pouvoir, et éventuellement s’en emparent.
Écoutons un Fasciste avoué nous l’expliquer – nous l’expliquer quinze ans après la fin de la Deuxième Guerre en Europe :
Les démocraties
ne mettent pas d’autre limite
à la liberté
que l’interdiction de nuire à autrui. […]
Mais elles n’ont jamais consenti
à reconnaître que,
sans nuire à autrui
individuellement,
on pouvait nuire à la nation
toute entière
par l’abus de la liberté.
Le fascisme oppose à cette conception
anarchique
de la liberté
une conception sociale
de la liberté.
Il ne permet pas
ce qui nuit à la nation.
Il permet
tout le reste.
MAURICE BARDÈCHE – 1961[29]
Merci, monsieur.
Quoi qu’en dise Bardèche, il y a pourtant des moments où la démocratie reconnaît elle aussi que l’intérêt collectif prime sur les droits individuels : les moments de crise grave.
Avant la Deuxième Guerre Mondiale, un des arguments-fétiches qu’Hitler utilise pour convaincre son réticent État-major de passer à l’action malgré ses craintes, repose justement sur l’affirmation selon laquelle jamais les démocraties – et surtout pas l’Angleterre – ne sauront faire montre d’une discipline suffisante pour être en mesure de tenir tête à ses hordes, le jour où il les lancera à travers l’Europe. Quinze ans après la défaite de Berlin, de Rome et de Tokyo, défaite qui aurait dû démontrer plus qu’amplement la vanité de cette soi-disant analyse, Bardèche continue à la reprendre comme si rien n’était jamais venu l’invalider.
C’est que le bien commun n’est pas la véritable motivation des Fascistes. Il constitue un simple prétexte. Il est sans importance à leurs yeux que leurs prétextes soient incapables de résister à l’analyse la plus sommaire. Ce qui importe, c’est que le lecteur ou l’auditeur perçoive à travers le prétexte ce dont il est véritablement question. Et qu’il ait ainsi accès à l’émotion du locuteur. « Émotion » est, dans toute cette histoire, le mot-clé. Avant même d’être un projet politique, le fascisme consiste en une émotion. Et, même, en un culte de l’émotion.
Ce que le fascisme propose, c’est de faire vivre les citoyens en état de grave crise permanente. C’est-à-dire en état de guerre permanente. Le fascisme, c’est la liberté de faire tout ce qu’on a le droit de faire, une fois que l’on a été dépouillé du droit de se prononcer sur qui est souhaitable ou non, et le devoir d’œuvrer pour le bien de la nation, sans avoir le droit de se prononcer sur ce qui est ou non bon pour la nation. C’est la nation qui décide. D’elle-même. C’est-à-dire que les élites règnent sans partage.
Étant l’émanation
de ce qu’il y a
de meilleur
et de plus vigoureux
dans la nation,
cette minorité [l’Élite]
se substitue
au peuple lui-même,
c’est-à-dire qu’elle a
le pouvoir
d’approuver à sa place
et de réaliser en son nom.
MAURICE BARDÈCHE – 1961[30]
Le but de ce règne est justement de s’assurer que l’état de tension ne cessera jamais. L’accoutumance aidant, la tension doit même s’accroître sans cesse. Ce qui implique que ce « tout le reste » qu’évoque Bardèche et que permettrait dans la marge le culte de la nation ne peut aller que se rétrécissant. Pour le bien de la nation. Et sans que la crainte de nuire à autrui ne constitue jamais un frein pour les protecteurs de la nation, puisque autrui, l’individu, est une réalité dont la promotion est contradictoire avec le Tout, la Nation.
Être un Fasciste, ce n’est donc pas nécessairement rêver à des affrontements. Mais c’est vivre comme s’ils étaient nécessairement inévitables. Ce qui signifie, le monde étant ce qu’il est, de finir par avoir à les provoquer s’ils ne se décident pas à advenir d’eux-mêmes. Pourquoi ? Parce qu’on ne peut pas vivre éternellement sous la pression d’une menace qui ne finit jamais par se matérialiser. À un moment ou à un autre, il faut bien que le danger devienne réel, concret. Ou que le régime change. Mais comme c’est le régime qui identifie seul les menaces, les probabilités penchent nettement en faveur de leur mise ne branle effective.
Ainsi, le but du fascisme n’est peut-être pas explicitement de commettre des horreurs mais, en plaçant au-dessus de tout le culte de la tension permanente et donc du danger, et en ne mettant aux attentes de la nation aucune autre limite – s’il en est une – que celle de la force disponible, il rend de telles horreurs probables et risque fort de même finir par les provoquer, ne serait-ce que pour se maintenir. Ou s’accroître.
De toute manière, seuls ont le droit de se prononcer ceux qui savent ce qui vraiment bon pour la nation. Si, pour maintenir la tension nécessaire à la grandeur nationale, il faut un ennemi, la définition même du fascisme empêche le citoyen qui n’appartient pas aux élites de s’opposer à sa désignation. Le même raisonnement s’applique lorsque le culte de la grandeur nationale exige le mensonge systématique. Ou lorsque l’équilibre intérieur de la nation impose aux dirigeants le devoir d’alléger le fardeau que représente le maintien en vie de bouches inutiles telles celles des infirmes et des impotents.
Même dans un monde angélique, le projet fasciste ne consisterait peut-être toujours pas explicitement à souhaiter qu’adviennent des catastrophes. Mais il n’en cesserait pas pour autant d’être dans l’obligation de rendre de telles catastrophes nécessaires pour son propre maintien.
Selon Hitler…
… sans l’institution d’une certaine forme moderne
de la servitude,
et même de l’esclavage,
le développement de la culture humaine
n’était pas possible.
HERMAN RAUSCHNING – 1939[31]
*
D’un autre côté, si on ne peut pas résumer le fascisme par une volonté de commettre des horreurs, on ne peut pas non plus le définir uniquement par sa lutte contre le communisme même si, par d’importants aspects de son histoire, le fascisme constitue une symétrique du bolchevisme[32] ou, en tout cas, est intimement lié, en tant que vis-à-vis, à son développement et à sa volonté hégémonique.
Disons, pour faire vite, que le projet fasciste consiste, dans une société, à tenter de réunir, par le moyen de la révolution, le plus grand pouvoir possible entre les mains du plus petit nombre possible d’individus, sans autre justification que la force, sans autre but ni projet que de posséder les moyens de la force la plus grande possible, et sans même avoir besoin de savoir à quoi ce pouvoir va servir, tout en prétendant mettre ce pouvoir au service d’une cause suprême qui n’est en fait qu’un prétexte. C’est le culte révolutionnaire du pur pouvoir indifférent.
Le fascisme traditionnel
se reconnaît dans les défilés
de ces jeunes héros
bien durs,
bien intransigeants,
et qui peuvent fournir
selon l’aveugle destinée
à la fois
des martyrs ou des assommeurs,
des brutes ou des saints.
Le combat contre le pouvoir,
le combat pour empêcher
les nations de mourir,
ne peut se passer de ces phalanges,
je le sais.
Toujours l’habit de lumière.
MAURICE BARDÈCHE – 1961[33]
Il est […] faux de voir
dans le führer–prinzip
une morale politique nouvelle
qui change les rapports traditionnels
des hommes entre eux.
Le serment de servir
avec loyauté
et désintéressement
ne contient rien
qui n’ait existé déjà
dans nos anciennes monarchies.
MAURICE BARDÈCHE – 1961[34]
Le fascisme
n’a nul besoin
qu’on répète
que le pouvoir
ne changera plus de main,
puisque c’est là
le trait fondamental
et, pour ainsi dire,
la définition
de tout régime autoritaire.
MAURICE BARDÈCHE – 1961[35]
Le fascisme, c’est la monarchie absolue, comme au temps de l’Ancien Régime, une monarchie tirant sa légitimité d’un dieu, mais une monarchie qui n’accorde pas l’autorité à un roi, elle l’accorde à une structure, à une construction purement théorique reposant sur la force brute – ce qui fait que le risque de déséquilibre est radical et constant – et que le dieu de qui l’on prétend tirer sa légitimité morale, on n’y croit pas soi-même : il n’est qu’un levier, une menace, une poignée que le régime s’accorde sur l’âme et le cœur des citoyens.
Chaque patrie a donc
une mission
historique ou morale
à accomplir.
L’État a pour tâche
de réaliser ce destin national.
C’est là sa justification
et il n’en a pas d’autre[36].
Tout État a
quelque chose à faire,
tout État a
quelque chose en quoi il croit :
et il n’a le droit d’exiger du peuple
des sacrifices
et même simplement l’obéissance[37]
qu’au nom de ce principe,
pareil[38] à une foi,
qu’il incarne
et au nom de la mission
qu’il s’est donnée[39].
MAURICE BARDÈCHE – 1961[40]
En régime fasciste, ce n’est pas le dieu dont les autorités se réclament ouvertement pour conduire leur révolution qui importe vraiment, mais celui qu’on ne nomme jamais en public alors que pourtant on ne prie que lui à chaque instant : celui du pur pouvoir mécanique, qui écrase tout sur son chemin. Y compris soi, un jour ou l’autre. Être un Fasciste, c’est prier son dieu, le dieu de la mécanique, de la pure mécanique indifférente, qui n’a aucune autre vertu que l’efficacité sans but ni raison – et chercher à en imposer le culte à tous. Un dieu dont on sait qu’il nous réduira nécessairement en cendre, c’est inévitable. C’est d’ailleurs pour ça qu’on le prie : parce qu’on sera calciné par lui. On ne le prie pas pour se mériter ses faveurs et retarder l’embrasement, bien au contraire : on sait parfaitement que rien ne peut le mener à temporiser ni à dévier de sa course. C’est pour ça, précisément, qu’on l’adore. On le prie pour lui rendre grâce, pour avoir connu la jouissance d’être un tout petit peu lui, ou dans l’espoir d’avoir accès à cette communion, parce qu’on croit que la consumation dans la plus parfaite indifférence, c’est le top du top en matière de pur pouvoir, et qu’il n’y a que ça, le pur pouvoir, qui nous fasse triper.
Le fascisme, c’est le projet d’offrir en Holocauste permanent toute forme de vie, et surtout toute forme de culture humaine et d’espoir, en hommage à la sublime indifférence que l’on croit se trouver au cœur de toute chose.
L’homme
que rêve le fascisme
est jeune
et il est d’abord
soldat. […]
Nous voulons
que l’homme soit un homme
et qu’il ait les qualités de l’homme,
les qualités nobles,
les qualités animales de l’homme.[41]
MAURICE BARDÈCHE – 1961[42]
Animales…
[L’]examen des positions doctrinaires
du néo-fascisme
nous fournit donc
les quatre critères extérieurs,
zoologiques[43],
[…] auxquels on peut reconnaître
un mouvement ou un régime d’esprit fasciste :
nationalisme,
socialisme,
anticommunisme,
régime autoritaire.
MAURICE BARDÈCHE – 1961[44]
Zoologiques…
Décrit plus prosaïquement, le fascisme c’est la monarchie absolue sans la personne du roi, et la théocratie de la révolution permanente sans la foi mais avec tous les mythes de grandeur, d’élévation et de certitude d’être seuls dépositaires du Saint Graal et des clés de l’avenir – un avenir que l’on se garde comme de la peste de tenter de décrire, puisque c’est le néant en personne du côté des projets… en attendant les champs de ruines du côté des réalisations. De toute manière, ce n’est pas la réalité qui importe, mais l’émotion.
[Vassili Grossman, Vie et Destin, pp 454,455]
Dans la vie quotidienne, c’est le culte du pur pouvoir sans contrainte pour les élites; et, pour tous les autres, l’incapacité d’agir et même de penser le monde autrement que par le truchement des ordres et du chantage qu’exercent les élites. Que les élites soient en uniforme, ou non. Et que le peuple porte des pyjamas gris à grosses rayures noires verticales, ou non.
Cela ne signifie donc pas que, pour être un Fasciste, il faille absolument porter un uniforme noir à boutons argentés pour aller au bureau, et sacrer des coups de pied à tous les chiens qu’on rencontre en route. On peut se montrer très poli et très bien élevé avec la dame du dépanneur et souhaiter quand même l’avènement d’un régime fasciste. Ou son maintien.
Conséquents avec nous-mêmes,
nous accorderons
à la grande masse
de la classe inférieure
le bienfait
de l’analphabétisme.
ADOLF HITLER[45]
*
Nationalisme + socialisme = fascisme
GEORGES VALOIS – 1927[46]
Il est extrêmement exagéré de prétendre que tout ce que les régimes fascistes ont fait a été monstrueux.
Ce n’est pas tout ce qu’ils ont fait, qui l’était, c’était leur but, leur raison d’être. Et, par-dessus le marché, l’essentiel des effets que la poursuite de ce but suscitait en chemin. Et les leviers essentiels et incontournables qui sont au cœur de ce projet, et qui portent les noms de cynisme et de nihilisme militant.
Il n’en reste pas moins que le régime nazi donne naissance à la VolksWagen – la « Voiture du Peuple » -, c’est-à-dire à la voiture accessible à tous[47]. Il réduit considérablement le chômage. L’exercice physique, et donc la préoccupation pour la santé et une vie saine, tiennent une place importante dans l’État hitlérien. [Lutte contre le cancer – tabagisme – cf Proctor][« Ils vénéraient le corps comme si c’était un temple », etc – Spender, Le Temple, p 169] Il encourage la création de cités-jardins pour les ouvriers. Il existe dans les archives une importante iconographie montrant de jeunes militants allant porter des paniers de vivres chez les démunis – dans le cadre, entre autres, du Winterhilfswerk, le Secours d’Hiver organisé par le Parti, Parti qui met aussi sur pied des réseaux de garderies à travers le Reich et récupère au sein de la société politique ces bandes de jeunes, espèces de Punks romantiques[48] qui errent à travers l’Allemagne. L’enseignement des techniques et celui des sciences connaissent une croissance remarquable, tout comme d’ailleurs la recherche tous azimuts. Durant les Procès de Nuremberg, on a pu démontrer que l’un des buts visés par Hitler lorsqu’il a lancé la guerre vers l’Est était de faire main-basse sur les riches terres agricoles qui s’y trouvent, afin de s’assurer que plus jamais le peuple allemand ne souffrirait de la faim comme il avait eu à en pâtir durant la Première Guerre Mondiale[49]. Sous Mussolini, les trains italiens arrivent enfin à l’heure, les insalubres marais Pontins sont asséchés, on construits des hôpitaux, des écoles, des aqueducs, des routes – à telle enseigne qu’on le lui reproche : « Asfaltar no es gubernar », « Gouverner, ce n’est pas étendre du bitume »[50] – et de nombreux enfants des villes peuvent profiter des camps de vacances mis sur pied par l’État. Le Général Pinochet, au Chili, donne le coup d’arrêt à une période d’instabilité politique et sociale[51] – il peut donc se réclamer, au nom d’un combat pour le mieux-être du plus grand nombre, des répressions auxquelles il s’est livré, puisque l’instabilité politique et morale qu’il a combattue avait un effet négatif sur le niveau de vie de ses concitoyens. Radovan Karadzic est un poète et un psychiatre, il a étudié à l’Université Columbia.
Où sont les monstres, là-dedans ?
Eh bien la réponse est toute simple : ce n’est pas là-dedans qu’ils sont.
Le fascisme, ce n’est pas seulement – beaucoup s’en faut – la police secrète, les arrestations en pleine nuit et l’armée dans les rues en permanence. Ce sont aussi des réalisations dont certaines peuvent très bien être considérées comme étant « de gauche ». Nous avons vu plus haut que Maurice Bardèche compte le socialisme au nombre des caractères zoologiques obligatoires du fascisme. En Allemagne nazie, il existe une centrale syndicale, très puissante et très riche – à son apogée elle vaut dix milliards de marks. Elle organise en 1938 les vacances – en Italie, par exemple -, de dix millions d’Allemands, et lance en 1939 une vaste campagne antialcoolique. Son grand patron – trente millions de membres -, est Robert Ley[52], l’un des vingt-et-un accusés du grand procès de Nuremberg; c’est dire s’il est puissant. À tout bout de champ, lorsque Hitler dévoile de nouvelles armes mises en production, Ley est photographié à ses côtés; il symbolise, à lui seul, la force de production de l’ensemble des travailleurs allemands.
D’ailleurs, le mot « nazi » est l’abréviation de l’expression allemande « nazionalsozialismus », c’est-à-dire « socialisme national », ce qui constitue déjà une abréviation de « Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei », ce qui signifie « Parti Ouvrier Allemand National Socialiste », ou « Parti Socialiste National des Travailleurs Allemands ». Vous ne me direz quand même pas que ça ne sonne pas « à gauche », ça ? Après son coup d’État raté à Munich, en 1923, au moment d’être envoyé à la prison de Landsberg – où il en profitera pour écrire Mein Kampf – Mon Combat –, Hitler voit aussi son journal de parti, le Völkische Beobachter être interdit. Qu’à cela ne tienne. Le Völkische était un magazine ? Eh bien on va fonder un quotidien du soir pour le remplacer. Otto Strasser, nazi de la première heure, en sera rédacteur en chef, tandis que son frère Gregor occupera le poste de directeur de publication. Son nom ? Berliner Arbeiterzeitung – Le Journal des Travailleurs Berlinois.[53] Un peu plus tôt, au moment de créer l’étendard nazi qui va avant longtemps déferler sur l’Europe, on choisit le drapeau rouge frappé d’un cercle blanc au milieu duquel roule le svastika. Pourquoi rouge ? Il « indique l’orientation sociale de notre parti. »[54] Rouge = socialiste. [L’Union soviétique livre aux nazis des leaders communistes allemands réfugiés sur son territoire : Livre noir du communisme, pp 278, 295ss, 423ss, 435, 436, 441, 448, 477] [En 1939, faisant référence au pacte Molotov-Ribbentrop, dans l’un de ses reportages quotidiens sur CBS, William Schirer fait référence au « régimes-cousins » ou à quelque chose d’approchant – trouver cit. exacte. — This is Berlin.]
Mussolini est, avant la Première Guerre Mondiale, rédacteur en chef du journal du Parti Socialiste Italien, l’Avanti. La première revue qu’il fonde s’appelle La Lutte des classes. Il traduit Kropotkine[55] en italien et fait paraître, en 1911, un ouvrage intitulé « Le Trentin vu par un Socialiste » – le Socialiste en question, c’est lui, Mussolini. Dès la fondation formelle de son Parti fasciste, en 1921, il le double d’une organisation syndicale, l’ « Union ouvrière du travail ». [En 1933, l’Italie fasciste et l’Union soviétique signent un traité de commerce puis un pacte d’amitié et de non-agression[56] — en 1943, suite au débarquement allié, Mussolini est déposé, emprisonné puis libéré par un commando SS – il établit aussitôt un nouveau gouvernement. Son nom ? « République socialiste Italienne » ]
En Belgique, les Rexistes de Léon Degrelle – fortement influencé par la pensée du Français Charles Maurras – se donnent un étendard rouge… frappé d’une croix : justice sociale, foi et tradition. En Angleterre, le chef des Chemises noires, Sir Oswald Mosley, est membre du Parti travailliste – le parti socialiste anglais — avant de fonder, en 1932, son propre parti, la « B.U.F. » : « British Union of Fascists ». En France, deux des principales figures les plus littéralement fascistes sont Marcel Déat, d’abord élu député socialiste en 1932[57], et Jacques Doriot, ancien secrétaire général de la Jeunesse communiste, puis député et maire communiste de Saint-Denis, la « banlieue rouge » de Paris[58]. Bien plus près de nous dans le temps, en Yougoslavie, le parti dirigé par le très sympathique Slobodan Milosevic est d’abord nationaliste, mais s’appelle « socialiste » [VÉRIFIER : NOM EXACT]. Au Canada, Adrien Arcand, à qui les Nazis promettront un poste de Gauleiter après leur victoire[59] et qui formera, après la guerre, l’homme appelé à devenir le Révisionniste en Chef national, Ernst Zundel[60], est lui-même fils d’organisateur syndical[61] et tente de fonder, alors qu’il est journaliste à La Presse, « Le Syndicat Catholique des Journalistes de Montréal ».[62]
Socialisme et nationalisme ne font pas bon ménage. Pas avec la démocratie et les Droits de l’Homme, en tout cas.
[Voir aussi rapports nazis / URSS : Vassili Grossman]
Ce que je souhaitais préciser avant d’entrer dans le corps de mon exposé, c’était donc ceci : l’armée omniprésente, la police secrète politique, la censure tous azimuts, la violence planifiée, les grands étendards et les écolières de la nation qui vont en chantant porter des bouquets de fleurs au Chef le jour de son anniversaire et se faire tapocher les joues ou le dessus de la tête, ce sont des moyens auxquels le fascisme a recours. La terreur aussi, c’est un moyen. Le culte de la personnalité, c’est un moyen. Un moyen, pas une fin. La fin, elle, c’est le pouvoir absolu, indiscutable et indiscuté qui règne jusqu’au fond de l’âme et de l’esprit des citoyens. On peut changer de moyens et quand même rester un Fasciste.
En bref,
[dans le nazisme]
il s’agit bien d’une révolution,
mais d’une révolution qui ne fonde
historiquement
sa légitimité
qu’en elle-même et par elle-même,
dans la seule affirmation de sa propre volonté
et de son propre élan.
Révolution politique et sociale sans doute.
Mais plus encore incendie sans cesse rallumé,
transe toujours renouvelée,
en même temps que totale remise en question
de tous les systèmes de valeurs autour desquels
s’est construite la civilisation de l’Occident.
D’ailleurs, la terreur et le culte de la personnalité ne constituent pas les seuls moyens utilisés, même par les partis fascistes classiques. Il en existe d’autres. Ceux qui, justement, relèvent de ce que les technocrates appellent l’ « ingénierie sociale », par exemple.
Le fait d’avoir mis en application des mesures sociales d’allure progressiste ne constitue donc aucunement, en-soi, une preuve suffisante pour démontrer qu’un régime ne serait pas fasciste si des indices donnent par ailleurs à penser qu’il pourrait l’être, puisque de telles mesures d’allure progressiste ont justement été mises en place sur de très vastes échelles par certains des régimes fascistes « classiques ».
Le recours au discours et aux mesures socialistes ou socialisantes par les régimes fascistes serait même un des leurs traits classiques : pour Bardèche, bien sûr, mais aussi pour l’historien anglais Roger Griffin, qui affirme que cette caractéristique constitue de plein droit l’un des dix traits constitutifs du fascisme. Selon Griffin, tenir un discours soi-disant égalitariste et socialiste, ce n’est donc pas parfois un trait du fascisme, ce l’est toujours. Il décrit ainsi la cinquième de ces caractéristiques du fascisme :
5- « Socialisme » fasciste.
C’est le mythe mobilisateur essentiel
de la renaissance nationale imminente
– ou, si le régime est déjà établi :
de la renaissance amorcée –
qui se trouve au cœur de la définition du fascisme,
ce qui implique que les différentes négations fascistes
– anti-communisme, anti-libéralisme, etc. –
constituent des corollaires à cette croyance positive-ci,
par opposition à en constituer des éléments de définition.
Ce même mythe explique
l’affirmation récurrente des idéologues fascistes
selon laquelle leur vision du nouvel ordre
est loin d’être anti-socialiste[65].
Le fascisme rejette axiomatiquement
l’internationalisme et le matérialisme du marxisme,
mais peut très bien représenter une régénérescence
de la communauté nationale
en transcendant les luttes de classes,
en détruisant la hiérarchie traditionnelle,
et extirpant le parasitisme,
en récompensant les membres productifs
de la nation renouvelée,
et en harnachant les énergies
du capitalisme et de la technologie
à l’intérieur du nouvel ordre,
au sein duquel ces énergies cesseront
d’être des forces d’exploitation et d’esclavagisme.
ROGER GRIFFIN – 1995[66]
Hitler prétendait carrément que ce serait lui qui mènerait à bien le projet de Marx :
Je ne suis pas seulement
le vainqueur
du marxisme.
Si l’on dépouille cette doctrine
de son dogmatisme
judéo-talmudique,
pour n’en garder que le but final,
ce qu’elle contient de vues correctes et justes,
on peut dire aussi que j’en suis le réalisateur.
ADOLF HITLER[67]
Ah bon ? Mais pourquoi ? Par compassion ?
Pas du tout.
Le national-socialisme est
ce que le marxisme aurait pu être
s’il s’était libéré des entraves
stupides et artificielles
d’un soi-disant ordre démocratique.
ADOLF HITLER[68]
Tout simplement parce que cette réalisation constitue une condition préalable qui parait essentielle au Führer pour asseoir le pouvoir de la nouvelle élite féodale qu’en imagination il voit déjà mener les destinées des peuples. Cette élite, soit dit en passant, elle ne va pas être seulement allemande, pas même seulement européenne :
On voit tout de suite
quels dons
supérieurs
un être doit posséder
pour qu’on puisse le considérer comme
« naturellement libre ».
Le premier de ces dons est
la force organisatrice.
Seule une race capable
de former des États
est digne de liberté.
HOUSTON STEWART CHAMBERLAIN[69] – 1899[70]
L’idéal de la culture ouverte à tous
est depuis longtemps périmé.
La connaissance et la science
[doivent] retrouver leur caractère
de culture secrète,
réservée aux privilégiés.
À ce prix seulement
la science [pourra] reprendre
son rôle normal,
qui est de fournir aux maîtres
les moyens de dominer
aussi bien la nature humaine
que la nature extra-humaine.
On revient ainsi
à la nécessité
de reconstituer une noblesse européenne du sang,
que le national-socialisme oppose
à la ploutocratie[71]
du libéralisme international.
ADOLF HITLER[72]
Un jour viendra
où nous pourrons faire alliance
avec les nouveaux maîtres
de l’Angleterre,
de la France
et de l’Amérique.
Mais ils devront tout d’abord
s’intégrer dans notre système,
pour collaborer volontairement avec nous
à la transformation du monde.
À ce moment,
il ne restera pas grand-chose,
même chez nous, en Allemagne,
de ce qu’on appelle encore
le nationalisme.
Ce qu’il y aura,
c’est une entente entre
les hommes forts,
parlant des langues différentes,
mais tous issus de la même souche,
celle des Maîtres.
ADOLF HITLER[73]
La mondialisation du pouvoir des élites n’est pas un projet nouveau, qui serait apparu par génération spontanée dans les années 1970 ou 1980. Ni une conséquence du développement de la télévision ou des voyages sur la lune. C’était déjà très précisément le but ultime visé par Hitler – et ce but se trouvait déjà en germe dans les théories racistes de H.S. Chamberlain, l’un des plus illustres précurseurs du Führer. C’est nommément, pour Hitler, cette mondialisation de l’autorité des élites qui constitue le véritable enjeu de la révolution nazie. Le nationalisme, comme le socialisme de certains des moyens mis en oeuvre pour parvenir à l’accomplissement de cette révolution, sont donc, encore une fois, de l’ordre des moyens. Le socialisme national, ou nationalisme socialiste, ou national-socialisme, considère le nationalisme comme une étape transitoire de la véritable grande révolution à venir. Le nationalisme n’est pas un but, il est un moyen.
Si la révolution socialiste
n’était pas autre chose
que l’implantation
d’un nouvel ordre économique,
nous ne serions pas effrayés.
Mais la vérité est
que la révolution socialiste
est quelque chose de beaucoup plus
profond.
C’est le triomphe
du sens matérialiste
de la vie
et de l’histoire.
C’est la substitution violente
de l’irréligiosité à la religion,
le remplacement de la Patrie
par la classe fermée et haineuse,
le groupement des hommes de toutes les classes
au sein d’un Patrie commune à tous,[74]
c’est la substitution
à la liberté individuelle
de la sujétion à un État de fer.[75]
JOSÉ ANTONIO PRIMO DE RIVERA
Fondateur des Phalanges fascistes espagnoles[76]
Le socialisme fasciste a pour raison d’être d’arracher aux Socialistes et aux Communistes le monopole de la préoccupation à l’égard du bien commun – afin de pouvoir lui aussi s’en réclamer… au profit de l’inégalité. [cf Churchill, The Gathering Storm, p 13 : « Fascism was the shadow or ugly child of Communism »]
Ce qui est déterminant de la valeur du socialisme fasciste, ce n’est donc pas la mise en place de mesures « de gauche », mais les raisons pour lesquelles on a recours à elles. Pour le Fasciste, ce recours ne se justifie pas du fait d’une volonté de plus grande justice, ni d’un sentiment d’humanité ou de fraternité, mais par une nécessité technique : plus le peuple sera fort, et plus ses élites auront des chances de l’être aussi, puisque les élites tirent leurs privilèges[77] du peuple. Aux yeux des élites fascistes, s’il faut un grand peuple, un peuple sain, un peuple puissant, c’est pour susciter et soutenir de grandes élites, saines et puissantes au carré. Et s’il faut de grandes élites, puissantes au carré au sein de leur peuple, c’est pour que soit mis au monde un grand chef, puissant au cube. Plus on monte dans la hiérarchie, et moins la santé et la grandeur importent dans les faits. Elles sont essentielles à la base mais, au sommet, leur apparence suffit.
Lors de la chute de Berlin, certains des Maîtres du Reich – et tout particulièrement le Führer et son ex-dauphin, Goering -, qui avaient passé la moitié au moins de leur vie à chanter les louanges de la vie au grand air et du blondinet costaud qui pète de santé, étaient tellement stoned qu’ils en avaient de la difficulté à tenir sur leurs pieds. [DESCRIPTION DE GOERING DANS CONOT – et celle de Hitler dans Bullock]
Rappelons-le, pour le Fasciste, l’État n’a pas pour but le bien-être et le développement des citoyens :
L’État a pour tâche
de réaliser [un] destin national.
C’est là sa justification
et il n’en a pas d’autre
MAURICE BARDÈCHE – 1961[78]
Ce destin, ce ne sont pas les citoyens qui le définissent, mais uniquement les élites :
Cette minorité
se substitue
au peuple lui-même,
c’est-à-dire qu’elle a
le pouvoir
d’approuver à sa place
et de réaliser en son nom.
MAURICE BARDÈCHE – 1961[79]
Or :
Le fascisme […]
ne permet pas
ce qui nuit à la nation.
MAURICE BARDÈCHE – 1961[80]
Ce sont donc les élites seules, et encore plus spécifiquement ceux qui parviennent à prendre le contrôle idéologique des élites, qui décident de ce qui est bien pour la nation et personne n’a le droit de s’opposer à ce bien, lequel, aussitôt formulé, prend fonction de totem.
« Qu’est-ce que ça change ?, demandera-t-on, si le peuple est heureux et qu’il a tout ce qu’il lui faut, on s’en fout, non, des raisons pour lesquelles il l’a obtenu ? »
Eh bien non, on ne s’en fout pas. Parce qu’éventuellement, les raisons pour lesquelles lui est accordé ce qui permet son bonheur peuvent très bien faire que la réalité se transforme du tout au tout.
Pourquoi ? Parce que si des mesures « de gauche » profitent au peuple, mais qu’elles lui profitent uniquement dans le but qu’il puisse accomplir une tâche déterminée exclusivement par les élites dans le sens de leurs propres visées, cela implique que le critère d’évaluation pour décider de maintenir, de développer ou au contraire de retirer ces mesures réside dans la capacité que possède le peuple d’accomplir cette tâche, ou la manière dont il l’accomplit, et non dans son bonheur ni dans son bien-être. Si, pour une raison ou pour une autre, les élites découvrent que le peuple s’acquitterait mieux de la tâche qu’elles lui ont assignée en l’absence de telles mesures « de gauche », ces mesures seront retirées et remplacées par celles que les élites jugeront appropriées. Ce qui implique aussi, bien entendu, que le peuple n’aura pas plus son mot à dire dans cette situation-ci que dans la précédente.
Considérer que les vaches donneront davantage de lait, et de meilleure qualité, si elles se sentent heureuses, ce n’est pas du tout la même chose que de se préoccuper du bonheur en-soi des vaches. La vache peut très bien profiter à fond de son bonheur et considérer qu’elle a le plus extraordinaire des éleveurs – « Fichtre alors, qu’est-ce que j’ai été chanceuse de venir au monde sur une ferme aussi chouette… » -, elle risque d’avoir les yeux passablement ronds le jour où ledit éleveur tombe sur un article de revue spécialisée qui lui apprend que le rendement et la qualité sont encore bien supérieurs si, à la place du bonheur, la vache est chaque jour soumise à sept séances d’électrocution à 550 volts.
Lorsque j’aurai réussi,
j’aurai le droit d’envoyer
la jeunesse à la mort.
ADOLF HITLER[81]
Même le racisme antisémite est un moyen[82] : pour parvenir à fouetter sans fin l’ardeur de son peuple, Hitler a besoin d’un ennemi qu’il prétend être omniprésent et indestructible. Il faut en désigner un. Les Juifs lui conviennent parfaitement. Ce seront donc eux qui représenteront l’Ennemi, l’Ennemi idéal, l’Ennemi synthétique, l’Ennemi éternel, l’Ennemi qui les contient tous, réels ou imaginaires.
L’antisémitisme était d’abord,
à ses yeux,
un excellent argument révolutionnaire.
Il en avait usé fréquemment
avec succès
et ne manquerait pas de s’en servir
autant qu’il le pourrait.
HERMANN RAUSCHNING – 1939[83]
Mes juifs
sont les meilleurs otages
dont je dispose.
La propagande antisémitique est,
dans tous les pays,
une arme indispensable
pour porter partout
notre offensive politique. […]
D’ailleurs,
les juifs
sont nos meilleurs auxiliaires.
Malgré leur position exposée,
ils se mêlent partout,
quand ils sont pauvres,
aux rangs des ennemis de l’ordre
et des agitateurs,
et ils apparaissent en même temps
comme les détenteurs
patents et jalousés
de capitaux formidables.
Il est donc facile de justifier
la lutte contre les juifs
dans tous les pays,
au moyen d’exemples populaires
que tout le monde comprendra.
ADOLF HITLER[84]
Pour parvenir à leurs fins, les Nazis trouveront – presque – autant d’alliés qu’il leur en faudra. Même les plus inattendus. Ainsi, alors qu’Hitler a dès avant la guerre déclaré ouvertement son intention d’en finir, à terme, avec toutes les grandes religions organisées[85], le futur Muphti de Jérusalem, Haj Amin al-Husseini, de 1941 à fin de la guerre, fait la navette entre Rome et Berlin, rencontre Hitler et Himmler, devient l’un des meilleurs amis d’Eichamn – il visite même Auschwitz en sa compagnie -, se fait recruteur de S.S. auprès des Musulmans de Bosnie – faisant assassiner ceux qui refusent l’invitation – et ardent promoteur de la Solution finale.[86] Que la cause qu’al-Husseini appuie ainsi compte parmi ses objectifs explicites celui de mettre un terme définitif aux cultes comme celui qu’il représente ne semble pas l’avoir troublé. Pas assez, en tout cas, pour l’empêcher de mettre très activement la main à la pâte.
En général,
l’art de tous les vrais chefs
consiste surtout à concentrer
l’attention du peuple
sur un seul adversaire,
à ne pas la laisser se disperser. […]
L’art de suggérer au peuple
que les ennemis les plus différents
appartiennent à la même catégorie
est d’un grand chef.
ADOLF HITLER – 1924[87]
Ce n’est ni l’air que l’on imagine qu’ont les Fascistes, qui est déterminant, ni l’air qu’ils n’ont pas, c’est ce qu’ils font « en profondeur » et, davantage encore, ce qu’ils souhaitent voir advenir et pour la réalisation de quoi ils œuvrent.
Ce que les Fascistes souhaitent, peu importe le nom dont ils l’affublent, c’est le contraire de la démocratie. Pourquoi ? Parce que le projet démocratique leur semble inefficace ? Non. Ce n’est pas le réalisme ni l’irréalisme du projet démocratique, pas même son but, qui horripile les Fascistes, mais sa nature. Ce n’est pas ce qu’elle vise à réaliser, mais le principe sur lequel elle repose.
*
Justement, le second mot sur lequel je souhaitais attirer votre attention, c’est : « Démocrate ». Le raisonnement et les observations que je viens d’exposer brièvement sur le Fasciste sont aussi vraies dans son cas – mais dans un sens diamétralement opposé.
Un Démocrate, ce n’est pas un ange – ni un surhomme -, c’est un être humain. En l’occurrence, c’est un être humain qui croit que les êtres humains naissent égaux en dignité et en droits. Tous. C’est sa seule certitude – ou son seul espoir. Il peut très bien ne même pas avoir les idées très claires en ce qui a trait aux conséquences que cette affirmation recèle. Qu’à cela ne tienne, c’est cette phrase-là qui se trouve au cœur de son rapport au monde : « Tous les Hommes naissent égaux en dignité et en droits ».
« Tous les Hommes naissent égaux en dignité et en droits », c’est aussi très précisément la pensée, ou l’éventualité, dans le monde, qui, entre toutes, rend le Fasciste fou de rage. Ou de désespoir. C’est à extirper cette phrase-là de l’histoire et de la conscience humaines que son entreprise se résume. Ses certitudes le poussent à croire que cette phrase est une abomination, l’équivalent, au plan des idées, de la Peste noire, du Choléra, du Cancer et du Sida, tout en un.
Pour le Fasciste, il n’existe pas une chose telle que des droits – si ce n’est pour des raisons techniques de propagande et de contrôle des masses. À ses yeux, tout ce qui existe ce sont des devoirs : les devoirs qu’impose le culte du Dieu de la radicale indifférence mécanique.
Pour le Démocrate, l’égalité entre eux de tous les Hommes, en dignité et en droit, constitue la seule certitude – ou le seul espoir. Tout le reste n’est que doutes.
La démocratie n’est pas
le meilleur des régimes.
Elle en est le moins mauvais.
Nous avons goûté un peu tous les régimes
et nous savons maintenant cela.
Mais ce régime ne peut être
conçu,
créé
et soutenu
que par des hommes
qui savent qu’ils ne savent pas tout,
qui refusent d’accepter la condition prolétarienne
et qui ne s’accommoderont jamais
de la misère des autres,
mais qui justement refusent
d’aggraver cette misère
au nom d’une théorie
ou d’un messianisme aveugle.
ALBERT CAMUS – 1948[88]
Article 1 :
Le but de la société
est le bonheur commun.
Le gouvernement
est institué
pour garantir à l’homme
la jouissance
de ses droits
naturels
et imprescriptibles.
Article 2 :
Ces droits sont
l’égalité,
la liberté,
la sûreté,
la propriété.
Article 3 :
Tous les hommes
sont égaux
par la nature
et devant la loi.
Article 4 :
La loi est
l’expression
libre et solennelle
de la volonté générale.
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen – 1793
Préambule
1. La France est constituée
en République. […]
2. Le République française est
démocratique,
une
et indivisible. […]
3. Elle reconnaît
des droits et des devoirs
antérieurs et supérieurs
aux lois positives.
4. Elle a pour principe
la Liberté,
l’Égalité
et la Fraternité. […]
5. Elle respecte
les nationalités étrangères […],
n’entreprend aucune guerre
dans des vues de conquête […],
n’emploie jamais ses forces
contre la liberté
d’aucun peuple.
Constitution de la Deuxième République Française – 1848[89]
Article 1 :
Tous les être humains
naissent
libres et égaux
en dignité et en droit.
Ils sont doués
de raison
et de conscience
et doivent agir
les uns envers les autres
dans un esprit de fraternité.
Déclaration universelle des droits de l’Homme – 1948
Un Démocrate, c’est le contraire d’un Fasciste.
Et inversement.
Ils peuvent très bien, tous les deux, être habillés de la même manière, avoir le même accent, manger dans les mêmes restaurants, acheter les couches pour leur bébé au même endroit.
Mais quand ils regardent un autre humain, ils ne voient pas la même chose.
Le Fasciste ne voit, selon le cas, qu’un adversaire ou qu’un compagnon d’armes dans le grand combat qu’il livre au nom du nihilisme militant et flamboyant.
Le Démocrate, lui, voit un frère ou une sœur. Ou, en tout cas, il essaie.
Devant une tornade, le Fasciste s’émeut de sa puissance aveugle, et le Démocrate de la souffrance qu’elle occasionne. Le Démocrate ressent ce que ressentent les victimes de la tornade. [Voltaire : Tremblement de terre de Lisbonne] Le Fasciste, lui, voudrait bien être à la place de la tornade, il donnerait cher pour sentir une telle puissance se déployer dans toutes les fibres de son être. [Citation – cheux nous – Hertel ?]
Malgré le fréquent anticléricalisme des Fascistes, il est donc tout sauf étonnant d’en trouver de nombreux se réclamant pourtant perpétuellement de leur fidélité à Dieu – un Dieu qui se définit essentiellement par sa puissance, son autoritarisme et son caractère vengeur, bien entendu.
*
Quelques fragments d’œuvres de fringants et zoologiques sauvages à la Bardèche :
Moi,
c’est contre le racisme juif
que je me révolte,
que je suis méchant,
que je bouille,
ça jusqu’au tréfonds de mon bénouze !…
Je vocifère !
Je tonitrue !
Ils hurlent bien eux aux racistes !
Ils arrêtent jamais !
aux abominables pogroms !
aux persécutions séculaires !
C’est leur alibi gigantesque !
C’est la grande tarte à leur crème !
On me retirera pas du tronc
qu’ils ont dû drôlement les chercher
les persécutions !
foutre bite !
Si j’en crois mes propres carreaux !
S’ils avaient fait moins les zouaves
sur toute l’étendue de la planète,
s’ils avaient fait moins chier
l’homme
ils auraient peut-être pas dérouillé !
LOUIS-FERDINAND CÉLINE – 1937[90]
Qui veut un univers sans violence
– ou sans douceur –
désire ardemment
le Fade Rien unipolaire
dans lequel il veut lui-même
s’enfermer.
Nos sociétés fourmillent
de bavards insignifiants,
à l’esprit étriqué,
clamant partout cette soif
d’un immense Rien
qu’ils contribuent à maintenir
en zappant tout ce qui grouille.
Le rien,
l’insignifiant tonitruant.
L’intellect truand.
Le Pitonneur.
Ce sont ces mêmes infirmes de l’esprit
qui renvoient toujours
dos à dos
les protagonistes des conflits,
piètre façon de singer Dieu
en effaçant l’effort nécessaire pour le connaître
– ce qui leur évite d’avoir à aimer ou à servir.
[…]
La violence de la sottise
simplificatrice et simpliste.
Dans nos sociétés
zappantes et clippantes,
le connaître est toujours violé.
À la limite,
les sacs de vent pitonneurs
pointeraient leur index tremblant
à l’univers entier
pour le faire sombrer
dans un immense remords
cosmique,
l’accusant de crime
de collisions d’astéroïdes.[91]
[…]
« J’aime les pacifistes,
dit Boutros-Ghali.[92]
Je les aime tellement,
regardez,
j’en ai du sang plein les mains,
plein les bras,
jusqu’aux coudes !
Et ne me regardez pas comme ça,
insolente !
S’il avait fallu qu’on autorise
tous les Bosniaques
qui se sont fait égorger par les Serbes,
et toutes ces femmes
qui se sont fait violer,
à se procurer des armes
pour se défendre,
que serait-il advenu
de la paix dans le monde ! ?
Il faut être
SOUMIS
et PACIFISTE ! »
Une nuit,
la treizième[93]
parvient à se libérer de ses chaînes.
Une détermination incoercible
est née en elle,
comme une ogive de lumière
l’illuminant de l’intérieur.
Elle sort du beau chalet.[94]
La nuit est splendide.
Elle se sent libre.
C’est comme si elle respirait
pour la première fois de sa vie.
Puis elle rentre au chalet
avec deux gros contenants,
répand partout la gazoline
dont l’odeur,
en cette belle nuit
profonde et étoilée,
l’enivre,
l’excite inexplicablement.[95]
En sortant du chalet,
elle fait craquer une allumette
et la jette sur les marches.
Le feu se répand,
lèche les murs,
s’engouffre dans le chalet.
La nuit s’illumine.
Le chalet craque de partout.
Les douze hurlent en agonisant.
Boutros-Ghali
rend un dernier soupir
en allant rejoindre
les Bosniaques
morts au nom de la diplomatie
pacifiste
morbide
qu’il servait
et du bellicisme unitaire
des Serbes.
« Jamais plus je n’essaierai de me suicider »,
murmure la treizième.
Je veux vivre,
je vais VIVRE !
Éclairée par les flammes,
elle comprend tout :
“Ils avaient construit
leur unité
sur la haine
qu’ils me portaient.
Ils ne pouvaient pas
me laisser
partir
libre
sans du même coup
voir se désintégrer
le ciment même de leur société :
la haine possessive
qu’ils me portaient.
Cette haine était
la pierre angulaire
de leur univers
depuis des générations,
la glue de leur unité.
“Feu feu, joli feu…”,
fredonne-t-elle.
Je vais me reconstruire
sur leurs cendres.”
“JOCELYN WALLER” – 1998[96]
La vie est une guerre,
chaque lutte que nous menons est une guerre,
la guerre, c’est l’état naturel de l’homme.
ADOLF HITLER[97]
D’une certaine façon,
les guerres de religion
sont le prix à payer
à l’idée que tous les hommes sont frères.
C’est parce qu’ils sont frères
qu’on veut les convertir,
pour leur bien.
En outre,
celui qui refuse l’amour de Dieu
met en danger la cité,
car il risque d’entraîner la colère de Dieu.
PIERRE CHAUNU
Cité par les Cahiers de Jeune Nation en 1993[98]
Haut le drapeau ! Serrez les rangs !
Les S.A. avancent à grandes enjambées vigoureuses.
Nos Camarades, tués par les Rouges et la Réaction, sont sous terre.
Mais ils marchent en image à nos côtés.
Dégagez ! Dégagez ! Place à l’Armée Brune !
Libérez les routes du pays pour les Troupes d’Assaut !
La Croix Gammée apporte l’espoir aux millions en extase,
La liberté et le pain sont à portée de la main.
La trompette lance son dernier appel perçant.
Nous nous tenons ici, prêts pour la guerre et la bataille.
Bientôt, les bannières de Hitler marqueront enfin, invaincues,
La fin de l’esclavage allemand sur nos terres !
Le « Horst-Wessel Lied »[99]
La Croix gammée : la Fleur de lys des Nazis.
*
Fascisme et démocratie ne sont affaire ni de complot, ni de nature. Ils sont affaire de culture : ils constituent les effets de deux manières essentiellement différentes de voir le monde et de se percevoir soi-même dans le monde.
Cette ivrognerie de l’âme qui s’exhibe
sur la scène de notre culture,
est-ce toujours le vertige de la démesure,
la folie de l’impossible
dont la brûlure ne quitte jamais plus celui qui,
une fois au moins, s’y est abandonné ?
Prométhée a-t-il jamais eu cette face
d’ilote[100] ou de procureur ?
Non, notre civilisation se survit
dans la complaisance
d’âmes lâches ou haineuses,
le vœu de gloriole de vieux adolescents. […]
En 1950, la démesure est un confort, toujours,
et une carrière, parfois.
La mesure, au contraire, est une pure tension. […]
La mesure n’est pas le contraire de la révolte.
C’est la révolte qui est la mesure, qui l’ordonne, la défend
et la recrée à travers l’histoire et ses désordres. […]
La mesure, née de la révolte, ne peut se vivre que par la révolte.
Elle est un conflit constant,
perpétuellement suscité et maîtrisé par l’intelligence.
Elle ne triomphe ni de l’impossible ni de l’abîme.
Elle s’équilibre à eux. […]
Nous portons tous en nous nos bagnes, nos crimes et nos ravages.
Mais notre tâche n’est pas de les déchaîner à travers le monde;
elle est de les combattre en nous-mêmes et dans les autres.
ALBERT CAMUS – 1956[101]
*
Dans le combat entre fascisme et démocratie, sous quelque forme qu’il s’engage, il ne saurait être question que la justification par la pureté soit formulée par les Démocrates. Cela constituerait un non-sens. La démocratie est, par définition, impure. Imparfaite. Inachevée. Et insatisfaisante. Parce qu’elle ne constitue pas son propre but : elle ne cherche pas à s’établir, elle cherche à établir des conditions minimales. Ce n’est pas elle qui importe, mais ce qu’elle permet. Elle n’est pas un objet, elle est une tension. Elle est une tentative, à reprendre sans cesse, à reprendre sans cesse nécessairement, d’équilibre précaire. Il ne peut donc pas exister d’elle de représentations fixées dans l’absolu. Elle est nécessairement, elle est incontournablement tiraillée. Puisqu’elle vise à mettre au centre des préoccupations des citoyens le respect pour un phénomène lui-même intrinsèquement impur, imparfait, inachevé et aussi insatisfait qu’insatisfaisant, un phénomène qui lui-même se reprend sans cesse : l’Homme. Non pas l’Homme cherchant à devenir un Dieu, non pas non plus l’Homme cherchant à se présenter comme le porte-parole de Dieu dans le monde matériel, pas même si ce Dieu n’est qu’un processus indifférent à ce dont il suscite l’être.
La démocratie moderne est inséparable de la prise de conscience des conséquences du fait que la Terre n’est pas au centre de l’univers. Et que, sur Terre, l’Homme n’est pas au centre de la Création – que cette Création ait été le fruit d’une Volonté Suprême, ou celui d’un accident bio-chimique.
La défense de la démocratie est, par sa définition même, quelque chose de bâtard. De glissant. Et de nécessairement insatisfaisant. En refusant que la société civile se constitue en tant que bras de l’Église, elle ne vise pas davantage à maintenir l’Homme dans ce que les Chrétiens appellent le péché que, formulant le libellé de vertus civiques à respecter, elle ne cherche à créer pour son propre usage un Dieu laïque. Elle ne vise pas à faire de l’imperfection la seule forme parfaite qui soit accessible à l’Homme. Elle dit, au contraire, à chacun des Hommes : « La société n’a pas pour fonction essentielle de juguler. Elle a pour raison d’être de permettre. Et de permettre à tous, puisque tous sont par nature égaux en droit. » Elle ne prétend pas, contrairement à ce qu’affirment les Fascistes, faire de l’Homme civique un Dieu, elle affirme au contraire que le rapport à Dieu – la quête de lui, la foi en lui, l’espoir de lui -, quel qu’il soit, relève de la responsabilité individuelle. Et que de tenter de réintroduire dans les formes civiques le culte de l’idéal ne peut déboucher que sur l’affrontement violent de volontés cherchant à recentrer le monde des Hommes autour des cultes, ce qui est fondamentalement incompatible avec le principe d’égalité en droits de tous, puisque le rapport à Dieu est un rapport révélé, et que les révélations, aussitôt qu’elles prétendent structurer les rapports collectifs, débouchent nécessairement sur l’affrontement en vue de déterminer lequel des idéaux évoqués sur la place est l’idéal idéal.
Si la démocratie ne se prononce pas sur l’existence ni sur la non-existence de Dieu, elle se prononce de fait, en revanche, sur cette réalité qu’est le désir qu’il y en ait un : elle déclare, non pas à tous mais à chacun : « C’est vous personnellement que ça regarde. »
Prétendre que chaque Homme serait responsable de l’entretien des rapports avec Dieu ou avec son Dieu est le plus loin que s’avance sur cette question le discours démocratique. Mais il n’en fait pas uniquement une question technique, du type : « Si on parle de ça, la bataille va reprendre ». Au contraire, il rend l’individu responsable de son destin. À tous égards. Il affirme en conséquence : « Parle-lui, toi. Parle-lui toi-même. Ne cherche pas à te fondre dans la masse. Ne fonds pas. Tiens-toi debout. Ne demande pas à tous de te conforter dans les moments de doutes. Il n’y a plus de centre. Tu es seul devant Lui. Nous le sommes tous. Mais cette solitude n’est pas l’affaire de tous. Elle est celle de chacun. »
Ainsi, la démocratie, privant l’individu de l’appui de la masse en ce qui a trait à la méditation sur son destin spirituel individuel, se retrouve-t-elle devant un devoir : celui de permettre à l’individu l’accès aux moyens les plus étendus possible pour enrichir son rapport au Monde[102], afin qu’il puisse le réfléchir – et éventuellement le réaliser – le plus richement possible. Individuellement.
L’éducation n’est donc pas uniquement une nécessité absolue en termes de seul fonctionnement de la société démocratique. Elle est tout autant un devoir spirituel de la société démocratique, un devoir fondamental : la société démocratique ne peut pas constituer une assumation collective de la perte du centre et ne pas, du même coup, permettre à chacun l’accès au plus grand nombre possible de points de repères de la plus grande variété possible, et aux moyens de les évaluer et de les positionner les uns par rapport aux autres. Le fait que tous les hommes soient égaux en droit ne signifie pas et ne saurait en aucune manière signifier qu’ils sont tous semblables, de nature indifférenciée et interchangeables à l’infini. La démocratie n’est pas et ne saurait être un nihilisme. Si elle le pouvait, elle se résumerait en définitive à n’être que l’un des multiples avatars envisageables du fascisme.
Le post-modernisme, dans la mesure où il affirme constater qu’une société serait rendue au-delà de la modernité, et dans la mesure où cette modernité est celle de la lutte pour la démocratie, est donc, dans le meilleur des cas, a-démocrate et, dans le pire, anti-démocratique.
D’un point de vue démocratique, l’affirmation que le monde n’a pas de sens doit être considérée comme relevant d’un culte parmi d’autres, puisque son introduction comme élément déterminant des rapports entre les Hommes a nécessairement un effet similaire à celui de l’introduction d’un culte religieux révélé prétendant dominer et même évacuer tous les autres.
Les Hommes doivent faire seul face à leur Dieu. Même si ce Dieu est celui du non-sens. De l’angoisse. Et du néant.
C’est là que les difficultés commencent.
Le fascisme, de son côté, sous quelque forme qu’il se présente, constitue une tentative de mettre une fois pour toutes le monde en ordre. Cette volonté d’ordre peut revêtir de très nombreuses formes. Mais quelle que soit la forme qu’elle emprunte, elle vise, d’une manière ou d’une autre, le définitif, le principe parfait incarné, l’enfin achevé, l’idéal en marche. Cet idéal pouvant très bien, d’ailleurs, être celui du désordre perpétuel. [Voir Naomi Klein – La stratégie de choc]
Tenter de mettre au monde cette forme parfaite et de l’incarner dans une structure sociale est nécessairement en contradiction avec la démocratie. Puisque cette forme à créer, si elle constitue un idéal, deviendra nécessairement plus importante au sein de la société que le respect du principe fondamental qui doit guider les rapports des Hommes entre eux : leur égalité en dignité et en droits.
Pour celui qui croit que tous les hommes naissent égaux en dignité et en droit, il ne saurait donc être question d’interdire la pensée fasciste. Mais il ne saurait non plus être question d’accepter qu’elle cherche à se retrouver au cœur du rapport au monde qu’entretient une société entière. Surtout pas si la plus grande partie des membres de cette société devait se retrouvée privée de points de repères du fait même du règne fasciste – lequel réfute l’égalité et impose même l’intrinsèque inégalité comme fondement du rapport au monde.
En dernière analyse, que le Démocrate vive en société démocratique ou en société fasciste, son devoir ne varie donc pas sur l’essentiel : il doit se tenir debout au nom du principe par lequel il définit le souhaitable, et tenter de l’identifier, de l’affirmer et de le questionner le plus clairement, le plus audiblement possible. La démocratie n’est jamais définitive.
Comme le but du Fasciste est de priver de choix ses semblables qu’il refuse de considérer tels, une des options qui s’offrent au Démocrate vivant en société fasciste est donc de tenter de faire voir à ses semblables – et qu’il considère tels – qu’il existe d’autres rapports au monde que celui qui leur est imposé.
Le moindre doute qu’il parviendrait à faire se distiller, même dans l’esprit d’un seul individu, serait une victoire.
Pas une victoire contre le fascisme. Une victoire pour la démocratie.
Une telle entreprise, à ses yeux, pourrait bien mériter qu’il lui consacre des années de sa vie. Même au risque de finir par réaliser que cette entreprise était vaine. Elle pourrait être vaine dans une perspective utilitariste. Mais elle ne saurait l’être du seul point de vue sacré en démocratie : le respect pour ses Semblables.
NOTES
[1] Les demi-civilisés, p 41
[2] « Fer et Sang » : doctrine d’Otto von Bismarck (1815-1898), le « Chancelier de fer », architecte, au XIXe siècle, de l’unité allemande.
[3] En Allemagne aussi. Dès le 9 novembre 1911, au Reichstag, le leader socialiste August Bebel (lui aussi à gauche, donc), sentant la guerre qui approchait, tentait en vain de prévenir les députés. Qui lui répondaient… par un grand éclat de rire. [http://www.bbc.co.uk/news/magazine-25635311]
[4] Maisonn. IX-1864
[5] Ultimatum de l’Autriche a adressé à la Serbie, et qui va servir de prétexte à l’entrée en guerre.
[6] Saly, pp 272-274
[7] Robert II, 928 — Maisonn, IX-1864
[8] Winock, Le siècle… – voir aussi Daudet, pp 859-860
[9] Winock, Le siècle…, p 186
[10] Groulx, La France d’Outre-mer, p 3
[11] C’est RDD qui souligne.
[12] Et se méritait de ce fait l’épithète de pape « allemand » – entendre « anti-français » -, par Léon Daudet [Oeuvres, p 821], qui parle aussi de « Vatican germanophile » [p 832]
[13] De l’amitié de qui Groulx écrit, à la fin de sa vie : « Amitié précieuse et qui, par surcroît, m’a grandement servi. Aux jours les plus périlleux de ma vie, elle me fut un ferme soutien et un noble stimulant. Amitié solide qui devait durer, même après que mon ami – ce qui est une chose rare – fut élevé à l’épiscopat. Amitié que la deuxième Grande Guerre devait assombrir sans pourtant la briser, même si en mon cœur elle devint une amitié souffrante. » De quoi il ressort que de se porter à la rescousse de Maurras advient au moment de l’amitié flamboyante, laquelle ne deviendra souffrante que lorsque le cardinal se prononcera… en faveur de la conscription… destinée à lutter entre autres contre le maréchal Pétain… qu’appuie ouvertement et énergiquement Maurras. [Groulx, Mémoires, I-240]
On notera par ailleurs que Breynat est Vicaire apostolique de Mackenzie, alors que Villeneuve est d’abord nommé premier évêque de Gravelbourg, en Saskatchewan… d’où il ne se prive pas d’appuyer les thèses de son ami Groulx sur la nécessaire croisade des adolescents et le culte de Dollard des Ormeaux [Mémoires de J-L Gagnon, II-80]
[14] C’est RDD qui souligne : le lendemain de son intronisation ! La levée de la condamnation qui frappe l’Action française de Paris est donc une des affaires les plus urgentes de la chrétienté.
[15] C’est RDD qui souligne : le cardinal Breynat agit donc en ceci comme le messager de Villeneuve.
[16] Guilmette, Maurras, l’Action française et le Canada français, Cahiers de la Nouvelle-France, pensée chrétienne et nationale, No 1, janvier-mars 1957, p 25
[17] À l’appui de la description que fait Guilmette des liens existant entre les deux Action française :
1- À la fin de son article (p 27), la Rédaction de la revue publie une note critique dans laquelle elle ne remet aucunement en cause ce qui vient d’être dit de cette affaire. La seule réserve exprimée par elle porte sur l’insuffisance de distinction que Guilmette énonce entre « séparatisme actif » et « séparatisme passif »; capitale distinction, en effet, s’il en est une… Or la remarque de Guilmette sur la parenté entre ces deux Action française est centrale dans son article. Si la Rédaction avait laissé passé une erreur de cette taille – dans son tout premier numéro -, les conséquences seraient, pour dire le moins, de quelque importance : cette Rédaction est, en effet, loin de n’en être qu’une autre parmi une multitude, puisqu’elle elle donnera encore naissance, en 1959, à une autre revue, Nation nouvelle, qui marquera un tournant tactique essentiel dans l’adaptation formelle du nationalisme québécois aux exigences de l’époque. Nombre des ténors à venir feront leurs premières armes dans ces deux publications. Les Nationalistes d’aujourd’hui, en cherchant à se débarrasser d’un passé… douteux – je suis poli -, ont donc le choix entre deux approches : soit prétendre que la Rédaction des Cahiers de la Nouvelle-France ne savait pas de quoi elle parlait, était mal renseignée sur les thèses qu’elle soutenait, et faisait dans ses pages appel au premier incompétent venu tout en se montrant incapable de seulement déceler ses fautes – ce qui risquerait d’invalider une grande partie des thèses promues par ces Cahiers – et aurait des conséquences idéologiques directes jusqu’à nous. Soit admettre que ce sont leurs tentatives à eux de dissocier les deux Action française, qui sont fallacieuses et, à tout le moins, mal fondées.
Les Cahiers de la Nouvelle-France, soit dit en passant, de délectations moroses sur le thème de la défaite de la chrétienté en Europe [lire : du fascisme défait en Europe] (pp 41-42) en apologie du régime de Salazar [51-54 : « le seul pays qui ait eu le courage de garder le flambeau allumer » (p 51)], est, pour l’ensemble de sa vie à venir, dédiée à Pie XII, le Pape qui a levé l’interdiction sur Maurras et l’Action française de Paris. (insert entre les pp 16-17)
2- Par ailleurs, en novembre 1975, François-Albert Angers publie, dans l’Action nationale elle-même, un article paru le 14 août de la même année dans le journal Le Jour de Montréal, afin de le sauver de l’oubli tant sa valeur est grande, affirme-t-il en substance. Cet article, qui porte sur une partie de l’histoire du mouvement indépendantiste, est signé Pierre Guillemette, ancien secrétaire de l’Alliance Laurentienne, rédacteur de la revue Laurentie, et qui avait vingt ans en 1956, alors que la souveraineté politique du Québec était déjà son « idéal de jeunesse ». En dépit de la différence orthographique du patronyme, il semble s’agir du même individu.
Monsieur Angers, qui a la mémoire longue [ce qui est un des avantages qu’il y a à n’avoir été obligé de faire semblant de virer capot en cours de route; cf Jean-Louis Roux, Jacques Hébert, Gérard Pelletier et Pierre Trudeau], se lancerait-il, à même les pages de l’Action nationale, dans pareille diffusion des thèses d’un auteur qui aurait, vingt ans plus tôt, traîné son organe chéri dans la boue, en l’associant malicieusement à celui de Maurras ?
[18] Action française, p 249 – trad. RDD
[19] Et même plus tard, comme nous le verrons : il cesse de la faire publiquement durant la guerre, ce qui ne signifie aucunement qu’il ne continue pas… autrement.
[20] À simple titre d’exemple : dans les tous derniers jours de la guerre en Europe, des sociétés suisses continuent d’expédier des armes aux soldats du Reich.
[21] http ://www.wiesenthal.com/swiss/survey/section1.htm, 12 août 99. Site Internet du Centre Simon Wiesenthal.
[22] 1880-1970 – pour la réf. : Groulx, Mémoires, I-153, 154
[23] http ://www.laliberte.ch/document/bonnefe5.htm – Site : Journal suisse appelé La Liberté.
[24] Tous les Hommes sont mortels, S. de Beauvoir
[25] Les liaisons dangereuses.
[26] « Fasciste » est, en résumé, aussi devenu le nom servant à désigner les « mauvais citoyens » – voir Furet-Nolte
[27] Arendt, La banalité du mal, Eichman à Jérusalem.
[28] Voir Primo Lévi + Michel Thomas (The test of courage)
[29] Qu’est-ce que le fascisme, p 183
[30] Qu’est-ce que le fascisme, p ?
[31] Hitler m’a dit, p 77 [Rauchning : aborder la question de la mise en doute de ses écrits.]
[32] Voir Furet-Nolte
[33] Qu’est-ce que le fascisme, p 18
[34] Qu’est-ce que le fascisme, p 45
[35] Qu’est-ce que le fascisme, p 34
[36] C’est RDD qui souligne : L’État n’existe donc pour rien d’autre que pour réaliser le rêve des élites. Nous verrons plus bas que c’est là l’exact contraire de la définition de l’État en régime démocratique. Et pour cause…
[37] C’est RDD qui souligne : l’obéissance est donc le minimum que l’État fasciste soit en droit d’exiger du peuple.
[38] C’est RDD qui souligne : Ce n’est pas une foi, mais c’est pareil à une foi.
[39] C’est RDD qui souligne : Qu’il s’est donné lui-même, puisque non seulement il n’y a rien ni personne au-dessus de lui, mais rien ni personne non plus devant lui. Je veux dire : personne à qui rendre des comptes, ni aucun principe extérieur à lui selon lequel être jugé, d’une part. Et, de l’autre, aucun obstacle autre que celui qu’il veut bien reconnaître pour tel. « En temps de guerre, disait Hitler, ce n’est pas le droit qui compte, mais la force. » (Bullock, réf. XXXX) Justement, pour le fasciste, par définition, la guerre ne s’interrompt jamais. Le droit ne compte donc jamais. Et la force ne cesse donc jamais de compter.
[40] Qu’est-ce que le fascisme, p 64
[41] Ces qualités « animales » selon Bardèche, sont énumérées à la suite : courage, générosité, respect de la parole donnée, fidélité d’homme à homme, besoin de discipline et de foi. Il est tellement ridicule de faire d’elles de ces qualités des qualités animales, c’est-à-dire naturelles, que je me refuse à en reproduire la liste dans le corps du texte.
[42] Qu’est-ce que le fascisme, p 78
[43] C’est RDD qui souligne.
[44] Qu’est-ce que le fascisme, p ???
[45] Rauschning, Hitler m’a dit, p 86
[46] G. Valois, Le Fascisme, Paris, nouvelle Librairie nationale, 1927, p 21 : cité par Z Sternhell, La droite révolutionnaire, p 18 – Valois a été, en 1925, le créateur des Faisceaux, premier mouvement français officiellement fasciste, qui était aussi le premier mouvement fasciste hors d’Italie. (Sternhell, la droite rév., p 18) – formulation exacte ??
[47] En principe… puisqu’en fait, celles commandées avant la guerre n’ont jamais été livrées… [Conot]
[48] Daniel Guérin, La Peste Brune. Pour ma part, je ne l’ai déniché qu’en anglais, dans la traduction de R. Schwartzwald.
[49] Voir Conot.
[50] Bardèche, Qu’est-ce que…, p 16
[51] À telle enseigne qu’au moment où j’écris ces lignes (printemps 97), le Premier ministre Chrétien a l’air de passer ses nuits entières à rêver du jour où le Chili sera partie prenante à l’Accord de Libre-Échange. Il est vrai que les liens du Canada avec Pinochet étaient déjà sereins depuis longtemps : n’était-ce pas Bombardier qui lui fournissait les canons à eau dont sa police avait grand besoin ?
[52] Renseignements sur R. Ley et le Deutsche Artbiter Front : Conot pp 69-74
[53] Lauryssens, p 170
[54] Lauryssens, p 89
[55] Piotr Alexeïevitch Kropotkine (1842-1921). Révolutionnaire anarchiste russe. Théoricien important de la doctrine anarchiste. Surnommé le « Prince anarchiste. »
[56] Livre noir du communisme, p 227
[57] Robert 2, p 500
[58] Robert 2, p 539
[59] Repka, p 129 – Ludeke – Betcherman, pp 27-28 – À l’automne 38, Arcand annonce à ses collaborateurs qu’Hitler l’a nommé chef des Nazis d’Amérique du nord (Betcherman, p 128) – Aussi : Le Patriote d’Arcand pourrait avoir été subventionné par Berlin (Bertcheman, pp 34-38, 109)
[60] Voir Côté et Nizkor
[61] Robin en français, p 82
[62] Côté, Arcand, p 39 – Caux, thèse, p 21
[63] Raoul Girardet, préfacier de Rauschning en français, est bien placé pour savoir de quoi il parle : ancien membre de l’OAS, l’Organisation Armée Secrète qui a tenté d’assassiner De Gaulle durant la guerre d’Algérie, il s’est aussi longtemps tenu très près de l’Action française de Paris. [voir Réseau Voltaire, et Huguenin].
Dans les prochains tomes, nous verrons que la critique du nazisme qu’il énonce ici n’empêche aucunement qu’il partage la position idéologique d’une grande partie des Fascistes français. Lesquels, comme chacun sait, n’existent pas… en tout cas si l’on en croit un grand nombre d’historiens français. L’une de leurs activités de prédilection, depuis la fin de la Deuxième Guerre, semble en effet consister à démontrer de toutes les manières possibles et impossibles que l’on ne saurait en aucun cas – sauf miettes ou accidents – identifier le régime du maréchal Pétain avec le fascisme. L’insistance, à elle seule, a déjà de quoi faire sourciller. Mais ce qui frappe en dépit de leurs objections, c’est tout de même que : 1- Si, par Fasciste, on entend : militariste, Pétain n’avait tout simplement pas besoin d’être un full fledge fasciste, puisque les troupes d’Occupation allemandes faisaient pour lui l’essentiel de la job de bras, 2- Pétain était néanmoins d’accord avec l’essentiel des visées nazies, 3- Il leur a apporté un appui comme le gouvernement d’aucun autre pays occupé, hormis ceux qui ont été ouvertement fascistes [donner l’exemple du Danemark : le roi à l’étoile] ne leur en a accordé. 4- Les différences formelles entre fascisme allemand et fascisme français ne sont pas plus déterminantes que celles qui existent entre chacun d’eux et les fascismes italien, portugais ou espagnol. 5- Une de ces différences tient au fait que l’image d’Épinal du régime de Vichy, plutôt que de viser à revenir à Siegfried (en Allemagne) ou à Romulus et Remus (en Italie), vise moins loin en arrière et se contente de trouver son point focal primordial dans les rêves de Jeanne d’Arc, de sainte Marguerite-Marie Alacoque – « Sacré, Sacré-Cœur-de-Jésus, Sauvez, Sauvez, Sauvez la France » -, de Louis XIV ou de Napoléon Ier. Or, le problème n’est pas de savoir jusqu’où on veut remonter, il est de vouloir remonter, à quelque distance que l’on veuille aller.
Un des effets en France de cette normalisation a posteriori du régime pétainiste est de rendre extrêmement problématique l’opposition à son rejeton Jean-Marie LePen – ainsi que chacune des campagnes électorales auxquelles il participe en apporte la preuve. Dès que LePen s’ouvre la trappe, on jurerait que la quasi totalité des cerveaux de l’Hexagone se mettent à déraper dans la choucroute : on ne sait plus par quel bout le prendre, on ne sait plus quoi lui répondre, dans certains cas, on semble ne même plus savoir très clairement comment on s’appelle. C’est qu’en normalisant Pétain – ou en le dé-responsabilisant -, on normalise LePen et ses bases idéologiques du même coup. Si Pétain s’avère, en définitive, critiquable mais somme toute excusable, il en va de même pour LePen.
Cette normalisation a aussi des répercussions ailleurs en Europe – il suffit de voir la place que l’on accorde au personnage LePen dans toute l’extrême extrême droite européenne, de Finlande en Hongrie, et de Hollande en Grèce. Sur le Net, en tout cas, elle saute aux yeux : les citations de ses paroles sont légion.
L’effet est similaire cheux nous : l’appui à Pétain (et à Mussolini) par les Nationalistes du cru ayant constitué l’un des sommets de leur histoire au XXe siècle, le tripotage historiographique français le rend pourtant illisible. Et permet même de l’interpréter à contre-sens. « They loved not wisely but too well », comme disait Trudeau. On assiste de plus en plus souvent, d’ailleurs, dans la foulée, à un revampement équivalent de Mussolini, reposant sur des arguments puisés à même ceux pourtant soi-disant taillés sur mesure pour Pétain : « Attention, le fascisme italien n’est pas le nazisme. Mussolini était un bon Fasciste. Ce sont les Allemands qui l’ont entraîné en enfer. C’était d’ailleurs la faute… des Anglais ! »
Au risque – si ce n’est avec la quasi certitude – de me faire reprocher mon inculture, il me semble que le raisonnement qui s’applique à Pétain quant à la catégorie à laquelle appartenait son régime, devrait être le même que les Nationalistes utilisent cheux nous pour discréditer la démocratie et le libéralisme : ces deux phénomènes auraient été inimaginables cheux nous sans la Conquête par les maudits Anglais, affirment-ils pour pouvoir le-leur reprocher. Soit. Eh bien si c’est le cas, messieurs-dames, soyons un peu cohérents : le régime de Pétain, lui, aurait-il pu s’installer au pouvoir comme il l’a fait, sans l’aide des Fascistes allemands ? Certainement pas. Aurait-il pu survivre à la défaite de ces mêmes Nazis ? À l’évidence, il ne l’a pas pu. Une partie des toutes dernières unités S.S. à défendre le bunker de Berlin avaient même été recrutées… en France, et sous l’égide du gouvernement de Vichy. [Voir entre autre Landemer : Les Waffen SS]
La France participe activement aux combats aux côtés des Fascistes, sur une échelle incomparablement plus importante que celle qui permet de décrire l’implication espagnole, par exemple, alors pourtant que Franco est redevable directement à Mussolini et à Hitler de l’existence même de son régime, ni plus ni moins que Pétain.
Le régime du Maréchal ne m’apparait donc pas – à moi qui ne suis pas Français et je m’en excuse… – comme simplement fasciste, mais encore plus précisément comme férocement fasciste. Désolé.
Après tout, si les historiens français, par orgueil gallinacé, tiennent à tout pris à démontrer qu’Hitler ne savait pas faire la différence entre un Fasciste et un hyper-Conservateur, alors que les Conservateurs étaient chez-lui ses victimes au même titre que les Libéraux, libre à eux. Les failles et les conséquences de leur raisonnement paraissent cependant trop importantes pour ne pas mériter la critique, et ne pas nous indiquer qu’une extrême prudence est de mise à leur égard.
Je disais donc que monsieur Raoul Girardet, dédicataire du Mémoire de fin d’études de Jean-Pierre Chevénement, chargé de la propagande de l’OAS-métro, proche des Gustave Thibon et compagnie, sait de quoi il parle quand il reproche aux Nazis de s’en prendre aux fondements-mêmes de la culture d’Occident. Il oppose simplement au Nazis qui veulent remonter jusqu’à trois ou quatre mille ans en arrière, un objectif tout aussi inatteignable quand bien même il ne situe que deux cents ans dans le passé. Son problème avec Hitler n’est pas que le moustachu de Munich veuille en finir avec la démocratie, mais qu’il passe tout droit et veuille remonter jusqu’aux sources mêmes de la civilisation. Question de degré. Le même problème aurait sans doute fini par se poser aussi entre Hitler et Mussolini : une fois revenu le temps des beaux grands guerriers blonds sentant le bouc et vêtus de peaux bêtes et de casques à cornes, ne serait-il pas devenu inévitable que ces tribus-là finissent, un jour ou l’autre, par affronter les centuries romaines ?
D’une manière ou d’une autre, la France continue aujourd’hui comme il y a un siècle de bien occuper sa place centrale dans l’élaboration des théories de la lutte contre la démocratie. La différence essentielle, semble-t-il, tient au fait que les adversaires des Réactionnaires, les Clémenceau, les Jaurès, se font nettement plus rares de nos jours. C’est la vie, j’imagine.
[64] Avant-propos de Rauschning, Hitler m’a dit, p 16
[65] C’est RDD qui souligne.
[66] Griffin, p 6 – trad. RDD
[67] Rauschning, Hitler m’a dit, p 254
[68] Rauschning, Hitler m’a dit, p 255
[69] Chamberlain (Houston Stewart). Écrivain allemand d’origine anglaise (Portsmouth, 1855-Bayreuth, 1927). Auteur d’un ouvrage sur Richard Wagner dont il épousa la fille Eva (1894), il y formula une philosophie vitaliste et nationaliste. Dans ses Fondements du XIXe siècle (1899), il a exposé une théorie raciste, pangermaniste qui fait de lui un précurseur direct de la doctrine hitlérienne (V. Gobineau). [Robert 2, p 366]
[70] Les fondements du XIXe siècle, cité par SALY-GÉRARD, p 122
[71] Ploutocratie : pouvoir de l’argent.
[72] Rauschning, Hitler m’a dit, p 78
[73] Rauschning, Hitler m’a dit, p 312
[74] C’est RDD qui souligne : un des buts du fascisme espagnol, est donc de faire en sorte que la patrie ne soit pas commune aux citoyens de toutes les classes.
[75] Comme la Patrie n’est pas commune à tous les citoyens, qui ne sauraient être égaux entre eux, il coule de source que la liberté individuelle dont de Rivera craint que le socialisme ne signifie la privation, ne saurait être celle de tous les citoyens. Elle est donc, par définition, celle des élites.
[76] Cité par Bardèche, Qu’est-ce…, p 69
[77] Évidemment, le Fasciste ne considère pas ses prérogatives comme étant des privilèges, il les considère comme étant les résultats du recours à des droits… des droits qui lui sont réservés du fait de la nature supérieure qui est la sienne et qui le différencie du peuple vulgaire. Il n’en reste pas moins qu’il ne peut être membre d’une élite que parce qu’il y a un peuple, une société au sein de laquelle il remplit la fonction propre aux élites : la fonction de structuration. S’il n’y a rien à structurer, il n’y a aucun besoin de structure.
L’unique habitant d’une planète hypothétique, coupée du reste de l’univers, n’aurait aucune raison de s’interroger sur les différences qui existent ou non entre un baron et un prince, entre un professeur permanent et un chargé de cours d’une part et leurs étudiants de l’autre, entre celui qui a droit à des études supérieures et celui à qui l’accès à de telles études est interdit, entre un analphabète et un lettré, ou entre un syndiqué et le président de la centrale à laquelle son syndicat appartient.
[78] Qu’est-ce que le fascisme, p 64
[79] Qu’est-ce que le fascisme, Page ?
[80] Qu’est-ce que le fascisme, p 183
[81] Rauschning, Hitler m’a dit, p 46
[82] Ils sont remplaçables, apparemment. Du moins, à voir le traitement réservé aux Turcs. Voir Neiman.
Parlant de ça : Comment est-ce que Lacoursière & cie font pour expliquer le racisme allemand anti-Turc ou la racisme français anti-arabe par la Crise économique de 29 ? Hummm ?
[83] Hitler m’a dit, p 315
[84] Rauschning, Hitler m’a dit, p 315
[85] En ce qui a trait à l’Église catholique, Himmler avait par exemple recruté des spécialistes chargés d’étudier les archives des procès en sorcellerie et l’histoire de l’Inquisition, afin de fournir en matériel les campagnes anticléricales. [Voir Ernst Jünger, La cabane dans la vigne, p 222]
[86] HMAVERIK + site doc. sur la division S.S. Handschar
[87] Mein Kampf, p 122
[88] La Démocratie. Exercice de la modestie., Pléiade, Essais, p 1582
[89] UNESCO, La conquête mondiale des Droits de l’Homme, pp 91ss
[90] Bagatelles pour un massacre – Cité par Videlier, De la collaboration au révisionnisme, Le monde diplomatique, janvier 1994
[91] Cette rhétorique rappelle à s’y méprendre celle d’Édouard Berth, ami de Georges Sorel – syndicaliste aux thèses de qui Mussolini se dira grandement redevable [SOURCE ET CIT.] – : CITATION WINOCK, LE SIÈCLE, P 97. C’était… en 1914. Le but : affirmer la fraternité de combat entre ouvriéristes et nationalistes, unis contre le libéralisme.
[92] Le secrétaire général des Nations unies.
[93] Le Québec.
[94] Le Canada – Note de RDD : toute la métaphore de « Waller » tourne autour de ce chalet métaphorique.
[95] « Inexplicablement » ? Vraiment ? – Note de RDD
[96] Vers un remake de la Rébellion de 1837 ? – http ://www.smartnet.ca/users/vigile/pol/violence/waller1.html, /waller2.html, /waller3.html – « Waller », choisi pour honorer la mémoire du poète qui a écrit la grande oraison funèbre de Cromwell ?
[97] Rauschning, Hitler m’a dit, p 41
[98] Cahiers de Jeune Nation, No 6, oct 93, p 18
[99] Chant de Chemises brunes nazie, les S.A. Trad. à partir de l’anglais par RDD
[100] Esclave.
[101] L’homme révolté, pp 360-361
[102] Ceci n’implique pas que ce soit l’enseignement religieux qui doive permettre cette recherche. Et surtout pas l’enseignement religieux organisé par les Églises.