Lettre à l’Académie des Masques…

… à propos d’auteurs, de respect, et autres sujets sans importance dans une industrie saine.

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En 1994, a lieu au Monument national, et est diffusé en direct par la télé de Radio-Canada, le premier Gala des Masques : une cérémonie d’autocongratulation et de remises de prix.

J’y assiste – de justesse, comme nous le verrons, mais j’y assiste –, pour découvrir que tout au long de la soirée, sauf en cas d’absolue nécessité, le nom des auteurs des pièces mentionnées est systématiquement passé sous silence – et tout aussi systématiquement remplacé par celui des producteurs.

C’est l’année où, par exemple, on honore à ne plus savoir qu’en faire La Locandiera, mais ce n’est plus celle de Goldoni, c’est celle du TNM. Goldoni, lui, n’est tout simplement pas nommé.

Cette insulte, à mes yeux, c’est la citrouille déposée sur un sundae déjà fort copieux.

Je suis dans un tel état de rage que je dois me retenir de me mettre à hurler et de sauter sur la scène pour engueuler les organisateurs et la salle au grand complet, qui sourit aux anges et applaudit à tout rompre.

Tout le monde sait peut-être parfaitement qu’au Québec, mais oui, mais oui, mais oui, « Oooooh ! Ce qu’on les aiiiiime, nos auteurs ! Ils sont formidables ! Que ferions-nous sans eux ? Ils sont notre voix, notre âme, nos poumons, nos rognons ! »… mais ce que les auteurs savent, eux, et depuis longtemps, c’est qu’une fois caméras et micros éteints, la réalité est fort différente de celle qu’on évoque à-qui-mieux-mieux pour la galerie.

*

J’ai raconté, dans le billet « Mon histoire commence… », qu’en 79-80 j’ai moi-même fait la mise en scène de ma première pièce.

Mais je n’ai pas expliqué pourquoi.

Eh non, ce n’était pas parce que je voulais tout contrôler, ni parce que je me serais trouvé incapable de lâcher le bébé.

J’ai moi-même assuré la mise en scène de la création de Panique à Longueuil tout simplement parce que les commentaires que j’avais reçus de la part des metteurs en scène et directeurs artistiques à qui j’en avais envoyé le texte avaient été dans leur totalité d’une telle platitude, et n’avaient tellement rien eu à voir avec ce que je savais avoir écrit, qu’à chaque fois les cheveux m’en avaient dressé sur le crâne.

En conséquence de quoi j’ai fini par me dire que tant qu’à laisser la pièce être montée n’importe comment par des gens qui ne savaient pas lire, ou qui en tout cas semblaient ne pas avoir la moindre envie d’en faire l’effort, autant m’y mettre moi-même – le résultat ne pourrait pas être pire… et comme ça, au moins, en cours de travail, je pourrais vérifier quelques intuitions.

Avec l’arrivée de ma deuxième pièce, Ne blâmez jamais les bédouins, c’est encore pire. Non seulement la plupart des gens du milieu frôlent-ils l’évanouissement au bout de deux pages, mais encore leurs commentaires se résument-ils dans la quasi-totalité des cas à des : « Estie, man, t’en fumes du bon ! » [01] [02]

C’est d’ailleurs pour ça que, Les bédouins, je déciderai éventuellement de proposer à Joseph Saint-Gelais que nous les montions à deux – lui à la mise en scène et à la scéno, et moi à l’interprétation – plutôt qu’avec une grosse demi-douzaine d’acteurs comme j’en avais eu l’intention en l’écrivant. Là encore, pas parce que je tenais à tout contrôler, mais tout bonnement parce que la faire en version solo, c’était ça ou rien.

En comparaison avec ce qui s’est passé dans le cas de Panique, toutefois, au moment où j’achève l’écriture des Bédouins, une chose capitale a changé : j’ai commencé à fréquenter d’autres auteurs, ce qui fait que je me sens beaucoup moins seul dans mon coin. Ces fréquentations m’ont presque tout de suite permis de comprendre que ce que j’ai vécu à la lecture des commentaires sur ma première pièce est fort loin d’être exceptionnel : le sentiment d’avoir dans la quasi-totalité des cas affaire, dans le Milieu, à des analphabètes théâtraux, d’être à peine tolérés, et celui d’enfermement à la perspective de devoir confier leurs pièces à des gens qui se sacrent éperdument de ce dont elles parlent est tellement répandu chez les auteurs qu’on ne risque pas grand-chose à affirmer qu’il est généralisé. Oh, il y a ici ou là des exceptions, bien entendu, on rencontre aussi de fort précieux alliés, mais le pain quotidien, il pue des pieds en bazwell.

À l’époque en tout cas, être l’auteur d’une pièce en cours de répétition, c’est d’abord et avant tout être considéré la cinquième roue du carrosse : celle à laquelle on fait sentir à chaque instant à quel point elle est privilégiée de se voir accordé le droit d’être présente à la table. C’est être celui qui comprend le moins bien de tous ce qu’il a pu écrire. Et qui, dès qu’il s’ouvre la trappe, voit l’équipe au grand complet se mettre à bailler aux corneilles ou à échanger des regards même pas subtils du genre « Non, mais faites-le taire, queuqu’un ! »

Et ça, c’est bien entendu pour les chanceux dont les textes ont été retenus.

Année après année, au CEAD, le sujet revient, de p’tits verres après les CA en séance de discussion : les auteurs en ont ras-le-bol d’être traités comme des chiens, de voir leurs textes être considérés comme de simples prétextes à n’importe quoi. Et les choses continuent de se dégrader.

Et puis arrive 1990.

Cette année-là, au chapitre de la place de l’auteur, trois événements adviennent dans ma vie. Tous trois extrêmement révélateurs.

Histoire de ne pas allonger à n’en plus finir ce billet, j’aborderai dans un autre la question des deux premiers. Pour l’heure, contentons-nous de parler du troisième, amplement suffisant à lui seul pour illustrer mon propos.

*

En 1990, donc, les très sérieux (dit-on) Cahiers de théâtre Jeu publient un numéro prétendant aborder le thème de « Théâtre et homosexualité ».

On me fait même l’honneur – fort douteux en l’occurrence – d’agrémenter la page couverture d’une photo de la création d’une de mes pièces, Le troisième fils du professeur Yourolov.

J’écris que cet honneur est fort douteux parce que voilà, ce numéro est, au chapitre de la perversité, un véritable morceau d’anthologie.

Son titre même est trompeur – et même, en fait, carrément mensonger.

Sous une formulation neutre, ce que le comité éditorial de la revue souhaite, c’est en réalité exprimer…

… que trop, c’est trop. À en croire Jeu, le théâtre québécois est victime d’une véritable infestation de coquerelles inverties et le danger-tapette doit immédiatement être combattu à toutes forces.

De page en page, les divagations partent dans tous les sens – même de la part de gays prêtant main forte à l’argumentation mise de l’avant dans le numéro. Alors que quelque temps avant la sortie du Jeu 54 [03] un jeune homosexuel a été poignardé à mort dans un autobus montréalais parce que quelques bums trouvaient ses manières et sa tenue offensantes, l’un des participants au numéro 54 de Jeu va jusqu’à affirmer – sans que qui que ce soit ne s’en offusque, pour ne rien dire de se mettre à hurler – que les gays appellent la violence sur eux parce qu’ils la désirent ! Une croix gammée, avec ça ? À moins que vous ne préfériez un crucifix – il parait qu’il en reste un très joli à l’Assemblée nationale du Québec laïque ?

 

Bref, l’humanité parvenait plus facilement au déshonneur avec la tête qu’avec le cul.

Romain Gary [04]

 

On trouve dans les pages du numéro des enfilades de véritables perles, tel ce passage où la rédactrice en chef des Cahiers (Lorraine Camerlain), en train de perdre son couvert, se plaint de ce que, dans le cadre du séminaire en préparation de laquelle elle a tant travaillé, le ras-le-bol à l’égard du « théâtre gay » n’est pas suffisamment explicite à son goût, et dans lequel, du coup, elle révèle le véritable enjeu du numéro…

… trouver « le courage de dire Y en a marre ! »… « même si cela peut sembler banal  »…

Je vous rappelle que c’est une photo d’une de mes pièces qui illustre la couverture du numéro. Ce dont on a marre, c’est donc, de manière exemplaire, ce que j’écris.

*

Personne parmi les participants au séminaire en question (au nombre desquels on ne compte pas moins de 5 des 7 membres du CA de Jeu) ne s’objecte à l’énoncé de la dame, même que…

… l’un d’eux (Gilbert David – ça enseigne à l’université, ça, monsieur-madame) le confirme implicitement. « Où donc se situe le seuil de tolérance, se demande-t-il, et à quel moment a-t-il été dépassé ? » [05] Difficile en chien d’être plus explicite que ça : le seuil de tolérance l’a été, dépassé – on en est plus à se poser la question, on en est à vouloir régler le problème.

Toujours est-il qu’après la lecture de ce monumental délire fielleux, je m’amuse un temps à préparer une réponse.

Ma tentation est de demander à la masse de beaux esprits qui ont participé au numéro – et ils sont nombreux en pas pour rire – pourquoi diable ils ont choisi d’aborder leur malaise face à l’homosexualité en affirmant qu’il y aurait beaucoup trop de théâtre homosexuel au Québec.

Je veux leur demander, ne serait-ce que pour le plaisir d’imaginer la face qu’ils feront quand ils liront la question, si l’on n’aurait pas pu envisager le phénomène sous un autre angle. Celui-ci par exemple – tout aussi subtil et fondé, pourtant, que celui qu’ils se sont choisi : « Pourquoi diable, au Québec, les auteurs straights écrivent-ils tellement mal que personne n’a envie de monter leurs pièces ? »

Vous pensez qu’une couverture comme celle-ci serait aussi ridicule qu’immonde ?

Je suis parfaitement d’accord avec vous.

Sauf que celle-ci (à laquelle aurait dû ressembler celle du No. 54 si l’on avait osé être aussi explicite en couverture qu’on l’était dans ses pages) ne l’est pas moins…

… et qu’elle passa comme une lettre à la poste. [06]

*

Toujours est-il que ce n’est pas simplement le sentiment de vertige qui se saisit de moi devant une idiotie et une mauvaise foi aussi abyssales qui me fait interrompre la rédaction de la réponse dans laquelle je me suis lancé.

Au fil des quelques jours de travail que je consacre à la mise en ordre de mes idées sur le sujet, une idée s’impose à moi.

Quelque révoltante que cette m…, cette mer… cette merveille puisse être dès le premier regard, est enfoui en elle, à bien y regarder, encore bien plus grave que ce qui saute immédiatement aux yeux. De bien plus général, en tout cas. Et qui pourrait bien être porteur de conséquences fort durables : ce numéro marque une transition, camouflée par la grossièreté des propos qui le composent au premier plan. [07]

Avec ce numéro, les participants énoncent clairement qu’ils viennent d’échanger leur statut d’observateurs contre celui de censeurs.

La revue Jeu ne se contente plus de gloser, elle condamne.

Or, quelle est la première cible de cette autorité inquisitoriale auto-accordée ?

Les auteurs.

La chose est peut-être nouvelle à Jeu – c’est en tout cas la première fois qu’elle s’y montre à visage découvert –, mais elle est fort loin de l’être dans le reste du milieu théâtral. Et c’est ce qui fait que, après avoir eu le sang en ébullition à la lecture de ces pages, ma réflexion à leur sujet, quant à elle, me le glace.

*

Bref, nombre d’auteurs, gays ou pas, filles et garçons, en ont franchement ras le bol, et leur situation se détériore a une allure telle que le CEAD finit par mettre sur pied les « Travaux d’Ariel », projet qui consiste à faire se parler entre eux de leur travail de création quelques auteurs, à une autre table quelques metteurs en scène – et peut-être aussi, à une troisième, quelques acteurs, mais je n’en suis plus certain.

À la table des auteurs, à laquelle je participe, la rage et le découragement sont palpables presque à chaque minute de chacune des rencontres. Chacun-chacune n’en finit plus de raconter les coupures ou autres changements apportés à son texte sans sa permission, les décisions abracadabrantes imposées par les équipes ou par les producteurs, les distributions invraisemblables choisies contre son avis, et, dans certains cas, les injures à peine voilées (quand elles le sont) qu’on lui a adressées à tour de bras.

Tant et si bien que ce doit arriver finit par advenir : en 1993, 14 membres du CEAD décident de former en son sein le « Groupe des 14 » qui entend proposer que le CEAD devienne producteur en cas de besoin.

Il ne s’agit absolument pas de remplacer aucune des compagnies existantes, simplement de permettre – et uniquement en dernier recours – que soient créées des pièces dont nous pensons qu’elles doivent l’être mais qui ne trouvent décidément pas preneur, ou qu’en soient reprises d’autres dont les auteurs croient que leur création n’a pas rendu justice à ce qu’ils ont écrit.

Des productions, en un mot, qui permettraient aux auteurs de vérifier la validité de ce qu’ils ont écrit tel qu’ils l’ont écrit avant que tout le monde, et son voisin et sa cousine et le doberman du voisin d’en arrière ne décident que la petite fille doit être jouée par un vieux monsieur, ou que le milieu de la pièce est de trop, sans compter que la fin serait tellement plus jolie si on la déplaçait… hop, au début. Essayez donc de répondre à ça : ils sont là, devant vous, cinq, sept, douze, à vous faire des airs de beux, tous solidaires, bien entendu, du metteur en scène. Pourquoi donc ? Oh, pour une raison toute simple : leur employeur, c’est lui, pas vous !

Bref.

Le CEAD qui veut se mettre à jouer dans les plates-bandes des théâtres ?!

Le tollé est immédiat.

Le Théâtre d’Aujourd’hui, entre autres, se met à hurler. Et, à l’intérieur même du CEAD, les manœuvres fusent aussitôt en sous-main pour faire échouer le projet.

Les auteurs, on a beau ne les tolérer qu’à peine en salles de répets [08], il ne saurait pour autant pas être question qu’ils aient le culot de devenir producteurs et de prétendre se protéger les uns les autres.

Comme la comédienne Catherine Bégin me l’a déjà lancé au visage avec sa délicatesse légendaire : « Le théâtre québécois, c’est les acteurs – pas les auteurs. » Merci madame pour la franchise et la clarté.

*

L’idée d’un regroupement d’auteurs qui ferait aussi office de producteur, une espèce d’Auteurs Associés pour le théâtre québécois comme, aux USA, les United Artists [09] ont créé leur propre maison de production cinématographique en 1919, n’est pourtant pas nouvelle.

En 1990, le soir où une assemblée générale spéciale du CEAD réunie à cette fin se transforme en séance de fondation du syndicat AQAD [10], deux des fondateurs du CEAD, en 1966, sont présents, assis côte à côte : Jacques Duchesne et Robert Gurik.

À un moment, juste avant l’ouverture de l’Assemblée, Jacques me fait signe d’aller le rejoindre – il arbore un sourire resplendissant. Il me dit :

« Il était à peu près temps… Tu sais qu’en 66, nous nous disions que la création du Centre n’était que la première de trois étapes ? Eh oui. Nous pensions que plus tard, il faudrait bien qu’il se forme aussi un syndicat. Et que la troisième étape, elle, pour couronner le tout, ce serait la mise sur pied d’une compagnie de création appartenant aux auteurs. »

En… 1966.

*

Toujours est-il qu’à propos du Groupe de 14, trois ans après la création de l’AQAD et vingt-sept après celle du CEAD, en 93, donc, en réunion spéciale au CEAD, les auteurs décident de rejouer à eux seuls comme des grands la scène de veulerie à laquelle j’ai assisté l’année précédente au Congrès spécial du CQT : ils se jettent à plat-ventre de peur d’effaroucher qui que ce soit – le CEAD ne sera pas producteur.

De toute évidence, les auteurs, à l’instar de leurs camarades des autres disciplines théâtrales, préfèrent passer leur vie à se plaindre – puis à disparaitre lentement au fil des décennies comme un ruisseau qui s’assèche – plutôt que de poser le moindre geste qui risquerait de changer quoi que ce soit de significatif à leur situation.

Je me rappelle être debout à l’avant de la salle, dans un coin. Regarder les uns après les autres les individus assis là – et dont combien m’ont braillé dans les bras en déplorant les horreurs dont ils ont été victimes ? De regarder aussi Robert Gurik, debout derrière, dans un cadre de porte, et qui me fixe des yeux avec un air d’enterrement – parce qu’il est déjà clair que le résultat de la rencontre ne saura avoir quoi que ce soit de réjouissant. Je me pose la question : « Cette fois-ci, qu’est-ce que je fais ? Je pars une guerre, ou je laisse tomber ? »

Il ne me faut pas longtemps, en observant les visages et les regards fuyants, pour prendre ma décision : la guerre serait féroce, et il n’est pas dit qu’il se trouverait là plus que cinq ou six individus capables de se tenir debout pour se faire respecter – cinq ou six dont la moitié au moins me passerait un coup de fil dès le premier coup dur pour m’expliquer leurs raisons de changer de camp.

Je rentre chez moi.

*

Un peu plus d’un an après cette réunion funéraire, je vois passer Alice Ronfard au lointain, dans un couloir de l’École nationale de Théâtre. Je la hèle. Elle s’arrête, se tourne vers moi. En me voyant, son visage s’éclaire d’un grand sourire et elle se précipite dans ma direction en lançant d’un air ravi : « T’es au courant ?! », sur le ton de celle qui est certaine que je DOIS certainement déjà l’être.

– Au courant de quoi ?

Julie ! Nous sommes en nomination aux Masques ! Deux fois !

– Ah bon ?

Julie, c’est un conte que j’ai écrit du temps de mes études à Paris. Il raconte les interrogations qui hantent une petite fille au sujet du monde des adultes. Un jour, Rémi Boucher, de la Maison-Théâtre, m’a demandé si j’aurais envie d’écrire un texte pour la jeunesse, je lui ai répondu que je ne voyais vraiment pas où je trouverais le temps pour le faire mais, à tout hasard, lui ai parlé, donc, de Julie et lui ai offert de le lui envoyer. Sa réaction est enthousiaste, et dans le temps de le dire un projet est mis sur pied : Alice va faire la mise en scène, et Martine Francke, une actrice formidable, interpréter ma petite exploratrice du vaste monde.

Le résultat est épatant.

Dans le couloir de l’École, je suis donc ravi d’apprendre la nouvelle que la production est en lice pour deux prix.

– Tu vas être là, à la Soirée des Masques ?!

– Ben… je sais pas trop. C’est quand ?

Alice me dit la date. Et me révèle du même coup que je vais devoir me débrouiller pour me dénicher un billet… lequel, si mon souvenir est exact, je devrai payer… à moins que…

Alice prend sa décision : je serai son escorte !

C’est comme ça que j’apprends que la production d’un texte que j’ai écrit est en nomination pour le prix de meilleure production enfance-jeunesse de l’année. Par hasard. Dans un couloir.

Et que j’assiste au premier Gala des Masques à titre d’escorte de la metteure en scène.

*

Le soir en question, au bout d’une demi-heure à peine, j’ai le sourire peinturé dans la face. C’est ça… ou me mettre à hurler, sauter sur scène et partir une émeute !

Sur le coup, je me contiens.

Mais, quelques jours plus tard, entreprends de rédiger la lettre que vous lirez un peu plus loin.

*

Mais d’abord…

Quelques mots au sujet de l’Académie…

L’Académie Québécoise du Théâtre (1993-2008) [11] a été à une créature du Conseil Québécois du Théâtre (CQT). Son mandat essentiel était l’organisation du Gala annuel des Masques, diffusé à la télé de Radio-Canada.

Je me souviens de la séance du CA du CQT, au début des années 90, autour de cette belle grande table, au sous-sol du CACUM [12], rue Saint-Urbain, au cours de laquelle la représentante de l’association des théâtres privés, essentiellement les théâtres d’été, arrive avec sa proposition dont le but avoué est de faire mousser la visibilité du théâtre.

Pour y parvenir, il est, donc, proposé de créer un organisme, une Académie formellement indépendante du CQT, qui organisera chaque année un événement glamour durant lequel seront décernés des trophées, à l’image des Oscars, des « Masques » couronnant certaines productions et quelques artisans. Il me semble même que dès cette première évocation il est mentionné que la direction de la télé de Radio-Canada a été approchée et s’est montrée intéressée à assurer la diffusion de l’événement si d’aventure sa mise sur pied allait aboutir.

Ce dont je me souviens le plus clairement, toutefois, c’est de ma réaction à l’exposé. Elle se résume en deux mots – que ce jour-là je garde pour moi – : « Ah, tabarnak ! »

Pourquoi un tel débordement de joie de ma part ?

Parce que… regardez les dates : l’Académie est fondée en 1993, c’est-à-dire dans la foulée directe et immédiate de la politique industrielle de F-H adoptée l’année précédente et dont elle constitue une parfaite incarnation : le but de l’Académie sera de démontrer que l’industrie théâtrale… ça marche !, sans dire un maudit mot de ce dont… ça parle.

Une association de théâtres à but lucratif qui propose la mise sur pied d’un événement visant à augmenter l’exposure des succès du théâtre québécois, lequel théâtre est désormais, en vertu de la politique F-H, une activité essentiellement commerciale, ça s’appelle faire un pitch pour une pub. Et pour ceux qui sont appelés à y participer, une campagne de pub dont le but est de dorer le blason d’une activité commerciale, ça veut dire… sourire pour la caméra, fermer sa gueule et se laisser passer dessus par le train – puisque ne pas sourire, ou dire quoi que ce soit d’autre que « Oh ! Wow! » avec de l’eau plein les yeux reviendrait à miner la crédibilité de l’industrie tout entière.

En quelques mots : si jamais ces galas ont lieu, l’ensemble du milieu servira à faire de la figuration (non-rémunérée aux tarifs de l’Union des Artistes) dans un énorme spot publicitaire passant sur les ondes de la SRC – laquelle, du coup, se dédouanera de ne plus mettre de théâtre à son antenne. Comme ça, tout le monde, parait-il, sera content.

Quoi qu’il en soit, devant l’enthousiasme qui déferle ce jour-là autour de la table du CA, et qui, allez donc comprendre pourquoi, ne me surprend pas le moins du monde, je ferme ma trappe. Il me semble que je me contente d’énoncer pour la forme quelques remarques à propos de la prudence dont il conviendrait de faire montre – parce que si je n’en fais aucune, de remarque, la rumeur selon laquelle je suis en train de mourir du sida referait sans doute illico quatre tours de pistes : « Quoi, quoi, quoi ?! Y doit être TRÈS malade certain, c’est rendu qu’y fait pus chier personne ! » –, et elles sont accueillies avec toute la bonne grâce qui dans cette enceinte est onze fois sur dix réservée à mes interventions, c’est-à-dire que l’espace de quelques secondes on jurerait assister à une dégustation de chausettes sales macérées dans l’huile de ricin.

*

… et quelques mots sur l’atmosphère qui entoure, pour un auteur, le Gala auquel il va être fait référence

L’Académie elle-même est donc à mes yeux, dès avant le tenue de son premier Gala, l’incarnation même de l’appui du monde du théâtre à la politique F-H.

1994.

J’ai parlé, notamment dans le billet du blogue intitulé « Les Trois Satanées Plaies… » – le « Mafalda » –, du fait que cette année-là je suis déjà en route vers un changement d’orientation radical dans ma vie ou qu’en tout cas je cherche vigoureusement à m’éloigner du milieu du théâtre, tentative d’éloignement que (heureusement ou pas, c’est selon) je ne parviendrai jamais à mener jusqu’au bout, ma passion pour cet art étant beaucoup trop forte (ce qui n’est pas une raison pour ne pas continuer d’essayer).

Je tente alors aussi, dans toute la mesure du possible, de me tenir tranquille – ne serait-ce que parce toute action ou toute prise de parole, deux ans à peine après l’adoption de la politique F-H et les appuis mur-à-mur qu’elle a reçus, me parait désormais, pour le moment du moins, rien moins que futile.

Il n’empêche que de temps à autre, je l’ai dit aussi, je dois impérativement laisser s’échapper un peu de pression, faute de quoi je ferais immédiatement explosion.

La lettre qui suit constitue justement la marque d’un de ces moments où je laisse « sortir la steam ». Libre à vous de tenter de vous représenter, si ce que vous allez lire à présent n’est qu’une petite vidange d’urgence, ce que ça aurait donné si j’avais plutôt décidé de gueuler à pleine voix…

 

(La mise en page de la lettre a été revue pour en faciliter la lecture à l’écran)

 

*

Montréal, ce 4 décembre 1994

 

Aux membres du Conseil d’administration,

a/s Mme Andrée Lachapelle, présidente,

Académie québécoise du théâtre.

1037, rue Saint-Denis, Bureau 202,

Montréal, Qc H2X 2W1

 

Très chère Andrée Lachapelle,

Mesdames et messieurs, membres du Conseil d’administration,

 

Toutes mes félicitations, d’abord, pour le Gala de votre Académie, qui a constitué un événement mémorable, et d’une rare qualité.

Je ne peux pourtant pas laisser être passé sous silence le fait qu’en dehors de la présence de Michel Tremblay – qui est sans doute la figure la plus connue du théâtre québécois, toutes catégories confondues –, d’un prix pour le meilleur texte créé l’an dernier et de quelques évocations dans le cadre de L’Histoire du théâtre québécois en cinq minutes, pas un seul nom d’auteur, pour aucune des pièces produites l’an dernier au Québec ni même pour celles mises en nomination n’a été mentionné ni dans le programme de la soirée ni par les présentateurs, que ce soit sur scène ou sur les bandes vidéo de présentation des productions mises en nomination.

De deux choses l’une.

Ou bien cette absence systématique était le fruit d’un oubli de la part des organisateurs, ou bien il était celui d’une volonté. Je préfère croire qu’il ne s’agissait pas d’un oubli et, donc, penser que ce fût un choix.

Mais un choix reposant sur le recours à quelle logique ? Je crois pouvoir énoncer quelques éléments de réponse à cette question en exprimant plus explicitement mon malaise, qui est double. D’abord personnel, puis artistique.

Commençons par le personnel, qui me semble être celui qui porte nettement le moins à conséquences.

Il y avait déjà quelque chose d’assez troublant dans le fait de n’avoir appris qu’au hasard d’une rencontre dans les couloirs de l’École nationale de théâtre que la production d’un texte de moi – une création – était en compétition au titre de meilleure production jeunes publics. Mais, bon, ce sont des oublis qui adviennent.

D’apprendre ensuite qu’en dépit de cette mise en nomination, les festivités ne m’étaient pas ouvertes, et qu’il allait me falloir prendre la place du conjoint de la metteure en scène, Alice Ronfard, pour assister à la soirée de Gala, disons que cela commençait à être un peu fort de café.

De me pointer à ladite soirée et de voir la bande vidéo des mises en nomination passer deux extraits du spectacle – nous étions aussi en nomination pour la meilleure interprétation féminine, celle de la remarquable Martine Francke – sans que mon nom ne soit apparu à l’écran, ni qu’il ait été prononcé en scène, ni qu’il ait été imprimé au programme, cela finissait par faire un drôle d’effet; de surnuméraire, disons.

Le sommet de la cocasserie, lui, est advenu plus tard, lors de la réception qui a suivi le Gala. Répondre une dizaine de fois à la question « Mais qu’est-ce que tu deviens ?, on n’entend plus parler de toi ? » que mon interlocuteur avait pourtant visionné au cours du Gala deux extraits d’une œuvre de moi, voir ses yeux s’arrondir et le sentir se mettre désespérément à chercher de quelle production il avait bien pu s’agir, cela tenait du surréalisme.

Je me demande comment une actrice se sentirait si elle apprenait que la Phèdre qu’elle a jouée risque de gagner le prix du meilleur personnage; que son nom à elle, l’actrice, ne sera jamais mentionné; qu’elle ne sera pas invitée à la remise des prix et que, s’il l’emporte, le personnage ira chercher son prix sur scène sans elle ?

Ou un éclairage ? Imagine-t-on un éclairage monter sur le plateau pour aller chercher le prix l’instituant comme le plus beau, puisque de toute façon il existe de lui-même, personne ne l’ayant conçu ?

Ou un costume ?

Ou un décor ?

Ou une musique ?

Ou une adaptation ?

Ou une mise en scène : vous imaginez-vous une mise en scène, émue, resplendissante de joie, se levant de la quatrième rangée, sous les caméras, et s’avançant vers la scène sous les applaudissements nourris des décors, des costumes et des personnages, des musiques et des traductions réunis ce soir-là ?

Je ne crois pas.

Et une production sans auteur ?

Mais très certainement : à preuve, deux heures d’antenne en direct à la télévision d’État.

Il y avait donc ce malaise, personnel. Mais les auteurs, c’est bien connu, ont un ego démesuré. Il n’était sans doute que justice qu’on les écarte un peu pour laisser les autres avoir un peu de visibilité.

L’autre pan de mon malaise, lui, est nettement plus difficile à taire ou à ravaler. Il tient à ce que m’apprend le fait que l’on puisse donner un Gala de théâtre, dans un pays où l’auteur d’une pièce n’a pas besoin d’être nommé ni évoqué, mais le producteur, oui.

Je ne crois pas que l’on pourra prétendre que je prêche pour ma paroisse au détriment des autres si je vous rappelle que l’auteur occupe une place à part dans le cadre de l’activité théâtrale.

Cette place n’est pas le fait d’une volonté de sa part, mais celui de la nature-même de son activité. Une actrice, un costumier, un metteur en scène, une scénographe, un éclairagiste ou un producteur peuvent parfaitement exercer leur talent dans leur propre pays sur des pièces d’auteurs de tous les pays du monde et de toutes les époques de l’histoire. Un auteur, lui, n’a le choix ni d’être né ailleurs que là d’où il vient, ni d’être d’une autre époque que la sienne. C’est pour cela que, lorsque l’on parle d’une dramaturgie nationale, on entend par cette expression l’ensemble des pièces écrites dans un pays plutôt que l’ensemble des productions théâtrales à y être advenues. Roméo et Juliette de Shakespeare n’est pas plus une pièce du répertoire italien sous prétexte que l’action s’en déroule à Vérone qu’elle n’a été écrite au XXième siècle même si nous décidons de la monter cette année. Le titre d’une pièce est attaché au texte et non à l’une de ses productions. La pièce Les belles-soeurs de Michel Tremblay n’a pas changé de titre lorsque, après avoir été créée au Rideau-Vert, elle a été reprise par d’autres théâtres. La pièce était la même, c’était l’interprétation qui en changeait.

Le fait est donc que le titre d’une pièce produite en un certain lieu, à un certain moment par une certaine équipe embauchée par un certain producteur n’est pas le titre de cette production mais le titre de la pièce produite cette fois-ci par cette compagnie-ci et que – dans l’immense majorité des cas – ce titre sera le même si un autre producteur, à une autre époque, dans un autre lieu, décide lui aussi de produire cette même pièce, quand bien même cette nouvelle production devrait s’exprimer sur un mode sensiblement différent de celui adopté lors de la première. [13]

Le personnage d’Hamlet dira « to be or not to be » ou exprimera cette question dans la langue appropriée, qu’il soit interprété par un Anglais contemporain de Shakespeare, par un Russe du XVIIIième siècle, ou par un Québécois du XXième. En principe, cette phrase devrait aussi exprimer la même angoisse devant l’idée du suicide, que l’on ait opté pour un jeu élisabéthain, clownesque, existentialiste ou que tous les acteurs soient tout nus avec des fleurs dans les cheveux. Grosso modo, la structure de la pièce sera elle aussi la même, que le producteur ait été le Globe de Londres dans le premier cas, un théâtre de Saint-Pétersbourg ou de Moscou dans le second, et le TNM dans le troisième. Ce qui revient à dire qu’une production en particulier, et une interprétation des personnages, une scénographie, constituent une des formes que peut prendre l’œuvre portant un certain titre dans des conditions données, mais que de parler de “La Locandiera du TNM” sans mentionner l’auteur de La Locandiera est aussi simpliste que ce le serait de parler du personnage d’oncle Vania dans la pièce de Tchékov en omettant de mentionner qu’il était interprété par Jean-Louis Roux, par exemple, ce qui reviendrait à donner à penser non pas que Jean-Louis Roux a interprété le personnage de Vania, mais plutôt qu’il était bel et bien Vania, auquel cas, par extension, à l’époque des Belles histoires des pays d’en haut de Claude-Henri Grignon, les téléspectateurs auraient été justifiés d’envoyer de la nourriture à Andrée Champagne puisqu’elle non plus n’était plus elle-même mais la pauvre Donalda. Dans un cas comme dans l’autre, l’Académie devrait peut-être expliquer aux Canadiennes et aux Canadiens pourquoi elle souhaite que ce soit l’épouse de Séraphin Poudrier qui ait été ministre et Présidente de la Chambre sous le gouvernement Mulroney, et Vania qui ait été fait sénateur par le Premier ministre Chrétien.

Le premier créateur d’une pièce, et le seul qui ne puisse en aucun cas être remplacé, est son auteur.

Le rappeler ne signifie une volonté ni de nier ni même de relativer l’importance de l’apport des autres artistes et artisans lors de sa création ou d’une production subséquente.

D’innombrables essais ont été écrits au cours des âges pour tenter de déduire ou d’imaginer comment les pièces d’Eschyle et de Sophocle ont bien pu être présentées lors de leur création. Nous ne savons plus comment elles l’ont été, mais nous avons encore les textes des pièces; cela ne signifie pas que l’apport des comédiens lors de ces créations a été dérisoire, cela exprime seulement le fait que l’œuvre dramatique est d’une double nature : à la fois littéraire et définitive d’une part, aussi bien qu’interprétative et éphémère, de l’autre.

L’initiative d’écrire une pièce est soit celle d’un auteur, soit celle d’un tiers qui lui en suggère le thème ou les modalités et le soumet à un contrat – moral ou légal – afin de s’assurer qu’il s’attachera bel et bien à cette écriture. Dans un cas comme dans l’autre, dans la tradition millénaire de l’Occident, la responsabilité fondamentale de mener à bien l’expression première d’une œuvre théâtrale est donc celle de l’auteur. Le producteur, le metteur en scène ou n’importe quel autre intervenant pourra bien critiquer tout son saoul ce que l’auteur a écrit, voire même parvenir à le convaincre de se remettre au travail et d’en reprendre des pans entiers ou la totalité – quand ce n’est pas de le faire eux-mêmes… –, il n’en reste pas moins que la responsabilité de la parole initiale aura été celle de l’auteur, bon ou mauvais – quoi que ces termes puissent signifier selon les modes, les époques et les intérêts dominants du moment. C’est pour cela qu’en général le titre de la pièce, qui la représente, la résume, bref la nomme, est attaché au nom de son auteur : parce qu’il en est le père, ou qu’elle en est la mère. Même quand, longtemps après la disparition de celui ou de celle qui l’a écrite, la pièce tombera – comme on dit – dans le domaine public, le nom de l’auteur et le titre de sa pièce continueront d’être indissociables.

Fondamentalement, cette association d’un titre de pièce et d’un nom d’auteur n’a pas pour but premier d’assurer la renommée de ce dernier ni, dans une hypothèse inverse, de faire profiter une pièce en particulier de la gloire de certaines parties ou de l’ensemble de la production d’un auteur – Titus Andronicus, par exemple, profitant de la gloire d’Othello si l’on prend la peine de préciser qu’elle a, elle aussi, été écrite par Shakespeare.

Ce n’est tout simplement pas la même chose de parler de Oedipe Roi plutôt que de parler de “Oedipe Roi de Sophocle”. Pas parce qu’on supposerait à Sophocle un ego démesuré et que le fait de taire son nom risquerait de nous attirer ses foudres par-dessus les millénaires qui nous séparent de lui, mais simplement parce que l’entreprise fondamentale de l’Art est de nommer.

Dans le premier cas, si l’on ne donne que le titre, ce qui est évoqué est l’objet lui-même, la pièce, qui est alors un objet comme n’importe quel autre objet, animé ou non, composant le monde et portant un nom : arbre, auto, oiseau.

Dans le second, en prenant la peine de nommer Sophocle, nous faisons bien plus que de prononcer ou de rappeler son nom : nous affirmons avoir conscience du fait que cet objet-là, cette pièce, a été créé. Par un humain. De toutes pièces. Elle a été créée par un homme qui, peut-être, ne lui a vu aucune utilité pratique – changer le monde, conscientiser la communauté, attirer les touristes ou fournir les industries culturelles en produits destinés à être mis en marché –, mais qui, quoi qu’il en soit, a vu la nécessité absolue de quand même la faire exister, au point de consacrer une partie de son existence trop brève à la mettre au monde à partir de rien d’autre qu’un sentiment : celui d’une révolte peut-être, ou celui d’un manque, ou d’une solidarité.

Attacher le nom de l’artiste qui est à l’origine d’une œuvre au titre de cette œuvre ne saurait donc être que très subsidiairement – si tant est que ce le soit le moins du monde – le reflet d’une entreprise de relations publiques pour l’entrepreneur-auteur qui voudrait s’assurer que son nom circulera au moins autant que le titre de sa pièce, mais est d’abord et avant tout l’affirmation du fait qu’il y a de fortes chances pour que la nature, le monde, soient indifférents, mais que le geste artistique, lui, constitue une tentative, spécifiquement humaine, peut-être futile mais essentielle, pour y faire circuler un peu de chaleur, de conscience.

Une pièce sans auteur est un objet inanimé, un de plus qui, peut-être bien, dit ceci ou cela, et le dit bien ou n’est pas assez clair, et qu’on a envie de voir ou de revoir ou non, mais un objet. Alors qu’une pièce dont le titre est indéfectiblement attaché au nom de son auteur est un geste : celui de se lever dans un monde indéterminé, qui tôt ou tard nous verra sans broncher être engloutis dans la mort, de se lever et de dire : « J’ai été », cette petite phrase-là tentant de nous situer dans ce monde-là : peut-être n’arriverons-nous jamais à le réchauffer, mais l’essentiel ne réside pas dans la réussite de l’entreprise, l’essentiel réside dans le vœu, dans le souhait exprimé par le geste artistique.

Il y a donc bien, oui, toute la différence du monde entre un titre donné tout seul et un titre associé au nom de l’auteur et cette différence reste vérifiable qu’il s’agisse de Oedipe Roi de Sophocle ou de La Cucaracha de monsieur Euzèbe Tartempion.

Cette différence est celle qui existe entre l’indifférence, la froideur du monde et le souhait à l’égard de l’existence d’une solidarité humaine et d’un sens à nos vies.

Pardonnez-moi, chère Andrée Lachapelle, de me livrer ici à une trop longue épître, et de vous assener des vérités sans doute toutes bêtes dont vous êtes au moins aussi consciente que moi, et tout autant animée par elles.

Mais malgré le plaisir intense que j’ai ressenti l’autre dimanche à célébrer avec mes camarades, malgré l’émotion de l’hommage rendu à nos prédécesseurs, malgré l’admiration et le respect que suscitent chez moi le talent et le courage, la décision de taire les noms des auteurs des pièces présentées au Québec l’an dernier m’a causé une douleur trop grande, touchant des régions trop essentielles à mes yeux, pour que je puisse l’écarter.

Quelles qu’aient pu être les raisons qui ont présidé à la décision de taire les noms des auteurs, je ne peux me résoudre à accepter que La Locandiera, par exemple, encore une fois, ait pu remporter tous les prix que l’on sait sans pourtant que le nom de Goldoni ait seulement été prononcé.

Je ne reprends pas cet exemple pour faire porter un blâme particulier à Lorraine Pintal, pas du tout, mais simplement parce que cet exemple est, hélas, particulièrement éloquent. Je me demande si qui que ce soit, dans la salle du Monument National ou chez lui, chez elle devant son poste de télévision, ce dimanche soir-là, a eu la moindre idée de l’effet que peut susciter chez un auteur le fait de voir une production remporter autant de prix – au point que les guichetières ont été remerciées (ce qui n’est que justice mais relève tout de même d’une définition comment dire… élargie ? du concept d’équipe de production) – mais que cette production-là n’ait pas été celle d’une pièce – puisqu’une pièce a au moins un auteur, par définition.

Dans ce contexte, la remarque de Claude Meunier sur la satisfaction qu’il ressentait devant le fait qu’on parle enfin des auteurs de Broue n’était que plus troublante : ce dimanche-là, le public découvrait peut-être que Broue a ses auteurs, mais l’ensemble de la production québécoise, lui, n’en avait plus…

De même a-t-il fallut que Benoît Girard s’accroche littéralement au micro pour rappeler que pour qu’il ait pu traduire la pièce dont la production venait d’être honorée, il a fallu d’abord que quelqu’un d’autre que lui l’écrive…

Je disais plus haut que je choisis de ne pas croire que l’absence des noms des auteurs des pièces produites l’an dernier ait pu être le résultat un oubli. Si je choisis de ne pas le croire, c’est que de le faire reviendrait à prétendre que les membres de l’Académie croient vraiment que Donalda et Vania, pour reprendre ces exemples, ont fait de la politique active à la fin du XXième siècle au Canada (le fait qu’une telle implication aurait été souhaitable ou non est un tout autre sujet).

Je vois mal comment une telle affirmation serait possible, à moins de souhaiter démontrer par elle que ces membres auraient des problèmes d’appréhension de la réalité, des problèmes assez sérieux en l’occurrence pour leur valoir des cures de repos prolongées dans des établissements hautement spécialisés… ce qui n’est aucunement ici mon intention.

Comme je l’écrivais aussi, s’il ne s’agissait pas d’un oubli, il devait logiquement s’agir d’un choix conscient, cohérent avec des objectifs que l’on cherchait à atteindre. Mais ce choix n’a pas été expliqué. Je dois donc tenter d’en comprendre les raisons par moi-même et je ne peux le faire qu’en examinant les conséquences qu’il a eues puisqu’il devait servir à quelque chose, ce choix, et que je ne puis que supposer que cet objectif a bien été atteint, à défaut de quoi les mesures prises pour l’atteindre auraient été erronées.

De quoi est-ce que je dispose pour réfléchir ? De deux éléments.

Le premier est la disparition des noms des auteurs.

Le second, leur remplacement par celui des maisons de production.

Or, nous l’avons vu, un titre n’est pas celui d’une production. Il est celui d’une pièce. Et une pièce constitue une parole, l’expression d’un regard. Une production d’une pièce, elle, constitue une interprétation parmi d’autres possibles de cette expression. Que signifie le fait de remplacer le nom de l’auteur par celui de la maison de production ? Que l’on considère l’interprétation comme étant plus importante que le regard lui-même, tout simplement.

En d’autres termes, que l’on considère que le texte de la pièce est le prétexte d’une production, ce qui est le monde à l’envers : le jeu des actrices et des acteurs, la scénographie, la mise en scène, les éclairages, devraient être destinés à mettre au monde, à permettre d’incarner une parole qui est celle d’une œuvre dramatique mais ici, nous nous retrouvons avec l’idée qu’une pièce est une justification à la fabrication de beaux costumes et des beaux décors, à briller par son jeu, et à faire le plus grand nombre possible de trouvailles intelligentes dans la mise en scène.

Dans une telle vision, peu importe de quelle pièce il s’agit si elle permet de briller et, même, pourquoi une pièce ? Faire du théâtre, dans cette acception-là du terme, n’est pas dire quelque chose et tenter de le dire le plus clairement possible, mais tout simplement jouer, n’importe quoi, porter, n’importe quoi, dire quelque chose, n’importe quoi, dans un décor, n’importe lequel, en espérant que, dans chacune des catégories, notre n’importe quoi à nous sera considéré comme plus beau, plus frappant, plus enthousiasmant que le n’importe quoi des autres.

Le fait d’écarter les noms des auteurs et de les remplacer par ceux des producteurs n’a aucun autre effet que celui de mettre de l’avant, plutôt que le propos ou la diversité des propos d’une dramaturgie, l’excellence de la production, c’est-à-dire de la fabrication des spectacles de théâtre.

J’en arrive ainsi à la conclusion qu’il est bien possible que les noms des auteurs aient été écartés parce que ce que l’on souhaitait entendre être dit, c’était que l’industrie théâtrale se porte bien, et non pas que soient évoqués les propos que, selon moi, il est le mandat essentiel du théâtre de mettre en circulation, de rendre audible, et de permettre de déchiffrer dans les perspectives les plus enrichissantes possible pour nos concitoyens, nos semblables.

Ainsi le Gala semble-t-il avoir constitué l’occasion – fort agréable au demeurant – de célébrer le fait que désormais les gens de théâtre, au Québec, en tant que communauté, se reconnaissent davantage dans le vocable d’Industrie que dans celui d’Art : peu importe ce que nous produisons (peu importent les pièces et les préoccupations qu’elles portent), du moment que nous produisons bien (que nous produisons des produits tentants pour le consommateur).

En soi, je n’ai pas de problème sérieux avec l’existence de notions comme celles d’industrie théâtrale en particulier ou culturelles en général.

De tous temps, le pur divertissement ou la mise au service de discours privés des formes artistiques ont existé : dans les cas extrêmes, cela a donné la publicité et la propagande dans un cas, et le culte de la dérision dans l’autre. Je sais pertinemment qu’il n’existe pas que des cas extrêmes et même que c’est une erreur de ne juger un phénomène que par ses extrêmes : « On ne va tout de même pas s’empêcher de manger sous prétexte qu’on pourrait se donner une indigestion », pour paraphraser Voltaire.

En revanche, ce à l’égard de quoi il m’arrive de ressentir un malaise, parfois grave, c’est ce à quoi les industries culturelles, elles, reconnaissent un droit à la pertinence quand ce n’est pas carrément à l’existence.

La notion d’industries culturelles induit presque automatiquement celle de rentabilité. Or non seulement les industries culturelles, composant ensemble l’Industrie culturelle, sont-elles en compétition les unes avec les autres, mais il parait inévitable qu’un jour ou l’autre l’Industrie culturelle elle-même se retrouve en compétition avec d’autres Industries, celle du tourisme par exemple, ou celle de la distribution au détail. Nous pourrions donc en venir à considérer que les emplettes du Temps des Fêtes font concurrence à l’achalandage des cinémas, et les distributeurs de films pourraient alors lancer une offensive publicitaire visant explicitement à contrer le marketing des grandes surfaces. Ou encore, le milieu des industries théâtrales pourrait-il être tenté de gruger le marché du disque, ou celui de la location de vidéos, ou celui des Variétés.

Un cran au-dessus, la notion d’Industrie elle-même – au sens d’agglomérat visant la rentabilité sous une forme ou sous une autre de toutes les industries le composant – peut en venir à être conçue comme étant en compétition avec toute autre forme d’activité humaine. Dans une telle perspective, l’Industrie développerait éventuellement un discours visant à exprimer que toute activité humaine ne visant pas la rentabilité et le profit, comme elle le fait, ne mérite tout simplement pas que l’on s’attarde à elle. Dans cette hypothèse, l’Industrie globale, composée d’Industries sectorielles lesquelles étant elles-mêmes à leur tour composées d’industries sous-sectorielles, ce sont évidemment toutes les activités participant de la chaîne de production, de bas en haut, dans tous les secteurs d’activité, qui seraient mises à contribution pour faire prévaloir cette idée. Et pour exclure toute autre.

Je crois que tel est malheureusement le cas.

Je vis dans une société où, nous dit le discours le plus nettement dominant, ne mérite plus d’être pris en considération que ce qui s’attire des revenus propres à au moins justifier l’investissement nécessaire pour sa survie.

En deux mots comme en mille, si je n’ai pas de problème avec l’existence d’une industrie théâtrale, cette industrie, elle, a un problème avec moi dans la mesure où je refuse de m’inscrire dans ses rangs et que je cherche à réfuter l’argumentation prédatrice qui est la sienne, selon laquelle il n’est que deux manières d’être dans la vie : ou bien on mange les autres, ou bien on est mangé par eux. Le simple fait d’énoncer que cette dichotomie simpliste ne me semble pas suffisante pour décrire la vie et ses enjeux fait de moi un compétiteur aux yeux des tenants de la vision Industrielle, puisque je déclare qu’il est une autre façon de voir la vie que celle qu’ils proposent, qu’il ne saurait être question pour eux d’accepter la dissidence à ce sujet, et qu’en termes de rentabilité il ne saurait exister qu’un seul critère : le succès.

Ainsi donc, que l’Académie québécoise du théâtre décide d’honorer les meilleures productions de la saison précédente, cela ne peut que me réjouir même si cela se fait selon des modalités qui donnent à voir en plein déploiement l’existence d’une industrie théâtrale avec laquelle, en tant que telle, je ne me sens guère d’affinités. Il sera par exemple normal, dans un tel contexte, que le metteur en scène de l’événement vienne s’adresser à l’auditoire, avant l’entrée en ondes, pour lui demander de faire preuve d’enthousiasme, puisqu’un événement aussi public qu’un Gala télédiffusé, surtout le premier, se doit de démontrer la vigueur de l’industrie dont nous sommes là pour assurer la mise en marché. Je n’ai pas de trop gros problèmes avec cela. Aucun, en tous cas, avec lequel je ne puisse pas arriver à vivre.

Là où les choses se corsent c’est lorsque, dans le but de bien faire la démonstration de la remarquable vitalité de l’industrie qu’il s’agit de promouvoir, on décide d’exclure tout ce qui pourrait faire penser à quoi que ce soit d’autre qu’à la pure notion de pur succès. Une telle décision revient en effet à poser deux termes entre lesquels il faudrait nécessairement choisir : ou le succès d’un côté, ou n’importe quoi d’autre de l’autre. Dans le cas du Théâtre, choisir de ne parler que de succès ne peut signifier que d’avoir à se taire sur l’objet même de l’Art, et donc de se taire sur les interrogations qui portent les artistes : sur la douleur, la tragédie, le sens, la vie, le néant peut-être.

Dans un contexte purement industriel, c’est le fait d’être le meilleur qui importe seul, indépendamment de toute prise en considération de la nature de la compétition qui a été livrée. Ainsi donc, dans le cas d’un Gala industriel du Théâtre, le sujet des pièces primées n’a même pas à être évoqué, la raison d’être d’un tel Gala n’étant de faire la démonstration que de ce que, dans ce milieu-là comme dans tous les autres relevant de la pensée Industrielle, il y a des gagnants, donc de la compétition, et qu’il ne peut en conséquence s’agir que d’un milieu sain – en termes industriels –, ayant droit au moins à la survie.

C’est très précisément avec ce dernier aspect, aussitôt que je le rapproche de l’absence des auteurs lors du Gala, que je rencontre mes problèmes les plus graves. Parce que, encore une fois, pour arriver à avoir le droit de survivre en contexte Industriel, il faut être performant, compétitif et battant, et que dès lors que les représentants de l’ensemble du milieu théâtral décident de faire la preuve de sa vigueur en de tels termes, ils ne peuvent y parvenir que presque certainement en faisant abstraction de sa raison d’être.

Cela est particulièrement vrai au Québec, où le moins que l’on puisse dire des thèmes les plus souvent exploités par notre dramaturgie est qu’ils ne sont guère triomphalistes, beaucoup s’en faut.

Ainsi, la vigueur du Théâtre en tant qu’Industrie ne me semble-t-elle pouvoir être démontrée qu’au prix du sacrifice de sa parole, et donc à celui de la trahison pure et simple de ce qui pourrait aujourd’hui faire la force de l’Art dramatique comme elle l’a fait depuis des millénaires : en étant audacieuse, frondeuse et délinquante, non pas formellement mais en ce qui a trait à ses propos.

Le pari de croire que la capacité de projeter l’image d’une industrie théâtrale forte et enthousiaste à son propre égard ne peut faire autrement que d’attirer à elle des consommateurs nombreux me parait tenir davantage du discours de la Zoologie que de celui de l’Art.

Penser que la promotion d’un Théâtre industriel va aider le Théâtre constitue une erreur grave : l’esprit de compétition ne connaît que lui-même et ce qui peut le servir immédiatement, et il n’a besoin que de lui-même et de ce qui peut lui permettre de se radicaliser absolument. La notion d’Industrie ne prend à son compte aucune révolte, aucune angoisse face aux questions du sens ou de la mort. Au contraire, c’est l’évitement à l’égard de ces questions qui se trouve en son centre : « Pour qu’un seul survive, il faudra que beaucoup meurent », tel est l’axe autour duquel elle s’exprime. « C’est la vie ! », ajoute-t-elle aussitôt pour bien marquer que toute idée de révolte est déraisonnable.

Eh bien l’Art, lui, prétend dire le contraire : non seulement le décret selon lequel on ne peut pas concevoir les choses autrement qu’elles sont n’a-t-il pas besoin de notre appui, mais encore, même s’il s’avérait sensé, ce ne serait toujours pas une raison suffisante pour l’accepter et s’empêcher de dire notre révolte. Ainsi, que le Théâtre accepte et même cherche à être perçu d’abord et avant tout comme une industrie dans le regard de ses contemporains constitue-t-il une trahison de son mandat : il n’est pas là pour promouvoir l’acceptation. [14]

Il ne fait pas de doute désormais que nos camarades peuvent très bien mettre sur pied un Gala qui n’a rien à envier à ses modèles. Simplement, je n’arrive pas à me convaincre que ce soit là l’affirmation la plus pertinente que tous les artistes de théâtre réunis puissent adresser à leurs contemporains et si j’espère sincèrement que les industries théâtrales québécoises connaitront tout le succès que leur savoir-faire mérite, je ne peux m’empêcher de regretter amèrement qu’elles croient ne pouvoir fleurir qu’au prix d’écarter résolument ce qui leur a d’abord permis de naître et de se développer.

Croyez bien, chère Andrée Lachapelle, que les remarques que je vous adresse aujourd’hui, à vous et aux membres du Conseil d’administration que vous présidez, ne diminuent en rien l’immense plaisir que j’ai eu à assister à votre Gala. J’aurais d’autant plus mauvaise grâce à bouder ce plaisir qu’après tout je n’ai assisté à cette soirée qu’à titre privé, pour escorter la metteure en scène d’un texte qui s’est écrit tout seul.

Dans un pays où les pièces s’écrivent toutes seules, les soirées comme celles de votre Gala ne peuvent être que remarquables à tous égards.

Il ne me reste qu’à espérer que d’autres secteurs d’activité sauront profiter de l’expertise des gens de théâtre : en moins d’un an, le Café de la Place et La Rallonge – pour ne parler que de ces deux-là et que de Montréal – ont disparu en tant que producteurs. Ce qui n’empêche pas tout le milieu de s’ébattre et de se pâmer comme si le Nirvana venait de le frapper de plein fouet.

Hors-mur, des pans entiers de la société s’écroulent. Mais les gens de théâtre, eux, s’imaginent que s’ils s’applaudissent assez fort les uns les autres, leurs salles vont se remplir; nos contemporains, croient-ils, n’ont que de cela à se soucier : aller entendre se parler des gens qui se trouvent bons entre eux.

Bravo.

Dans le même esprit, on pourrait aussi jeter dans le fleuve avec leurs dossiers médicaux ou scolaires la moitié des gens qui meurent dans nos hôpitaux ou qui risquent de décrocher avant d’avoir obtenu leur diplôme d’études secondaires. La productivité des systèmes de santé et d’enseignement s’en trouverait radicalement accrue à peu de frais.

 

Avec mon amitié et mon respect,

René-Daniel Dubois

 

c/c Louisette Dussault, présidente, Conseil Québécois du Théâtre (CQT) – Carole Fréchette, présidente, Centre des Auteurs Dramatiques (CEAD) – Robert Gurik, président, Association Québécoise des Auteurs Dramatiques (AQAD)

*

Si ma mémoire ne me trompe pas, la brève réponse que je reçus disait en substance : « Tu t’imagines toujours ben pas que je vais répondre à ça ?! »

*

Pourquoi est-ce que je vous le raconte ?

Oh, pour rien. Juste parce que ça me tentait – chus fait’ de même.

Les auteurs qui parlent de sujets que les critiques n’aiment pas, qui se font dire de se fermer la gueule sans que qui que ce soit ne bronche. Des auteurs écœurés d’être traités comme des moppes mais incapables de lever ne serait-ce qu’un doigt pour changer quoi que ce soit à leur propre situation. Une dramaturgie dont on dit en pleine télé qu’elle s’écrirait toute seule et pas un chat ne remarque quoi que ce soit. Et le théâtre, qui n’est plus rien d’autre qu’une activité économique, qui commence à couler – et qui, dans quelques années à peine, aura été supplanté par les comiques… sans qu’encore une fois la moindre plainte n’ait été audible.

Vous êtes au courant de ce que le SEUL problème du théâtre québécois, c’est le cash ?

Et que ça fait bien un gros dix-douze ans que ça dure ?

Si, si.

C’est le CQT qui le dit. Ça doit donc être vrai.

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(juillet-août 2017)

 

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