A mes maîtres

Un des trois textes fondateurs de ma parole politique (avec le DisneyWorld Syndrome et la Prière Laïque – 8 octobre 1990)

 

Cartable Essais I - 00 02 1984-11-15 - Devoir - Texte rdd - À mes maitres 01c petite

 

Pour célébrer le souvenir désormais douloureux d’un 15 novembre

 

Le Devoir – 15 novembre 1984

NDLR

La plupart ne s’en souviennent plus, certains veulent l’oublier, mais il est un fait qu’aujourd’hui, il y a huit ans, le Parti québécois était élu à Québec pour préparer l’indépendance.

René-Daniel Dubois est l’un des auteurs de théâtre les plus prometteurs. Il a 29 ans. Il est de la génération de ceux qui avaient 20 ans en 1976. Il interpelle aujourd’hui ceux qui siègent à Québec.

Auteur de Panique à Longueuil, de Ne blâmez jamais les Bédouins, de William (Bill) Brighton et de 26bis, impasse du Colonel-Foisy, René-Daniel Dubois témoigne avec une fougue exceptionnelle.

 


 

 

Ce qui est naturel, c’est le microbe.

Le reste, la santé, l’intégrité,

la pureté, si vous voulez,

c’est un effet de la volonté

et d’une volonté qui ne doit jamais s’arrêter.

Albert Camus, La Peste

 

Il y a 25 ans, dit l’histoire, la jeunesse d’un pays, désespérée, écrasée, étouffant, commençait de changer le monde. Refusait d’accepter ce qu’on lui disait être son destin. Inévitable. Sa mort à petit, petit feu.

Vingt-cinq ans plus tard, est-il « dicible », est-il recevable par la jeunesse d’alors que celle d’aujourd’hui meure du même silence qu’elle a combattu ? Acceptez-vous que nous vous disions que tout est à refaire ? Que la vie est toujours à refaire ? Est-il encore possible de crier ? Ou l’écho ne me répondra-t-il, ne nous renverra-t-il, exclusivement, que le reflet d’une prétention inviable sous prétexte des vérités acquises, une fois pour toutes, par vous au combat ? Les enfants des révolutionnaires tranquilles, je, ne sommes-nous que fantasmes, rejetons indésirés, indésirables à qui il est affirmé sans appel que leur avenir est tracé : l’attente. L’écoute. L’admiration éperdue devant la grandeur des victoires et des défaites inquestionnables ?

Si nous sommes possibles, seulement probables, et pas uniquement comme témoins ou chantres-relais de vos batailles auprès de ceux qui suivront, le droit à la vie, à son expression ailleurs qu’entre nous, nous est-il accordé ?

Ou devons nous l’exiger ?

 

Ou alors ne sommes-nous qu’un rêve ? Qu’un cauchemar ? Qu’une bévue, un accroc ? Encore une génération perdue ? Et avez-vous idée de ce que c’est de nous faire dire, à froid, chiffres en  main, dossiers à l’appui, toutes preuves au vent, que nous sommes à jamais témoins passifs des grandeurs de nos maîtres pour notre plus grand bien ?

Voici un texte dont j’ai peur, peur panique, éperdue, qu’il ne décrive où s’écoulent mes dernières jeunes années. Je ne souhaite rien tant qu’avoir tort. Un, une d’entre vous le prouvera-t-il ? En gestes. Nous n’en pouvons plus de vos discours.

_______

À mes maîtres

 

Je vis en une ville

Où l’on marche

Entre les voitures.

Pauvre,

On s’y transporte

À pieds

Entre les voitures

Que seul un conducteur occupe.

Ceux des autobus n’ont pas

Assez des bagues aux doigts

Pour supporter la vue

Des miséreux qu’ils devraient prendre.

Les ambulanciers

Non plus.

Tandis que

Là-bas, dit-on,

On arrête les gens

Qui font la grève,

Comme sous le règne d’un despote

Dont on garde le souvenir

Cuisant.

Duplessis.

Et tous les pachas, toutes les reines-mères,

Qui, à travers nous

S’affrontent

Sur nos têtes,

Tous les Négotiateurs, Prêcheurs, Plaideurs,

Directeurs, Administrateurs,

Députés, Élus,

Ministres du culte laïc

Des droits innés

Pour soi,

Je les entends encore nous dire, hier,

Que nous avions

Un pays

Dont ils étaient déjà fiers.

Et dont il ne faut plus parler.

Ils n’ont plus le temps

D’entendre.

Trop occupés à assurer

Leurs fauteuils

Sur nos têtes.

Qui sera le moins baveux

Ou dira de l’autre

Qu’il l’est davantage.

Trop occupés

À s’asseoir sur nous.

Sur la moitié de toute

La jeunesse d’une nation

Dont ils se disent que

Deux d’entre eux

Avaient tort,

Grand tort,

De ne plus manger 

Pour nous dire

Qu’on leur avait menti.

Qu’on nous a menti.

Qu’on nous ment effrontément.

 

« Nous sommes peut-être quelque chose

Comme un grand peuple. »

Dieu,

Que serait-ce si

Nous en étions

Un petit !

 

Refuserions-nous autant de

Parler

De ce qui seul

Nous les faisait

Élire et nous poussait à courir les rues,

Fleur-de-lysé au poing,

Par une nuit de novembre

D’il y a des siècles.

D’il n’y a guère moins

Longtemps

Que toutes les autres

Trahisons.

D’il n’y a guère moins

De temps

Que ce clergé

Qu’ils dénonçaient

Hautement

Et dont ils savent

Si bien

Reprendre les fonctions

Toutes les fonctions

D’érections morales,

D’excommunications,

De gestion de l’Index,

De fuite derrière

Tous les faux-fuyants,

Par épuisement, dit-on,

Mais s’il fallait…

S’il fallait…

S’il était possible

Que le rêve dit

N’ait été qu’un leurre ?

S’il fallait que l’on n’aie

Jamais rien voulu d’autre

Que ce que l’on a

Obtenu ?

Ou les questions

Doivent-elles être tues ?

Et qu’en est-il

Dans ce cas

Des réputées victoires

Sur les grandes noirceurs ?

 

J’ai 29 ans

Suis jeune encore

Et vois, déjà

Derrière moi

Pousser

Plus jeunes encore

Devant qui pachas et reines-mères

Ferment les portes

Toutes les portes

Eux, elles, qui ont

Bu le sang

De toute une génération

Qu’ils prétendaient former

Pour nourrir seulement

– Ou les faits mentent-ils ? –

Leur propre petite sécurité

Ne lui laissent

Que la coquille d’un rêve

En lequel ils, elles

N’ont jamais cru

Ou alors qu’en ont-ils fait ?

Et pourquoi le cachent-ils

À de telles profondeurs ?

 

Professeurs, Syndicalistes

Poètes

Je ne vous demandais

Rien.

 

Vous me disiez

Qu’il me fallait un

Pays.

 

Et je vous ai entendus.

Résonnent encore

Vos mots :

Se doter des moyens

De nos rêves. 

 

Maintenant, je vous

Vois

Me dire,

Nous dire,

Qu’il vaut mieux

Applaudir avec

Celui qui crie

« Vive le puissant voisin

Et baisons lui les pieds. »

Et les outils acquis,

Dit l’usage que vous en faites,

N’étaient que ceux

De vos carrières.

 

J’ai peur,

Jusqu’à maintenant en silence,

Des promesses,

Des rêves

En lesquels

Vous m’avez fait croire

S’ils n’étaient

Que prétextes d’arrivistes.

Vous avez accepté

Le terrain de la haine.

Du mépris.

Du rejet.

Les hauteurs

Par vous atteintes

Ne sont pas celles

Dont l’évocation

Vous lavait la bouche.

 

Vous,

Intellectuels d’hier,

Vous avez dit

À, déjà,

Tout un peuple

Qu’il suffisait de vous croire

Et nous vous

Retrouvons

Négociant

Notre perte.

À nous.

Oh, pas à vous.

Vous avez vos fauteuils.

Et toutes vos polices,

Pires encore

Que celles que vos

Jeunes années

Dénonçaient

Nous tiennent en respect.

 

Entendez le mien,

De respect.

Oh, vous

Entendez-le

Quand je vois

Mes cadets,

Mes jeunes sœurs,

Se buter la tête

Contre l’assise de vos murailles,

S’ils ne daignent

Vous lécher le cul comme une plaie,

S’écraser devant votre douleur

Au souvenir de vos glorieuses jeunes années,

De vos glorieux combats.

Toujours les vôtres.

Toujours vous !

 

Vos vérités,

À jamais

Pour remplir tout

Ce qu’il nous reste de temps.

 

Vous étiez frères, sœurs,

Disiez-vous.

Vous parliez,

Vous parlez encore,

Entre vous,

De préjugé favorable,

Entre deux tables

Ou deux fauteuils à la même.

Oh, vous,

Nos gouvernants

De toutes les polices

De la pensée,

Des nouveaux codes

Pernicieux

De l’Autorité

Absolue,

Du bien-être moyen

Et de la joie sondée.

 

À l’instant

Improbable

Où, au haut de vos chaires,

Vous aurez un répit

Dans l’exercice

Éclairé

Par Dieu sait

Quel Dieu

Vous indiquant,

À vous,

La voie de nos destins,

À nous.

Prêtez l’oreille.

Vous entendrez

Encore

Le bruissement

Feutré

Du désespoir,

Du plus-rien-à-perdre

De la Révolte

Que vous nous

Expliquiez si bien.

Et il sonnera

Comme un mea culpa :

Nous leur avons confié notre rêve

El ils en font nos chaînes.

* * *

Tous les rêves (est-ce écrit, décrété quelque part ?) sont-ils condamnés à vieillir en cauchemars ?

Tous les fils, toutes les filles des rêveurs sont-ils condamnés au destin des monstres ? Se le doivent-ils ?

Vos douleurs seront-elles toujours le repoussoir des nôtres ?

Un cri se peut-il encore ?

Et entend-on le mien ?

Vous tenez les rêves, en ces terres. Vous vous êtes battus pour les prendre. N’escomptez pas que nous vous croyions sur parole quand vous nous dites que « C’est peut-être l’enfer, mais nous faisons de notre mieux. »

Je refuse cet enfer.

Je refuse d’en vivre.

Je refuse d’y mourir vivant.

 

Un cri se peut-il encore qui rejette les culpabilités quand vous nous dites qu’il n’y a que d’elles dont nous pouvons, devons vous aider à supporter le poids.

Quand nous pourrons aussi porter la joie, et les aubes dans leur réalité et pas qu’en promesses, nous serons à vos côtés.

 

 

 

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