(30 mai 2020)
Par un resplendissant dimanche de mai – et de début de déconfinement –, Jean-Claude (Coulbois) et moi allons visiter notre ami André. André Brassard.
Dès que nous sommes chez lui, Jean-Claude offre que nous sortions, ce qu’André ne fait pas souvent. Que nous allions au parc.
André accepte.
Nous ressortons donc, masqués comme trois Zorro en goguette. Pas pressés.
Nous partons nous installer au grand soleil.
Nous mettons à jaser.
Et c’est tout.
*
Mais c’est immense.
Nous rions, nous blaguons.
Et nous tempêtons et grognons – juste un peu.
Mais, surtout, surtout… nous ressassons des moments.
Certains lumineux. D’autres, difficiles.
Dans un mélange parfait.
Et un admirable désordre.
Ça part dans tous les sens.
*
André a signé plusieurs des mises en scènes marquantes du théâtre d’ici – il en sortait deux, trois, quatre par année, des années durant.
Jean-Claude a réalisé plusieurs documentaires marquants sur le théâtre. Portraits de Jean-Louis Millette, de Robert Gravel. Un regard sur les répétitions de la création de Messe solennelle pour une pleine lune d’été, de Michel Tremblay, menées par André. Un documentaire à mon sujet – j’aime à dire « sur mon cas ».
André m’a enseigné à l’École nationale de théâtre, dans les années 70. Et il a été le premier à m’offrir un rôle à ma sortie, pour la création, durant les Olympiques, de Sainte Carmen de la Main.
Nous parlons de tout ça et de cent autres choses encore.
Du récent départ de Michelle (Rossignol) et de Monique (Mercure), bien entendu. Longuement.
Et j’avais juste envie, ici, d’un peu marquer le moment.
***
Trois artistes, assis dans un parc.
Au grand soleil.
À un bras et demie de distance l’un de l’autre.
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Je n’ai pas envie de dresser la liste des sujets que nous avons abordés.
Rien que de faire ressortir quelques-uns des moments qui nous sont revenus.
Des trouvailles. Des nouvelles. Des rappels.
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Et de profiter de l’occasion pour vous inviter à contempler un petit bijou – qui nous concerne tous les trois, André, Jean-Claude et moi.
Ce sera pour la fin.
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Ah non, tenez. Un des sujets abordés, tout de même. Il est trop touchant.
À un moment, nous parlons de l’ “Aventure Sainte Carmen” (celle de l’été 76, parce qu’il y a eu d’autres épisodes : au Théâtre la Main, l’automne suivant; au TNM; à Radio-Québec),
Et je lance à André : ” Tu sais que le soir de la Première, chez Duceppe, c’était le jour de mes vingt-et-un ans ? Eh oui — j’ai eu vingt-et-un ans le jour de ma première Première professionnelle !”
C’est une manière de lui dire Merci “par la bande”, après toutes ces années.
Son regard s’allume encore plus, il lance des petites flammèches, il lui monte un grand sourire aux lèvres et il dit :
“Ah oui ?! Sais-tu quoi ? Moi, j’ai eu vingt-deux ans le lendemain de la création des Belles-Sœurs !”
Et je trouve ça remuant.
Une complicité par toutes petites touches.
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À un moment, Jean-Claude s’exclame :
« Vous savez quoi ? Je suis tombé sur un bout de captation de À soir on fait peur au monde, en ’69, avec Charlebois, Forestier, et toute la bande ! »
Pas vrai ?!
« Ouiii ! »
Alors nous parlons de ça.
De mon côté, de fil en aiguille, je me rappelle avoir vu, ado, quelque part sur le territoire de l’ancienne Expo – à l’Expo-Théâtre ? à l’ancien Pavillon de l’Italie ? je ne sais plus – un autre show de la même bande, à laquelle s’était joint Gilbert Chénier : Moi maman m’aime. Qui m’avait rendu fou de bonheur.
La scéno était en plastique aux couleurs pétantes : une immense frite, un hot dog steamé all-dressed de huit pieds de long, un cheeseburger soufflé qui devait bien faire dans les huit ou neuf pieds de haut. Nous parlons de ça un moment.
[Ce n’est qu’au moment d’écrire ceci que je pars, sur le Net, à la recherche d’infos sur ce superbe show d’autrefois… et que j’apprends que j’étais totalement dans le champ !
Charlebois n’avait rien à y voir. Moi ma maman m’aime, c’était un spectacle monté par Jean-Pierre Ronfard — avec Louise Forestier (ça doit être sa présence qui a induite en erreur ma petite tête de linotte), Pauline Julien, Yvon Deschamps, et Gilbert Chénier. Mais… j’avais toujours bien Chénier et le hot dog de corrects !]
[Quelques jours plus tard, Jean-Claude m’envoie un courriel. Le titre du show lui rappelait quelque chose, il avait le vague souvenir d’avoir à son sujet quelque chose dans ses “boîtes aux trésors”, alors il est allé fouiller et a déniché 4 photos de la production.
En voici trois :
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Revenons au parc.
Jean-Claude enchaîne en nous parlant de comment il comprend Charlebois, et sa place dans la culture d’ici. Et du fait que selon lui quelque chose s’est brisé, tout de suite après les années folles de À soir…, quelque chose s’est brisé, en 70, qui n’a jamais été réparé.
Le lendemain, lundi, il m’envoie deux clips. Je cherche, en trouve des versions différentes sur YouTube. Les voici.
“Tout écartillé” – dans À soir on fait peur au monde – en 1969
Et :
Et puis “Fu man Chu” – un autre moment marquant de mon adolescence.
Je fouille – retrouve sur mon ordi la pochette et le livret :
Et puis, sur YouTube, un autre lien encore :
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Ensuite nous parlons du merveilleux Gianmaria (Gianmaria Testa), mort il y a déjà quatre ans.
Un ami de Jean-Claude – que j’ai eu la chance d’un peu connaitre grâce à lui. Souvenirs lumineux d’un repas grec pris en sa compagnie, sur une terrasse de l’avenue du Parc.
Jean-Claude nous apprend qu’après son décès, sa compagne a réuni des maquettes de chansons qu’il avait préparées, et les a endisquées.
L’album s’intitule Prezioso.
Et on y trouve, entre autres bijoux, une version du Plat Pays de Brel, en italien :
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Voilà, c’était juste ça, que je voulais vous dire.
Vous parler de quelques chansons, comme des cailloux qu’au fil de sa vie on a ramassés au bord du fleuve, par jours de bonheur.
Que l’on dispose sur la table en racontant en trois mots :
“Ah, celui-là, c’était en vacances avec mon amour.”
Ou:
“Celui-ci, c’est au cours de notre tournée des grands-ducs — nous avions été saouls dix jours de suite, sans discontinuer.”
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Et puis… voici le bijou annoncé.
En 1997, j’avais été invité par Yvan Bienvenue à écrire un Conte Urbain. Ce que j’ai fait.
Il s’intitulait L’Ange et le Lutin.
Et André avait insisté pour le jouer.
Nous avions répété ensemble, tous les deux. Des heures de pur bonheur de gars de théâtre !
À la Licorne, Jean-Claude a profité de l’occasion pour le filmer : “André Brassard en scène !”
Il est inoubliable !
Cliquez sur la photo – vous aurez tous les détails et un lien pour voir le vidéo.
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Mille bons vœux à vous !