« Ce serait la vie »

8 août 2022

 

À partir d’un fragment du scénario inédit

Quand la guerre sera finie (1991-1994)

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No one belongs to anyone.
We’re all cut off at birth
with a knife
and left at the mercy of strangers.
You hear that ? STRANGERS.

                                Timothy Findley – The Wars

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Personne n’appartient à personne.
À la naissance,
tous, on nous sépare avec un couteau
et on nous abandonne
à la merci d’étrangers.
Tu entends ça ?! D’ÉTRANGERS !

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Par une belle aube d’été, affalé sur une corniche rocheuse du Mont-Royal qui s’avance au-dessus du vide et domine l’Est de Montréal, Tom, seul, est en train de mourir au bout de son sang.

Il repense à ce qui l’a mené ici. Et, tout doucement, des histoires, des fables qui se répondent, se mettent à remplir son esprit.

Dans l’une d’entre elles, un avocat prénommé Simon obtient du diable la permission d’aller parler un instant avec le garçon qui aime aujourd’hui celui que lui, Simon, a aimé autrefois.

 


 

Extérieur Nuit d’hiver. Une petite rue déserte du Plateau.

Simon apparait sur le trottoir.

Le Garçon, un peu plus loin, saoul, est assis dans un escalier en colimaçon. Il est tendu comme une corde : l’alcool n’a pas eu l’effet escompté.

À pas lents, en silence, Simon s’approche de lui.

 

SIMON  ‒  Bonsoir.

 

LE GARÇON  ‒  Le magasin est farmé.

 

SIMON  ‒  Je sais.

 

LE GARÇON  ‒  R’viens d’main.

 

SIMON  ‒  Je veux pas coucher avec toi.

 

LE GARÇON  ‒  Ma sœur aussi, est off.

 

SIMON  ‒  J’ai besoin que tu me parles de quelqu’un que tu connais.

 

LE GARÇON  ‒  ‘Stie ! Un inspecteur du BS ?! Tu fais pas semblant, toi, tabarnak, quand tu fais d’ l’overtime…

 

SIMON  ‒  J’ travaille pas pour le BS. Pis pas pour la police non plus.

Tu connais quelqu’un dont j’ai besoin qu’tu m’parles. Quelqu’un que j’ai connu y a très longtemps. C’est un avocat. Il s’appelle André.

 

Le Garçon fige net.

 

SIMON  ‒  Tu l’aimes, non ?

 

Le Garçon hausse les épaules, trop énergiquement.

Silence.

 

*

 

Extérieur Nuit d’hiver. Rue du Plateau.

Un bon bout de discussion a dû se passer : il y a plusieurs mégots au pied de l’escalier, dans lequel Simon s’est assis lui aussi.

Le Garçon est en confiance, à présent, c’est-à-dire qu’il semble ne même plus se rendre compte de la présence de Simon.

 

LE GARÇON  ‒  Un jour. Un après‑midi. On faisait l’amour.

T’sais, c’est vrai, j’aime pas ça, souffrir. Ou. Chus pus sûr. En tout cas j’aimais pas ça. Avant. Pantoute.

Mais pour être proche de lui, même juste de temps en temps, y a ben fallu que j’apprenne. Un après‑midi, su’ l’ grand tapis d’ son salon. J’étais là depuis la veille. C’est la fois qu’ chus resté le plus longtemps chez eux, j’ pense. Il faisait un grand soleil d’hiver : on baignait dans la lumière, bleue tellement êtait blanche. Y a arrêté de bouger, tout d’un coup. Longtemps.

Quand je lui ai demandé si y avait queuk chose qui marchait pas, y a éclaté de rire. Pis y a dit : « Ta veulerie. » Il s’est l’vé. Il m’a laissé là. S’est habillé en vitesse pis y est parti.

Chus resté là. À l’attend’. Trois jours.

J’ai rien pris de c’ qui était à lui. J’tais pas capab’. J’ marchais jusqu’au magasin pour aller m’acheter c’ qu’y m’ fallait pour manger, même si son fridge ‘tait bourré jusqu’aux oreilles.

C’tait au tout début de not’… histoire. Pendant ces trois jours-là, j’ai eu l’impression d’êt’ une marionette à qui on aurait coupé les fils mais qui aurait pas perdu connaissance : est jus’ écrasée à terre. Pis a l’attend qu’on la ramasse.

Cette image‑là me revient souvent. À des moments qui ont pas d’allure, d’habetude. Claire comme si j’tais là. Moi, tout nu, tout… désir, rien que désir, dans la lumière blanche blanche blanche, offert jusqu’aux trognon. Pis lui, debout au‑dessus de moi, en train de mettre son veston en regardant dehors, pis qui s’ tourne vers moi, pis qui me détaille de la tête aux pieds avec l’air d’avoir le cœur qui y lève…

 

SIMON  ‒  Qu’est-ce que t’appelles « aimer » ?

 

LE GARÇON  ‒  Je l’ sais-tu, moi ?

 

SIMON  ‒  Essaye.

 

LE GARÇON  ‒  Je l’ sais pas. Je l’ sais pas, mais avec lui c’tait…

 

SIMON  ‒  Quoi ?

 

LE GARÇON  ‒  Quand’ j’tais proche de lui. Y avait comme une promesse. Comme.

T’sais, pas comme quant’ queuqu’un te fait une promesse… mais quant’ y a tient ?

T’sais, c’que ça fait, en d’dans, quant’ queuqu’un t’a promis queuk chose pis que tu t’es dit : « Ouan ouan » ? Pis tout d’un coup, ça arrive, i’ l’ fait ?!

Y a comme. Comme un poids, qui part, tout d’un coup. Pis tu t’ sens pus pareil ? Y a comme. Comme d’un coup, le sens de tout’ r’vire bout’ pour bout’ ? Pis les couleurs de tout’ changent, pendant queuk menutes ?

C’tait ça.

 

SIMON  ‒  Quelle promesse ?

 

LE GARÇON  ‒  J’ai jamais pensé que j’ me rendrais à l’âge que j’ai là.

Y a des jours, chus surpris d’êt’ encore en vie.

Souvent.

 

SIMON  ‒  Quelle promesse ?

 

LE GARÇON  ‒  Ces jours-là, ces moments-là, j’ m’aperçois à quel point chus un batailleux. À quel point j’y tiens, à la vie. À quel point, pour moi, la vie est une bataille. Une guerre. À chaque hestie d’ menute.

J’ peux pas, lâcher. Je sais qu’ si j’ lâche, m’a tomber en pleine face pis m’a rester là. Pus capab’ de bouger. Pis m’a crever là.

 

SIMON  ‒  Quelle promesse ?

 

LE GARÇON  ‒  Avec lui.

J’ savais que même si j’ lâchais… j’ tomberais pas.

J’ savais que j’ braillerais pendant deux mille ans.

J’ savais qui me r’mont’rait, pendant des années pis des années, des douleurs pis des crampes, pis des peines, pis des joies que j’ai tout’ cachées dans ma cave.

J’ savais que la menute qu’i’ dirait « Oui », mais même sans l’ dire, la menute que j’ sentirais qu’i’ pensait « Oui », ça allait partir comme un volcan pis un tremblement d’ terre, partout. Comme la fin du monde. Mais que j’en crèverais pas.

Pis après ça.

Après çà, ou ben en même temps, lui ‘si, ça y f’rait pareil.

C’ qui fait que… pendant un bout’, on s’rait tu-seuls ensemb’.

À s’ raconter la guerre.

Comme on l’a vécue chacun d’ son bord.

Avec jus’ des moments, de temps en temps, où on se r’trouv’rait pour faire l’amour.

Comme.

Comme pour reprend’ not’ souffle.

Pis après ça.

Après ça.

La guerre s’rait finie.

Ce s’rait la vie.

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