Un matin… (2/X)

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Chapitre 2

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L’instant d’apprès, il soulevait derechef les paupières – mais, cette fois, pour contempler un monde qui lui était habituel depuis toujours ou bien peu s’en faut.

Il fixait deux secondes le plafond vert pâle qu’il connaissait trop bien. Sur ses oreillers couleur caramel tournait légèrement la tête vers la droite et jetait un regard en direction de sa table de travail, tout là-bas, encombrée comme il se devait de piles de papiers en désordre. Puis sur la carpette, jonchée de chaussettes multicolores espérant la lessiveuse comme autant de cadavres de soldats sur le champ de bataille attendent avec une patience infinie le passage de la charrette.

Dans la lumière qui là-dehors devait commencer d’étinceler, il levait une main à la hauteur des yeux, scrutait en silence les veines et artères dessinant au dos un bassin hydrographique digne des Carpathes. Une main de vieux, quoi. Une main de vieux… au bout d’un avant-bras de vieux. Prolongeant un biceps avachi tenant encore Vishnou savait comment à une épaule qui grinçait pour un oui ou pour un non. Et tout ça appartenait à un corps qui avait petit à petit au fil des décennies muté en désastre.

Il éclata aussitôt d’un grand rire joyeux. Ses yeux encore un peu embrumés de sommeil lançaient à présent de minuscules flammèches d’excitation. Et si qui que ce soit d’autre que lui s’était à ce moment trouvé dans sa chambre, il ou elle aurait entendu un murmure émerveillé :

— C’est donc vrai ?! Je ne parviens pas à y croire ! C’est vrai ?! Vraiment vrai ?! Il y en a bel et bien une quatrième sorte ?! Mais alors… ! mais alors… !

On aurait juré entendre un enfant de cinq ans venant de surprendre un lutin du Père Noël à fouiller dans son garde-robe.

*

Et ici, arrêtons-nous un instant, histoire d’offrir au lecteur et à la lectrice quelques repères qui ne seront pas du luxe.

Jean-Sébastien Pomeroy, voyez-vous, était un homme qui, l’on comprendra bientôt pourquoi, adorait dormir. Pas « dormir » un petit 6 ou 8 heures pour garder la forme, pensez-vous ! Oh que non ! Dormir ! Ce qui s’appelle « dormir sé-ri-eu-se-ment » ! Et que l’on ne saurait entreprendre à moins de disposer d’un strict minimum de 11 heures devant soi – mais préférablement de 13. Sans compter un 4 heures supplémentaire consacré à un réveil tout en douceur aussi essentiel au dormeur sérieux que la tranche de citron l’est à l’amateur de tequila.

Et pourtant… dormir, ce n’était encore en vérité qu’un fallacieux prétexte.

Parce que la véritable passion de Jean-Sébastien Pomeroy, soyons bien clairs, c’était de rêver.

Haroun Tazieff a exploré les volcans. Le commandant Cousteau les grands fonds marins. Jean-Sébastien Pomeroy, lui, était un véritable capitaine Cook des mondes nocturnes qui palpitent en nous et qui – du moins le croyait-il fermement – constituent le cœur de ces nôtres existences qui sans eux ne seraient que loques se trainant au long de jours fades en suintant d’ennui.

Il ne serait donc pas erroné d’affirmer que oui, Jean-Sébastien Pomeroy avait toute sa vie adoré dormir. Mais ce culte était à parler franchement assimilable à la passion de Marco Polo pour la balade à dos de chameau : le sommeil avait été son véhicule, voilà tout.

Et ce matin-là… Jean-Sébastien Pomeroy venait ni plus ni moins que d’enfin découvrir la Route de la soie.

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