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Chapitre 3
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La quête qui ce matin-là trouvait son point d’aboutissement dans le fait de revêtir durant un tout petit moment un corps d’éphèbe à peau de pêche parfaitement inconscient du passage du temps, avait débuté 70 ans plus tôt.
À l’époque de son arrivé au collège, le fringant « Djihesse » comme le surnommaient ses copains d’alors, savait déjà qu’il n’était vraiment lui-même que ronflant et les yeux clos, à se débattre dans des univers gluants et lancinants comme des rages de dents, ou alors à batifoler dans des flots aux couleurs improbables, quand ce n’était à discuter courtoisement et dans la joie, des mois durant – lui semblait-il sur le coup –, avec des êtres dont la rencontre dans la vie éveillée lui aurait en un éclair arraché des hurlements de terreur.
Il le savait déjà. Mais il n’avait pas encore pris la mesure des implications qu’allait avoir sa passion.
Matin après matin, ce n’était que de peine et de misère qu’il revenait de « ces endroits-là » où il passait ses nuits, qu’il s’éveillait de fort mauvaise grâce, et qu’il lui fallait souvent jusqu’à l’heure du midi avant de parvenir à se défaire du sentiment qu’en comparaison avec ceux desquels il venait de s’arracher, le « vrai » monde – ainsi que tout un chacun s’obstinait contre toute logique à le qualifier –, en était un ennuyeux à périr – sans relief, sans saveur, sans profondeur, prévisible à donner le vertige – un monde à vous dégoûter de la vie. À seize ans !
C’était encore l’époque où lui, à l’instar de n’importe quel observateur tant soit peu distrait, aurait cru que c’était le sommeil qui le captivait. Il ne différenciait pas encore le véhicule et son chargement, le chemin et le voyageur. Mais cette confusion n’avait pas empêché que petit à petit ait déjà à ce moment pris racine et cru en lui le désir de consacrer sa vie au sommeil et aux voyages qu’il permet si on leur consacre le temps et l’énergie souhaitables.
Il avait même si bien cru, ce désir, qu’il devint l’axe de sa vie dès l’été qui séparait ce qui aurait dû être ses deux années de collège. Un ami lui ayant parlé d’un boulot « pour étudiant » disponible chez un marchand de meubles de sa famille, Jean-Sébastien y avait posé sa candidature, décroché la timbale, et en un éclair, malgré son jeune âge mais grâce à un emploi généreux de son charme impitoyable, était devenu un respectable représentant en réfrigérateurs « faciles à dégeler » et en meubles affreux taillés dans le bois noir, qui avaient le plus souvent l’air de maquettes de sarcophages baroques, surnommés « ensembles stéréos de type classique espagnol » – pour un peu, il vous aurait fait croire que c’était là le modèle même qu’avait adopté Charles-Quint en personne.
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