Culture Club – SRC 1ère chaine
Enregistrement : Vendredi 12 mai 23
Culture 101 – 8:30 min
Notes pour une chronique
Les visions de Tom Clancy
Notes générales dans le désordre
Clancy : 1947-2013 – Baltimore/Baltimore
747 sur le Capitole à Washington et front commun des tyrans
Sur ordre (Executive Orders) – paru en 96
La Chine envahit la Russie
L’Ours et le Dragon (The Bear & the Dragon) – paru en 2000, soit 10 ans après la chute de l’URSS.
En Russie, des ultranationalistes s’emparent du pouvoir et veulent rétablir l’URSS
Série de jeux Ghost Recon – commencée de paraitre en 2001
Galeries marchandes Goum / Combats… en Géorgie et dans les États baltes.
Dans cette chronique, je continue sur le thème des genres littéraires réputés mineurs mais qui, quoi qu’on en pense, peuvent se révéler fort éclairants.
Parlons roman de guerre et prédictions d’avenir
Je vous rappelle d’abord que jusqu’à la fin de février de l’an dernier, la quasi-totalité des commentateurs politico-militaires se sont plantés le doigt dans l’œil jusqu’au coude au sujet des intentions de la Russie en Ukraine – et encore plus profond que ça en ce qui avait trait à la capacité de la « petite » Ukraine de résister à la « grande et grosse » Russie.
À présent… jetons un œil sur les écrits de Tom Clancy.
Dont plusieurs aspects auraient pu être éclairants.
Un mot sur l’auteur, d’abord.
Romancier américain décédé en 2013.
Principal inventeur du Techno Thriller – un genre de roman de guerre qui place la technologie et la planification au centre des enjeux. CE QUI DÉJÀ, EN SOI, ÉTAIT aux débuts de Clancy PRATIQUEMENT VISIONNAIRE : observez la place que prend en Ukraine la QUALITÉ des armes sur le champ de bataille, et celle de la préparation des offensives. Même certains militaires qui s’attendaient à un résultat du genre de celui qui s’offre à nous se disent étonnés par son ampleur : une guerre que tout le monde s’attendait à voir durer 3 jours, et qui en est à plus de 15 mois… avec un David en train de servir une dégelée à Goliath.
Qu’est-ce qui a joué ?
La qualité de l’équipement reçu par l’Ukraine, bien entendu (et l’imagination dans son utilisation)… mais aussi et peut-être surtout la PRÉPARATION des opérations.
Eh bien, mettre l’accent sur le récit de la préparation des engagements et sur la maitrise de l’équipement de pointe, c’est ça, le Techno Thriller.
Et c’est la base des romans de Clancy.
Précisons quand même que, si l’on n’est pas un adepte forcené des Républicains, aux USA, Clancy peut tomber sur les nerfs sur un sacré temps : quand il se lance dans ses grands exposés, il est juste un peu à droite de Gengis Khan.
Fort heureusement, il n’est pas sur ce mode-là tout le temps, et on apprend à tourner certaines pages beaucoup plus vite que d’autres.
À son crédit : Invention d’un genre inédit – donc. Ce n’est pas rien.
Ensuite…
Dans un roman paru en 96, Sur ordre (Executive Orders), à la fin, le gouvernement américain est pratiquement détruit par… un 747 qui se jette sur le Capitole, à Washington, alors que le Président se trouve là, à faire un discours devant le Congrès, le cabinet, la Cour Suprême, enfin pratiquement tout l’appareil politique.
L’utilisation d’un avion civil gros-porteur comme si c’était un missile… Clancy l’imagine 4 ans avant le 11 septembre.
Mais il n’y a pas que ça.
Dans le même roman – et plus tard il développera davantage l’idée – Clancy imagine aussi une espèce d’alliance informelle entre certains pays qui souhaitent en finir avec les USA… et certainement parce qu’ils trouveraient la Maison blanche trop à droite !
C’est le contraire : ce sont des pays qui souhaitent encore nettement moins de démocratie dans le monde.
À l’époque, ces alliés sont entre autres… la Chine, l’Inde et l’Iran des ayatollahs.
Donc : trois pays qui aujourd’hui, presque 30 ans plus tard, sont ou bien des alliés ou bien des « neutres bienveillants » à l’égard de la Russie poutinienne.
C’est quand même frappant !
La Russie n’est pas dans le lot. Ça n’a rien de surprenant : en 96, quand le roman parait, on n’est que 6 ans après la fin de l’URSS et il existe encore une forte possibilité pour que les choix politiques à venir éloignent Moscou de Pékin plutôt que de l’en rapprocher.
Nous disons donc :
Invention d’un genre de récit, souvent très complexe en termes de structure, au diapason du monde contemporain;
Première apparition d’un avion civil suicide;
Évocation d’un front commun des tyrannies.
Pas mal.
Mais ce n’est pas fini.
Quatre ans plus tard, en 2000, Clancy publie : L’Ours et le Dragon (The Bear & the Dragon) dans lequel la Chine envahit la Russie.
Si l’on ne s’arrête pas trop à y réfléchir, c’est une grosse erreur : dans la réalité, nous savons bien que la Chine n’a jamais attaqué vers le nord. Sauf que… ce choix d’une Russie penchant plutôt en faveur de la démocratie est un pari sur l’espoir de la part de l’auteur et très nettement expliqué dans les pages du roman :
Clancy choisit délibérément d’opter pour un avenir dans lequel « le peuple russe serait chanceux, pour une fois ». Autrement dit : où la Russie serait dirigée par autre chose qu’un tyran.
Dans le roman, les Chinois lisent ça comme un signe de faiblesse… et envahissent.
Ce qui constitue exactement le raisonnement de Poutine à l’égard de l’Ukraine qui, à ses yeux, justifie l’invasion : le tsar ne voulait pas d’une démocratie sur sa frontière occidentale.
En mars-avril de l’an dernier, alors que les troupes russes approchaient de Kyiv… puis s’enfuyaient au triple galop, j’ai relu la brique. Et l’effet de similarité entre la fiction et le réalité était saisissant.
En 2000, Clancy imaginait donc une Russie qui n’aurait pas été égorgée par les oligarques et aurait ainsi pu commencer à moderniser ses infrastructures.
Mais si vous tenez compte du fait qu’en réalité, à contre-courant des espoirs de Clancy elle l’a été, égorgée par les oligarques, le même roman, mais avec la Russie dans le rôle de la Chine qui attaque et l’Ukraine dans celui de la Russie qui se défend de toutes ses forces… c’était en plein le récit que je lisais tous les jours sur les réseaux sociaux.
Encore une chose…
À l’époque où parait L’Ours et le Dragon, Clancy travaille à une série de jeux vidéo intitulée Ghost Recon – elle commence à paraitre en 2001.
Le thème ?
« En Russie, des ultranationalistes s’emparent du pouvoir et veulent rétablir le vieil empire soviétique. »
La guerre éclate après l’invasion de la Biélorussie, du Kazakhstan et… de l’Ukraine, et des combats font rage en Géorgie et dans les États baltes.
En 2001 !
Voilà.
C’était ma chronique sur le thème « Ça veut pas rien dire, ces affaires-là ».
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