Opération “Caliban” (Esquisse de stratégie qui ne sera pas tentée) (3/3)

5 – Opération « Caliban »…

 

« Caliban »… vous vous souvenez ?

Comme dans le billet où j’ai raconté la vision qui m’est venue, en décembre dernier, en regardant le damné film sur Dirk Bogarde ? (Celui-ci – à peu près au tiers)

Quand je me suis aperçu que, durant la deuxième moitié au moins, il m’apparaissait un fantôme qui aurait surgi dans la salle de montage pour empêcher que soit achevée cette entreprise puante ?

Ce Caliban-là.

 

Une espèce de monstre, gardien de la mémoire et de la dignité.

Une espèce de vengeur face aux mensonges.

Un esprit.

Que je me permettrais d’invoquer.

*

Voyez-vous…

 

À « on fait quoi? »

La seule réponse qui me vienne,

Si je ne peux

Ou ne veux pas

Partir d’ici…

 

Elle est complètement loufoque,

Parfaitement irréalisable.

 

Et elle est double.

 

Elle est d’abord de lancer :

 

À la haine de l’âme qui de tout temps

À régné en déesse dans cette société,

Je dis… non !

 

Croyez-moi

Ou ne me croyez pas…

Je dis non !

 

Comprenez de quoi je parle ou pas…

Je dis non.

 

Crissez-moi une claque…

Criez-moi des noms…

Je dis non.

 

Je dis non…

Pour Nelligan, dans sa chambre d’hôpital.

 

Je dis non…

Pour Gauvreau, mort tout seul

Pour Aquin, mort tout seul

Pour Pagé, mort tout seul – et du départ de qui je ne me suis jamais consolé

Pour Sauvageau,

Pour Huguette Gaulin

Pour Nelly Arcan

 

Je dis non pour les morts.

Et je dis non pour les vivants.

 

Je dis non

Pour tous les étudiants que j’ai eus

Éblouissants d’une lumière

Dont personne n’a voulu.

 

Je dis non

Pour toutes les œuvres que j’ai vues

Passées sous silence

Ou trainées dans la boue

Par des ignorants.

 

Je dis non pour toutes les pièces

Qui se seraient écrites

Si cette société n’était pas

Aussi monstrueusement décourageante.

Et assassine.

 

Je dis non pour les œuvres qui sont.

Je dis non pour Yourcenar.

Et pour Robert Lalonde.

 

Je dis non

Pour Geneviève Billette

Et pour Herman Hesse

 

Et puis, ma réponse…

 

Elle est aussi de dire OUI.

 

Oui au rêve.

 

Oui au désespoir qui cherche le chemin.

 

Oui au vertige.

 

Oui à une vie qui ne se résume pas à la gagner.

*

Comment transformer ce Oui-là et ce Non-là en mouvement ?

 

C’est tout simple.

 

UNE PERSONNE À LA FOIS.

*

Voici à quoi je rêve, en cet instant précis.

C’est la seule possibilité

Que je crois imaginable

Pour un début de la fin de la Grande Noirceur.

*

 

Imaginez que ce blogue,

Je ne viens pas de l’écrire,

Mais de le lire.

 

Je me demande d’abord :

Quels sont les deux mots

Qui me viennent

Quand je pense à ce que je viens de lire ?

 

Disons que les deux miens sont…

« Inacceptable »

Et

« Ti-pits dans leurs carrosses ».

 

J’écris une lettre.

Et je l’écris et l’envoie sans attendre

Là, tout de suite

En plein mois de juillet.

 

C’est une lettre que j’adresse…

À un médecin

Ou alors à un ingénieur-conseil

Ou alors au boss d’une grande firme de travaux publics.

Dont, dans n’importe quel cas,

J’ai tiré le nom au hasard dans un bottin.

 

Je la lui envoie…

Par poste certifiée.

Pas juste enregistrée, certifiée.

Ça coûte plus cher, mais comme ça,

Je saurai qu’il l’a reçue et qu’il en a accusé réception.

Il ne l’a pas juste reçue – il a été obligé de signer.

Comme si c’était un avis d’avocat,

Ou de notaire,

Ou de huissier.

C’est super important.

 

En synthèse,

Je lui dis,

Très poliment

Mais très fermement

Ceci.

 

Monsieur ou madame,

Comment allez-vous ?

Passez-vous un bel été ?

Je vous souhaite de tout cœur que la réponse soit oui.

 

Savez-vous quoi ?

Un jour, j’ai lu un livre qui a changé ma vie.

C’était un très beau livre – je veux dire : une très belle histoire.

Il s’appelait ainsi ou comme ça

Il parlait de ceci ou de cela.

Et je ne l’ai jamais oublié.

 

Je me permets de vous écrire à vous, aujourd’hui,

À vous que je ne connais pas,

Parce que vous, dans notre société, vous êtes important.

 

Pourquoi je dis ça ?

Parce qu’apparemment, dans notre société, il n’y a que l’argent qui compte.

Et que vous appartenez à l’une des rares classes sociales qui viennent d’en recevoir beaucoup, de la part du gouvernement, de l’argent.

J’en déduis que vous devez être bien plus important que moi et que les gens qui m’entourent.

 

Savez-vous, monsieur ou madame,

Vous rendez-vous compte, monsieur ou madame,

De ce que, dans notre société, les arts et la culture sont en train de mourir ?

Je vous assure que c’est vrai.

 

On ne les a jamais beaucoup aimés, les arts et la culture,

Dans notre société.

On crie des noms aux intellectuels.

On rit des poètes.

 

Pour être un artiste pris au sérieux, dans notre société,

Il faut, bien entendu,

Ça va avec le reste,

Faire beaucoup d’argent.

Alors on part pour Hollywood.

Ou on part pour Las Vegas.

Et pendant ce temps-là,

La société se vide.

 

Je veux dire qu’elle se vide de deux manières :

Se vide de ses gens

Et se vide de son âme.

 

Ceux qui ne partent pas,

Ils n’ont aucune importance.

Parce qu’ils n’ont pas d’argent.

 

Bref.

Je ne veux pas vous retenir trop longtemps,

Alors si vous voulez un peu mieux savoir de quoi je parle,

Allez lire ici :

[ adresse du blogue ]

Et si vous manquez vraiment trop de temps,

Ne lisez que ce texte-ci, qui est en trois parties. Commencez à cette adresse…

[adresse du premier des trois “Caliban”]

… et quand vous arrivez en bas, cliquez sur “Article suivant”, c’est tout.

 

 

Voyez-vous,

Monsieur ou madame,

Dans quelques semaines,

En septembre,

Il va se tenir (encore !) une consultation

Sur les politiques culturelles.

Et si vous allez lire ce que je viens de vous suggérer

Vous allez voir que cette consultation

A toutes les chances du monde de mener droit à la fin de tout

Pour la culture et pour les arts.

 

Alors le jour où elle va commencer,

Je voudrais pouvoir protester contre elle,

Cette fausse-consultation.

Je voudrais pouvoir crier ce que j’ai sur le cœur.

 

Pourquoi ?

Parce qu’au train où les choses se dégradent,

Le petit garçon ou la petite fille

Que j’ai vu(e) dans son carrosse,

Tout à l’heure,

Dans le métro,

Il n’aura jamais la chance,

Dans la société où nous habitons,

D’en lire, une belle histoire comme celle qui a changé ma vie.

Et encore bien moins d’en écrire une.

 

Le jour où les fausses-consultations

Sur la fausse-politique culturelle

Vont commencer

Je voudrais pouvoir

Poser des affiches à la grandeur de ma rue

Ou acheter un petit espace dans un journal

Un journal de quartier

Un journal étudiant

Ou un grand journal

Un petit carré

Dans lequel j’écrirais tout simplement :

« Et dire que je pensais que Duplessis était mort ! »

Avec mon nom, en dessous

Et les noms de mes parents et amis

Qui en cet instant même écrivent

Comme je le fais

Et pour la même raison

Des lettres comme celle-ci

À d’autres gens importants.

 

« Et dire que je pensais que Duplessis était mort ! »

Ou bien

« Êtes-vous sûrs que ce sont les Arts, qui vous font mal ? »

Ou bien

« Pourquoi haïssez-vous autant les artistes ? »

Ou bien

Si vraiment ce jour-là je n’y tiens plus

« Et des suicides d’artistes, il va vous en falloir encore combien ? »

 

Dans n’importe quel cas,

Juste une phrase,

Et cinq, dix ou vingt toutes petites, petites signatures en dessous.

 

Pas de grands discours.

Pas de grande révolte.

 

Juste ça :

« Pourquoi haïssez-vous autant les artistes ? »

 

Si vous voulez me donner un coup de pouce,

Pour financer mes affiches

Ou mon petit carré dans le journal,

Je vous en serais très reconnaissant.

Vraiment.

 

Voici mon adresse :

[mon adresse]

 

De toute manière,

Je vous remercie du fond du cœur pour votre temps

Et je vous souhaite une magnifique fin de journée.

 

XXXXX

*

Cette lettre, vous en envoyez trois, dix, ou vingt, ou trente, à des gens différents. Selon vos moyens (parce qu’elle est quand même un peu chère, la certification, mais elle est absolument nécessaire – pour que la personne, à l’autre bout, n’ait surtout pas l’impression de juste recevoir un flyer de plus.)

Mais ce n’est pas tout.

 

Cet été, sur votre patio,

Ou au bord du lac,

Ou dans votre ruelle,

Vous allez jaser avec des tas de gens.

Des voisins,

Des collègues,

Des amis.

Des parents.

 

Invitez-en cinq à prendre une bière.

Juste cinq.

(Et…

Hé hé…

Vous pouvez même leur demander de fournir la bière

Si vous avez pas les moyens.)

Racontez-leur ce blogue.

Ou lisez-en des bouts – ceux qui vous ont marqué.

Racontez-leur ce que vous imaginez

Que ce sera,

Dans quelques années à peine,

Une société où il n’y aura plus aucun artiste

Audible

Ou visible.

Nous y sommes déjà presque.

 

N’essayez pas de les convaincre.

Ça, c’est inutile.

C’est inutile :

Vous allez vous épuiser,

Vous risquez de vous fâcher,

Mais surtout,

Vous risquez de vous faire faire mal.

Même par des gens que vous aimez.

 

Alors ne forcez pas.

 

Écrivez vos lettres.

Profitez-en pour tripper :

Les trois-cinq-neuf que vous envoyez,

Faites-les complètement différentes

Si avez le goût et le temps.

Invitez cinq parents-zé-amis

À les entendre

Expliquez-leur pourquoi

Vous ne pouviez pas ne pas le faire.

 

Et invitez-les à en faire autant :

Lire le blogue.

Écrire la lettre.

L’envoyer en cinq ou douze exemplaires.

Ou en cinq ou douze versions.

 

Ensuite, chacun des cinq ramasse cinq autres personnes.

Et on recommence.

*

 

Vos cinq parents-zé-amis à vous qui envoient…

Huit lettres chacun, mettons,

Ajoutées aux huit vôtres, mettons,

Ça en fait déjà quarante-huit.

 

Si chacun de vos cinq parents-zé-amis

Après avoir envoyé ses lettres,

En fait envoyer autant à cinq de ses parents-zé-amis à lui ou à elle…

On est déjà rendus à 248 !

 

Et on continue.

Et encore.

Et encore.

Et tout ce monde-là continue.

 

Dans le temps de le dire,

Ça s’appelle un raz-de-marée !

(Et youpi : Poste-Canada

Est obligé d’engager du monde…)

 

Ne faites pas de liste !

N’essayez pas de contrôler !

Tant mieux, si le même boss ou le même doc

Reçoit quarante lettres

De quarante personnes différentes

Qui habitent Homa, Amqui et Baie-Comeau.

N’essayez pas de vous arranger pour.

Mais n’essayez pas non plus de l’empêcher.

 

Videz vos verres d’eau à vous dans la rivière.

Et ensuite…

Laissez-la suivre son cours.

*

Mais c’est pas tout !

 

Vous connaissez un ou des profs,

Au secondaire,

Au cégep,

À l’université ?

 

Demandez-lui de partir une pyramide, lui aussi.

Sur le même principe que les lettres :

 

Qu’il lise le blogue.

Et s’il croit que ça vaut la peine,

Demandez-lui de convaincre cinq confrères ou consœurs chacun.

Qui a leur tour en convaincront cinq.

Et ainsi de suite.

 

Le but :

Le jour où commenceront les soi-disant consultations

Que tous ces profs-là

Quelle que soit la matière qui est leur spécialité,

Consacrent TOUT LEUR TEMPS EN CLASSE

TOUTE LA JOURNÉE !

À expliquer à leurs étudiants

Ce que ce sera

Pour eux, pour elles,

Une société

Qui à partir de dans quelques mois à peine

Sera sans artistes.

*

Dans tout ça,

Quelques éléments ESSENTIELS :

 

AUCUN nom d’organisme, quel qu’il soit !

Nulle part !

(ET SURTOUT PAS D’ORGANISMES CULTURELS)

 

Des individus, et RIEN QUE des individus.

Sans titres,

Sans qualifications,

Sans statuts.

 

RIEN sur les réseaux sociaux !

 

AUCUN POLITICIEN !

De quelque juridiction

Ou de quelque parti qu’il ou elle soit !

Bannis !

C’est leur tour.

 

Et… AUCUNE violence.

Du ras-le-bol, oui.

De la douleur, oui.

Du vertige, oui.

Mais pas de violence.

 

Pas d’explication non plus,

Une fois que les choses sont en marche.

Vous avez choisi une phrase claire ?

Eh bien faites-lui confiance !

 

Un journaliste vous appelle ?

Refusez de lui répondre.

« Qu’est-ce qu’il y a ?

Mon message est pas clair ? »

 

Obligez-le à réfléchir, un peu.

Ça m’étonnerait que ça lui fasse du tort.

*

« En enfer non plus, ils doivent pas tellement aimer ça, les poètes… »

Avec dix, quinze, ou vingt signatures en dessous.

*

« Aujourd’hui, les copains,

On prend un break de trigo.

Je vais vous parler de deux choses.

D’une musique fabuleuse que j’ai entendue, une fois, quand j’avais votre âge. Mais je suis pas sûr d’être capable sans me mettre à pleurer.

Et du fait que la société où nous vivons, vous et moi, me fait… très, très peur. »

*

Imaginez.

 

Imaginez, le jour où les grandes consultations fakées vont commencer.

 

Partout au Québec,

Sur des coins de rues,

Des gens ordinaires

Qui arrêtent les passants :

« Excusez-moi !

Est-ce que vous savez ce qui est en train de se passer ? »

 

Imaginez,

Dans toutes les salles de classe du Québec,

En même temps,

Tous les profs qui parlent de beauté !

Les yeux plein d’eau.

 

Imaginez.

Des grands murs couverts de petites affiches.

« Ça suffisait pas qu’il soit déjà mort une fois, Nelligan ? »

 

Imaginez !

 

Des pages et des pages de petits encadrés,

Dans tous les journaux du Québec.

Qui crient tous NON !

NOUS NE SOMMES PAS DU BÉTAIL !

NOUS VOULONS CHANTER

ET NOUS VOULONS ENTENDRE LES CHANTS

DE PEUR

D’AMOUR

DE TRISTESSE

DE DÉSOLATION

D’ESPOIR.

NOUS

NE

SOMMES

PAS

DU

BÉTAIL !

 

Sans commentaires.

Sans explications.

 

Sauf peut-être…

Sauf peut-être…

 

Quelques lignes

De votre poème préféré.

*

Voilà.

C’est tout.

 

J’écris ceci.

Et je me surprends à pleurer comme un enfant.

 

Comme un enfant qui fait son plus beau rêve d’enfant.

 

Un nouveau Refus Global

Mais à mille,

Dix milles voix !

D’hommes et de femmes

Dans leurs vies

Qui disent :

J’ai besoin de beauté.

 

Une par une !

Un par un !

 

À la grandeur d’un pays en train de mourir.

*

J’écris ceci.

Et je me surprends à pleurer comme un enfant.

 

Comme un enfant qui fait son plus beau rêve d’enfant…

 

… en sachant qu’il ne se réalisera jamais !

———–

À partir d’ici,

C’est un rajout.

 

Et c’est de trop.

 Et je le sais.

 

J’ai tout fait pour ne pas l’écrire.

 

 Mais je ne peux pas

M’en empêcher.

 

 Parce que j’ai besoin

Que les morts soient moins morts.

 

Et que les vivants

(…)

(…)

(…)

 

 

 Je n’ai pas le droit…

Je n’ai AUCUN droit…

De demander quoi que ce soit

À qui que ce soit.

 

Je suis juste un gros petit bonhomme

Dans un monde bien trop grand

Et bien trop sérieux

Et bien trop violent

Et bien trop froid

Pour lui

 

Je n’ai aucun droit

De demander quoi que ce soit

 

Mais…

 

Si vous saviez…

 

Ah !

 

Si vous saviez…

 

Et je pleure

Encore plus fort

En écrivant ceci.

 Tellement, que je ne vois plus

Ni les mots sur l’écran

Ni mes doigts sur le clavier.

 

Si vous saviez…

 

 Comme j’aimerais…

 

 

 Me

 

Faire

 

Prouver

 

Que

 

J’ai

 

Tort

 

 ——-

 

 Quoi qu’il advienne,

Je vous souhaite

Belle

Sereine

Et longue vie.

 

DANIEL

 

 

[1er au 3 juillet 2017 — Revu le 4 juillet]

.

.


.

.