Détendons-nous un brin.
*
La deuxième moitié de ma décennie 1990, je la consacre donc…
… au projet d’un énorme essai politico-culturalo-historique que j’appellerai éventuellement Les Cahiers du Hobbit. Et qu’en 2000 je renoncerai définitivement à terminer. De toute manière, le but n’avait jamais vraiment été de le finir – il avait plutôt été de me fournir un cadre de recherches et de réflexions. Je n’ai jamais eu ni la prétention ni le désir d’être historien. Rien que le désir et la prétention d’être un citoyen qui a une idée la moins bête qui se puisse de ce qu’il dit quand il s’ouvre la trappe.
*
Donnez-moi juste un instant.
Ne quittez pas – votre appel est important pour nous.
(…)
(…)
Me revoici.
Suis juste allé jeter un œil. Sur l’essai je veux dire.
Comme je m’y attendais.– aussi déprimant aujourd’hui qu’il y a vingt ans.
Mais il y a quand même des passages, ici et là, qui font un autre effet que de donner envie de faire très mal à son prochain ou de demander l’asile psychologique le plus loin possible des berges du fleuve majestueux-oh-ah-oh-majestueux-pout-pout.
Celui que voici, par exemple, de passage.
*
À mesure que j’avance dans l’écriture de l’essai en question, une chose tout à fait étonnante se produit : il se met à apparaître un personnage. Pas sur le papier, dans ma tête.
Je veux dire par là que je finis par me rendre compte qu’à chaque fois ou presque que je rédige un passage, les arguments contre ce que je suis en train d’écrire s’expriment dans mon esprit… toujours avec la même voix. Celle que je finirai par appeler « la madame ».
Imaginez-vous le genre de dame qui n’en a rien à cirer.
De quoi ?
De tout.
Vous savez, le genre qui vous regarde de haut même quand elle fait un pied et demie de moins que vous. Et qui vous donne l’impression que vous mentez comme un arracheur de dents même quand vous vous taisez. L’air perpétuellement en rogne. Bref… « la madame pas fine ».
Autant vous l’avouer, je me compte chanceux en sivouplait d’être tombé sur elle. Parce que son homologue masculin, « le bedeau », lui, aurait été parfaitement insupportable. Dans son cas, imaginez-vous le chroniqueur politique d’un tabloïd du matin, à la voix suraiguë, tout fier de montrer à tout bout de champ à tout le monde (y compris son boss) qu’il maîtrise parfaitement… cinq mots complets en latin, oui monsieur ! Cinq ! Au complet ! (Toute ressemblance avec un individu existant pour de vrai… etc, etc, etc… même dans le cas de… lui, là.)
*
Bref – la madame.
La voix de mon surmoi national.
Qui m’engueule comme du poisson pourri, des années de temps, à cœur de jours et de nuits, chaque maudite fois que j’ai le malheur de taper sur une touche de mon clavier.
Tellement qu’à un moment, excédé de l’entendre jaspiner, je tente de me défaire d’elle en… l’écrivant. Sauf que… stupeur ! Ça marche ! Elle aime ça comme une folle. Et moi aussi : parce que ses arguments et ses jugements me donnent l’occasion de m’expliquer sur des tas de sujets.
Voici un petit exemple de ce que ça donne. [01]
En bleu fluo, c’est elle. Et pas en bleu fluo, c’est… ben… devinez.
*
« LA MADAME ET LES GOUDOUGOUDOUS »
Les Cahiers du Hobbit, tome I
– J’ vas vous dire c’qui m’ fatique, moi, avec vous. Vous dites que vous voulez pas rien changer, mais vous me ferez toujours ben pas accroire que vous avez pas le goût d’empêcher le prochain référendum de passer, a’c tout’ les histoires que vous me racontez là ? Hen ?!
Ma chère madame…
… j’évalue mes chances de changer avec ce livre-ci quoi que ce soit de significatif dans ce qui se passe au Québec à peu près équivalentes à celles que j’aurais de faire s’écrouler le Mont-Royal en frappant douze coups de mailloche en caoutchouc dans le milieu du Chemin Camilien-Houde. Si vraiment vous croyez qu’en passant des années à travailler à ce livre, je n’ai rien fait d’autre que d’être à genoux dans la côte de la montagne et de frapper un petit coup sur l’asphalte à tous les trois ou quatre mois, ben bout d’ Christ, lâchez-le donc tu-suite pis allez-vous-en donc lire un Snoopy. [02]
Mon but n’est pas plus de convaincre qui que ce soit avec ce livre-ci que, lorsque j’ai écrit Being at home…, je n’avais celui de convaincre les gens de se mettre à égorger la personne qu’ils aiment, de déshériter leurs enfants avec Monsieur Deslauriers ou de devenir un chanteuse d’opéra attachée sur une voie ferrée, ou un moine japonais, ou de faire dérailler les trains, quand j’ai écrit Les Bédouins… Excusez-moi, mais c’est ridicule, ce que vous me dites-là.
C’est ridicule et c’est révoltant. Parce que pour dire une chose semblable, il faut que vous soyez absolument convaincue d’une chose qui contrôle complètement ce que vous pensez de tout ce que quelqu’un peut vous dire dans la vie, qui que ce soit, où que ce soit, dans quelque circonstance que ce soit, pour quelque raison que ce soit : il faut que vous soyez parfaitement convaincue que vous n’existez pour les autres que si vous pouvez leur servir à quelque chose. Leur servir à quelque chose dans le sens le plus plat, le plus mercantile et le plus pragmatique qui se puisse imaginer.
Je ne dis pas que l’intérêt mercantile, pragmatique et plat est une chose qui d’après moi n’existe pas, je ne suis pas fou, calvaire. Mais ce que vous vous me dites, quand vous me dites une phrase comme celle que vous venez de me dire, c’est que vous, vous êtes profondément convaincue qu’il n’existe rien d’autre que ça : le plat, le mercantile et le pragmatique ! Rien d’autre que ça ! Rien ! Et que vous agissez en conséquence, c’est-à-dire comme si tout ce qui vous entoure, la planète entière, le cosmos d’un bout à l’autre n’était rien d’autre qu’un incommensurable magasin de balayeuses usagées où tous les êtres que vous croisez ne peuvent rien être d’autre que des vendeurs qui ne peuvent rêver à rien d’autre qu’à vous fourrer jusqu’à l’os. Et que vous considérez par conséquent que quand je vous parle je veux nécessairement vous vendre une balayeuse passée date depuis trois mille ans. Alors vous essayez de trouver c’est quoi la pogne, comme si de me dire oui équivalait à me signer un chèque en blanc pour l’acheter en échange de votre âme. J’en ai plein l’ cul ! Est-ce que c’est clair, comme ça ? Je ne vous ai même pas demandé, de me dire oui. Je ne vous ai rien demandé du tout. Et je ne pense pas que la vie soit apparue dans l’univers pour vous permettre à vous personnellement d’avoir un compte dans une Caisse populaire ! Je ne crois pas que l’univers soit advenu pour que Bernard Landry, Preston Manning et Pauline Marois puissent se promener en limousine pis en v’nir dans leur culottes chaque fois qu’ils prennent un grand respire pis un grand élan pour mentir comme des arracheurs de dents en sachant qu’y a pas un hostie d’ chat qui va oser s’ouvrir la trappe pour les contredire. Je ne crois pas que le sommet de l’esprit humain soit représenté par les chroniques moronnes de Nathalie Petrowski et de Pierre Foglia. Je ne crois pas que le fait de se câlicer des casseroles sur la tête et de faire des stepettes dans la lumière d’un strob soit le sommet le plus vertigineux auquel l’âme humaine puisse avoir accès par l’entremise de ce qui s’appelle l’art. C’est-tu clair ? Je ne crois pas que la seule marque de respect que l’on puisse avoir pour ses semblables soit de les considérer comme des poulets d’élevage qui n’auront jamais vu la lumière du jour de leur câlice de vie, ou comme des grenouilles décérébrées pour les expériences de laboratoire.
J’ vas vous le redire en anglais, imaginez-vous qu’ c’est Brad Pitt qui vous le crie par la tête, vous allez p’t’êt’ ben finir par comprendre, sacrament ! I don’t wanna change anything. Anything, for Christ sake ! C’est-tu clair, de même ?!
Je n’écris pas ceci pour changer le monde !
Parce que je ne suis pas convaincu, pas une estie de ciboire de miette, que le monde veuille changer ! Et que je ne considère pas, pas non plus une estie de ciboire de miette, que ce soit moi qui doive y dire quoi faire, à l’univers. Je ne suis pas Dieu le père. Ni le Fils. Ni le Saint-Esprit. Ni un ange. Ni un chérubin. Je ne suis pas le maître de l’univers. Pis ça m’intéresse pas. C’est-tu clair, sacrament ? Je ne suis pas le maître de l’univers, je ne l’ai jamais été, pis j’ai pas une câlice de miette l’envie de l’être, ni tu-suite, ni demain ni dans quatre millions d’années. Ok ?! Je ne sais pas ce qu’il faudrait faire. Pis je n’ai pas d’idée sur le genre de mandat qu’une commission parlementaire islandaise devrait avoir pour pouvoir décider que la terre doit se mettre à virer su l’autre sens. Est-ce que je me fais comprendre ? C’est-pas-de-ça-que-je-parle. That’s-not-what-I’m-tal-king-a-bout !
Ce que je fais, c’est tout simplement ma job, ma job dans la vie, ma job dans le sens mythologique : comme un médecin qui, en faisant sa job dans ce sens-là du mot, en se mettant le stéthoscope dans les oreilles, devient Esculape – le patron de tous les médecins d’Occident ou d’inspiration occidentale. Je fais ma job, comme tous les cultivateurs de la planète qui, en faisant démarrer leur tracteur, continuent le travail d’un monsieur pis d’une madame qui, il y a six mille ans, sur le bord du Nil, poussaient leur charrue. Je fais ma job comme tous les tailleurs de pierre d’aujourd’hui continuent le travail que faisaient les tailleurs de pierre dans la forêt cambodgienne en bâtissant le temple d’Angkor ou au Mexique en bâtissant la pyramide du Soleil. Je fais ma job de poète. Je me lève, j’ouvre mes stores, je regarde dans la rue, je parle avec le monde, je m’assois à une table pis je raconte ce qui vient d’arriver. Comme le faisaient les conteurs autour d’un feu de camps, assis devant la porte de leur caverne :
Bouboule a tué un gros our, à matin.
Ou ben :
Braille pas, Bouboule, tu l’attraperas demain, ton orignal.
Pis si c’est pas lui, y en aura un autre.
Un point c’est tout.
Sauf !
Sauf que dans ma tribu à moi, les chasseurs reviennent avec rien d’autre que des poignées de gazon dans les mains, que c’est ça qu’ils jettent dans les chaudrons en se tapant sur la poitrine comme des gorilles pis en gueulant :
Hen ? Hen ?
Qu’est-cé qu’vous pensez de t’ ça ?
C’est-tu pas un beau steak de dinosaure, ça, mes amis !
Hen ?!
Envoye, toi, le poète,
raconte-nous ça, comme c’ qu’on l’a pogné
pis comment qu’ ça va t’êt’ bon,
c’te p’tit souper là !
Envoye ! Assis-toi pis chante !
Mettons que j’ai un problème.
Mettons que pendant un bout’, je peux bien me dire :
Là, ils sont déprimés,
ils ont rien pogné,
ils se sentent pas en pleine possession de leurs moyens,
je vas pas en rajouter.
Alors je me mets à chanter :
Youp youp
En grugeant mon steak
Youp youp
J’ai pu faim mais ça s’garde pas
Youp youp
Mangeons mangeons.
Pis qu’après encore plus longtemps, je finis par me dire aussi :
Pauv’ eux-aut’,
ils doivent ben être tout’ su l’ bord de péter des dépressions,
j’ vas êt’ fin.
Alors je chante :
Tchik-a-tchick-boum,
Tchik-a-tchick-boum,
J’ai jamais vu un gros
si gros yak que ça !
Maudit qu’y est bon.
Mais que quand les chasseurs se mettent à battre leurs femmes pis leurs enfants à grands coups de morniffes parce qu’ils pleurent qu’ils ont faim, en leur disant :
Farme ta yueule pis mange ton steak !
pis en leur rentrant des poignées de foin dans le nez pis jusque dans le fond de la gorge… je sens poindre un malaise. Et que si, à chaque fois que j’essaye de m’approcher de poser une question ou de laisser entendre que le yak d’à soir goûte vraiment beaucoup l’herbe fraîche, je me fais regarder comme si j’étais sur le point d’attraper une maladie qui ne me permettra pas de passer la nuit, ou de me mettre à me faire accuser d’être un espion à la solde des Goudougoudous, les hordes de monstres sanguinaires qui vivent de l’autre bord de la rivière, le malaise finit par se retrouver de dimensions considérables.
Mes chers confrères poètes peuvent ben trouver astucieux et hautement valorisant de décréter que de toute manière la poésie n’est jamais qu’une construction abstraite de langage, que l’univers n’est qu’illusions, et qu’en conséquence eux ils vont désormais se consacrer exclusivement aux voyelles et à leur chant et se désintéresser de sujets aussi triviaux que le yak, le beurre de yak, et le poil de bison. Y en a d’autres qui peuvent très bien décider – c’est leur droit le plus entier – que c’est ben beau, le yak et le steak de yak, mais que là, maintenant qu’on en a plus qu’il ne nous en faut, il faut qu’on se consacre à des intérêts plus hauts et libérer de ses chaînes le peuple des Boudouboudous… moi, mon problème, c’est juste que dans les chaudrons, c’est pas du yak, qu’y a, c’est du gazon. Et qu’un jour ou l’autre, si je veux continuer à chanter, il va ben falloir que je pose une question pour que la gang pis moi on continue de se comprendre… ou bien pour qu’on recommence, à se comprendre :
Scusez, les gars, les filles.
Mais.
Euh.
Si ça, là, dans le chaudron c’est du yak…
Nonon, criez pas, jumpez-pas,
c’ correct c’est du yak, c’est parfait.
J’ veux jus’ savoir un affaire.
Ok, ça ici, c’est du yak. Bon.
Mais dans ce cas-là, c’est quoi le nom
de la grosse beubitte à poil long pis à quat’ pattes, a’c des cornes,
que vous avez essayer d’ pogner, à matin, pis qui s’est sauvée ?
C’est-tu ça, du gazon ?
Parce que si c’est ça, j’ai un problème.
Oh, pas avec vot’ yak, y est super bon, vot’ yak,
maudit qu’vous êtes des bons, les gars…
Nonnon, c’est pas ça.
Mais c’est parce que vous savez, quand on a enterré le Chef,
y a deux ans,
le poème qu’on chantait, là ?
« Dors, grand chef, dors sous le gazon… »
J’ me souviens pas qu’y avait de ces grosses beubittes à poil-là dans le bout’ ?
J’ vous d’mande ça parce que…
Là, j’ voudrais faire une chanson sur les saumons.
C’est quoi, au jus’, là, un sau… heu… un saumon ?
J’ veux dire, j’ pense qu’y a queuk chose qui m’échappe, dans le langage.
Vous pouvez-tu m’en décrire un, jus’ un, saumon,
jus’ pour pas que j’ me mette les pieds dans bouche ?
Je d’mande ça d’ même, c’ pas grave, hen.
Vous pouvez ben décider, madame, si ça vous tente, que les yaks, pour vous, c’est vert, haut d’ même, pis qu’ ça sent ben ben bon quand y vient jus’ de pleuvoir, mais dans c’ cas-là, vous pourrez pus dire la même chose du gazon. Parce que la grosse affaire poilue, là-bas, là, qui broute du yak, quand y vient d’ pleuvoir, a sent l’ yab’ à trente pieds. Alors moi, ici, tout ce que je fais, c’est dire :
Wo, menute !
Y a une demi-heure,
c’taient les yaks qui mangeaient du gazon,
pis là vous venez de me dire
que c’est le gazon qui mange les yaks ?
Branchez-vous !
Là, vous, vous sautez en l’air en en appelant à toués esprits de la forêt pis en vous arrachant la peau d’ la face, pis en gueulant que je veux livrer ma tribu, tous ceux quoi m’aiment et qui donneraient leurs organes pour moi, que je veux tout’ livrer les miens, les miens, les miens, aux immondes Goudousgoudous !
Mais j’ n’ai pas parlé, des Goudousgoudous, madame ! Pas un estie de mot !
Pour l’heure, là, les Goudousgoudous, j’ m’en crisse comme de l’an quarante. C’est-tu clair ? Parce que si pour vous, madame, un yak c’est vert pis haut d’ même, ben un Goudougoudou j’ sais même pas de quoi vous me parlez quand vous me le nommez ! Pis j’ai même aucune manière de savoir où je pourrais commencer à chercher pour le savoir, c’ que c’est. Pis même si d’main matin vous décidez d’encore er’virer bout’ pour bout’ pis de me déclarer solennellement que tous les Goudougoudous sont nos amis pour l’éternité pis pour peut-êt’ même plus longtemps qu’ ça, je le saurai pas plus, c’ que c’est, un Goudougoudou, madame. Ça va continuer à être la même sacrament d’affaire, pour moi. J’ saurai pas plus c’est quoi un Goudougoudou, j’ saurai pas plus ce que vous voulez dire quand vous me dites immonde Goudougoudou ou quand vous me dites merveilleux Goudougoudou.
C’est quoi un Goudougoudou, ciboire ? C’est quoi un méchant Goudougoudou ? Un Goudougoudou qui se promène à poil ? Qui se gratte les fesses à table ? Ou ben qui a des épines molles pis des cocottes ? C’est quoi ? Dites-moi lé ! Branchez-vous, pis arrêtez de changer de place !
V’nez pas me dire que chus contre le référendum, je sais même pas ce que c’est, le référendum ! J’ comprends strictement pas un estie d’ mot à vos histoires. Tout ce que je sais, c’est que si je dis que je va voter non, Stéphane Dion va m’envoyer une carte de fête avec l’encre toute délayée parce qu’il va avoir braillé comme un madeleine en me l’écrivant, que je vais encore une fois en avoir pour un an à rencontrer du monde qui changent de trottoir pour pas êt’ vus avec moi en public – mais qui m’appellent en cachette pour me dire que chus blood à l’os –, pis à me faire injurier par Falardeau, Martineau, Laurendeau pis LeBigot. Pis que si je dis que je va voter oui, on r’vire de bord pis on r’commence. Mais je m’en crisse ! Je m’en crisse éperdument, madame, de vos tabarnak de référendums ! Y a même pas deux personnes qui sont capab’ de me dire ce que la question veut dire ! Comment est-ce que vous voulez que ça m’intéresse de savoir où c’est qu’vous allez faire vot’ dessin su votre bulletin ? Vous pouvez ben me raconter tant que vous voudrez avec les larmes aux yeux que vous allez le faire dans le rond d’en haut parce que d’après vous ça veut dire qu’on va t’êt’ lib’, si pour vous êt’ lib’ c’est d’êt’ pognés avec encore plus de Falardeau, de Martineau, de Laurendeau pis de LeBigot encore plus hystériques qu’avant pis qu’y vont crier encore fort, pis qui vont encore plus être omniprésents – comme si ça s’ pouvait… –, vous pouvez tout autant me dire en braillant d’émerveillement que vous avez entendu aux nouvelles qu’y a un yak à réaction qui vient de passer le mur du son : j’ vous crois pas ! Pas parce que je pense que vous êtes une menteuse, jus’ parce que ce que vous me dites a aucun bon sens, aucun ! Zilch ! Rien ! Nada ! Niet ! Pantoute !
– Vous êtes contre la démocratie ! Maudit écœurant ! Vous traitez tout le monde de Fascistes, hen, c’est ça ? Mais c’est ben jus’… jus’… jus’ pour cacher que c’est vous, le Fasciste, monsieur ! C’est vous ! Pas moi, vous !
J’ vous ai p…
– C’est vous, pas les autres, vous ! Vous avez rien que du mépris, pour les autres, vous pensez que vous êtes plus fin que tout le monde pis que la vie a commencé quant’ vous vous êtes v’nu au monde, hen hen ?! Vous êtes un cochon, monsieur !
Certainement, madame !
Je n’en doute pas une fraction de seconde, me chère madame. Je suis un cochon. Je suis une tarte. Je suis un magnolia. Et un pudding aux fruits. Tant que vous voudrez.
Mais ce dont vous vous me parlez, ce N’EST PAS de la démocratie. Ça n’a rien à voir, avec la démocratie, ce dont vous me parlez là.
Dire qu’un référendum comme ceux qu’on a ici, c’est de la démocratie, madame, vous pourriez tout aussi bien me dire que boudouma kioki poulou nabidoubou. Ça ne veut rien dire du tout. La démocratie c’est autant le droit de faire un X sur un bout de carton quand on vous en donne l’ordre pis que vous allez vous faire injurier pendant des années si vous le faites pas à la bonne place, pis qu’on va recommencer si le résultat est pas le bon, jusqu’à temps que le résultat soit celui qu’on voulait ou jusqu’à temps que vous en creviez d’écœurement, que de faire un gâteau c’est de crisser un boite de Duncan Hines, une pinte de lait pis une livre de beurre dans le four à 350 sans même les ouvrir. Ben quoi ? Tous les ingrédients vont t’êt’ là, non ? À la bonne température, non ? Vous allez même avoir le carton pis la papier, en plus, qu’est-cé qu’vous avez à vous plaindre ? Qu’est-cé qu’y a de pas correct, mon gâteau ? J’ vas-tu me mettre à vous traiter de salope parce que la cochonnerie que je vais ressortir de mon four dans trois-quarts d’heure est pas à vot’ goût ?
La démocratie, madame, c’est le droit de discuter. Le droit de ne pas être d’accord. Le droit de poser des questions. Mais pas en soi, le droit de discuter, de poser des questions ou de critiquer. Pas en soi, madame : parce que. Parce que quoi ? Parce que… tous les humains viennent au monde égaux en droit. Tous ! Ce qui veux dire que si vous avez le droit de discuter, de critiquer et de poser des questions, mais que dans votre société on ne considère pas, immédiatement, spontanément, que tous les êtres humains viennent au monde égaux en droit, eh bien vos droits, madame, c’est des singeries de droits. C’est des facsimilés. C’est des copies vides. C’est autant de la démocratie que mon gâteau est un gâteau. Et qu’ils ne veulent rien dire, vos droits. Rien du tout. Si vous les avez aujourd’hui, c’est parce qu’on vous les prête aujourd’hui, ce qui est le contraire de les avoir de naissance. C’est parce qu’on vous les prête, que vous les avez, ce qui veut dire qu’on s’en crisse que vous les ayez ou non, parce que le jour où on va décider de vous les enlever, vous allez vous apercevoir qu’ils ne reposaient sur rien d’autre que du vent. C’étaient des singeries.
La démocratie, madame, ce n’est pas une autre manière de faire les choses, c’EST autre chose. C’est pas juste une manière de parler aux autres, c’est d’abord une manière de les regarder et surtout de penser à eux. Si vous avez rien que la manière, ça ne veut rien dire, c’est rien que des sparages. Et ces sparages-là ou n’importe quels autres sparages, c’est des sparages pareils. Avoir le droit de parler rien que parce que ça ne fait aucune espèce de différence que vous parliez ou que vous vous taisiez, ça ne s’appelle pas avoir un droit de parole. Et un droit de vote qui ne vous donne le droit que de choisir entre une porte à moitié ouverte ou la même porte à moitié fermée, ce n’est pas une droit de vote, c’est des simagrées. Une société où vous allez vous faire injurier, même par le premier ministre, madame !, si vous n’avez pas fait votre X dans le bon petit rond, madame, arrangez ça comme vous voudrez, ça ne PEUT PAS être une démocratie. Et une société où on va vous écœurer jusqu’à temps que vous le fassiez dans le bon petit rond, votre X, ou jusqu’à temps que vous crissiez votre camp, madame, ce n’est pas non plus une démocratie.
Je me contre-saint-ciboirise du nombre de gogosses qui vont s’appeler Commissions parlementaires ou Présidents d’élections et que vous pourrez avoir dans une société comme celle-là, CE N’EST PAS UNE DÉMOCRATIE. Et si personne ne dit rien, et si tout le monde, tout le monde, madame ! fait semblant que c’en est une pareille, c’est que tout le monde est d’accord pour trouver que des singeries ça vaut mieux que la démocratie. Et si le but qu’on poursuit, si la patente à gosses à quoi on veut vous forcer de dire oui, c’est une idée qui a été mise de l’avant par un curé qui avouait en autant de mots que son rêve à lui c’était la dictature, ce que ça veut dire madame, c’est que vous êtes dans une société qui n’est pas une démocratie, dans laquelle tout le monde fait semblant que c’en est une pareil en sifflant vers le plafond, et qui est en route pour devenir une dictature : une société où ne pas être d’accord avec le dictature, c’est se faire publiquement traiter d’enfant de chienne. Et donc une dictature à laquelle tout ce qu’il manque c’est le statut officiel, puisque toutes les autres caractéristiques, elle les a déjà.
Je n’essaye pas de vous faire changer d’avis, madame, je n’essaye pas de vous convaincre, je fais ma job : je me lève, je rouvre mes stores, je parle avec le monde autour de moi, je me promène, je m’assois et j’écris ce que j’ai vu et ce que j’ai entendu. Vous, vous vous mettez à hurler :
Farme ton estie d’ yeule
pis prends un autre tranche de yak !
Non, madame. Je ne fermerai pas ma gueule. Je vais continuer à faire ma job. Si ça fait pas votre affaire, fermez le livre pis allez faire un tour de gazon. Moi, je continue; qu’ils restent sur les tablettes, mes livres, je m’en crisse. Ma job, c’est de les écrire. Et de refuser de faire semblant, et de refuser dans toute la mesure de mes moyens de mentir. Si vous vous préférez continuer à vous raconter des balounes pis à compter les corps des enfants qui se crissent par les châssis, pis à faire semblant de brailler parce que vos enfants sont obligés de se concentrer comme des perdus pour arriver à lire ce qu’il y a d’écrit sur les boites de Corn Flakes, allez-y, ma chère madame, je ne vois absolument pas quoi faire pour vous en empêcher, ni de quel droit je le tenterais de toute façon.
Mais ne venez pas me faire votre numéro sur le fait qu’en faisant ce que je fais je nuis à la nâtion et je trahis mes ancêtres. Ma manière de prier mes ancêtres, madame, ou d’être enragé contre eux, ce n’est pas de vos calices d’oignons.
(1997)