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Instantanément et durant une fraction de seconde à peine, il se sut debout sur une colline.
Une fort ancienne colline, guère plus qu’une bosse avachie au milieu d’un paysage inconnu et étrange par ailleurs plat comme une crêpe à perte de vue. Il se trouvait, oui, à son sommet – si toutefois l’on peut parler de sommet dans le cas d’une aussi médiocre altitude. Le claquement de la porte de la laveuse venait de retentir au moment précis où, sur cette butte, il amorçait le mouvement de tourner la tête : après avoir contemplé le paysage à sa gauche, il allait à présent détailler celui qui s’étendait à sa droite.
Dans cette infinie plaine herbeuse plus qu’à moitié brûlée par un soleil doucement teinté de bleu, ni plus ni moins en somme qu’une savane aux reflets brunâtres, ce qu’il venait de regarder, ç’avait été une grande tribu assemblée juste au pied de la colline.
Chacun de ses milliers de membres – vieillards, femmes, guerriers, hommes, enfants –, semblait à la fois solide et n’être pourtant constitué que d’une colonne de fumée légère qui se balançait doucement bien que Jean-Sébastien ne ressentît la caresse d’aucune brise. Toute cette population se tenait immobile, silencieuse dans la lumière mate, levait bien docilement les yeux de visages sans trait vers lui qui les recensait. Et il avait su tout de suite que chacun de ces êtres privés de visage avait dans le monde de ses nuits été un rêve.
Ce fut tout. À peine un éclair. Le temps d’un claquement de doigts.
Dans le magasin, dès qu’il eut achevé de se redresser pour revenir face à une madame Pintana ayant à l’évidence arrêté sa décision, Jean-Sébastien dut résolument retenir la bride de l’image qui venait de lui apparaitre, et se la garder sous le coude — cette vente devait être conclue. (Tish !)
Ce n’est que le soir venu, après le repas et le cigarillo digestif, qu’il laissa remonter la scène. À sa grande surprise, elle ne se laissa faire qu’après qu’il eut trempé sa résolution. Petit à petit, l’image se redessina alors.
À sa gauche, donc. Ces milliers d’êtres à demi fantomatiques, debout, immobiles, patients. Qui sans broncher lui rendaient son regard. Une population composée de rêves. Il savait déjà pertinemment qui était chacun d’eux et d’elles – il l’avait su au moment même du claquement du hublot. Ils avaient beau apparaitre ici tous de même taille, de même carrure, il émanait de chacun d’entre eux une aura qui l’identifiait sans risque d’erreur comme le représentant d’un seul d’entre mille et mille songes. Leur nom collectif s’imposa sans qu’il ait eu à en chercher : c’étaient les feux de broussailles.
Il prit le temps d’en détailler quelques-uns – à la fois ravi, intrigué et un rien tendu d’appréhension. Celui-là, dont la tête apparaissait à peine entre deux autres debout devant lui, datait d’il y avait plus de vingt ans – il le savait rien qu’à écouter ce que lui racontait son regard en glissant sur sa silhouette. Celui-ci en revanche était tout récent. Un autre datait de l’époque de sa pneumonie. Et cet autre d’un retour de vacances du temps de son adolescence.
Déjà il se demandait à quoi diable allait bien pouvoir mener ce congrès inopiné.
Il entreprit de faire demi-tour et de jeter à présent un œil sur ce qui se trouvait de l’autre côté de la butte sur laquelle il se tenait…
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