La Prière du Renard – Présentation

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Aaahhh… La Prière du Renard

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L’un des cœurs de ma vie.

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Mais comment, par tous les saints du ciel, présenter ça ?!

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Allons-y doucement.

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D’abord, dire que c’est une pièce de théâtre.

Commencée d’écrire en 1988.

Et restée inachevée, elle aussi, comme les pages de l’essai Les Cahiers du Hobbit, après des années de…

De boulot ?

Non. De voyage.

Oui, c’est ça – de voyage.

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Complétée… à moitié, peut-être ?

Peut-être plus, peut-être moins, je ne sais pas.

Et, pour tout dire, je m’en fous.

*

Formellement, en scène, ça donnerait ceci :

Une pièce de douze heures – eh oui.

Découpée en quatre actes de trois heures chacun, destinés à être représentés à raison d’un par soir.

Le premier soir, il n’y a en scène qu’une dizaine d’actrices et acteurs, et tous et toutes présents tout au long de la représentation. Ah oui, c’est essentiel, ça : personne n’entre ni ne sort jamais, au cours d’aucun des quatre actes – On est en scène dès le départ et on y reste jusqu’au bout. Le premier soir, ils sont une dizaine, donc. Habillés sobrement. Il n’y a en guise de décor que des lutrins, un piano. On jurerait que c’est la toute première répétition d’un opéra, à laquelle ne participent que les principaux solistes.

Le deuxième soir, les voici rendus une trentaine : plusieurs rôles secondaires se sont ajoutés aux « grands » solistes, et des chaises de métal pliantes sont apparues.

Le troisième soir, ils sont plus de cinquante et des morceaux de décors disparates, en cours de montage, encombrent l’espace.

Le quatrième soir, ils sont plus de soixante-dix. Assis, qui ne se lèvent que pour participer aux scènes qui les concernent. Disposés comme un orchestre symphonique. D’ailleurs, il se trouve des musiciens parmi eux. Au fond, au-dessus d’eux, le décor d’une énorme corniche rocheuse – celle des prodigieux « deux hommes en armure », les gardiens de l’au-delà, dans La flûte enchantée de Mozart.

*

La pièce raconte que quelqu’un a dit à quelqu’un que quelqu’un lui a dit que quelqu’un lui a dit… un terrible secret. Il y a six pièces, en fait, imbriquées les unes dans les autres comme des poupées russes. Et la plus petite, la plus massive, tout au centre… est un trésor. C’est elle “la prière du renard” – comme dans Saint-Ex.

Quel est-il, ce trésor ?

Une question.

Une question qui se lit ainsi : « Je t’aime ».

*

Chaque fois qu’un des protagonistes apprend en quoi consiste le trésor, sa réaction est de répondre immédiatement : « Mais voyons, ce n’est pas une question, ça, Je t’aime ! »

Et son vis-à-vis de lui rétorquer : « Ah non ? »

*

Cela commence par un Prologue, dit pas un tout jeune adolescent :

 


 

Prologue

La Prière du Renard

 

Mon ami.

J’écris ceci pour toi. Tout pour toi. Rien que pour toi.

J’aurais aimé t’écrire une symphonie. Un opéra. Une messe d’action de grâce. Pour célébrer ton existence.

Mais je n’ai pas appris.

Voici un conte, comme une offrande. Pour ce qu’en toi j’aime. Que tu n’es pas seul à détenir mais qui, lorsque c’est chez toi que j’en constate l’existence, m’aspire dans la tendresse. Comme le font tes yeux.

Mon ami, je jette dans la balance, je jette au feu, je jette dans le vide peut‑être, je jette toutes les différences entre ce que tu sais, entre ce que tu crois, de moi, et ce que tu en vois ce soir.

Me voici de retour. Tel que je suis en vérité. En vérité peut‑être. En vérité s’il en est une. Un enfant, seul au milieu du vide, sous les regards ─ le tien, surtout, qui m’aspire, qui m’aspire ─, avec rien que son rire et sa joie et sa tendresse pour toi, et son espérance, à dire. Avec toute sa tristesse, aussi, sa révolte, à l’heure où il constate l’ampleur du renoncement exigé pour parvenir à être, pour l’autre… avec l’autre, sans certitude aucune d’y parvenir jamais. Sans plus même le tenter. N’espérant plus rien pour lui‑même. Abandonné. Même de lui‑même.

Depuis l’heure où j’ai cru avoir irrémédiablement cessé d’être ce que tu me vois redevenu pour toi, j’ai tout cru.

À tout ce en quoi j’ai cru, à toutes les folies dans lesquelles, depuis ce renoncement, j’ai successivement placé ce que croyais être ma foi, je renonce. Je suis de retour.

Ce soir, mon Prince, je prie pour toi. Sans attente pour moi, afin que toute ma prière soit pour toi. Je prie pour que tu vives.

Chez les Japonais, le renard possède le pouvoir de se transformer à souhait. Mais qu’est‑ce qu’un souhait ? L’espoir, le consentement de la chenille sont‑ils requis ? J’ai été ce renard‑là qui demandait à être apprivoisé. Et du renard enfin apprivoisé jaillit ce prince‑ci, qui ne se terre plus. L’apprivoisement, comme une aube.

Tu aimes une fleur, je crois, sur une lointaine planète. Et il n’est rien que je puisse faire, dire ou frapper qui puisse rien changer à cela. Je sais seulement que, si l’histoire dit vrai, il te faudra, pour retrouver ta fleur, tomber sur le sable, sans bruit, comme tombe un arbre, n’ayant connu de la vie qu’un roi, un vaniteux, un ivrogne, un homme d’affaires, un allumeur de réverbères, un géographe, un serpent et un aviateur comme toi pressé seulement de reprendre son vol, Avec peut‑être le vague souvenir d’avoir aussi croisé un renard qui disait de drôles de choses. De drôles de choses dont tu n’avais que faire… sauf lorsque son discours te la rappelait, elle, ta si belle unique fleur, froissée et frissonnante aux matins de vos jours. Le prince que je suis n’a guère connu davantage. Quelques princes de plus, seulement. Car, si leur population n’a pas l’envergure de celles des fleurs, des hommes d’affaires, des aviateurs, les Petits Princes sont tout de même suffisamment nombreux pour que l’on puisse parfois ressentir comme une damnation leur fuite perpétuelle vers d’autres planètes. Et leur réserve infinie face aux renards.

Je m’adresse ici à toi comme à l’un d’entre ces Princes, dont le destin semble être de tomber sur le sable, sans bruit, comme tombe un arbre.

Contre le destin je ne puis rien.

Mais si les créatures que nous sommes procèdent d’un auteur, et même en son absence, même si sa nature devait s’avérer être celle du néant, j’offre tout ce que je suis, jusqu’à mes rêves les plus secrets, jusqu’aux souvenirs les plus tendres, jusqu’aux fautes les plus bêtes, mes gestes les plus cruels, je renonce à tout dans l’espoir qu’aux heures qui te semblent comptées s’ajoutent quelques pages au récit. Fût‑ce en vain.

J’offre, fût‑ce en vain.

Pour quelques pages au récit, fût‑ce en vain.

Quelques pages. Les plus belles : celles à venir. Celles qui sont, aussi, mais avec en moins le vertige au bord du gouffre. Ta jeunesse n’a rien à faire du gouffre.

Je prie pour que tu vives longtemps.

Et pour que tu sois heureux.

J’offre, pour un sursis à tes jours, la seule prière qu’un renard puisse offrir : la prière du renard.

Il était une fois, dans une grande ville, une chambre d’hôtel…

 


 

… puis l’action se met en marche.

Un jeune homme et une prostituée dans une chambre d’hôtel.

Lui, veut partir – elle, l’en empêche.

Ils sont là depuis pratiquement trois jours entiers. Elle l’a recueilli en pleine nuit au fond d’une ruelle, qui hurlait à la mort en se frappant la tête contre un mur de briques. Elle l’a entraîné jusqu’à cette chambre, l’a soigné. Elle veut savoir pourquoi – connaitre la source de la douleur qui l’animait. Lui, l’a payée à l’avance – elle ne voulait rien entendre de recevoir son argent, mais il a insisté, lui a offert un marché : d’ici trois jours, ou bien il lui aura fait l’amour ou bien il aura raconté, mais dans un cas comme dans l’autre elle gardera l’argent.

Les trois jours achèvent. Et il se décide à raconter. « Mais je te préviens : c’est une longue histoire. »

« J’ai tout mon temps », lui répond-elle.

*

Ce soir-là où elle l’a rescapé, quelques heures avant la ruelle et le sang, il a aperçu par hasard un garçon dont le sourire l’a… jeté par terre, bouleversé de part en part. Il l’a suivi. A fini par l’accoster. Par lui demander ce qui dans sa vie le faisait sourire ainsi. « Un sourire comme on n’a pas dû en voir depuis que les Pyramides ont été finies de construire. » Le garçon a accepté de le lui dire… « Mais je vous préviens : c’est une longue histoire. » « J’ai tout mon temps », lui avait répondu le garçon-de-l’hôtel.

Le garçon-au-sourire a raconté au garçon-de-l’hôtel qu’un jour, un ami amoureux fou de lui et proche de la mort lui a raconté une longue histoire. Et ainsi de suite… six histoires, les unes dans les autres.

*

Au cœur de toutes, celle-ci :

Il y a bien longtemps de ça, Max est mort – Max, “l’Amoureux”.

Sa légende raconte qu’il serait mort d’amour. De trop aimer.

Des années plus tard, son neveu, Simon, archéologue, revient au pays pour la première fois depuis les événements et va tout de suite rencontrer à la Place Ville-Marie l’un des meilleurs amis de Max, Gaston, richissime avocat qui fut l’exécuteur testamentaire du disparu. Simon ne croit pas un mot de la légende et veut connaitre la vérité : « J’ai connu l’amour parfait – et j’ai su ce que c’est que de le voir mourir. Si je ne suis pas mort de cette douleur-là, vous ne me ferez pas croire qu’on puisse mourir d’aimer ».

Gaston est un joueur, un chasseur. Un cynique revenu de tout, que les prétentions humaines mettent hors de lui. Après un long interrogatoire par Simon, il accepte de lui répondre.

Simon a raison. Max n’est pas mort d’amour. Mais Gaston refuse de révéler tout de suite la véritable cause. Plutôt que de répondre, il offre à Simon de choisir entre deux hypothèses : ou bien Max s’est suicidé, ou bien…

Tandis que Gaston présente à Simon les deux possibilités entre lesquelles il va devoir choisir, Yves, l’amant de Gaston, fait son entrée. Il saisit immédiatement toute l’horreur de la torture à laquelle Gaston est en train de soumettre Simon.

À la furie de Gaston, Yves intervient dans le jeu : il existe une troisième réponse possible, dit-il à Simon. Que Max ne soit pas mort. Qu’il ait fui.

*

Cette histoire du trio Simon-Gaston-Yves s’est mise à circuler.

Au fil des ans, on l’a reprise, changée, adaptée.

Elle est devenue… une légende.

Des amants se la racontent et se la chantent.

Elle a sauvé nombre de vies.

Et c’est d’apprendre cela qui a rendu le garçon-de-l’hôtel fou de douleur.

Parce qu’après le jeu de la Place Ville-Marie, Gaston chassa Yves de sa vie à jamais.

Et que le garçon-de-l’hôtel s’appelle… Yves. C’était lui, l’amant de Gaston. C’est d’apprendre que le récit de la plus grande douleur de sa vie a pu sauver ou éclairer tant d’existences qui l’a rendu fou de vertige. De prendre conscience de ce que le récit de notre souffrance peut, pour d’autres, se transformer en la vie elle-même.

Voilà.

***

Voici un choix de quatre extraits :

Ici… l’hypothèse-mystère à propos de la mort de Max que Gaston a présentée à Simon.

Ici… le récit de sa vie que, selon Yves, Max aurait fait à l’un de ses amants.

Ici… la lettre que que Max aurait envoyé à Gaston.

Ici… “Le Prince-Voyageur”, un conte russe du XIXe siècle.

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Bonne lecture.

Et que les dieux de la sérénité et de la lumière tendre vous soient doux.

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